I- 1- Les organisations non gouvernementales
internationales au Burundi
Le nombre des ONG internationales menant leurs
activités au Burundi est régulièrement fluctuant du fait
du début et de la clôture des programmes et projets des unes et
des autres. Globalement, au moment de la réalisation de cette
étude, on dénombrait une quarantaine d'ONG internationales
oeuvrant dans les 16 provinces du pays. Encouragées par le gouvernement,
une trentaine d'entre elles se sont associées au sein d'une association
appelée RESO38, (Rassemblement, Echanges et Solutions entre
ONG). Le reste des ONG y ont un statut d'observateurs.
Depuis la promulgation, le 23 juin 1999, de la loi
n°1/011 qui définit le cadre de coopération avec les ONG
étrangères, le gouvernement a mené une campagne
d'explication dans deux directions. A l'intention des services gouvernementaux
d'abord afin de leur préciser les rôles et les obligations des uns
et des autres dans leurs relations avec les ONG étrangères. A
l'intention de ces dernières, ensuite, pour leur indiquer les principes
directeurs, les obligations et les engagements qui lient aussi bien les ONG que
le gouvernement dans la pratique quotidienne de leur coopération.
C'est donc, à l'issu de cette campagne d'explication de
ladite loi portant cadre général de coopération que fut
créé le RESO. Il se veut être un forum neutre
et apolitique d'organisations non gouvernementales oeuvrant au Burundi dans
tous les
domaines de l'aide humanitaire et du développement.
Cette association joue le rôle d'interlocuteur des ONG
étrangères face au gouvernement. Ce dialogue se passe à
travers le Ministère des Relations Extérieures et de la
Coopération, par l'action concertée de son Bureau National de
Coordination des activités des ONG étrangères. C'est dans
ce cadre que, depuis la fin de l'année 1999, des rencontres
d'échanges et de concertations formelles et informelles sont
organisées entre le Bureau National de Coordination des activités
des ONG étrangères et les ONG membres et observateurs du RESO.
Le RESO est administré par un Comité
Exécutif élu rotativement au sein des organisations membres pour
une durée de six mois renouvelables une fois. Il dispose d'un bureau
avec une secrétaire permanente qui assure la liaison entre la structure,
ses membres et ses observateurs. Le Comité Exécutif se
réunit tous les premiers lundi du mois.
Les objectifs initiaux du RESO tels que décrits dans ses
statuts de 1999 sont les suivantes :
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promouvoir les relations entre les ONG internationales et les
autres partenaires ; donner aux membres un espace d'expression libre et
transparent de partage, de débat, d'analyse et de réponse aux
problèmes communs ;
offrir aux partenaires un interlocuteurs cohérent à
travers une structure connue et représentative.
Ces ONG internationales interviennent sur toute
l'étendue du pays39. Une grande concentration d'organisations
internationales se trouve dans les provinces de Bujumbura-Mairie (15), Gitega
(13), Muyinga (13), et Kirundo (12). Par contre, on remarque une
déconcentration dans les provinces de Bururi (2), Muramvya (3) et
Kayanza (5). Les autres provinces comptent entre 6 et 12 ONG internationales
qui interviennent dans différents secteurs. On peut également
noter que seules 10 organisations sur les 33 concernées, étendent
certaines de leurs activités sur toutes les provinces du pays.
38 Voir Annexe tableau 2 : Liste des ONG membre du
RESO
Carte du Burundi
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Ces organisations sont très actives sur le terrain ;
leurs activités sont menées par des équipes
constituées d'employés expatriés et locaux. Le nombre
d'employés varie selon plusieurs facteurs, notamment la taille de
l'organisation, le volume des activités et les domaines d'intervention.
Mais dans tous les cas, la gestion du personnel local reste complexe du fait de
l'omniprésence de l'ethnicité dans l'inconscient collectif des
Burundais. La variable ethnique est ainsi un élément important
que les managers doivent savoir manier pour qu'elle n'entrave pas l'atteinte
des objectifs globaux et spécifiques des projets.
