Enjeux politiques et sociaux d'un changement spatial( Télécharger le fichier original )par Audrey LELONG Université de Rouen - Master 2001 |
1-2 Les associations de sauvegarde du patrimoine et les attentes des habitantsCeux qui sont attachés au patrimoine militent pour la sauvegarde du patrimoine Rouennais et sont pour la plupart inscrits dans des associations qui défendent le patrimoine. Ces associations sont fréquentées la plupart du temps par des acteurs ayant des caractéristiques communes. Je me suis basée sur l'association « P'tit Pat Rouennais » pour mes observations. Il s'agit d'une association de personnes enthousiasmées par le patrimoine Rouennais, dont l'objectif est de veiller à la sauvegarde et à la mise en valeur de tous les éléments du petit patrimoine situé sur le domaine privé ou public de la ville. Beaucoup de membres de cette association sont retraités, soit plus de 60% de l'ensemble des adhérents. Que ce soit les retraités ou les actifs, qui représentent 30% de l'association, leurs métiers expliquent leur implication pour le patrimoine (professeur d'histoire, gardien de musée, photographe, journaliste...). Tous sont passionnés par l'histoire de la ville et de la Normandie ; et Rouen étant chef-lieu de la région Haute-Normandie et du département de la Seine-Maritime, ils militent pour conserver la mémoire normande. Enfin, dans l'association on trouve 10% d'étudiants qui sont tous en Master d'histoire ou de géographie. Ils sont les plus actifs des membres car ils ont créé le site de l'association, un blog photo sur les monuments Rouennais. Même s'ils sont une minorité, on voit chez eux un attachement au patrimoine : « Ca me révolte qu'on puisse de nos jours détruire le passé sans remord et qu'on fasse pousser des bâtiments « fashions », loin de procurer les émotions que nous pouvons avoir devant un monument ancien, gigantesque, rempli de symboles. Oui, le Palais des Congrès est moche. Et alors ! C'était l'architecture des années 70, pourquoi tout oublier ? » (Laura, 25 ans, Master d'histoire, membre de l'association « P'tit Pat Rouennais », entretien n°7). « Le nettoyage des monuments c'est pareil, c'est pour faire neuf, moderne. Avant, on mettait de l'huile d'olive sur les monuments pour qu'ils se salissent plus vite, comme c'était le cas ici à la Halle aux Toiles » (Nicolas, 28 ans, Négociateur immobilier, membre de l'association « P'tit Pat Rouennais », entretien n°2). La mémoire du lieu et des idéologies passées est essentielle pour les conservateurs du patrimoine. Les réticents à la modernité se disent nostalgiques, ou simplement conscients des époques antérieures : il s'agit pour eux de respecter les valeurs, la mémoire et l'esthétique du lieu. Une ville musée telle que Rouen doit garder une valeur patrimoniale. « Dans la capitale de la Haute-Normandie, si fière de son patrimoine historique, on se souvient encore des tollés provoqués par l'édification du Palais des Congrès en 1976, puis de l'Eglise Sainte-Jeanne d'Arc trois ans plus tard ». (Paris-Normandie, Édition du 10.03.2006). Bien que les habitants se sentent attachés au patrimoine, ils avouent tout de même qu'il faut améliorer cet espace à cté de la cathédrale. Pour ce faire, trois solutions auraient pu les satisfaire. Une première solution consistait à réhabiliter le Palais des Congrès actuel. Cela aurait évité toutes les polémiques sur la façade de l'hôtel Romé à conserver. Le Palais des Congrès étant fermé pour des mesures de sécurité, il aurait été plus simple de faire les travaux nécessaires pour qu'il soit de nouveau fréquentable. Alain Bourdin47(*) montre la différence qu'il y a entre la rénovation et la restauration : Pour lui, la rénovation est négative car elle coûte cher ; il faut démolir et donc commencer par perdre beaucoup de temps. Lorsqu'on commence à construire, on a déjà dépensé beaucoup d'argent : on doit donc faire haut et dense, ce qui entraîne de nouvelles charges. Il considère la restauration comme étant le contraire car elle coûte moins cher, elle permet d'échelonner les investissements dans le temps et rend la spéculation difficile. Une deuxième solution était de faire un jardin à cet endroit. Cette solution n'est pas possible pour des raisons juridiques. Il faut aller voir du côté du droit de la construction pour apprendre que les bâtiments construits à côté d'un monument historique doivent respecter le même cubage, ce qui est le cas pour le projet Monet Cathédrale. Un jardin n'est donc pas possible. Une troisième solution a été de faire circuler une pétition pour demander un référendum qui stipule que « Le Maire de Rouen soutient et impose un projet contre l'avis des Rouennais. Sans concertation, le Maire de Rouen veut démolir le Palais des Congrès et le reconstruire dans un volume identique. La méthode est inacceptable ! Le moment est venu pour tous les habitants de Rouen de se mobiliser ensemble, pour choisir le devenir de ce lieu tant symbolique qu'emblématique de notre ville. Nous demandons à Monsieur le Maire d'organiser cette démarche collective et de solliciter, par un référendum local, l'avis des Rouennais. NON à une reconstruction à l'identique sur la place de la cathédrale, OUI à l'organisation par la ville d'une consultation des habitants ».
Cette catégorie de Rouennais qui se dit attachée au patrimoine et qui est très soucieuse de l'avenir des formes urbaines me fait affirmer ma première hypothèse car ces habitants ont tendance à penser que l'évolution de ces formes urbaines va dénaturer l'identité de la ville et qu'il sera très difficile d'avoir un attachement particulier au "nouveau patrimoine". Le glorification du patrimoine ancien est une certaine forme de production de continuité avec le passé dans une société qui privilégie davantage rupture et innovation que production et tradition. A partir du présent, elle construit un lien avec le passé en décidant de garder des objets qui nous ont été « transmis », pour les transmettre à d'autres à venir. Le patrimoine sert donc à construire du lien social dans le temps. Comme le rappelait l'anthropologue Maurice Godelier : « Il ne peut y avoir de société, il ne peut y avoir d'identité qui traverse le temps et serve de socle aux individus comme aux groupes qui composent une société, s'il n'existe des points fixes, des réalités soustraites (provisoirement mais durablement) aux échanges de dons et aux échanges marchands »48(*). * 47 Bourdin A., op.cit, 1984. * 48 Sciences humaines, op.cit., 2002. |
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