2. L'évaluation
2.1. Évaluations : formes, moments et
acteurs
L'évaluation est au centre de problématiques
diverses en didactique qui n'en font pas moins qu'elle est inévitable
dans tout apprentissage. Elle peut se traduire, se concevoir et être
accueillie de façons diverses. Néanmoins, elle apparaît
comme une démarche qui se veut rigoureuse et formatrice. Nous allons
nous intéresser plus précisément aux fonctions et aux
acteurs de cette démarche.
L'association des mots évaluation et
adaptation est loin d'être fortuite. Force est de constater que
cet acte de mesure doit s'adapter à la fois à ses protagonistes,
en particulier l'apprenant, mais aussi au moment auquel il intervient. Ainsi,
on relève différentes actions, formes et fonctions pour un
même acte. Voilà les diverses possibilités
rassemblées par Yvan Abernot5 :
Evaluateurs : enseignants, inspecteurs, parents,
élèves, correcteurs... Actions : évaluer,
juger, apprécier, estimer, noter ...
Formes : écrit, oral, en groupe, temps
limité, en classe...
Fonctions : sélection, formation,
stimulation, sanction, adaptation Evalués :
élèves, enseignants, méthodes, systèmes,
classes...
Généralement, deux formes d'évaluations
sont mises en avant. Nous trouvons tout d'abord l'évaluation formative.
A travers cette forme d'évaluation, on cherche à prendre
conscience du parcours effectué par l'apprenant dans son apprentissage.
Cette appréciation de ses difficultés et de ses facilités
s'inscrit dans une démarche diagnostique qui ne se traduit pas
systématiquement en notes mais plutôt en appréciation et
commentaires informatifs pour l'élève et le maître,
constituant ainsi un moyen de faire avancer l'apprenant de part l'action
corrective qui s'en suit. Ce type d'évaluation intervient dans le
processus d'apprentissage et
5 ABERNOT Yvan, 1996, Les Méthodes
d'évaluation scolaire, Dunod.
d'enseignement et permet de ce fait des diagnostics
individualisés qui favorisent une pédagogie
différenciée. Voilà comment L. ALLAL6 l'analyse
(G. DE LANDSHEERE7): « Pendant la totalité d'une
période consacrée à une unité de formation, les
procédures d'évaluation formative sont intégrées
aux activités d'enseignement et d'apprentissage. Par l'observation des
élèves en cours d'apprentissage, on cherche à identifier
les difficultés dès qu'elles apparaissent, à diagnostiquer
les facteurs qui sont à l'origine des difficultés de chaque
élève et à formuler, en conséquence, des
adaptations individualisées des activités pédagogiques.
Dans cette optique, toutes les interactions de l'élève- avec le
maître, avec d'autres élèves, avec un matériel
pédagogique- constituent des occasions d'évaluation (ou d'auto-
évaluation) qui permettent des adaptations de l'enseignement et de
l'apprentissage. La régulation de ces activités est donc de
nature interactive. Le but est d'offrir une « guidance »
individualisée en cours d'apprentissage plutôt qu'une
remédiation a posteriori. »
Cette démarche est propre à l'enseignant et
constitue une aide pédagogique immédiate. Même si elle
entraîne une prise de décision, celle-ci n'est pas du même
ordre, nous le verrons, que dans l'évaluation sommative et n'est pas
irréversible. Bien sûr, elle peut être associée
à d'autres formes d'évaluation et adopter plusieurs fonctions.
Son intérêt est donc multiple.
«
elle est renforçatrice en valorisant la réponse de
l'élève et en augmentant la probabilité d'obtenir une
réponse juste ultérieure ;
elle est corrective, car le fait de comprendre ses erreurs permet
de les modifier plus facilement. C'est donc une gestion positive des erreurs
;
elle est régulatrice puisqu'elle permet d'ajuster en
permanence les objectifs poursuivis et les stratégies mises en place
pour les atteindre. » 8
Elle est donc aussi profitable à l'enseignant
qu'à l'apprenant. Ensuite, nous pouvons définir
la deuxième forme comme étant sommative. Celle-ci
s'insère dans une politique éducative et est
6 L. ALLAL, J.CARDINET, P.PERRENOUD,
L'évaluation formative dans un enseignement
différencié, Berne, Lang, 1979, pp. 142-143.
7 LANDSHEERE, Gilbert de. 1971, 6e éd. revue et
augmentée 1992, Evaluation continue et examens : précis de
docimologie, Bruxelles, Labor.