39 Voir Annexe Tableau 3 : ONG internationales par
province et par secteur d'intervention
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I- 2- Les tendances lourdes pour le Team Building dans
les ONG internationales
On peut énumérer un certain nombre de tendances
lourdes qui entravent le bon
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déroulement du Team Building dans ces
organisations ; il s'agit notamment de : l'offre limitée du personnel
local qualifié dans les métiers du développement et de
l'humanitaire,
l'interventionnisme de certains responsables des administrations
locales dans le recrutement du personnel,
le caractère urgent inhérent à l'action
humanitaire et
l'ethnicité.
Mais d'abord, quel contenu donner à cet anglicisme ? Le
Team Building, c'est « la construction des équipes
gagnantes »40, performantes ; c'est-à-dire « un
ensemble d'activités formalisées et destinées à
encourager les employées d'une organisation à travailler en
coopération »41 pour atteindre un/des objectif(s).
« Une équipe gagnante est celle :
qui a un objectif commun, que tous connaissent, partagent et se
sont engagés à atteindre,
qui a une communication ouverte et transparente,
qui a un climat de confiance et d'ouverture,
qui a un sentiment d'appartenance,
où la diversité est encouragée,
où la créativité et la prise de risque sont
encouragées,
qui possède la capacité de s'auto-évaluer et
de se corriger,
où les membres sont interdépendants,
où les décisions sont prises par consensus,
où le leadership est participatif.»42
Mais la construction des équipes (staffs) pe rformantes
suppose qu'il y ait eu d'abord un recrutement dans les règles de l'art.
Un bon recrutement se fait en principe en huit étapes :
40 Cabinet DCBC-Sarl, « Consultation et Gestion
du Changement », Module de formation MBA, CESAC, Dakar, 2004
41 "Team building ", Microsoft® Encarta®
2007 [DVD]. Microsoft Corporation, 2006
42 Cabinet DCBC-Sarl, Idem.
|
« la définition de poste,
la définition du profil du titulaire,
l'identification des sources de recrutement,
la mise en place des moyens de recrutement, la campagne de
recrutement,
la sélection des candidatures,
la décision d'embauche et
l'intégration. »43
|
De toutes les tendances lourdes énumérées
au début de cette section, l'ethnicité semble dominant en termes
d'impact sur le rendement du personnel local. Cela a de quoi
désarçonner car, on aurait plutôt tendance à penser
que l'offre limitée du personnel qualifié vient en
première position. Ce dernier facteur est en effet directement
lié à la qualité des prestations des employés ;
cela s'observe directement sans difficulté, quelque soit la zone
d'intervention. Mais il n'en demeure pas moins vrai que dans le cas particulier
du Burundi, l'ethnicité est un élément prégnant
dans l'atteinte ou non de certains objectifs des projets mis en oeuvre par les
organisations humanitaires ou de développement.
Il est presque indécent d'établir un quelconque
rapport entre le terme ethnicité et les ONG internationales. En effet
au Burundi, il est politiquement incorrect d'associer
l' ethnie à ces organisations de droit étranger
car elles sont sensées être un haut lieu de démocratie et
de « bonne gouvernance ». Il est vrai que dans la
société globale, la question de l'identité ethnique a
été pendant longtemps un tabou. Comme le remarque Melchior
MBONIMPA, « il y a quelques années au Burundi, désigner une
personne par son ethnie était comme une obscénité. Les
mots « hutu » et « tutsi » devaient être
chuchotés entre intimes, les portes closes, à la faveur de
l'ombre, un peu à la manière des adolescents lorsqu'ils parlent
des choses du sexe. On feignait de ne jamais en parler. Pourtant,
irrésistiblement, c'était le sujet qui occupait les conversations
les plus passionnées44 ».
43 Cabinet DCBC-Sarl, « Les huit étapes de
recrutement », Module de formation
44 MBONIMPA Melchior, Ethnicité et
démocratie en Afrique : l'homme tribal contre l'homme citoyen ? ,
Harmattan, Paris, 1994.
En conséquence, les ONG internationales étant
constituées par des individus vivant dans la société, ne
subissent-elles pas une influence directe et indirecte de la part de cette
dernière ? L'organisation est vue ici comme « le royaume des
relations de pouvoir, de l'influence, du marchandage et du calcul » et
comme « un construit humain qui n'a pas de sens en dehors des rapports de
ses membres »45. Dans un environnement où «
l'illusion identitaire »46 est profondément
ancrée dans les mentalités, ne serait-ce pas nier la
réalité sociale que de faire fi de la variable ethnique dans les
pratiques de gestion des relations professionnelles dans les organisations
internationales y opérant ?
