Paix et Education chez Kant. Esquisse d'une pédagogie de la paix( Télécharger le fichier original )par Fatié OUATTARA Université de Ouagadougou - DEA 2007 |
1.2. De la possibilité de l'expérience de l'éducation à la paixL'éducation est un art, dont la pratique doit être perfectionnée par beaucoup de générations. Chaque génération instruite des connaissances des précédentes, est toujours à même d'établir une éducation qui développe d'une manière finale et proportionnée toutes les dispositions naturelles de l'homme ainsi conduise l'espèce humaine toute entière à sa destination. Kant, Réflexions sur l'éducation, pp.103-104. L'éducation à la paix est un problème de notre temps. Nous pourrions dire, en empruntant le mot à Kant, qu'il est « le plus grand et le plus difficile problème qui puisse être proposé à l'homme 13(*) ». En effet, lorsque Kant disait de l'éducation en général qu'elle est une ?importante expérience? à faire, il était convaincu de la difficulté de cette expérience. L'éducation à la paix ne déroge pas à la règle ; elle est aussi appelée à se perfectionner par beaucoup de générations ; elle ne peut que progresser pas à pas ; chaque génération doit pouvoir transmettre à la suivante ses connaissances, ses savoirs en matière de promotion de la paix, c'est-à-dire de prévention, de résolution ou de restauration de la paix. Cependant, nul n'est à mesure de pouvoir dire au terme de combien de générations l'éducation à la paix sera meilleure, même si nous savons qu'elle est possible, universalisable. En effet, dans ses Réflexions sur l'éducation, Kant accorde une haute valeur à l'expérience, à l'empirisme qu'il aurait combattue dans sa Critique de la Raison pure, et qui pourtant serait le point de départ de toute connaissance rationnelle. Dira-t-on que c'est le criticisme qui lui a donné la raison pour laquelle « l'expérience est la seule voie qui puisse être suivie en pédagogie 14(*)». Seule la liberté humaine comme raison métaphysique est à même de justifier l'empirisme pédagogique kantien. Nous y reviendrons plus tard, mais avant intégrons-nous l'expérience au coeur de l'éducation à la paix. Vouloir faire l'expérience de l'éducation à la paix c'est oser se s'affronter au problème de la nature humaine15(*) qui, dit-on, est ou bonne ou mauvaise : l'homme est-il bon ou mauvais par nature ? S'il est bon par nature, serait-il encore nécessaire de l'éduquer à la paix ? S'il est plutôt mauvais par nature comment l'éducation à la paix pourrait-il le changer, le détourner du mal et ne pas se voir vouer à l'échec ? En vérité, l'humanité revêt deux caractères bien distincts. Il y a le caractère sensible et le caractère intelligible. Selon le premier caractère, l'homme éprouve un ?actif désir de l'illicite?, du mal qui s'empare infailliblement de lui aussitôt qu'il commence à se servir de sa raison, à faire usage de sa liberté. L'homme peut être ainsi considéré comme ?méchant par nature?. Le second caractère fait de lui un « être doué d'une faculté de raison pratique et de la conscience que sa volonté est libre (...), qu'il est objet de la justice et e l'injustice » ; l'homme est pour cela bon par nature. L'analyse de ces deux caractères, surtout le caractère intelligible, rend ainsi possible l'expérience de l'éducation en général et de l'éducation à la paix en particulier. L'humanité est bonne, intégralement bonne pour pouvoir élever les vertus de la paix. Contrairement à se qu'on pourrait penser, l'homme n'est bon que parce qu'il a pris conscience du fait qu'il est mauvais par nature et décide volontairement de se convertir et de donner l'exemple aux autres, aux jeunes. Nul doute que l'on puisse taxer ce genre d'homme de ?bon artificiellement? et non par nature ; l'essentiel est que l'on puisse contenir et inhiber les germes du mal qui sont innés en lui. Car « personne ne naît exempt de vice. Tout ce passe comme si en naissant l'homme avait déjà corrompu sa nature, comme s'il avait commis une faute 