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La Représentation de la ville de Paris dans le roman négro-africain

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par Aubin KUIETCHE FONKOU
Université Paris 13 - Master 1 (ex-maà®trise) 2005
  

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INTRODUCTION

Comme Troie, Constantinople, Jérusalem, Londres, New York... Paris est à juste titre une « ville objet de littérature », à la fois comme Espace imaginaire et à la fois aussi comme Cité réelle. C'est-à-dire que, comme les villes citées précédemment et bien d'autres encore, Paris a, dans l'univers littéraire, une identité fictive et une autre réelle. Depuis plusieurs siècles en effet, Paris a été largement évoquée et traitée en littérature. Sa représentation ayant maintenu à travers les époques une tension constante entre la fiction et la rationalité, à tel point que, symboliquement, Paris a été considérée à partir du XVIIe siècle comme la capitale littéraire du monde. Et ceci pour cause : des poètes de la Pléiade (Ronsard, Du Bellay...) aux surréalistes du début du XXe siècle en passant par les « classiques » du XVIIe siècle, les philosophes des lumières et surtout les romantiques -notamment Hugo et Baudelaire- "la ville lumière" a toujours eu droit à un traitement préférentiel des artistes et des auteurs français, aussi bien comme sujet évoqué qu'en tant que lieu de déroulement d'une action ou encore de représentation de diverses pièces de théâtre. Pour les auteurs français, ceci tient avant-tout au fait que Paris est le lieu de résidence (habituelle ou passagère) de la majorité d'entre-eux ; mais aussi, Paris représente le centre de la vie de leur pays, dans les domaines politiques, culturels, économiques, littéraires.

Jouissant d'une grande réputation depuis toujours, Paris fascine aussi ailleurs, notamment dans toute l'Europe, en Amérique du nord surtout, dans certains pays d'Asie et surtout en Afrique. Au fil du temps, elle est devenue à la fois un filon littéraire prisé, mais aussi le creuset de beaucoup de cultures et le lieu de conception, de production et d'affermissement de plusieurs littératures. Parmi celles-ci, la littérature francophone africaine.

Même si celle-ci n'est considérée que comme l'une des dernières à avoir émergée dans la capitale française, elle a eu et continue d'avoir son importance dans le renforcement de « l'identité culturelle et littéraire » de Paris, et, réciproquement, la capitale française va jouer un très grand rôle dans l'univers littéraire africain, notamment dans ses thèmes, ses styles, ses éditions... Car, en effet, c'est à Paris que se sont créés et forgés certains des premiers grands mouvements littéraires qui ont donné ses lettres de noblesse à la littérature francophone négro-africaine. Que ce soit le mouvement de la Négritude au début du siècle dernier, ou encore tous les courants littéraires d'avant et d'après la colonisation, sans oublier celui des indépendances. Il faut aussi souligner le fait que, même les autres initiatives de production littéraires conçues directement sur le continent africain étaient, pour certaines, marquées de l'influence et du conditionnement de la métropole : c'est par exemple le cas de ce que Senghor appellera la « littérature des instituteurs » à laquelle nous ajouterons une autre, que nous qualifierons de « littérature des administrateurs ». Sous la première expression, l'auteur des Nocturnes et des Ethiopiques entend l'ensemble des oeuvres publiées dans les années 1940, par des instituteurs de profession, tels que, les anciens élèves de l'Ecole William Ponty de Dakar (Bernard Dadié, Félix Couchoro, Dabo Sissoko, Paul Hazoumé...), ceux de l'Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort en France (Birago Diop, Ousmane Socé), auxquels on peut aussi rajouter l'instituteur congolais Jean Malonga, auteur entre autres de la Légende de M'pfoumou Ma Mazono (1959).

Sous l'expression « littérature des administrateurs », nous pensons à celles publiées ou parrainées par les administrateurs coloniaux en poste en Afrique comme René Maran, Dim Dolobson, Robert Randau. Ces auteurs-instituteurs, et ceux parrainés, ont « collaboré au mythe du Paris littéraire", comme beaucoup d'autres auteurs africains. Mais de quelle manière ? Par quels moyens ? Et à quelles fins ? Concrètement, quels regards spécifiques les romanciers africains francophones ont-ils posé sur la ville de Paris ? Paris n'est-elle chez eux que l'espace qui représente aujourd'hui le département de Paris (75), ou toute la France, voire l'Europe occidentale ? Est-ce une vision d'auteur « périphérique » décrivant le centre depuis sa « banlieue » ? Si c'est le cas, peut-on comparer cette vision-là à celle d'autres auteurs francophones dits « périphériques » comme ceux des Caraïbes ou du Maghreb ? Enfin, la représentation de Paris faite par ces romanciers, permettra t-elle de dégager les fonctions que les africains francophones des colonies se faisaient de cette ville ?

