CONCLUSIONS ET SUGGESTIONS
Cette étude avait pour question centrale de savoir en
quoi les déséquilibres quantitatifs et qualitatifs
observés dans la répartition des enseignants du secondaire au
Cameroun pouvaient s'expliquer par le cadre organisationnel, le comportement et
les outils de gestion.
1-Les conclusions
1.1- L'organisation
Les principaux obstacles à la gestion rationnelle du
personnel ne
résident, selon l'avis des enquêtés, pas
dans les réglementations mais dans l'organisation de la prise de
décision et outils sur lesquels elle s'appuie.
1.1.1- La prévision des besoins
Les problèmes de prévision correcte des besoins
sont liés à :
- la difficulté d'obtenir une estimation valide et
fiable des besoins réels en enseignants par les chefs
d'établissements scolaires ; il est à noter que ceux-ci ne
disposent pas d'un dispositif approprié de contrôle, d'orientation
et d'incitation ;
- la négligence des aspects qualitatifs dans la
prévision des besoins ; il s'agit ici de la qualification des
enseignants.
1.1.2- Les affectations et mutations
La procédure de mutation et d'affectation est bâtie
sur une longue
chaîne de décision qui se caractérise par
:
- une multiplicité des relais et intervenants ;
- un manque de liaison fonctionnelle entre la Direction des
Ressources Humaines (DRH) et la Division de la planification et de
l'orientation Scolaire (DPOS).
Ceci explique les lourdeurs et le manque de transparence
critiquée par les enseignants.
2.2- Les outils de gestion
En ce qui concerne les outils de gestion, l'enquête
auprès des gestionnaires révèle notamment que :
- une panoplie d'outils pour assurer une gestion rationnelle
des ressources humaines existe (fichier du personnel, Plan de
développement des ressources humaines, etc, ) ;
- des outils clefs souffrent de faiblesses affectant la
rationalité de la GRH, en particulier :
i. les fichiers concernant le personnel enseignant ne sont
pas intégrés, et n'incluent à présent, pas les
éléments du parcours de formation et professionnel de
l'enseignant permettant une bonne prise en compte d'aspects qualitatifs dans
son affectation et mutation ;
ii. les plans de formation concernant les
gestionnaires des ressources humaines dans l'Education nationale partent
davantge des besoins des gestionnaires individuels que des besoins en
compétences de la structure/ du service en charge des fonctions de
GRH.
2.3- Les appréciations des enseignants
L'enquête auprès des enseignants revèle que :
- les enseignants en zone rurale (qui sont du reste
majoritaires dans notre échantillon) souhaitent en grande
majorité partir de leur poste actuel pour un poste en zone urbaine.
Parmi les motivations mentionnées par les enseignants, l'accès
à certaines commodités et offres scolaires pour leurs enfants et
les possibilités d'activités et de revenus extra- professionnels
arrivent en tête ;
L'instabilité du corps enseignant en zone rurale risque de
durer à défaut d'une politique conséquente de
développement rural ;
Le recrutement et les promotions ne font guère l'objet
de critiques de la part des enseignants alors que les mutations le sont
fortement ; en particulier l'application de certains critères
(regroupement familial) n'est pas jugée objective dans de nombreux cas,
ce qui favorise les sur effectifs en zone urbaine.
Par ailleurs, l'application d'une mutation « sanction
» (qui n'est pas formalisée dans les textes) est critiquée.
On peut supposer qu'elle contribue à affecter la qualité du
personnel enseignant dans les zones défavorisées où les
« mutés » pour des raisons de sanction ont tendance à
se retrouver.
Deux tiers des interrogés doutent de
l'objectivité de décisions d'affectation et de mutation. Une
majorité d'entre eux ont essayé d'utiliser eux- mêmes des
relations personnelles ou des négociations avec les services
responsables pour des décisions d'affectation ou de mutation les
concernant. En plus, ils ne se sentent pas associés à la
préparation des affectations et mutations ; ils les subissent.
encadreurs placés dans l'établissement. Ce
manque d'opportunité de soutien « sur place » affecte
particulièrement les perspectives d'amélioration de la
qualité des enseignants et et des enseignements en zone rurale.
