« l'unicité-universalité » de Jésus-Christ dans la foi chrétienne. Préambule pour une théologie des religions chez Jacques Dupuis( Télécharger le fichier original )par Antoine BASUNGA Nzinga,sj ITCJ - Théologien 2008 |
2. Jésus-Christ au centre de la foi.Dans la foi chrétienne, le Christ et son oeuvre occupent une place centrale et unique qu'aucune autre tradition religieuse n'a attribuée à son fondateur. Pour l'Islam le prophète Mohammed apparaît comme le dépositaire du message de Dieu, celui à qui Dieu parle en premier6(*). Il en est de même pour le bouddhisme. Gautama est considéré comme le maître. Illuminé, il montre le chemin aux autres. Tandis que pour le chrétien, en Jésus-Christ, le messager et le message se fondent en un. Le Christ est alors le tout de la foi chrétienne. A la différence des autres traditions religieuses, le christianisme n'est pas « une religion du livre », de la loi écrite mais plutôt d'une personne, le Christ.7(*) La centralité du Christ nous est témoignée avec force dans le Nouveau Testament. En effet, la théologie paulinienne souligne la place du Christ au centre de la foi chrétienne. Le Christ est présenté comme « mystère », héritage fait aux juifs et aux nations (Eph. 3,5 - 7). Il est le « seul médiateur entre Dieu et les hommes » (1Tm. 2,5). Dans la vision paulinienne, le Christ est la réalisation même du projet salvifique de Dieu sur l'humanité : que « tous les hommes soient sauvés » (1Tm. 2,4). La centralité du Christ réapparaît aussi dans le discours de Pierre au Sanhédrin : « il n'est pas sous le ciel d'autre nom donné aux hommes, par lequel il nous faille être sauvé » (Ac 4, 12). On pourrait aussi citer les grandes hymnes de Paul par exemple l'hymne trinitaire de Eph. 1, 3-13 ou encore l'hymne christologique de Col. 1, 15-20. L'on peut aussi mentionner d'autres textes néo-testamentaires, où Jésus apparaît de manière aussi claire comme le sauveur de l'humanité : Jn 3, 17 ; Ac. 10,44-48 ; 17,24-31. Alors, que disent les Pères à ce propos ? Nombreux, tel A. Grillmeier8(*) sont les auteurs qui ont traité de la question christique dans la tradition post-apostolique. En général, il est constaté que ces auteurs n'ont pas posé de question de l'« unicité » du Christ. Ils ont plutôt mis l'accent sur le Christ « sommet » de tout et sur le Christ comme celui vers qui le tout doit converger. Pour J. Dupuis, l'absence bien qu'étonnante de la question de l' « unicité » du Christ chez les Pères peut cependant se justifier. En effet, à l'époque patristique, la question de l'unicité de Jésus-Christ sauveur universel n'est pas encore au centre de toute discussion théologique, au centre de la foi. A cette époque les débats théologiques sont davantage tournés vers la question de l'identité personnelle du Christ. « Un point paraît clair en ce qui a trait à l'attitude des Pères au sujet de l'unicité de Jésus-Christ : elle est la pierre de touche de tout l'édifice de la foi chrétienne, partout impliquée dans l'élaboration de la doctrine »9(*). Pour les Pères, la raison de l'unicité de Jésus-Christ est intrinsèque à la nature des exigences de l'économie de l'incarnation. Cette auto-communication divine ne pouvait qu'avoir des répercussions cosmiques. Qu'en est-il alors du christocentrisme dans la tradition ecclésiale récente ? J. Dupuis reconnaît que le concile a bel et bien évolué au cours de ses sessions vers un christocentrisme et une pneumatologie plus nets. Cela apparaît dans la constitution pastorale Gaudium et Spes. Toutefois, la centralité du Christ y reste fortement soulignée : « le Seigneur est le terme de l'histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous les coeurs et la plénitude de leurs aspirations »10(*). Par ailleurs, dans la constitution dogmatique Lumen Gentium, le Christ s'offre comme lumière des nations. Bien que resplendissant sur le visage de l'Eglise, le Christ lumière veut illuminer tous les hommes. L'Eglise, « pour sa part, est dans le Christ comme un sacrement ou, si l'on veut, un signe et un moyen humain » (L G n°1). Le concile, dans une fidélité créatrice, voulait avec plus de précision livrer aux fidèles et à l'humanité entière la vraie nature de l'Eglise et de sa mission universelle. « Il importe en effet que la communauté humaine, toujours plus étroitement unifiée par de multiples liens sociaux, techniques, culturels, puisse atteindre également sa pleine unité dans le Christ » (LG n°1). Comprendre l'Eglise comme « sacrement universel du salut », c'est tout d'abord souligner avec force la place du Christ comme étant « le salut lui-même ». En ce sens, pense J. Dupuis, l'Eglise est elle-même « sacrement du Christ ». Autrement dit, cette définition invite au décentrement radical de l'Eglise : « elle se trouve désormais entièrement centrée sur le mystère de Jésus-Christ. Lui est, peut-on dire, le mystère absolu, elle, au contraire, est mystère dérivé et relatif. »11(*) Pour J. Dupuis cette définition qui consigne à l'Eglise sa vraie place de « sacrement du Christ » est porteuse d'une richesse théologique considérable. Car, non seulement elle mène à son terme toute conception de l'incarnation, évitant ainsi toute « inflation ecclésiologique », mais aussi débouche sur une perspective christocentrique où l'approche ecclésiologique traditionnelle semble être dépassée. La centralité du Christ ainsi replacée au coeur de la démarche dans la foi chrétienne se doit d'être discutée, dans un contexte plus large : le contexte oecuménique et celui de la théologie des religions. * 6 « En premier » ici, n'a son sens que par rapport aux fidèles post-Mohammed. Car selon la doctrine musulmane, Dieu a parlé en premier à Adam et toute une série de prophètes. Dans cette logique, Mohammed est le dernier dépositaire de la parole de Dieu. * 7 H. Küng, Etre chrétien, Paris, Seuil, 1978, pp. 238-239. * 8 Aloys Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrétienne. De l'âge apostolique à Chalcédoine (451). Paris, Le Cerf, 1973. * 9 J. Dupuis, « The Uniqueness off Jesus Christ in the Early Christian Tradition », dans « Religious Pluralism », Jeevadhara, n.47 (Sept-Oct. 1978), pp. 406-407. Cité par J. Dupuis, Op., Cit., p. 121. * 10 Paul VI allocution du 3 février 1965 : Osservatore Romano, 4 fév. 1965. Cité dans Vatican II, les Seize documents conciliaires p. 237. * 11 Jacques Dupuis, Jésus-Christ à la rencontre des religions. Desclée, Paris, 1989, p. 122. |
|