8 CHADUC Marie-Thérèse, 2000, Les
grandes notions de pédagogie, Armand Colin/Bordas
souvent rendue publique. Elle prend pace après les
activités d'apprentissage en interrogeant sur ce qui a été
enseigné. Elle entraîne systématiquement une prise de
décision et c'est la plus fréquente dans l'enseignement
classique. Elle apparaît comme globalisante. La définition la plus
complète qu'on puisse en trouver est celle de Bloom9 reprise
par Denise Lussier10 : « Plus précisément, il
s'agit d'une démarche dont les données obtenues à la fin
d'un programme d'études ou d'une partie terminale de programme servent
à exprimer le degré de maîtrise par l'élève
des objectifs du programme et à prendre les décisions relatives
à l'obtention de crédits, au passage dans la classe
supérieure, à la sanction des acquis et à la
reconnaissance des acquis expérientiels »
Stake11 compare ainsi ces deux formes : « Quand
le cuisinier goûte la soupe, c'est du formatif ; quand les convives
mangent la soupe, c'est du sommatif »
Ces deux formes d'évaluation vont s'adapter aux moments
auxquels elles interviennent et donner lieu à différentes
fonctions. A. Bonboir12 en distingue ainsi trois :
«
|
descriptive : « vous en êtes là »
diagnostique : « parce que vous avez telle lacune »
pronostique : « vous pourrez suivre dans telle orientation
» » (ABERNOT 5)
|
Mais il existe d'autres formes d'évaluation
correspondant à ces fonctions. Dans Les grandes notions de
pédagogie (CHADUC 8), on différencie
l'évaluation comparative, celle permettant de classer les apprenants et
l'évaluation dynamique indiquant à l'élève son
propre niveau. Cette analyse apparaît d'ailleurs dans les programmes et
instructions officielles de l'Education
9 BLOOM B.S, HASTINGS J.T, MADAUS G.F, 1981,
Evaluation to improve learning, New-York, McGrawHill.
10 LUSSIER Denise, 1992, Evaluer les
apprentissages dans une approche communicative, Paris, Hachette FLE,F
Formation.
11 STAKE R.E, 1967, The Countenance of Educational
Evaluation, Teacher College record, Vol.68
12 BONBOIR A., 1972, La Docimologie, Paris,
PUF, cité par Abernot
Nationale dès 1985. D'autres formes sont également
sollicitées et sont présentées dans le cadre
européen commun de référence pour les langues . En voici
une liste récapitulative :
1. Évaluation du savoir/ Évaluation de la
capacité
2. Évaluation normative/ Évaluation
critériée
3. Maîtrise Continuum ou suivi
4. Évaluation continue / Évaluation ponctuelle
5. Évaluation formative / Évaluation sommative
6. Évaluation directe / Évaluation indirecte
7. Évaluation de la performance / Évaluation des
connaissances
8. Évaluation subjective/ Évaluation objective
9. Évaluation sur une échelle/ Évaluation
sur une liste de contrôle
10. Jugement fondé sur l'impression/ Jugement
guidé
11. Évaluation holistique ou globale/ Évaluation
analytique
12. Évaluation par série / Évaluation par
catégorie
13. Évaluation mutuelle / Auto-évaluation.
Il est intéressant de définir certaines de ces
notions :
l'évaluation normative : celle qui classe
les élèves par rapport à une norme. Elle est rarement
employée dans les classes.
l'évaluation critériée :
celle dont les objectifs sont précisés et définis
rigoureusement a priori.
l'évaluation diagnostique : se
déroulant avant l'apprentissage.
l'évaluation formatrice :
considérée comme une étape d'apprentissage (exemple :
l'autoévaluation ou la co-évaluation)
les évaluations interne et externe :
respectivement prise en charge ou non par l'enseignant.
Toutes ces formes ne sont pas exclusives et interviennent
à des instants précis de l'apprentissage . Il s'agit de trouver
un équilibre selon les besoins de l'apprenant et de l'enseignant. De
manière globale, il faut retenir trois temps et trois fonctions (dont
les dénominations changent selon les auteurs).
2.2. Fonctions de l'évaluation selon le moment de
l'apprentissage
Diagnostique... ou descriptive, pronostique, prospective :
Avant
Formative....ou diagnostique,formatrice : Pendant
Sommative voire normative : Après
Voyons maintenant ce que l'enseignant et l'apprenant ont
à faire durant ces étapes. Il faut savoir que les trois grandes
tendances de l'évaluation sont : la centration sur l'évaluateur,
la centration sur la relation éducative et celle sur l'apprenant.
