II. L'HYPERCALCÉMIE
II.1. Introduction
Normalement la calcémie est une constante. En fait ses
valeurs normales vont de 90 à 105 mg/l. Une calcémie
supérieure à 105 mg/l (2,63 mmol/l) définit
l'hypercalcémie. Le calcium ionisé représente la fraction
métaboliquement active, la plus intéressante en pratique, mais
son dosage est complexe, réservé à certains laboratoires
spécialisés.
La calcémie totale varie avec la protidémie, et
son taux doit être corrigé en fonction de l'albuminémie. La
formule la plus souvent utilisée pour cette correction est :
Calcémie corrigée [mg/l] = calcémie mesurée [mg/l]
+ (40 - albuminémie [g/l])
II.2. Manifestation cliniques et conséquences
physiologiques de l'hypercalcémie aiguë
II.2.1. Action sur le coeur
Le calcium ionisé joue un rôle physiologique
capital dans la dépolarisation de la cellule cardiaque. Sa variation de
concentration peut avoir un retentissement majeur sur l'activité
cardiaque mettant en jeu le pronostic vital. Pendant la phase 0 du potentiel
d'action, la dépolarisation de la membrane de la cellule myocardique est
due à l'entrée rapide du sodium dans le cytoplasme. Cette phase
de dépolarisation est suivie d'une brève phase de repolarisation
rapide (phase 1) en rapport avec une sortie de potassium dans le milieu
extracellulaire. La phase 2 du potentiel d'action correspond à
l'ouverture des canaux calciques voltage-dépendants (canaux dont
l'ouverture et la fermeture sont commandées par la dépolarisation
membranaire due à l'entrée rapide du sodium dans la cellule)
situé sur la membrane du myocite qui deviennent perméables et
permettent la pénétration cellulaire du calcium. La phase 2
résulte d'un équilibre entre une dépolarisation maintenue
et une repolarisation débutante. Cet afflux de calcium
intracytoplasmique provoque la libération du calcium stocké dans
le réticulum sarcoplasmique qui en se fixant sur la troponine C permet
l'interaction actine-myosine responsable de la contraction myocardique.
(Aguilera M, Vaughan R 2000)
![](etude-profil-calcique-femmes-menopausees20.png)
Figure 3 : Représentation
schématique du potentiel d'action d'une cellule myocardique
ventriculaire contractile, avec ses différentes phases et
les principaux mouvements ioniques transmembranaires correspondants.
(Hashiba K 1988)
En cas d'hypercalcémie, il existe une diminution de la
durée de la phase II du potentiel d'action L'hypercalcémie, en
augmentant le gradient de concentration entre le calcium intra- et
extracellulaire, accélère l'entrée du calcium pendant
l'ouverture des canaux calciques ce qui conduit à une
dépolarisation plus rapide. Cela se traduit à l'ECG par un
raccourcissement du segment ST La durée du segment ST est difficile
à mesurer. En revanche, l'intervalle QT corrigé (QTc) est simple
à utiliser et parfaitement représentatif des variations du
segment ST pour évaluer les effets de l'hypercalcémie.
Le calcium antagonise les effets de l'hyperkaliémie sur
le myocarde sans la diminuer. L'hyperkaliémie entraîne un
ralentissement de la conduction intracardiaque et une élévation
de l'excitabilité des cellules myocardiques. Elle diminue le gradient
potassium intra cellulaire-potassium extracellulaire. Ceci conduit à un
potentiel de repos membranaire moins négatif. La différence entre
ce nouveau potentiel de repos et le seuil d'excitabilité étant
moindre ceci induit une augmentation de l'excitabilité myocardique. Le
traitement par les sels de calcium (10 à 30 mL de calcium à 10 %
en IVL de 3 min) restaure de manière rapide les troubles de la
conduction intracardiaque ainsi que l'excitabilité en corrigeant le
potentiel de repos.
L'hypercalcémie chronique modérée (Ca =
2,82 mmol·L-1) chez des patients ayant une
hyperparathyroïdie primitive (HPT I) n'a pas d'effets sur la conduction
cardiaque. En revanche, pour des calcémies plus sévères
(Ca > 3 mmol·L-1) chez des patients atteints HPT I, des
blocs auriculoventriculaires qui disparaissent après
parathyroïdectomie ont été décrit. Quelques cas
d'AC/FA ont aussi été mis en évidence chez des HPT I
modérées.