2- Les suggestions
Au terme de l'analyse de ces faiblesses, quelques suggestions
sont formulées et susceptibles d'être utilisées pour
améliorer la gestion des enseignants du secondaire.
2.1- Le développement local et rural
La réalité des postes de travail permet de les
catégoriser globalement en deux zones : urbaine facile et rurale
difficile. Il se dégage de la perception que les enseignants se font de
ces zones qu'il est plus commode de travailler en zone facile qu'en
zone difficile. De façon générale, les zones
défavorisées ont tendance à accueillir les enseignants les
moins expérimentés . Ce qui fait la différence entre les
zones ne relève pas de la compétence unique du Ministère
de l'éducation nationale. Les éléments de cette
différence sont composés des commodités relevées
lors de l'analyse des motivations26 liées aux
préférences des localités, à savoir la
disponibilité de l'eau potable et de l'électricité,
l'accès aux services de santé, la disponibilité de moyens
de communication et l'accès au produit de la technologie.
Au contraire, plusieurs acteurs qui opèrent dans des
sous secteurs différents pourraient intervenir en synergie pour
atténuer cette différence.
26 Voir Chapitre IV.2.1
Leur intervention porterait sur la création des voies
de communication et des structures médicales, la production d'eau
potable et d'électricité. Faute de pouvoir disposer de ressources
nécessaires pour résoudre ces problèmes, il est opportun
d'envisager des solutions au niveau individuel. Il s'agit de proposer aux
enseignants appelés à exercer en zone difficile des mesures qui
sans pallier à l'absence des commodités, permettraient tout de
même de gérer cette absence.
Pour remédier aux problèmes posés par les
différences des difficultés de vie des enseignants entre les
zones, deux types de mesures incitatives sont à considérer ;
elles ont trait à la carrière et à la
rémunération. En fixant une durée minimum de séjour
à un poste dans une zone difficile, il peut être
associé à cette durée un système
d'accélération de carrière qui permet à
l'enseignant de bénéficier d'un avancement plus tôt que son
collègue exerçant en zone facile. Le deuxième
type de mesure ayant trait à la rémunération à
envisager dans une perspective de motivation des enseignants au Cameroun est de
joindre au salaire de l'enseignant des zones difficiles une prime compensatoire
des privations vécues.
2.2- La réduction des
disparités
Les disparités observées entre
différentes provinces peuvent être réduites entre autres
par la rationalisation de la mobilité. Elle ne signifie pas
l'établissement d'une certaine égalité dans l'allocation
des enseignants entre les provinces, ce d'autant plus que les unes ont des
besoins en enseignants plus importants que ceux des autres. Elle signifie par
contre l'intégration de la préoccupation de
l'équité dans l'allocation des enseignants ; il conviendrait d'en
donner plus à celles dont les besoins sont les plus importants, de
procéder à une répartition discriminante.
En formation initiale, la gestion prévisionnelle est la
plus en vue car en puisant les informations de la base de données, il
est possible de cerner le taux de sortie du stock net des enseignants. Il
s'agira de calculer et d'utiliser les indicateurs de flux27. En
utilisant ces indicateurs auxquels on adjoint la pyramide des âges, la
projection des besoins en ressources humaines par discipline peut se
réaliser et servir d'arguments à l'expression des besoins de
formation à l'Ecole Normale supérieure (ENS).
2.3- L'organigramme
L'organigramme du Ministère de l'éducation
nationale donne une description des structures , unités
opérationnelles, auxquelles sont associées des fonctions et des
tâches. La même fonction peut à présent être
partagée par plusieurs structures, avec le risque de
générer des erreurs d'interprétation du texte organique.
Dans le cas d'espèce, la compréhension des fonctions en
matière de gestion des ressources humaines mérite d'être
davantage facilitée au niveau de toutes les structures
impliquées. Il serait opportun d'accompagner l'organigramme de textes
moins généraux qui permettraient aux responsables de cerner
effectivement leurs fonctions et celles des autres structures avec les quelles
ils sont appelés à collaborer.
27 le taux de départ à la retraite par discipline ;
le taux annuel de décès par discipline ; le taux de demande de
détachement.
