Introduction
Les échanges internationaux se développent et
prennent de l'ampleur jour après jour. Des millions de produits sont
commandés, vendus et acheminés par voie aérienne, maritime
ou terrestre. Toutefois, cette évolution s'accompagne d'un accroissement
des risques liés aux conditions de financement des importations à
l'encaissement et à la mobilisation des créances nées des
exportations. Ce risque est d'autant plus important «
lorsque les parties en présence sont géographiquement
éloignées et que les relations qu'elles ont nouées
comportent une part d'incertitude surtout si l'un ou l'autre des pays
souffre de restrictions douanières ou monétaires »1(*) .
Pour parier à ces risques et établir une
sécurité des transactions, progressivement, divers moyens de
paiement internationaux ont été mis en place. Entre tous, c'est
le crédit documentaire qui permet dans une large mesure de
répondre à ce besoin.
Cet instrument « constitue le moyen
idéal destiné à promouvoir sans trop de suspicion
l'ouverture de relations commerciales à l'époque où la
méfiance est la règle entre partenaires qui s'observent souvent
à des milliers de kilomètres l'un de l'autre »2(*).
Selon l'article 720 du code de commerce, le crédit
documentaire est : « un crédit ouvert par une
banque à la demande d'un donneur d'ordre en faveur d'un correspondant de
celui-ci et garanti par la possession de documents destinés à
être transportés ». Cette
définition peut être complétée par celle fournie par
l'article 2 des règles et usances uniformes de la chambre de commerce
internationale selon laquelle le crédit documentaire est
« l'arrangement quelle qu'en soit la
dénomination ou la description en vertu duquel une banque (la banque
émettrice) agissant à la demande et sur instructions d'un client
(le donneur d'ordre) ou pour son propre compte est tenue d'effectuer un
paiement à un tiers (le bénéficiaire) ou à son
ordre ou d'accepter et payer des effet de commerce (traites) tirés par
le bénéficiaire ou autorise une autre banque à effectuer
ledit paiement ou à accepter et payer lesdits effets de commerce
(traites) ou autorise une autre banque à négocier contre remise
des documents stipulés pour autant que les termes et conditions de
crédit soient respectés ».
Il existe plusieurs formes de crédits documentaires. La
principale distinction est fondée sur la nature de l'engagement pris par
les banques intervenantes. L'engagement du banquier est le plus souvent
irrévocable mais il peut aussi être révocable.
Le crédit révocable implique un engagement bancaire
souple. Il « peut être amendé ou
annulé par la banque émettrice à tout moment et sans que
le bénéficiaire en soit averti au
préalable »3(*). Un tel crédit offre donc peu de
garanties au bénéficiaire.
Par contre, un crédit irrévocable fait peser sur le
banquier un engagement rigoureux dont il ne peut s'exonérer sans en
assumer les conséquences : le banquier qui prend un engagement
ferme ne peut s'y soustraire quels que soient les évènements qui
affectent ses relations avec le donneur d'ordre. L'opération fait
naître un droit au profit du bénéficiaire.
Quelle que soit sa forme, le crédit documentaire n'est pas
une technique de paiement récente. Elle « est
apparue pour la première fois au début des années
cinquante du 19ème siècle en Europe Occidentale et
était utilisée en dehors des banques notamment dans les ventes
maritimes. Les banques introduisent cette technique dans leurs activités
au début du 20ème siècle lorsqu'une
prolifération d'incidents de non paiement entre les partenaires
commerciaux internationaux a été
constatée »4(*). Cependant, cette pratique s'est
développée sans aucun appui législatif. C'est pendant
l'entre deux guerres que les praticiens travaillant sous l'égide de le
chambre de commerce internationale ont élaboré en 1933 une sorte
de codification des usages en matière documentaire sous le nom des
« règles et usances uniformes relatives aux crédits
documentaires ». Cette dernière était
périodiquement révisée pour tenir compte des suggestions
des banques et des transporteurs internationaux. La dernière
révision est celle de 1993 donnant naissance aux
R.U.U.5005(*)
applicables au premier janvier 1994. Ces R.U.U.500, sont aujourd'hui
complétées par un supplément appliqué aux
crédits documentaires concernant la présentation
électronique des documents adopté en 2001 et applicable à
compter du 31 mars 2002 visant ainsi à adapter le crédit
documentaire aux impératifs du commerce électronique.