La réponse à toutes ces questions sera intégré au travail d'ensemble qui va suivre et dans lequel, nous allons procéder de la manière suivante: dans un premier temps, nous ferons un bref et rapide rappel sur la littérature africaine afin de présenter le "terrain de jeu" sur lequel nous évoluerons pour la suite du travail. Dans ce rappel, nous évoquerons brièvement quelques grands traits des littératures orale et écrite, de la Négritude et de la littérature coloniale. La deuxième partie de notre travail -en fait la première après les rappels- portera sur Paris rêvé ou fantasmé, c'est-à-dire Paris telle qu'elle apparaissait dans les livres lus, des histoires racontés ou encore des enseignements reçus par les élèves en Afrique. Elle s'ouvrira néanmoins sur cette un "exposé" miniaturisé de la représentation en littérature et notamment celle de Paris. Puis, nous présenterons les éléments textuels matérialisant le rêve parisien, non sans évoquer les raisons de ce rêve et son sens. Enfin, la dernière partie sera consacrée au Paris vécu et réel. Ici, dans le premier chapitre, nous présenterons surtout l'aspect physique de la ville tel que décrit dans les romans de notre corpus. Le deuxième chapitre analysera quant à lui la symbolique et les différentes fonctions de Paris telles qu'assignées par ces romanciers. Pour illustrer notre travail, nous nous appuierons sur quelques romans d'auteurs d'Afrique noire francophone de la période coloniale Mirages de Paris, Ousmane Socé, 1937 ; Un nègre à Paris, Bernard Dadié, Présence africaine, 1959 ; Kocoumbo, l'étudiant noir, Aké Loba, Flammarion, 1960 ; Chemins de Paris, Léopold Ferdinand Oyono, Julliard 1960).

Mais avant d'entrer dans le sujet proprement dit, il est important de justifier quelques choix que nous avons opérés pour l'étude de ce sujet. D'abord la période (les années 30 à 60) : à notre avis, elle correspond à la naissance de la littérature écrite africaine, et, de ce fait, porte encore tout le charme de l'originalité et de la nouveauté. C'est donc une période charnière où les repères de la jeune littérature africaine sont encore bien établis et bien visibles. Pour ce qui est de l'aire géographique, nous avons choisi de ne nous intéresser qu'à l'Afrique noire francophone parce que, colonies françaises, les pays de cette zone -où tout au moins ceux desquels proviennent les auteurs qui figurent dans notre corpus- sont encore sous tutelle française. Et donc, pas encore indépendants. De ce fait, ils entretiennent un rapport « direct » avec la « métropole », où, leurs futurs intellectuels et cadres sont tous descendus à un moment donné pour des besoins de formation.

Enfin, pourquoi le roman plutôt que la poésie ou le théâtre ? Certainement parce qu'il donne lieu, mieux que les deux autres genres littéraires, à une meilleure représentation, palpable et concrète, d'un lieu, et de ce qui s'y déroule. « Le roman est un miroir qu'on promène le long de la route » comme le définissait Stendhal, et, à ce titre, il symbolise donc le reflet de la prise de conscience, à un moment donné, d'un peuple déterminé, de son importance et de ses valeurs. Nous pensons aussi que les quatre romans que nous avons choisi pour réaliser cette étude, bien qu'ayant leurs particularités propres, semblent être complémentaires dans cette optique. On pourrait les classer à trois niveaux de narration : « inférieur », « central » et « supérieur » Si Chemins d'Europe est à classer au « niveau inférieur », (son action se situe presque entièrement en Afrique, et le narrateur n'évoque la présence possible du héros à Paris que dans les deux dernières pages du roman), Mirages de Paris et Kocoumbo, l'étudiant noir, eux, sont à mettre au « niveau central » (les actions sont construites autour d'un personnage principal qui sert de point de fixation à l'intrigue), enfin Un nègre à Paris est à classer au niveau supérieur. Le narrateur-héros se positionnant comme un journaliste envoyé spécial, qui livre au jour le jour son carnet de voyage sous forme de chronique.

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