2.4- La formation des gestionnaires
Il semble aussi nécessaire d'offrir de façon
systématique une formation complémentaire en gestion des
ressources humaines aux enseignants ayant une certaine ancienneté. Cette
formation permettrait de palier aux difficultés rencontrées en la
matière aussi bien dans les services centraux que dans les structures
décentralisées de gestion.
Certaines dispositions de l'organigramme laissent entrevoir la
constitution d'un réservoir de compétences ou liste
d'aptitude dans lequel on rechercherait les ressources humaines
nécessaires et adaptées en fonction du poste de travail ou de
responsabilité à pourvoir. Ce réservoir de
compétences s'alimenterait d'enseignants :
- issus des écoles de formation,
- ayant participé à un séminaire,
- ayant suivi un stage ou une formation complémentaire.
Il s'agit ici de prendre en compte toute forme de
développement personnel qui renforce les capacités de
l'enseignant, capacités susceptibles d'être utiles à la
gestion du système éducatif, au-delà des activités
pédagogiques. La liste d'aptitude est un fichier d'enseignants qui
remplissent les conditions minimales réglementaires pour aspirer
légitimement à un poste de responsabilité. Le jugement
mitigé que les enseignants se font de la GRH se trouverait
modifié si cette liste d'aptitude était rendue publique et de
façon périodique. Cette publication donnerait la
possibilité aux enseignants d'être au courant de
l'objectivité dans l'application de la réglementation en
matière de GRH.
2.5- Participation accrue des enseignants
Parce que le niveau d'intervention de l'enseignant dans le
système éducatif est important (parent, spécialiste d'une
discipline, chef d'établissement, responsable de la mise en oeuvre de la
politique éducative dans les salles de classe), il est de fait dans les
questions de GRH, même sans y être associé. Pourtant, dans
une approche participative, il pourrait bien contribuer à la
préparation de la prise de décision.
Pour toutes ces raisons, il convient de remarquer que
l'enseignant est un véritable acteur du système qui contribue
effectivement à la mise en oeuvre des politiques. Sa participation aux
processus de prise de décision de mutation pourrait s'organiser de
façon rationnelle. L'action est organisée sur la base de
l'information disponible sur le système. La possession ou non de la
bonne information dote l'acteur d'une capacité réelle ou fictive
d'agir sur le système. C'est pourquoi, envisager la participation des
enseignants à la préparation des prises de décision sans
qu'ils disposent de l'information pertinente ne peut pas efficacement se
réaliser.
Par ailleurs, mobilisés au sein d'organisations
syndicales, les enseignants peuvent mieux se faire entendre et veiller à
l'application objective de la réglementation. Leur participation
à la préparation de la prise de décision pourrait se
réaliser au sein des commissions ad hoc chargées des questions de
mutation et affectation.
2.6- Amélioration des outils de la GRH
En nous référant aux principales dimensions de
la gestion des ressources humaines28, les outils peuvent être
élaborés en conséquence. La démarche
d'élaboration de l'outil d'identification des besoins est
suggérée dans l'annexe 7. Il s'agit de combiner la demande
d'éducation en termes d'effectifs à scolariser avec les normes
nationales (taille du groupe classe, volume horaire par discipline et
obligation hebdomadaire de l'enseignant) pour établir les besoins
réels en enseignants.
Par ailleurs, l'évaluation des ressources humaines se
réalise à l'aide de plusieurs outils, entre autres la base de
données, les pyramides d'âge, les tableaux de bord, outils qui
permettent de calculer des indicateurs. Tous ces outils contribuent à
former le système d'information du ministère. Une base de
données unique pour tous les utilisateurs potentiels du Ministère
de l'Education Nationale serait fortement conseillée.
L'exploitation d'une base de données
intégrée permettrait l'établissement de différents
tableaux de bord avec un certain nombre d'indicateurs utiles en GRH.
De façon schématique, les différentes
structures qui interviennent dans la gestion des enseignants, articulées
avec leurs missions principales et les principaux fichiers utilisés
peuvent être représentées comme ci- dessous.
Inspection Générale de Pédagogie
Secrétariat Général
Liste d'aptitude
DPOS
Gestion des formations
Gestion des emplois
Gestion des postes
Gestion des carrières
DRH
DESG
Dans un contexte de gestion intégrée de
ressources humaines, les structures qui interviennent dans l'opération
utilisent les mêmes données de base dans des perspectives
différentes : gestion et planification. Elles ont toutes accès
à la Base de données Ressources Humaines. La mise en
oeuvre de cette base de données incombe à la Direction des
ressources Humaines (DRH) et à la Division de la Planification et de
l'Orientation Scolaire (DPOS).