Compte tenu de l'importance des R.U.U.500, la question de la loi
applicable au crédit documentaire se pose rarement. En effet, il existe
trois hypothèses où leur application sera écartée.
Selon le professeur Dominique Legeais « La première est celle
dans laquelle la question posée n'est pas réglée par les
R.U.U, la deuxième est celle dans laquelle le crédit documentaire
n'est pas régi par les R.U.U, la troisième hypothèse est
celle dans laquelle le contrat écarte expressément certaines
dispositions des règles et usances »6(*).
Pour déterminer la loi applicable au crédit
documentaire, il faut se référer à la convention de Rome
du 19 juin 1980 à laquelle est soumis ce dernier. A cet égard, on
distingue entre deux cas : lorsque les parties choisissent le droit
applicable, il faut respecter leur volonté ; lorsque ce n'est pas
le cas, il faut appliquer le droit du pays avec lequel il entretient les liens
les plus étroits. A ce titre Dominique Legeais ajoute que :
« La convention de Rome pose en effet une
présomption en faveur du pays où s'exécute la prestation
caractéristique ».
La détermination de la loi applicable varie selon que le
crédit documentaire met en présence une ou plusieurs banques.
Dans le premier cas, la doctrine est partagée entre l'application de
deux lois : celle de la banque émettrice ou celle du pays de la
réalisation du crédit. Les solutions applicables sont plus
complexes dans le second cas, c'est-à-dire dès lors
qu'interviennent plusieurs banques. Selon un courant de la doctrine il faut
faire soumettre toutes les relations découlant du crédit
documentaire à la loi de la banque émettrice. Cependant, pour la
majorité de la doctrine, il faut soumettre chaque relation à une
loi spécifique. Il apparaît de ce fait qu'il n'est pas aisé
de déterminer la loi applicable au crédit documentaire lorsque
l'application des règles et usances uniformes est écartée.
Signalons néanmoins que le nombre des Etats qui ont
légiféré en cette matière est très
réduit et que le droit tunisien est précurseur surtout en Afrique
et au moyen orient. En effet, le code de commerce a organisé le
crédit documentaire par les articles de 720 à 727 objet de la
section 4 « des crédits documentaires ».
Il est possible à présent d'affirmer et de mettre
en relief le rôle important que joue le crédit documentaire en
tant qu'instrument classique de financement d'achats à
l'étranger, d'outil de règlement et en tant
qu'élément de confort et de sécurité. Il se
présente également comme l'unique moyen de paiement mondialement
reconnu et capable d'assurer la sécurité optimale
recherchée à toutes les parties aux transactions internationales
sans quoi les échanges internationaux n'auraient certainement pas
atteint leur volume actuel.
D'un autre côté, le crédit documentaire
étant une pure création de la pratique bancaire internationale,
son étude permet de cerner les techniques et les principaux
mécanismes qui le régissent. En effet, l'intérêt
pratique manifeste de ce sujet est qu'il permet de «
pénétrer la pratique du crédit documentaire pour en
faciliter la manipulation »7(*).
C'est dans cet esprit qu'il a fallu opter pour la
problématique suivante :
Quelles sont les phases de règlement par crédit
documentaire ?
Le crédit documentaire peut être le résultat
de la conjonction de volontés (les deux parties acheteur et vendeur) ou
bien une exigence du vendeur s'il est en position de force pour garantir une
meilleure mobilisation de sa créance. Mais en tout état de cause,
l'ouverture du crédit documentaire (I) revient dans tous les cas
à l'importateur même si ce dernier agit pour donner satisfaction
au vendeur. Si cette ouverture est la première phase classique du
crédit documentaire, sa réalisation constitue la seconde phase
(II).
