CONCLUSION
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Conclusion
On arrive, de file en aiguille, au terme de cette
étude. Dans notre analyse du lexique alimentaire dans Le Ventre
Paris, on a opté, dans une première partie, pour une
classification, un dénombrement des différents types de
nourritures repérés dans l'oeuvre. Ce travail de taxinomie fait
l'objet de notre première sous partie qui, comme son nom l'indique, vise
à mettre en exergue la variété des aliments.
Dans la deuxième sous partie, on a essayé de
mettre l'accent sur l'abondance des aliments. On a étudié la
tendance de Zola au grossissement de la nourriture tout en soulignant la
parenté de son style avec celui de Rabelais d'où le foisonnement
des énumérations et des accumulations. Dans la troisième
sous partie, on a vu que le symbolisme des aliments tourne autour des valeurs :
politique, religieuse, socio- économique et philosophique. Tout ce
travail s'inscrit sous le titre de la première partie de notre
étude.
Dans la deuxième partie, on essayé
d'étudier à la description des aliments dans le roman. On a
d'abord essayé de traiter le rapport entre l'acte de décrire et
celui de peindre visant ainsi la mise en valeur de la dimension artistique de
l'oeuvre. Puis on a mis l'accent sur l'écriture zolienne, une
écriture qualifiée d'artiste, marquée par les jeux de
lumière et de couleurs. Le résultat de notre réflexion sur
le style de Zola aboutit à la possibilité d'un rapprochement avec
le style impressionniste des peintres du "Salon" et avec l'écriture
« artiste » des Goncourt. On a de mrme conclu qu'il est possible de
parler d'une écriture suivant l'Ut pictura poesis.
Dans notre troisième, et dernière partie, on a
voulu mettre l'accent sur la dimension poétique de l'oeuvre. On a
essayé de montrer pourquoi nous pouvons aller jusqu'à dire que,
dans Le Ventre de Paris, il est question d'un poème de la
nourriture. On a, de mrme, essayé d'rtre sensible à la
musicalité dans l'oeuvre autant au niveau de la construction
du roman qu'au niveau de la description des aliments. On a, par la suite,
essayé d'analyser le style imagé de Zola. On a voulu être
attentifs, à cet égard, au foisonnement des images
métaphoriques, métaphores : « Halles/ventre », «
Halles/machine », « Halles/table gigantesque » etc. Toutes ces
images se conjuguent avec les jeux de lumière et d'ombre pour
créer une atmosphère fantastique et mythique et plonger le
lecteur dans un univers onirique.
Dans la troisième, et dernière sous partie, on a
essayé de montrer en quoi cette oeuvre de Zola représente les
traits d'un récit poétique. Le thème le plus marquant
dans
l'oeuvre est celui de la fusion, du brouillage. Zola efface
les frontières entre l'acte de décrire et celui de peindre, entre
la poésie et la prose, entre les différents aspects de son oeuvre
: documentaire, réaliste, mythologique et symbolique.
Zola n'est pas le seul à exploiter ce thème de
la fusion. Il s'agit de toute une tendance qui a marqué la fin du
XIXè et le début du XXè siècle : abolition des
limites entre les genres littéraires et mise en premier plan de la
matérialité de l'oeuvre, autrement dit de sa
littérarité qui ne réside plus dans le sens qu'elle
recèle mais plutôt dans sa valeur poétique. D'ailleurs, J-K
Huysmans affirme :
[...] après ce styliste prestigieux, Gautier,
nôtre maître à tous, au point de vue de la forme, il
était difficile de donner une note nouvelle, une note bien à soi
dans la description purement plastique. Zola l'a fait. Il a une manière
personnelle, neuve, un procédé qui lui appartient en propre pour
brosser de gigantesques toiles74.
Cependant, si splendide et artiste qu'il
soit, le style de ce dernier n'est pas dénué de
quelques irrégularités. Maints critiques accusent le style de
Zola d'rtre trop énergique parfois jusqu'à la brutalité et
d'rtre marqué par un manque de raffinement et de délicatesse. On
lui reproche aussi ses descriptions amplifiées et l'encombrement de
détails qui ne sont pas sans rendre son style monotone. D'autres pensent
que son infériorité est remarquable dès qu'il s'agit de
traduire les réalités morales. On lui reproche de les transposer
en images matérielles qui les alourdissent et les déforment.
Comparé avec Flaubert, J-Huysmans lui reproche, quand
même, quelques lacunes :
Comme cuisine littéraire, comme maniement d'outils,
Flaubert possède une énergique concision, le mot qui dit plus
qu'une ligne et donne à la phrase une intensité vraiment
admirable, les Goncourt s'attaquent avec leur style orfèvre aux
sensations les plus fugitives et les plus ténues, Zola est moins
soigné qu'eux, il a des répétitions inutiles des adjectifs
qui reviennent trop vite, il est moins ciseleur, moins
joaillier75.
Par ailleurs, au moment où il désire, dans sa
doctrine naturaliste, appliquer la méthode scientifique basée sur
l'observation exacte, Zola se laisse aller parfois à sa fantaisie. Son
instinct de poète l'emporte sur celui du naturaliste. D'une part, il
affirme que la vérité seule peut produire des oeuvres d'art et
qu'il ne faut donc pas imaginer ; il faut juste observer et décrire
minutieusement. D'autre part, il définit son naturalisme comme "
74 J-Huysmans, Émile Zola et l'Assommoir, `
Cité dans' Le Ventre de Paris, 1877,
préface, p. 49.
75 Ibid.
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la nature vue à travers un tempérament". Ceci
paraît contradictoire et son style ampoulé d'images
métaphoriques, de mythes, met en question le positivisme de sa doctrine.
Certes, la dimension artistique de ses oeuvres fait de lui un peintre, mais
elle met en branle l'image équilibrée qu'il donne du roman
naturaliste en tant que réconciliation entre la science, jugée
comme trop sèche voire épineuse, et la littérature,
considérée comme trop spirituelle voire inutile.
De toute façon, Zola « possède une
envergure, une ampleur de style, une magnificence d'image qui demeure sans
égale »76. Sous sa plume, Le Ventre de Paris
devient une grande fresque dans le goût impressionniste
représentant le lever de soleil sur les Halles. À sa
manière, Zola peint le grand marché de Paris comme une
créature fantastique qui apparaît sous plusieurs formes. Les
Halles sont un marché, un ventre de métal, un lieu fantastique,
un Eden qui rassemble tous les biens terrestres, un véritable Eldorado
de nourritures.
76 J-Husmans, Op. cit. p. 49.
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