16(*) ». Par ailleurs, sans évacuer définitivement la question liée à la possibilité l'expérience de l'éducation à la paix, nous butons à un autre problème : transformer, changer la mentalité de l'homme suppose-t-il qu'il vaut la peine de transformer la société ainsi que toute ses valeurs ? Deux hypothèses vont nous permettre d'éclairer notre point de vue sur la présente préoccupation. On pourrait dire en substance que l'éducation à la paix en tant que créatrice de la mentalité de paix n'est pas possible sans procéder à une transformation de la société et de ses valeurs. Mais si nous partons du fait que la société n'est pas un tout homogène, qu'elle est fragile, vulnérable à tout changement, on pourrait aussi dire qu'elle est régie par des règles de conduite sociale, des lois qui assurent sa durabilité ; et qu'au sein de la société il existe des valeurs pérennes, des devoirs et des droits inaliénables quel que soit le genre de changement qu'on veuille apporter dans la société. Toutefois, on se sert même de ces valeurs comme pilier pour bâtir le monde pacifique de demain à partir d'aujourd'hui. C'est dans cette optique, et pour répondre à la question posée plus haut, que nous disons avec Jean Laurain que « l'éducation à la paix est possible puisse qu'elle existe et a déjà commencé. (...). S'il possible de changer l'homme indépendamment des structures sociales, existantes parce que l'éducation s'appuie sur des valeurs qui transcendent la société, le temps et le lieu ne faisant rien, alors il est possible de former l'homme pacifique sans attendre la transformation de la société dans le sens de la liberté et de la justice, fondements de la paix 17(*) ». Cette question peut bien être appréhendée d'un point de vue rousseauiste, selon son idée de ?liberté bien réglée? qui est en partie le but et le programme de Émile, dont la liberté capricieuse est mise en contact avec les institutions sociales, avec lesquelles elle se marie ; ce qui lui permet de parvenir à une maîtrise autonome de sa nature. La socialisation permet à l'homme de s'humaniser pour la paix et dans la paix, gage de toutes relations sociales harmonieuses. « Il faut étudier la société par les hommes et les hommes par la société : ceux qui voudront séparer la politique et la morale n'entendrons jamais rien à aucune des deux 18(*)». Ce qui est d'avance souhaité c'est que l'éducation à la paix, consciente de la corruption et de la dégradation constatée ici et là des valeurs, puisse fonctionner de sorte à apporter un changement du mauvais ordre qui engendre crises, conflit et immoralité. L'éthique d'Aristote nous est en cela très édifiante. En effet, quand l'auteur des Politiques dit que l'homme est un animal politique doué de raison (Zoôn politikon), il veut dire que l'homme ne peut pas vivre dans une solitude totale, que la société lui est pour cela nécessaire. L'élève de Platon portera donc un discours sur la vertu et le bonheur, des qualités indispensables à la réalisation d'un idéal de vie sociale paisible. Il faut donc les développer par l'éducation du caractère et des sentiments ; ce qui reviendrait à construire l'homme sur le mode de la pensée pacifique non-violente tout en acceptant que la société s'éduque ou soit éduquée à la vertu, au bonheur, à la paix. En un mot, la société au sein de laquelle l'homme s'éduque à la paix a elle aussi besoin d'une éducation à la paix. Il n'y a pas de rupture de lien entre l'homme et la société et ses valeurs. Ils forment ce tout en dehors duquel l'expérience de l'éducation à la paix est impensable puisqu'elle se fonde sur des méthodes et se dote des moyens, des techniques et des stratégies pédagogiques pour remplir sa mission. * 13 Réflexions sur l'éducation, p.33. * 14 Ibid., p.34. * 15 Anthropologie du point de vue pragmatique, pp.163-164. * 16 Réflexions sur l'éducation, p.46. * 17 Jean Laurain, p.188. * 18 Rousseau, Livre IV du texte de 1762. |
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