1-3 Les habitants et la volonté de
modernisation
Les habitants qui sont favorables aux transformations urbaines
ne souhaitent pas une ville totalement nouvelle au niveau de son architecture
mais veulent au contraire qu'apparaissent les différents styles
architecturaux des époques antérieures. La reconquête du
centre-ville ne doit pas être conçu comme une rupture avec le
passé ni comme un rejet de la tradition mais comme une cohabitation
entre l'ancien et le moderne :
« Je ne comprends pas vraiment ceux qui sont
contre le projet Monet Cathédrale car il est certes moderne mais cela ne
fait qu'un style de plus sur la place. Cette place est tellement faite de
styles différents que rien ne peut choquer. Le Palais des Congrès
représente l'architecture des années 70. C'était de toute
façon en inadéquation avec la cathédrale »,
(Nicolas, dentiste, entretien n°1).
J'avais d'ailleurs noté lors de mes
observations et de mes recherches la pluralité architecturale des
bâtiments de la place de la Cathédrale.
La cathédrale est une architecture du style roman,
essentiellement du gothique, et approchant la Renaissance. Les trois premiers
étages de la tour St Romain date du XIe et XIIe siècle ; sur
la gauche de la façade, est d'un style gothique et contraste avec la
tour de Beurre, située à droite. D'un côté, une
froide simplicité des lignes ; de l'autre, une richesse
décorative tout à fait caractéristique du gothique
flamboyant. Par ailleurs, la Cathédrale dans son ensemble, est un
bâtiment que la critique pourrait légitimement qualifier
d' « arrogant » pour la ville, dans la mesure
où l'édifice prétend dominer la ville.
Les magasins du Printemps datent de 1928. Ils ont
été deux fois transformés, en perdant leurs
caractéristiques d'origine. En 1981, ont été
supprimées des menuiseries qui donnaient une échelle au
bâtiment, et évidemment des ouvertures qui se sont
révélées désastreuses, dans la mesure où
elles ont fait perdre au bâtiment son caractère originel. Le
rehaussement d'un étage neuf a révélé un toit sans
détails, qui est hors de proportions avec le bâtiment.
Le bâtiment de la « pharmacie du
centre » est de style art décoratif, mais d'une
expression et d'un style assez rigide et il ne montre pas une qualité
esthétique.
Face au site du projet Monet Cathédrale, dans la rue
Saint-Romain, il existe encore une des rares maisons du XVe siècle de la
ville de Rouen.
Cette rue, qui donne sur le projet, montre que la structure de
ses maisons à pans de bois, ne serait-ce que par la présence de
ses encorbellements, est formellement très différente de ses
vis-à-vis. L'unité architecturale de cet espace et de cette rue,
si elle existe, repose sur le simple fait que les matériaux
utilisés sont les mêmes et non sur une unité
architecturale.
Le sud de la Place de la Cathédrale est ourlé de
bâtiments de la Reconstruction (années 1950), dont la facture et
la modénature n'est pas différente sur cette place que dans le
reste de la ville, témoignant ainsi de leur indifférence à
l'espace majeur de la ville au bord duquel ils sont bâtis.
Le Bureau des finances, siège des trésoriers
généraux de France, construit à l'angle de la rue du
Petit-Salut, aligne des arcs surbaissés surmontés d'un entresol
à l'italienne, décoré de feuillages soutenus par des
angelots. Le premier étage, en revanche, est percé de grandes
fenêtres sans meneau central. Cette superposition témoigne d'un
mélange entre le style gothique et l'art de la Renaissance.
Par son implantation privilégiée, le projet de
construction en cause doit également amorcer une transition entre le
fond de la place formée notamment par les bâtiments du Printemps,
de la Pharmacie et de l'Office du Tourisme et la Cathédrale
située en vis-à-vis.
La réponse apportée par l'architecte du
XXIème siècle, pour assurer cette transition, est de créer
une double peau vitrée en façade principale Sud soutenue par une
trame métallique verticale. La densité de cette trame s'estompe
dans les niveaux supérieurs, participe et prépare ainsi à
l'important effet d'élancement de la cathédrale située
à proximité immédiate.
Maquette de l'Espace Monet Cathédrale
vue de la rue du Gros Horloge
Les vitres permettront d'apercevoir la cathédrale en
reflet, comme pour le projet que J.P Viguier a fait à Reims.
La Cathédrale de REIMS
L'architecte avait rencontré des habitants inquiets qui
avaient l'impression que le dossier de la médiathèque
n'était pas réfléchi. Mais avec le recul, les habitants
sont très heureux du rendu. L'incorporation d'une architecture moderne
sur le site du parvis de la Cathédrale n'a pas entraîné un
éclatement de l'architecture mais au contraire une transformation douce.
Le reflet de la Cathédrale gothique dans la médiathèque en
verre juste en face est un mélange qui plait beaucoup aux habitants et
aux touristes.
En conclusion, les styles de la place de la Cathédrale
ne peuvent en aucun cas être dit unitaires, ni même
cohérents. Il s'agit, pour l'architecte de produire la meilleure
expression de l'architecture de son époque.
Vu la diversité architecturale, faire un immeuble en
colombage pour l'espace Monet Cathédrale n'aurait pas de sens. Pour les
adeptes de la modernité, ce serait reculer d'un pas. Ils
conçoivent le patrimoine dans son aspect dynamique et dans son
intégration au projet urbain.
Envisager sa démolition n'est contesté par
personne. Son remplacement par un édifice neuf, contemporain, ne peut
être considéré que comme un progrès, voire un
embellissement du site.
Les personnes qui se situent dans cette perspective me font
infirmer ma première hypothèse car elles voient à travers
les modifications spatiales une formidable avancée. Pour elles,
l'identité de « ville d'histoire » de Rouen n'est en
rien remise en cause car tous les monuments historiques restent
inchangés et constituent la mémoire historique. Les nouveaux
bâtiments construits révèlent une nouvelle période
architecturale et les oeuvres récentes doivent cohabiter avec les
monuments historiques.
A travers les deux types de réactions face à
l'évolution du patrimoine Rouennais, nous ne pouvons répondre
catégoriquement à ma première hypothèse. L'analyse
ne permet pas en effet de dire si les habitants s'identifieront ou pas au
nouveau lieu car ils disent ce qu'ils pensent ressentir mais seul le temps
permet d'assurer que l'oeuvre contemporaine pourra rétrospectivement
être admiré comme un succès, une banalité ou un
échec.
La moitié des personnes réticentes à un
projet moderne ne savent pas comment ils vont réagir face au
bâtiment lorsqu'il sera construit. Mais ceux qui disent qu'ils ne se
l'approprieront jamais ne seront finalement peut-être pas si
mécontents du résultat. Les surprises de pérennité
face aux critiques destructives sont nombreuses dans ce domaine. Par exemple,
la Tour Eiffel est parmi les édifices exceptionnels qui ont
été décriés, alimentés par des
pétitions négatives alors qu'elle est devenue un des
emblèmes de France et que le temps nous présente aujourd'hui
comme exceptionnellement réussi. Mais à quelques exceptions
près, l'architecture moderne n'a pas réussi à
acquérir une valeur patrimoniale.
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