I - L'ouverture du crédit documentaire :
S'il trouve son origine dans la convention conclue entre
l'acheteur et le vendeur le crédit documentaire repose sur deux
fondements à savoir la convention conclue entre l'acheteur et la banque
émettrice (1) et la convention conclue entre cette dernière et le
bénéficiaire (2).
1/ La relation entre le donneur d'ordre et le banquier
émetteur :
Le crédit documentaire ne tombe pas du ciel ; il est
issu d'un contrat qui l'a prévu comme mode de règlement de la
transaction internationale. Celle-ci met en phase l'acheteur et le vendeur que
beaucoup de choses séparent à savoir la langue, le pays,
l'espace, la culture et l'économie...
Une fois le contrat commercial signé entre les deux
parties il revient à l'acheteur (donneur d'ordre) d'honorer sa
première obligation à savoir l'ouverture du crédit
documentaire en faveur du vendeur (bénéficiaire) dans les termes
et conditions convenus c'est en effet le donneur d'ordre ou son
représentant autorisé qui doit contacter la banque pour
concrétiser l'opération.
Il remplira à cet effet un formulaire de demande
d'ouverture mis à la disposition de la clientèle en principe dans
toutes les agences de la banque. Une fois la demande d'ouverture
déposée, la banque émettrice va l'étudier pour
fixer les conditions dans lesquelles elle serait prête à
émettre le crédit et par conséquent à s'engager
vis-à-vis du bénéficiaire.
En premier lieu, elle va voir comment le donneur d'ordre entend
financer son importation : en totalité sur ses propres fonds ou
va-t-il solliciter un crédit ?
Dans le premier cas l'avis favorable est automatique.
L'opération étant couverte dans sa totalité par le donneur
d'ordre, la banque ne court aucun risque financier. Il s'agit tout simplement
pour elle d'un service rémunéré qu'elle va rendre à
son client.
Dans les autres cas, la banque va financer l'importation dans sa
totalité ou partiellement eu égard à l'importance de
l'opération.
En général, elle appuiera sa décision compte
tenu de l'étude des risques suivants :
=- Le risque lié au donneur d'ordre : celui-ci peut
devenir effectif lorsqu'au moment de la réalisation du crédit
ledit donneur d'ordre se déclare dans l'incapacité de couvrir le
montant déboursé par sa banque en faveur du
bénéficiaire qui aurait honoré ses engagements. A cet
effet la banque prend en compte dans sa décision plusieurs
critères dont particulièrement l'honorabilité du client,
sa notoriété, sa surface financière, ses garanties et
parfois même la forme juridique de la société.
=- Quant au risque lié au bénéficiaire, il
est peu connu mais il est bien réel surtout si le paiement est un
paiement à vue. Il arrive parfois qu'une banque émettrice
sollicitée par son client d'émettre une ouverture donne une suite
défavorable, l'origine du refus est le bénéficiaire du
crédit lui-même : soit la banque émettrice s'est
renseignée par le biais de l'un de ses correspondants sur
l'honorabilité de ce client et les informations reçues l'ont
découragé à s'engager dans l'opération ; soit
ladite banque a eu déjà dans le cadre d'une autre
opération un incident avec le bénéficiaire du
présent crédit.
=- En ce qui concerne les risques liés à la
marchandise, il sont de toutes sortes. Ils sont liés à la nature
propre de la marchandise ou occasionnés par des phénomènes
extérieurs.
De ce fait la banque émettrice doit prendre en compte ces
risques avant de décider le financement partiel ou total de
l'importation de son client. Ainsi le banquier reste libre de refuser ou
d'émettre le crédit. Une fois le banquier s'est engagé
envers son client, il est tenu d'ouvrir le crédit dans le terme des
instructions qu'il a reçu et en respectant les délais
fixés.
Les instructions du donneur d'ordre doivent préciser la
nature du crédit, ses conditions et les documents que le banquier devra
exiger et vérifier. Ces instructions déterminent les obligations
du banquier et notamment le contenu de l'accréditif qu'il doit adresser
dans les meilleurs délais au bénéficiaire.