Parallèlement, le Fichier des
établissements, élaboré par la Direction de
l'Enseignement Secondaire (DESG) est mis en relation avec la Base de
données Ressources Humaines pour la gestion des emplois et des
postes de travail. La gestion des formations et l'élaboration des Listes
d'aptitude par le Secrétariat général, la DRH et les
Inspections
Générales de Pédagogie (IGP) se font en
tenant compte des informations liées au personnel et contenues dans la
base de données.
En somme, pour parvenir à une gestion plus rationnelle
et efficace du personnel enseignant au Cameroun, plusieurs facteurs sont
à mettre en synergie : les textes réglementaires, la technologie,
les ressources humaines, les pratiques professionnelles et le politique.
Les textes réglementaires de la GRH au Ministère
de l'Education nationale nécessitent d'être davantage
expliqués aux gestionnaires pour garantir leur parfaite
compréhension, afin de réduire sinon annuler toute
interprétation équivoque, source de double emploi. La stricte
mise en application de ces textes conduirait à transformer l'image que
les enseignants ont de leur administration centrale, notamment en ce qui
concerne la GRH. A titre d'illustration, la publication annuelle des listes
d'aptitude diminuerait sinon supprimerait l'opacité de l'environnement
de la mobilité interne. Cette opération n'affecte en rien les
attributions des responsables.
Les fichiers de personnel classiques sur chemises
cartonnées ou sur tableau mural ont fait leur temps ; ils ne se
prêtent pas facilement aux mises à jour. Les produits de la
technologie offrent la possibilité de concevoir, gérer et mettre
à jour les bases de données sur le personnel avec moins de
difficultés et de risques. Il semble donc opportun de doter les
structures chargées de la GRH d'équipement informatique
approprié.
Au delà de l'équipement informatique, un
renforcement des capacités est nécessaire en gestion des
ressources humaines et en gestion de bases de données. La base de
données élaborée comportera des informations
actualisées sur le personnel et sur les postes de travail. La
définition des
postes de travail pourrait se faire en collaboration avec la
DESG, structure en charge de la gestion des établissements secondaire
général qui a les données actualisées sur le nombre
de divisions par année d'étude de chaque classe. L'estimation des
besoins réels en personnel enseignant, tâche à
réaliser en collaboration avec la DPOS, repose sur la demande
d'éducation, calculée à partir des effectifs
scolarisés et combinée avec les normes nationales. Toutes ces
actions supposent une collaboration active entre la DRH, la DESG et la DPOS.
La disponibilité de ces données outille la DRH
à pouvoir opérer un changement dans ses pratiques
professionnelles habituelles : passer de la gestion des personnels à la
gestion des postes de travail. La gestion des postes de travail voudrait que la
décision ne soit plus préparée du point de vue des
enseignants, mais principalement à partir des postes de travail non
pourvus. L'état des lieux des postes de travail fait ressortir les
postes libres (non pourvus, abandonnés, non attractifs) sur la base
desquels des propositions d'affectation et de mutation sont à soumettre
à la sanction du ministre. La gestion du travail voudrait aussi que la
mobilité externe des enseignants s'accompagne d'une libération
des postes budgétaires ; un enseignant promu dans une structure autre
que celles du Ministère de l'Education est appelé à
émarger sur le budget de la structure d'accueil. Dans cette logique de
gestion des postes de travail, la consommation des ressources
budgétaires du Ministère de l'Education sans occuper le poste de
travail sera à proscrire.
Quant au politique, la gestion des résistances
liées à la mise en oeuvre d'un système de gestion des
ressources humaines « inhabituel » devra être une
préoccupation permanente. La formation n'étant pas suffisante
pour induire un changement de mentalité de la part des personnels en
charge de la GRH, des actions de sensibilisation sur les
nouvelles pratiques sont à envisager. D'autre part, les suggestions
ayant une incidence budgétaire ou un effet sur la carrière des
personnels relèvent aussi de la volonté politique.
|