En effet, ces organisations n'évoluent pas en vase clos
; elles sont dans un environnement fortement marqué par une
identification par soi et par autrui de type ethnique très
prononcée. Ici, l'enjeu ne serait plus forcément la lutte pour le
pouvoir politique, mais la « lutte » pour l'emploi et surtout, la
maîtrise et le contrôle des mécanismes et des circuits de
recrutement et d'évolution de carrière au sein de ces
organisations. Dans tous les cas, le travail dans les ONG internationales au
Burundi, au même titre que la détention du pouvoir politique,
apparaît comme étant synonyme d'accumulation de richesses
matérielles et symboliques. L'enjeu est d'autant plus important que le
travail dans ces organisations confère un statut social particulier.
Nous reviendrons plus longuement sur les manifestations de
l'ethnicité au sein du personnel local de ces organisations dans
d'autres chapitres. Pour l'insta nt in téressons nous au lien qui existe
entre l'ethnicité et les trois autres facteurs identifiés comme
étant des tendances lourdes à savoir : l'offre limitée du
personnel local qualifié, l'interventionnisme de certains responsables
des administrations locales et l'urgence de l'action humanitaire. De prime
abord, le sentiment qui se dégage de la lecture de ces trois facteurs
alignés dans l'ordre, c'est la difficulté d'établir un
lien entre eux et l'ethnicité. Pourtant il y'en a un. En mettant en
exergue ce lien, nous montrerons également en quoi ces
éléments constituent des tendances lourdes pour le Team
Building.
45 CROZIER Michel, FRIEDBERG Erhrad, L'Acteur et
le système. Les contraintes de l'action collective, Seuil, Paris,
1977, p.50
BAYART Jean-François, L'Etat en Afrique : la politique
du ventre, Fayard, Paris, 1990
46
Comment l'offre limitée du personnel local
qualifié constitue-t-elle une tendance lourde pour le Team Building
dans les ONG internationales ? La rareté d'employés locaux
expérimentés et qualifiés dans les métiers du
développement et de l'humanitaire a un effet direct sur les performances
des staffs. Cette situation est due en grande partie à la nature du
système éducatif universitaire national qui est plutôt
axé sur les formations généralistes plutôt que
spécialisantes ou professionnelles. Par conséquent, lorsque les
étudiants sortent des universités, ils ne sont pas
opérationnels en ce qui concerne les métiers du
développement et de l'humanitaire.
Cela implique que lorsqu'ils sont embauchés
malgré leur non opérationnalité, il leur faut du temps
pour suivre des formations et s'imprégner des outils, des processus, des
approches et des méthodes en vigueur dans le secteur des ONG
internationales. Dans ces conditions, le Team Building devient un
travail de longue haleine, ce qui ne concorde pas généralement
avec le caractère à court terme et urgent des projets
humanitaires. Dans tous les cas il est extrêmement difficile de
construire des équipes performantes avec des employés qui ont
presque tout à apprendre du savoir faire, même s'ils disposent de
capacités exceptionnelles en matière de savoirs et de savoir
être.
Ainsi, l'expérience des candidats devient un
critère hautement déterminant dans le recrute ment des ressources
humaines pour le Team Building. C'est à ce niveau que s'invite
le facteur ethnique. En effet, les différentes ethnies du Burundi
n'ayant pas toutes bénéficié des mêmes avantages du
système éducatif à certains moments de l'histoire
tourmentée de ce pays, les personnes les plus
expérimentées se retrouvent naturellement issues des ethnies qui
ont été privilégiées à une époque ou
une autre par le système éducatif national. Cela nous a
été confirmé par un responsable expatrié d'une ONG
internationale :
« Actuellement on trouve que le personnel qualifié
et expérimenté est majoritairement homogène sur le plan
ethnique du fait que, à un certain moment l'université du Burundi
était ethniquement et m ême régionalement orienté
[...] »
Cette situation crée inévitablement des
frustrations de la part de ceux qui sont tenus à l'éca rt ou en
minorité par les critères impératifs de recrutement.