La convention ainsi conclue entre l'acheteur et la banque
émettrice a pour objet une double promesse que le banquier fait au
donneur d'ordre : l'une est à son bénéfice et l'autre
au bénéfice du vendeur.
Pour la première, le banquier promet à l'acheteur
de lui apporter son concours dans une opération de paiement. Cette
obligation conduit le banquier à notifier l'ouverture du crédit
au bénéficiaire et à payer ce dernier après examen
des documents remis par lui.
Pour le second, si le crédit est irrévocable, le
banquier promet à l'acheteur de s'engager envers le
bénéficiaire dans la lettre de crédit qu'il notifiera.
Toutes ces promesses constituent des services que le banquier rend au donneur
d'ordre et pour lesquels il perçoit une rémunération.
Celle-ci se décompose en des commissions et des
intérêts.
En raison des services rendus qui peuvent concerner des sommes
importantes, le banquier peut exiger de l'acheteur la constitution de
sûretés telles qu'un dépôt de garantie. Il
bénéficie également en vertu d'un usage constant d'un
droit de gage sur les marchandises lorsqu'il détient des documents
représentatifs des marchandises.
Une fois que le banquier a donné son accord au donneur
d'ordre, une seconde relation verra le jour.
2/ La relation entre le banquier émetteur et le
bénéficiaire :
Le déroulement du crédit documentaire qui fait
peser sur les banquiers un devoir d'information conduit à faire
naître les droits du bénéficiaire.
En fait, l'obligation directe du banquier émetteur envers
le bénéficiaire ne naît pas directement de la convention
conclue entre le banquier et le donneur d'ordre, elle prend naissance seulement
quand provient au bénéficiaire un accréditif ou lettre de
crédit. Il ne s'agit pas d'un effet de commerce mais d'un document
bancaire qui se présente généralement sous la forme d'une
lettre missive et qui exprime les obligations du banquier émetteur
à l'égard du bénéficiaire et par suite les droits
de celui-ci. Ces derniers ne naissent donc qu'à la réception de
cette lettre qui doit préciser clairement si le crédit est
révocable ou irrévocable à défaut le crédit
est considéré comme irrévocable tel qu'affirme l'article
722 du code de commerce.
En effet, dans le rapport entre le banquier ordonnateur et le
bénéficiaire, le caractère révocable ou
irrévocable est essentiel : de lui dépend fondamentalement
la sécurité que le bénéficiaire trouve ou ne trouve
pas dans le crédit documentaire.
Si le crédit est révocable, la banque ne contracte
aucun engagement personnel du bénéficiaire : son seul
engagement est contracté envers le donneur d'ordre. Aussi par la lettre
de crédit il informe seulement le bénéficiaire qu'il a
consenti un crédit documentaire au donneur d'ordre qu'il
réalisera entre ses mains contre remise des documents.
C'est pourquoi un tel crédit peut être
« amendé ou annulé par la banque
émettrice à tout moment et sans que le bénéficiaire
en soit averti au préalable »8(*). On ne doit pas cependant en
déduire que le banquier peut révoquer pour n'importe quel motif
ledit crédit : Il est tenu par son engagement envers le donneur
d'ordre. C'est ce qui a été prévu expressément dans
l'article 723 du code du commerce.
C'est ce qui explique que dans la pratique un tel crédit
est relativement peu fréquent car il n'apporte au
bénéficiaire aucune garantie véritable, le
bénéficiaire ne peut jamais être assuré que le
crédit lui sera payé dans les conditions et modalités de
la notification qui lui en a été faite.
Si en revanche, le crédit est irrévocable, la
banque émettrice prend un engagement ferme à l'égard du
bénéficiaire. Cet engagement qui ne peut être
modifié sans l'accord du bénéficiaire9(*) fonde le droit direct
du bénéficiaire à l'encontre de la banque émettrice
et constitue un engagement indépendant également qualifié
« d'engagement abstrait »10(*). Ce
caractère souligné par les règles et usances uniformes
11(*)se
manifeste doublement.
