Section 2 : Revue de littérature
Dans la littérature, le lien entre la croissance
sectorielle et la pauvreté est analysé suivant trois grandes
approches : les approches économétriques
(élasticité et multiplicateurs sectoriels), les approches
d'équilibre général (MCS et MEGC), et les approches
basées sur la technique de décomposition de la variation inter
temporelle de la pauvreté.
Les approches économétriques sont
utilisées pour calculer soit des multiplicateurs sectoriels, soit des
élasticités de la pauvreté par rapport à des
paramètres sectoriels de croissance. Block (1999) a utilisé la
méthode des multiplicateurs sectoriels pour montrer que la croissance
dans le secteur agricole est primordiale à la promotion de la
croissance économique en Ethiopie, qui à son
tour permet de réduire la pauvreté. Par ailleurs, Fan & al.
(2000) dans leur analyse ont débouché sur l'importance de
l'amélioration technologique et des infrastructures rurales dans la
stimulation de la croissance et la réduction de la pauvreté en
Inde. Datt & Ravallion (2002) ont montré l'importance de la
décomposition sectorielle de la croissance qui interagit avec les
conditions ou dotations initiales pour expliquer dans quelle mesure la
croissance réduit la pauvreté. En Inde par exemple, la croissance
non agricole était plus pro pauvre dans les Etats initialement plus
éduqués, plus productifs au plan agricole, dotés de terres
et d'un niveau de vie rural plus élevé, présentant moins
de mortalité infantile. De même, Heltberg & Tarp (2002) ont
utilisé la méthode des élasticités pour montrer
qu'au Mozambique les facteurs non-prix tels que le risque, la technologie et
les infrastructures de transport jouent un rôle plus important dans la
stimulation de l'offre et la commercialisation. Dans la promotion d'une
croissance rurale pro-pauvre, il est essentiel de s'attaquer aux
problèmes de risque, de faible productivité et de faibles
dotations en capital du pauvre. De même, des travaux de Warr (2003), il
ressort que les taux globaux de pauvreté dans les pays de l'Asie sont
fortement expliqués par la productivité du secteur agricole, et
qu'il n'y avait aucun impact significatif de croissance du secteur industriel.
Cette désagrégation sectorielle des sources de réduction
de pauvreté a été poursuivie intensivement par Sumarto
& Suryahadi (2003) qui ont utilisé comme indicateur l'indice
numérique de la pauvreté. Ils ont conclu que, approximativement
deux-tiers de la réduction de la pauvreté observée pendant
la période de la croissance la plus rapide des exportations
manufacturées étaient dus à la croissance du rendement
agricole au niveau provincial.
Les approches d'équilibre général
regroupent deux méthodes : les modèles qui s'appuient sur les
Matrices de Comptabilité Sociale (MCS) et les Modèles d'Equilibre
Général Calculable (MEGC). Thorbecke & Jung (1996) ont
développé une méthodologie de décomposition des
multiplicateurs de la MCS en effets d'interdépendance et en effets
distributifs pour l'analyse de la pauvreté. Dans le cas de
l'Indonésie, ils ont montré que la croissance dans les secteurs
de l'agriculture et des services contribuent plus à la réduction
de la pauvreté que le secteur industriel. Toutefois, cela ne peut se
réaliser que lorsque des mesures d'accompagnement de la
croissance telles que l'amélioration du capital humain
des pauvres à travers la formation professionnelle sont mises en oeuvre.
Dansokho (1997), Khan (1999), Cissé & al (2001) ont appliquée
cette méthodologie respectivement au Sénégal ; en Afrique
du Sud et au Burkina faso et ont débouché sur les
résultats selon lesquels la croissance sectorielle agricole est plus
réductrice de pauvreté que celle des autres secteurs de
l'économie. Par ailleurs, Decaluwé & al (1999) et Robillard
(2001) ont montré comment utiliser les modèles d'équilibre
général calculable pour analyser l'impact des mesures de
politiques d'ajustement sur la pauvreté et la distribution des revenus
à travers la micro simulation. Cabral (2004) simule, à l'aide
d'un modèle d'équilibre général calculable
multisectoriel et statique, l'impact de l'Accord agricole sur la
pauvreté et la distribution des revenus en milieu rural au
Sénégal. Il conclut que la mise en oeuvre de mesures
d'accompagnement telles que l'accroissement des dotations en terres et en stock
d'eau d'irrigation permettra une réduction plus importante de
l'incidence de la pauvreté en milieu rural. Boccanfuso & Savard
(2005) ont utilisé un modèle d'équilibre
général calculable multi-ménages intégrés
pour analyser l'impact de la construction d'une autoroute à péage
entre Dakar et Thies au Sénégal sur la pauvreté et les
inégalités. Abdelkhalek & al. (2006) ont montré, avec
un MEGC microsimulé, qu'une politique favorisant le développement
du secteur du tourisme au Maroc a un impact socio-économique
dominant.
Kaboré (2003) propose une décomposition de la
variation inter temporelle de la pauvreté nationale en composantes dues
aux croissances, redistributions et mouvements sectoriels de population. Ses
résultats montrent que la croissance dans les secteurs agricole et
vivrier est nécessaire pour réduire la pauvreté au Burkina
Faso.
Au Bénin, plusieurs études utilisant l'approche
monétaire ont été réalisées sur la
croissance et l'analyse de la pauvreté. Une évaluation des
principales politiques économiques et financières menées
depuis les années 90 a été réalisée par la
CAPE (2002). Il ressort des analyses qu'entre la politique d'augmentation des
dépenses de santé, de l'éducation et la politique
d'augmentation d'investissement en facteur capital dans la branche agriculture,
seule la dernière s'est avérée comme celle qui a
contribué le plus à la réduction de la pauvreté,
même si elle a abouti à une aggravation de la balance commerciale.
Adjovi (2005) a analysé à travers un MEGC l'impact des
Accords de Partenariat Economique sur la pauvreté au
Bénin. Il conclut que la libéralisation progressive des
échanges avec l'UE ne détériore pas le revenu des
ménages. Ceux-ci connaissent un accroissement moyen annuel de 3,6% sur
les dix prochaines années. Mais cette tendance doit être
relativisée puisque par rapport à la situation de
référence, la hausse du revenu des ménages n'est que de
1,9%. Vodounou & al (2006) ont utilisé des données de panel
pour faire une analyse de la contribution de la croissance des dépenses
de consommation des ménages et de la redistribution sur la variation de
la pauvreté. Ils ont montré que l'effet croissance était
relativement favorable mais pas trop suffisant pour contenir l'effet
néfaste de l'inégalité en milieu urbain. En milieu rural
par contre, l'aggravation de la pauvreté est le résultat de
l'insuffisance de la croissance des dépenses moyennes de consommation
des ménages. L'appréciation de la nature de croissance
économique révèle qu'elle est seulement pro- pauvre en
milieu urbain. Balaro (2005) a exploité les données de
l'enquête QUIBB pour explorer le lien entre croissance économique
et pauvreté. Il a montré que la persistance de la pauvreté
observée dans les années 2000 relève de la
spécificité du processus de croissance économique
elle-même qui accroît davantage l'inégalité
plutôt que de la réduire. Il conclut qu'il est peu probable que la
croissance économique suffit à elle seule pour réduire la
pauvreté et l'inégalité socio-économique au
Bénin.
Au Bénin, il n'existe pas encore d'études
réalisées qui soient basées sur la technique de
décomposition des multiplicateurs de la Matrice de Comptabilité
Sociale pour analyser la croissance sectorielle et la réduction de la
pauvreté.
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