Néanmoins, ces trois tendances doivent se compléter afin que
l'évaluation prenne tout son sens. Par celle-ci, l'enseignant doit
guider l'apprenant et également vérifier l'efficacité de
ses méthodes didactiques, de sa pédagogie afin de les remettre en
question si nécessaire. L'évaluation permet à l'apprenant
de prendre conscience de ses progrès, facilités et
difficultés. Elle le fait progresser tout en cherchant à
développer son autonomie. L'enseignant a bien sûr la tâche
de concevoir l'exercice (dans les cas internes), tandis que son
élève le réalisera.
Essayons de décrire, en nous inspirant des
considérations de Ch. Hadji, le rôle de l'enseignant- formateur en
tant qu'évaluateur. Il est celui qui doit « livrer un message qui
ait du sens pour ceux qui le reçoivent » (HADJI 13) . De
façon générale, on lui distingue trois grandes fonctions :
expert, juge et philosophe. En tant qu'expert, il jauge la
réalité. Il apprécie ensuite celle-ci selon des normes et
valeurs prédéfinies et se fait juge. Enfin, il interprète
ce qui se passe pour rendre intelligible la réalité et mieux la
comprendre . Cet homo aestimans se définit comme un pédagogue, ou
plus précisément, il se situe entre « l'expert qui sait
comment on apprend, et le pédagogue- praticien, qui imagine comment on
pourrait faire apprendre » (HADJI 13) Hadji utilise de
nombreuses métaphores pour expliquer son rôle. Il le
présente comme un navigateur faisant le point « pour permettre au
pilote d'amener l'avion à la destination souhaitée
»13, en déterminant des objectifs, en construisant des
systèmes d'évaluation et d'interprétation, en utilisant
les outils adéquats sans toutefois sombrer dans l'objectivisme,
l'autoritarisme, le technicisme ou l'ivresse interprétative. Et pour
conclure son
13 HADJI, Charles. 1989,6° édition
2000.L 'évaluation, règles du jeu. Paris : ESF
éditeur
propos, il annonce : « Aussi l'évaluateur est-il
finalement un médiateur dont le travail s'apparente à la fois
à celui du funambule et à celui du tisserand :
· du funambule, car il lui faut se mouvoir dans l'espace
ouvert entre un « être » toujours en mouvement et un «
devoir-être », toujours difficile à cerner ;
· du tisserand, car l'essence de sa tâche est de
mettre en rapport, de créer des liens, et cela d'un triple point de vue
:
o en tant qu'il prononce un jugement utile à l'action, il
participe au processus qui articule deux états de choses successifs
(dynamique du changement) ;
o en tant qu'il prononce un jugement et produit une
représentation normée, il opère la jonction entre la
prescription et l'observation, et entrecroise l'essence et l'existence ;
o en tant qu'il se prononce, il prend les choses dans la toile
des mots. » (HADJI
13)
Il faut aussi remarquer que l'évaluateur s'implique
davantage, par sa présence physique et ses interventions, dans les
évaluations orales. Il se doit de respecter certains codes de
comportement face à un candidat plus ou moins déstabilisé
ou susceptible de l'être. C'est ce que Veltcheff et Hilton 14
ont décrit dans les « Dix règles d'or du comportement de
l'évaluateur » .
C'est donc selon le moment, selon les besoins des «
acteurs », selon le contexte et selon la fonction qu'on veut lui donner
que l'évaluation va être conçue. Il faudra respecter une
certaine harmonie entre ces contraintes pour satisfaire toutes les personnes
concernées (apprenant, enseignant, direction de l'enseignant et parents)
. « En résumé la fonction à privilégier
dépend de l'intention dominante de l'évaluateur
»13, tout en considérant cette intention comme
dépendante du jeu dans lequel s'inscrit l'évaluation (jeu
pédagogique, jeu institutionnel, ou social) . De ce point de vue,
l'évaluation sert à guider l'apprenant (jeu pédagogique),
à réguler la vie scolaire et permettre une communication sociale
entre les partenaires de cette vie (jeu institutionnel). Mais, elle «
nourrit » l'espace scolaire en tant que
14 VELTCHEFF Caroline, HILTON Stanley, 2003,
L'évaluation en FLE, Paris, Hachette FLE, F Formation
lieu d'une stratégie sociale, rencontre de deux
logiques : « une logique, structurelle, de production de
compétences pour satisfaire aux nécessités du
développement économique ; et une logique, sociétale,
d'utilisation du champ par des acteurs sociaux désireux de sauvegarder
ou de faire fructifier leur valeur sociale »13.
L'évaluateur, qu'il soit enseignant ou non, a donc la
lourde tâche de considérer tous ces éléments pour
construire une évaluation efficace. Les objets et les objectifs de
l'évaluation sont donc déterminants et de ce fait à
déterminer scrupuleusement, et le principe de congruence s'impose
légitimement entre ces différents éléments.
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