D'une part l'engagement est indépendant de la convention
conclue entre le donneur d'ordre et la banque émettrice et d'autre part
il est indépendant du contrat entre l'acheteur et le vendeur.
La relation ainsi établie entre la banque émettrice
et le bénéficiaire peut devenir tripartite. En pratique, le
banquier émetteur peut charger un correspondant établi dans le
pays du bénéficiaire de faire la notification et ceci soit par sa
propre initiative soit à la demande du bénéficiaire qui
exige l'intervention d'une banque locale.
A vrai dire, le mécanisme même du crédit
documentaire exige l'intervention d'un second banquier situé dans le
pays du vendeur alors que le banquier ordonnateur du crédit est le plus
souvent une banque du pays de l'acheteur. En effet, le crédit sera
exécuté par présentation des documents contre paiement ou
acceptation d'une lettre de change. Il serait peut pratique de charger le
vendeur d'expédier les documents à l'étranger avec les
retards et les risques de perte que cela comporterait. En outre, le vendeur
n'est pas censé savoir s'il peut faire confiance à la banque de
l'acheteur qu'il ne connaît pas. C'est pourquoi il exige le plus souvent
l'intervention d'une banque de son pays au moins pour lui notifier le
crédit12(*).
Cette banque dite notificatrice peut avoir des rôles
très divers et apporter une sécurité plus ou moins grande
selon le rôle qui lui est attribué. A cet égard on
distingue principalement : la banque notificatrice, la banque
désignée et la banque confirmatrice.
La banque notificatrice ne fait que transmettre
l'accréditif au vendeur sans prendre aucun engagement à son
profit. Elle agit en tant que mandataire de la banque émettrice et doit
seulement apporter un soin raisonnable à vérifier
l'authenticité apparente du crédit qu'elle
notifie13(*).
La banque désignée sauf si elle est la banque
confirmatrice ne contracte pas non plus d'engagement envers le
bénéficiaire du crédit14(*). Toutefois, à
la différence de la banque notificatrice qui se charge de notifier la
lettre de crédit, la banque désignée est investie du
mandat de réaliser le crédit pour le compte de la banque
émettrice. Cette distinction doit cependant être
relativisée puisque la même banque peut être à la
fois banque désignée et banque notificatrice.
A ces qualités peuvent s'ajouter celle de la banque
confirmatrice. Dans cette hypothèse, la banque contracte envers le
bénéficiaire un engagement ferme comparable à celui de la
banque émettrice. Une telle confirmation ne peut intervenir qu'en cas de
crédit irrévocable15(*). C'est ce qui donne au
bénéficiaire une sécurité quasi-totale.
Cependant, la banque confirmatrice n'a aucune obligation
d'accepter cette responsabilité si on lui demande d'ajouter sa
confirmation. Elle peut donc refuser ce qui impose de modifier les conditions
du crédit.
Ainsi, les étapes de l'ouverture du crédit
documentaire, déterminées, il convient d'analyser son
fonctionnement.
II - La réalisation du crédit
documentaire :
Une fois le crédit documentaire exécuté (1),
des recours entre les divers intervenants peuvent avoir à
s'opérer pour manquement de l'une ou l'autre des parties à leurs
engagements respectifs (2).
1/ L'exécution du crédit
documentaire :
La phase de l'exécution se divise en deux étapes
successives auxquelles l'engagement bancaire réserve deux obligations
distinctes.
D'abord, l'étape de la réception des documents qui
fait peser sur le banquier une obligation de contrôle visant à
protéger l'importateur. Ensuite, l'étape de la levée des
documents qui fait peser sur le banquier une obligation de paiement ou de
règlement visant la protection de l'exportateur.
Cette réalisation est une étape clé du
crédit documentaire de laquelle dépend le sort de toute
l'opération. La moindre faute peut entraîner des
conséquences difficilement réparables.