Concernant l'interventionnisme de certains responsables des
administrations locales, elle se manifeste sous forme de tentatives d'influence
sur le recrutement par les ONG internationales opérant dans une
localité donnée en faveur des ressortissants de cette
dernière. Pour avoir la possibilité de mener leurs
activités, les managers se trouvent parfois contraints de faire des
compromis. Les personnes engagées dans ces conditions occupent
généralement des postes de chauffeurs, d'agents d'entretien, de
gardien, de guide, d'interprète, etc.
Cette manière de faire pose un réel
problème à la construction des équipes gagnantes. En
effet, dans la logique du Team Building, tous les membres de
l'équipe sont aussi importants les uns que les autres car le travail des
uns conditionne celui des autres (interdépendance). Il n'y a donc pas
d'employés « bouche trou » ou figurants. Or, si un manager
accepte un individu imposé par l'autorité locale, cela veut dire
qu'il n'a pas eu le luxe de suivre les huit étapes du recrutement
évoquées plus haut. Cela signifie également que
l'employé recruté ne partage pas forcement l'objectif du groupe
ni sa vision, ce qui a des répercutions directes sur les variables comme
le climat de confiance, le sentiment d'appartenance ou encore, la
cohésion du groupe.
Par ailleurs, les élus locaux ne sont pas
réputés comme étant des chantres du pluralisme ethnique
car beaucoup d'entre eux ont été élus sur des
critères essentiellement ethniques. Ainsi, il est probable que dans
leurs tentatives d'imposition du personnel à recruter, le facteur
ethnique soit des plus prédominants.
De manière générale, les managers des ONG
internationales qui refusent de se subordonner à ces directives se
voient faire l'objet de rapports hostiles destinés au Ministère
de l'Intérieur et de la Sécurité Publique. Lors de nos
recherches dans les archives de ce ministère, le constat que nous avons
fait était plutôt constant : dans tous les rapports produits par
des maires des collectivités territoriales décentralisées
sur les activités des ONG internationales opérant dans leurs
localités, rares étaient ceux qui déclaraient travailler
en bonne collaboration avec ces organisations. Au contraire, ces
dernières faisaient l'objet de critiques des plus virulentes.
L'autre tendance lourde que nous avons relevé, c'est
l'urgence de l'action humanitaire. En période de crise humanitaire,
certaines ONG sont contraint d'intervenir en urgence pour subvenir aux besoins
de base des personnes sinistrées. Les interventions humanitaires
d'urgence nécessitent parfois la disponibilité immédiate
de professionnels (souvent pour une période de courte durée)
expérimentés pour travailler dans des zones à haut risque
sécuritaire. Les organisations qui travaillent
généralement dans ces conditions n'ont pas le temps
matériel de procéder à un recrutement en bonne et due
forme. Elles sont obligées de recruter par cooptation. La cooptation est
une pratique courante dans la mise en place des équipes ; mais dans des
contextes sensibles comme celui du Burundi, elle peut constituer un terreau
fertile pour le tissage de réseaux mafieux d'accès à
l'emploi.
En effet, en faisant fi des procédures et étapes
« normales » d'un recrutement, le manager ouvre la voie au
clientélisme ethnique et aux marchandages de toutes sortes (pour ne pas
parler de corruption) de la part des collaborateurs locaux et même
expatriés.
Mais le respect des huit étapes de recrutement
évoquées plus haut n'est pas aisé comme nous veno ns de le
voir. Par ailleurs, la mise en oeuvres de ces différentes phases
nécessite des moyens logistiques et financiers qui ne sont pas toujours
prévus dans les lignes budgétaires des projets qui sont
financés par les partenaires financiers, ces derniers ne
finançant que la réalisation des activités.
Mais comment minimiser les nuisances du facteur ethnique dans la
gestion des staffs locaux ?
Chapitre II
Les approches managériales des responsables des
ONG internationales face à la question ethnique
|
La gestion d'un staff multi-ethnique dans un contexte de
conflit ou de post conflit ethnique s'avère être un exercice
extrêmement délicat pour les responsables des ONG internationales.
Du fait de la particularité du contexte burundais, les responsables de
ces organisations élaborent des stratégies afin de ne pas rester
prisonniers du climat socio-politique ambiant. Nous relevons deux postures
managériales les plus couramment utilisées dans la gestion des
ressources humaines locales : d'une part, le recours à l'approche «
Do No Harm » et au modèle du management cross-culturel (ou
management interculturel) et d'autre part, l'observation du principe de «
non-ingérence ».
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