II-1-2- Le modèle de management cross-culturel ou
interculturel
La nécessité d'intégrer la notion de
culture dans le management s'est imposée avec la mondialisation
économique qui a vu la multiplication des multinationales
développant des filiales régionales, les fusions-acquisitions
d'entreprises de pays différents et l'expatriation des cadres dans des
régions aux cultures autres que les leurs. C'est ainsi que des
chercheurs en management des organisations commencèrent à s'y
intéresser.
La discipline du management interculturel s'est
développée aux États-Unis à la fin des
années 1970 sur la base du management international et du management
comparé48. L'étude empirique menée par G.
Hofstede49 sur la culture nationale et la culture d'entreprise a
fortement contribué à sa diffusion dans le domaine des sciences
de gestion. À la différence du management international (qui
prend en compte toutes les activités fonctionnelles de l'entreprise) et
du management comparé (qui compare les spécificités du
management dans des systèmes différents), le management
interculturel est centré sur le comportement organisationnel et les
ressources humaines50.
Le management interculturel s'intéresse plus
précisément à l'influence de la culture (nationale et
organisationnelle) sur les perceptions, les interprétations et les
actions des acteurs. La culture est considérée comme un
système de significations et d'orientations, propres à un groupe,
basées sur des valeurs spécifiques qui se traduisent en
comportements. Ce système a été appris durant le processus
de socialisation. Comme cette socialisation a lieu dans un contexte
spécifique, la culture qui reflète les valeurs, les
pensées et les comportements d'une société, joue un
rôle primordial. En matière de management, ce système
culturel procure aux individus des capacités cognitives et des
méthodes spécifiques pour résoudre des
problèmes.
48 HARRIS et MORAN, Managing cultural
difference, Gulf Publishing, Houston, 1993
49 HOFSTEDE, Culture's Consequences: Comparing
Values, Behaviors, Institutions and Organizations A cross Nations, Sage
Publications, London, 2001
50 ADLER, International Dimensions of
Organizational Behavior, PWS-Kent, Boston, 1991
Par conséquent, des collaborateurs issus de groupes
culturels différents sont susceptibles de trouver des solutions
différentes face à un même problème.
La recherche en management interculturel s'attache à
étudier les interactions d'acteurs venant de systèmes
différents. Elle s'intéresse aux « incidents critiques
»51 qui sont dus aux différences culturelles. Les incidents
critiques se produisent souvent dans des situations de communication et de
coopération où les attentes et comportements des acteurs
divergent et conduisent à des conflits interculturels.
Les problématiques du management cross-culturel
s'appuient sur des constats simples : selon sa culture d'appartenance, on ne
dit pas la même chose des mêmes choses. Les versions, les
explications du réel, c'est-à-dire, des situations, des
comportements, des histoires, varient selon que l'on écoute des
ressortissants d'une culture ou de l'autre. Il paraît clair que seul un
simulacre de vérité peut exister en la matière, celui que
le plus écouté impose à tort ou à raison. En effet,
en matière de cultures, les évidences se diluent et il ne reste
que des attitudes, des représentations et parfois des sympathies.
Le manager de l'interculturel peut être exposé
quotidiennement ou presque à l'expression de ce besoin. Dans une autre
culture que la leur, les acteurs de la vie économique se trouvent
démunis. Il y a bien sûr le facteur de la langue. Mais il y a
également les valeurs et les non-valeurs sociales, les usages, la
relation au temps, à l'espace, la communication non verbale, les modes
d'intégration, affectifs, les logiques guidant les conflits et les
alliances : tout semble suivre un autre cheminement, trouver d'autres
expressions, recevoir une autre signification et un autre sens. Cela rend la
vie difficile aux responsables d'agence ou de filiale expatriés. La
négociation avec les partenaires sociaux suit d'autres routes que
celles, plus facilement prévisibles, des négociations avec une
centrale syndicale d'un pays occidental. Même la gestion des salaires et
des promotions internes est rendue ardue pour l'expatrié.
51 BARMEYER, et MAYRHOFER, « Le management
interculturel : facteur de réussite des fusions- acquisitions
internationales ? », C.E. S. A. G. (Centre d'Etude des Sciences
Appliquées à la Gestion), I. E. C. S. Strasbourg,
Université Robert Schuman.
Le secteur de la coopération internationale et de
l'humanitaire étant un espace de mobilité internationale par
excellence, les cadres expatriés des organisations non gouvernementales
internationales sont encore plus confrontés à ce décalage
des perceptions culturelles que leurs collègues du secteur marchand, car
moins préparés que ces derniers.
En effet, si nombre des responsables des multinationales ont
déjà pris la mesure des problèmes qu'implique la
cohabitation des équipes multiculturelles au sein d'une même
organisation, les organisations non gouvernementales internationales sont
encore loin de cerner les implications d'un tel scénario. Pourtant elles
vivent des expériences et des incidents liés à la
multiculturalité des équipes au quotidien.
De manière générale, les approches
utilisées par le management cross-culturel sont basées, au plan
pratique, sur « la connaissance la plus précise possible des
cultures nationales concernées et, au plan conceptuel, sur des
différences culturelles et leur mise en évidence par des
méthodes intuitives ou quantifiées »52 . Ainsi,
pour les ONG qui ont choisi l'option du management cross-culturel, la
préparation à l'expatriation des cadres, la gestion des rapports
humains en milieu pluriculturel, l'animation des équipes mixtes, et les
programmes de formation qui peuvent y être associés sont autant de
préoccupations pour atteindre au mieux les objectifs des
différents projets initiés.
Dans le contexte burundais, l'application du management
interculturel n'est pas aisée. La notion de culture en tant qu'ensemble
des manières d'être, de penser et d'agir des peuples, transmises
de génération en génération (ou alors, l'ensemble
des traits distinctifs, spirituels et matériels caractérisant un
peuple) perd de son sens originelle lorsqu'il s'agit de qualifier les
systèmes de valeurs des deux ethnies (Hutu et Tutsi) qui cohabitent dans
les organisations. En effet, comme nous l'avons évoqué plus haut,
ces deux groupes ethniques ont en commun l'histoire, la langue, l'art, les
coutumes, le territoire, la religion, le système social et politique,
etc. En d'autres termes, nous sommes en présence de deux ethnies ayant
la même culture. De ce fait, dans les modes de vie et de
représentations sociales des uns et des autres, pris
séparément, on ne descelle aucune différence majeure.
Toutefois, lorsque l'on
52 BOSCHE, « Management interculturel »,
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observe une équipe composée d'individus issus
des deux ethnies, on remarque automatiquement qu'ils s'identifient les uns par
rapport aux autres suivant le critère ethnique et adoptent des
comportements en conséquence. Cela signifie par exemple que les
individus ont tendance à faire plus confiance aux collègues
appartenant au même groupe ethnique qu'eux dans les relations de
travail.
Conscients de cette situation, les managers des ONG
internationales qui emploient un personnel multi-ethnique et désireux
d'appliquer le management interculturel à la gestion des équipes,
considèrent les deux entités ethniques comme deux « cultures
distinctes », le seul contenu du mot culture étant le
critère ethnique. Le management interculturel devient en quelques sortes
un « management interethnique ». L'application de ce modèle ne
se fait pas sans résistances. Nous allons développer cet aspect
dans les chapitres qui vont suivre.
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