2.2.1. La compassion de l'Eglise-famille dans le deuil de
ses membres
La compassion à l'image de celle du Christ à
l'égard des personnes éplorées doit être non
seulement l'attitude fondamentale des chrétiens mais surtout celle de
toute l'EgliseFamille, solidaire de la peine qui frappe tous ses membres.
2.2.1.1. La compassion de Jésus comme
modèle de vie
La compassion de Jésus pour les personnes
endeuillées comme à Béthanie (Jn 11, 1- 44) ou à
Naïn n'est plus à démontrer340. Lc 7, 11-16 nous
montre bien le Christ éprouvant de la pitié pour une pauvre veuve
qui portait en terre son fils unique fauché dans la fleur de
l'âge. Il fait arrêter les porteurs du cercueil, dit à la
veuve « Ne pleure pas » (v.13) et d'une parole, il
ressuscite l'enfant et le donne à sa mère. Cette
résurrection du fils de la veuve de Naïn a abouti à cette
belle confession de foi des témoins : « un grand
prophète s 'est levé parmi nous et Dieu a visité son
peuple » (v.16). C'est la même compassion du Christ qui conduit
à la même foi les témoins de la résurrection de la
fille de Jaïre en Mc 5, 21-43 avec les parallèles
339 Dans notre problématique de départ (cf. Supra,
p. 6), nous nous interrogions déjà sur le comportement
adéquat du chrétien face à l'épreuve de la mort et
du deuil. Nous proposons ici une réponse à cette question en
partant de l'exemple du Christ tel que nous l'avons découvert à
travers l'analyse exégétique et l'hermeneutique africaine lobi de
l'épisode de Lazare en Jn 11, 1-44. Notre proposition pastorale
s'adresse à l'ensemble de l'Eglise mais aussi à chaque
chrétien, en particulier, appelé à suivre le Christ,
chemin, vérité et vie (cf. Jn 14,6).
340 Cf. Supra, 1.2.4.4. Le trouble de Jésus devant la
mort, pp. 50-52.
en Lc 8, 40-56 et en Mt 9, 18-26. Tous les quatre
évangélistes ont tenu à nous présenter un tel
visage compatissant de Jésus, le Maître de la vie. Il est en cela
un modèle pour l'Eglise ou pour la communauté
chrétienne341.
Alors, la première attitude à recommander
à l'Eglise et à chaque chrétien en face du deuil, dans la
société des Lobi, c'est la compassion à l'image du
Maître. Cette compassion se montrera visible dans le déplacement
et la participation des chrétiens aux funérailles des hommes et
femmes de toute religion et de toute condition sociale. Car il ne s'agit pas
d'assister seulement aux funérailles des chrétiens. Cette
compassion de l'Eglise passe par des gestes concrets de solidarité dans
la peine de la part de ses membres : présence, pleurs, dons, soutiens
pour les dépenses diverses, conseils, consolation, amour, tendresse etc.
Mais les chrétiens devront garder en tout leur identité sans
compromission dans des cultes qui peuvent aller à l'encontre de leur foi
au Dieu de la vie. Le soutien de l'Eglise-Famille les aidera dans ce sens.