En effet cette phase est subordonnée à la
présentation avant date limite indiquée pour celle-ci dans la
lettre de crédit16(*) par le vendeur ou par sa banque dite banque
remettante des documents mentionnés dans ladite lettre. Ces documents
qui sont au centre du crédit documentaire sont en
général17(*) :
Les documents de transport qui peuvent être un
connaissement maritime pur et simple, un connaissement de transport
combiné ou encore une lettre de transport aérien ou une lettre de
voiture de transport terrestre.
Le document d'assurance garantissant la marchandise pendant le
transport pour une valeur au moins égale à son coût.
Les factures commerciales
Ainsi que tous les autres documents exigés par le contrat
notamment les documents douaniers. Ce sont donc ces documents tels qu'ils sont
énumérés dans la lettre de crédit que le banquier
doit vérifier.
Il est essentiel de savoir à ce propos que le
crédit documentaire est extrêmement formaliste ; les
documents doivent être strictement conformes aux spécifications de
l'ouverture de crédit et s'ils le sont rien d'autre ne peut être
exigé de la banque et le crédit est exécutoire.
Ainsi le banquier n'a pas à vérifier la
conformité de la marchandise, tout ce qu'il a à faire c'est juste
d'examiner la conformité des documents, c'est l'une des causes de
l'autonomie du crédit par rapport au contrat de base auquel le banquier
demeure étranger.
Cependant il ne faut pas croire que l'engagement bancaire serait
aussi simple qu'on le pense parce que le banquier doit montrer un souci
très particulier durant l'opération de contrôle de laquelle
dépend la sécurité du crédit.
Les documents, en raison de l'intérêt et de la place
de premier rang qu'ils occupent dans le mécanisme du crédit
documentaire, doivent attirer toute l'attention du banquier. Leur
vérification doit intervenir dans «un délai
raisonnable »18(*) et être effectuée avec
«un soin raisonnable »19(*). A l'issue de
cet examen, la banque dispose d'une option de lever ou de refuser les
documents.
Si ces derniers sont irréguliers, le banquier est tenu de
les rejeter. Le législateur tunisien ne pose pas le principe
expressément mais on peut le déduire des Art. 725 et 726 du code
de commerce. Ce principe a été appliqué par la
jurisprudence tunisienne : le tribunal de première instance de
Tunis dans son jugement n°11006 du 17 Juillet 1979 a fondé sa
décision sur l'irrégularité des documents produits pour
refuser la levée des documents et partant le paiement du
bénéficiaire. A l'inverse, s'ils sont réguliers, le
banquier doit les lever. La levée des documents s'effectue au sens de
l'Art. 721 du code du commerce : soit par acceptation, soit par escompte,
soit par négociation. « Si l'on se
réfère à la pratique tunisienne et même
étrangère la plupart des accréditifs sont ouverts surtout
par paiement »20(*). A ce stade de levée des
documents naît l'engagement bancaire de paiement.
L'exécution du crédit peut prendre alors plusieurs
formes selon ce que l'accréditif a prévu. La forme la plus simple
et la plus fréquente est le paiement à vue : le
bénéficiaire est crédité dés la remise des
documents. Précisément si le vendeur a émis une lettre de
change, le banquier la paie immédiatement.
Lorsque le crédit est réalisable par acceptation,
le banquier accepte contre remise des documents une lettre de change
émise par le bénéficiaire payable à une
échéance fixée dans le crédit.
La troisième forme de réalisation ou
d'exécution du crédit documentaire est la négociation
où le bénéficiaire émet une lettre de change
à vue ou à terme sur l'acheteur et contre remise des documents,
le banquier escompte cette lettre comme il s'y est obligé dans
l'accréditif. Cet escompte fait partie intégrante du
crédit documentaire et en permet la réalisation. C'est pourquoi
le banquier escompteur ne dispose d'aucun recours contre le
bénéficiaire en cas de défaillances du tiré
(l'acheteur).
Enfin il peut y avoir un paiement différé qui doit
alors intervenir après la levée des documents à
l'échéance fixée dans l'accréditif. Entre le temps
la marchandise parvient à l'acheteur qui la vérifie, s'il
constate des anomalies, l'acheteur peut empêcher le paiement par la
banque émettrice ou confirmatrice mais il ne peut le faire avec
succès qu'en démontrant la fraude commise.