2.2.1.2. Le rôle de l'Eglise-Famille dans la
célébration des funérailes
Pour le cas surtout des funérailles
spécifiquement chrétiennes, il convient que la communauté
chrétienne se manifeste comme Eglise-Famille. En milieu lobi, les
funérailles concernent des familles claniques ou alliées, des
villages et même des régions entières. Le lieu des
funérailles est le rendez-vous par excellence où la
communauté chrétienne peut se montrer réellement comme
famille. Les funérailles ne devraient pas relever uniquement et avant
tout du ressort des familles naturelles et claniques. Le chrétien
baptisé en Christ est membre d'une grande famille qui est l'Eglise. Ses
obsèques doivent avant tout être dirigés et
célébrés par cette famille. Il est donc hors de question
qu'un père des funérailles342 soit un membre
extérieur à la communauté chrétienne. Si le
père géniteur est absent ou s'il n'est pas chrétien, le
parrain de baptême ou un responsable de la communauté
chrétienne est bien désigné pour jouer ce rôle
essentiel dans la célébration des funérailles en contexte
lobi. C'est lui qui précisera tout ce qu'il est permis de faire pour
mieux `mettre en route' son fils sur le chemin qui conduit à la maison
du Père Eternel. S'il est donc vraiment chrétien, il saura
conduire en toute responsabilité les funérailles
sans syncrétisme et sans maladresses culturelles.343
Dans ce sens, les chrétiens lobi ont besoin donc
d'être bien formés à cela par une bonne
catéchèse inculturée (une double inculturation même,
celle qui tient compte de leur culture traditionnelle encore vivace et de celle
du monde globalisé qui les enserre chaque jour un peu plus). Ainsi, ils
se sentiront réellement membres d'une même famille en Eglise et
alors solidaires dans la joie comme dans l'épreuve du deuil. C'est
là qu'il faut vivre concrètement notre option fondamentale
d'Eglise africaine qui se veut une véritable
Eglise-Famille344. En Afrique, bien plus chez les Lobi, tout deuil
rassemble, unit, réconcilie et ressoude les membres d'une même
famille entre eux et avec ceux qui sont partis dans l'au-delà, cet
au-delà qui est chez Dieu selon notre foi
chrétienne345. C'est le lieu de vivre réellement notre
communion avec les saints. Seule une telle solidarité véritable
entre le ciel et la terre pourra exorciser la peur de la mort chez les hommes
lobi.
2.3. Vaincre la peur de la mort
Le Lobi a touj ours une peur de la mort à cause de son
caractère irréversible et dramatique. Sa société a
élaboré des rites pour exorciser cette peur. Si nous rejetons en
tant que chrétiens ces différents rites que nous
caractérisons de superstitieux, il nous faut les remplacer par des rites
qui sauvent réellement le chrétien lobi du choc psychologique que
provoque toute mort.
343 Nous ne pensons pas utile de citer ici des interdits pour
les chrétiens en pareille circonstance. Notre religion se doit de
dépasser l'image d'une religion uniquement d'interdits. Cela ne rend pas
responsables les chrétiens. Et la déprime de la
société occidentale actuelle qui a eu ras le bol des interdits
moyenâgeux est là pour nous en convaincre. Cela a donné
lieu à tout ce mouvement social de mai 68 en France avec ce slogan
malheureux : il est interdit d'interdire...
344 Pour saisir l'ecclésiologie de l'Eglise-Famille, on
peut se référer ici à l'Exhortation post-synodale
Ecclesia in Africa du pape JEAN-PAUL II au n° 63 : « Non
seulement le Synode a parlé de l'inculturation, mais il l'a
appliquée en prenant, pour l'évangélisation de l'Afrique,
l'idée-force de l'Église Famille de Dieu. Les
Pères y ont vu une expression particulièrement appropriée
de la nature de l'Église pour l'Afrique ». Dans ce sens, on lira
avec profit l'oeuvre de R. HOUNGBEDJI, L 'Eglise-famille en Afrique selon
Luc 8, 19-21- Problèmes de fondements, Fribourg, Université
de Fribourg, 2006. Voir aussi sur le sujet : A.E. OROBATOR, The Church as
Family. African Ecclesiology in Its Social Context, Nairobi, Paulines
Publications Africa, 2000, 184p. ; J.-M. KUSIELE DABIRE, L 'Eglise-Famille
de Dieu (Approche théologico-doctrinale et pastorale), Imprimerie
de la Savane, Bobo Dioulasso, 1992 ; J.-M. KUSIELE DABIRE, Le sacrement de
confirmation, thèse de doctorat, Paris, Juin, 1985 ; B. D. YANOOGO,
Eglise-Famille au Burkina Faso. Contribution théologique et
perspectives pastorales, Abidjan, ICAO, 1991 ; A. QUENUM et J.-M. KUSIELE
DABIRE, Eglise Famille de Dieu. Chemin de fraternité en Afrique.
Essai de réflexion théologique inculturée, Abidjan,
UCAO, 2004.
345 Cf. J.M. ELA, op. cit., p. 42.
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