Il apparaît de ce fait que l'exécution du
crédit documentaire se heurte parfois à des difficultés
généralement liées à l'invocation de la fraude et
à la pratique d'une saisie arrêt.
En effet, la fraude fait obstacle à la réalisation
du crédit documentaire, elle permet au banquier de refuser le paiement
et au donneur d'ordre de pratiquer une saisie. Elle est constituée quand
un document est un faux ou contient des énonciations mensongères
qui ne correspondent pas à la marchandise réellement
expédiée.
Quant à la saisie arrêt, elle peut être
diligentée par le donneur d'ordre ou par un créancier du
bénéficiaire. Elle n'est cependant admise qu'au profit du second,
à l'exclusion du premier. Que le donneur d'ordre invoque
l'exécution défectueuse du contrat de base ou une créance
étrangère à celui-ci, il ne peut sauf fraude pratiquer
aucune saisie.
Lorsque le crédit documentaire est enfin
réalisé et que la banque qui l'a effectué a
procédé à des avances, elle peut exiger bien naturellement
le remboursement de toutes ces sommes qu'elle acquittée.
2/ Les recours postérieurs à la
réalisation du crédit documentaire :
Dans la pratique, les intervenants dans le cadre du crédit
documentaire disposent de différents recours à savoir le recours
de la banque émettrice, celui de la banque intermédiaire, le
recours contre le bénéficiaire et celui contre le vendeur.
Concernant le premier : la banque émettrice a un
recours contre le donneur d'ordre dans la mesure où elle a
effectué à son profit une avance de fonds. Toutefois le droit du
banquier au remboursement n'est pas inconditionnel : il doit remettre au
donneur d'ordre les documents qu'il avait instruction de réclamer. En
d'autres termes il est soumis à la condition que le crédit a
été réglé conformément aux instructions du
donneur d'ordre.
C'est à l'occasion du recours en remboursement que se pose
en pratique la question de la responsabilité de la banque dans la
vérification des documents. Pour assurer son remboursement, il est
fréquent que le banquier émetteur demande à son client de
constituer une provision ou une garantie. De plus lorsqu'elle détient
des documents représentatifs des marchandises à l'exemple du
connaissement, la banque jouit d'un droit de gage sur les marchandises.
Il se peut que le banquier autorise son client donneur d'ordre
à lever les documents avant tout remboursement. En contre partie, il
obtient que lui soient remises les lettres tirées sur les sous
acquéreurs de la marchandise et acceptée par eux, ce qui lui
permet de remplacer son droit de gage sur les marchandises par un droit
personnel très efficace contre les tirés accepteurs. Ainsi, la
banque émettrice pourra dans le cas du succès de son recours
contre le donneur d'ordre récupérer les fonds qu'elle a
avancés.
D'un autre coté, il existe un second recours, celui de la
banque intermédiaire. En effet, cette dernière a agi en
qualité de mandataire de la banque émettrice et par
conséquent elle a droit au remboursement par cette dernière des
avances qu'elle a effectué. Toutefois ce recours est soumis à la
condition que les documents soient réguliers. En effet, lorsque la
banque intermédiaire a vérifié des documents qui
ultérieurement se révèlent faux, elle ne peut être
tenue pour responsable. Ainsi, si elle peut justifier d'un « soin
raisonnable », elle jouit d'un recours pour obtenir le remboursement
de la banque émettrice.
Si ce remboursement est conditionné au respect des
diligences que toute banque doit avoir lorsqu'elle est chargée de
réaliser un crédit documentaire, il peut intervenir même en
cas de fraude à condition toutefois que la découverte de la
fraude soit postérieure à la réalisation dudit
crédit.
Signalons aussi qu'en cas de crédit révocable, la
banque intermédiaire a droit à ce remboursement dés lors
qu'elle a réalisé le crédit avant la notification de la
réalisation. Enfin la banque intermédiaire qui a levé des
documents non conformes sous réserve dispose d'une action en
répétition contre le bénéficiaire si le donneur
d'ordre refuse les documents.
En outre, rien ne s'oppose à ce que l'acquéreur
agisse contre son contractant. L'ouverture du crédit documentaire
n'entraine pas novation des rapports de droit nés du contrat de vente.
C'est pourquoi dans l'hypothèse où l'acheteur peut invoquer une
mauvaise exécution du contrat de vente il peut agir en dommages et
intérêts contre le vendeur voire en résolution et en
restitution du prix. Ainsi, l'acheteur préserve ses recours de droit
commun.
Qu'en est-il du recours contre le
bénéficiaire ?
Ce recours n'existe pas qu'elle soit la banque en cause et quelle
soit la nature du crédit documentaire irrévocable ou
révocable. Le banquier supporte ainsi l'insolvabilité ou le
mauvais vouloir du donneur d'ordre. C'est ce qui explique qu'avant de prendre
la décision d'ouverture du crédit documentaire, le banquier prend
en considération et vérifié l'honorabilité et la
situation financière du bénéficiaire dans la mesure
où il ne dispose pas d'un recours contre ce dernier.
Toutefois selon une jurisprudence
française21(*), lorsque les documents
présentés par le bénéficiaire n'étaient pas
conformes aux conditions de l'accréditif et que la banque a pu
réaliser le crédit « sous réserve »,
en ce cas, si le donneur d'ordre refuse de lever les documents la banque peut
agir en répétition contre le bénéficiaire. Il en va
de même en cas de fraude.
BIBLIOGRAPHIE
Les ouvrages :
v
Boudinot : Pratique du crédit documentaire.
v Abdelmajid
Ammar : Les sécurités de paiement dans le commerce mondial,
l'exemple des crédits documentaires.
v De
Juglart : Traité de droit commercial : banques et bourses.
v
Frédéric Eisemann et Charles Bontaux : Le crédit
documentaire dans le commerce extérieur.
v Hamadi
Rayed : Cours de droit bancaire et boursier.
v Ligia Maura
Costa : Le crédit documentaire : étude comparative.
v
Mondino : Le droit du crédit.
v Ripert et
Roblot : Traité de droit commercial : valeurs
mobilières, effets de commerce, opérations de banque et de
bourse.
v Thierry
Bonneau : Droit bancaire.
Les mémoires :
& Kedissi Rawah : La protection du
bénéficiaire dans le crédit documentaire.
& Lotfi Chèdli : Le formalisme
dans le crédit documentaire.
& Rafik Baccar : L'engagement bancaire
dans la réalisation du crédit documentaire.
* 1 A. Boudinot : Pratique
du crédit documentaire.
* 2 M. Dahan :
« La pratique française du droit de commerce
international ».
* 3 Art 8 a, R 441.
* 4 Abdelmajid Ammar :
« Les sécurités de paiement dans le commerce mondial,
l'exemple des crédits documentaires ».
* 5 R.U.U 500 :
règles et usances uniformes 500.
* 6 Dominique Legeais :
jurisclasseur commercial, 2005.
* 7 Boudinot (A) : Pratique
du crédit documentaire.
* 8 Art 8 a, R.U.U.
* 9 Art 9 b, R.U.U.
* 10 Voir Thierry
Bonneau : Droit bancaire.
* 11 Art 3 et 4 R.U.U.
* 12 Voir Juglart :
Traité de droit commercial : banques-bourse.
* 13 Art 7 a, R.U.U.
* 14 Art 10 c, R.U.U.
* 15 Art 9 R.U.U.
* 16 Art 42 a, R.U.U.
* 17 Sur ces documents, voir
les art 23 et suivants des R.U.U.
* 18 Art 13 b, des R.U.U qui
précise que ce délai ne doit pas dépasser sept jours
ouverts (jours où la banque travaille) suivant le jour de
réception des documents.
* 19 Art 13 a, R.U.U.
* 20 T. Ben Nassr :
Eléments de droit bancaire tunisien, cours polycopié.
* 21 Cassat. Com 23
février 1976/ cour de cassation 6 mai 1969.
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