L'hypercalcémie aiguë (Ca entre 3,5 et 4
mmol·L-1) dans la crise hyperparathyroïdienne est à
l'origine des troubles du rythme ventriculaires (ESV, TV, FV) qui peuvent
mettre en jeu le pronostic vital
L'hypercalcémie chez des HPT I s'accompagne d'une
stimulation du système sympathique cardiaque qui peut être
liée à l'hypercalcémie modérée ou
l'excès de PTH. En tous les cas, la chirurgie parathroïdienne
corrige ce désordre Les valvulopathies, le dépôt de calcium
dans le myocarde et l'hypertrophie ventriculaire gauche sont décrits
uniquement au cours des hypercalcémies chroniques
modérées.
(Hashiba 1988)
II.2.2. Action sur les muscles lisses
La contraction de toutes les cellules musculaires lisses est
sous la dépendance des changements de la concentration intracellulaire
de calcium. L'hypercalcémie entraîne une contraction des cellules
musculaires lisses artérielles par augmentation du calcium
intracytosolique. Une augmentation du calcium intracellulaire permet de majorer
la liaison Ca-calmoduline, activant la protéine kinase qui phosphoryle
la myosine. Cette protéine phosphorylée possède une grande
affinité pour l'actine. Ce complexe est responsable de la contraction
des muscles lisses. Dans des études expérimentales,
l'augmentation du calcium intracellulaire majore la contraction des cellules
myocardiques et musculaires lisses.
La perfusion intraveineuse de calcium chez l'homme est
à l'origine d'une hypertension artérielle (HTA) par augmentation
des résistances vasculaires systémiques sans augmentation du
débit cardiaque L'association d'un inhibiteur calcique ou de sulfate de
magnésium prévient l'HTA induite par le Ca intraveineux
En clinique, les effets de l'hypercalcémie sur le tonus
des fibres musculaires lisses sont illustrés par la mise en
évidence d'épisodes d'ischémie myocardique par vasospasme
chez des HPT I et par la fréquence élevée de l'HTA dans
cette pathologie.
II.2.3. Action sur le rein
L'hypercalcémie altère la fonction rénale
par plusieurs mécanismes directs ou indirects en rapport avec
l'hypertension.
Au niveau du tube proximal, l'hypercalcémie inhibe
l'hydroxylation en 1 de la
vitamine D. Dans la branche ascendante de l'anse de
Henlé (BAAH), l'augmentation du calcium ou de magnésium
péritubulaire diminue la réabsorption de ces 2 cations. Ce
phénomène s'explique par le fait que le niveau de concentration
de ces 2 ions dans le liquide interstitiel leur permet d'autoréguler
leur propre réabsorption. L'hypercalcémie exerce une action
diurétique qui explique la déshydratation globale
fréquemment associée dans ce tableau. La perte de sel
résulte d'une diminution de la réabsorption du Na dans BAAH par
inhibition du cotransporteur Na/K/Cl2 secondaire à l'activation du
récepteur calcium présent en grand nombre sur la surface
basolatérale de la cellule épithéliale de la BAAH. Du fait
de l'inhibition de ce cotransporteur, on assiste à une baisse du
potentiel positif dans la lumière intratubulaire ce qui conduit à
une baisse de la réabsorption de Ca++ et Mg++. De
plus, l'hypercalcémie réduit la capacité rénale
à concentrer les urines en inhibant la création du gradient
osmotique corticomédullaire indispensable pour l'action de l'ADH sur le
tube collecteur. (Bianchetti ,1983)
II.2.4. Action sur la plaque neuromusculaire
L'augmentation du calcium ionisé in vitro produit une
diminution de la sensibilité de la jonction neuromusculaire à la
d-tubocurarine et au pancuronium. Dans des études animales
expérimentales, in vivo, l'augmentation du calcium ionisé
plasmatique a montré une action antagoniste à celle des
curares.
dose pour maintenir un bloc constant La durée d'action
du vécuronium chez les HPT I et chez les patients anéphriques
avec une hyperparathyroïdie secondaire (HPT 2) a été
retrouvée raccourcie indépendamment de toute
élévation de la concentration de calcium ionisé
plasmatique et néoplasique peuvent être dosés.
(Gramstad, Hysing
1990)
II.3. Étiologies des hypercalcémies
aiguës II.3.1. Hypercalcémie et parathyroïde II.3.1.1.
Hyperparathyroïdie primaire
Dans ces étiologies de la PTH est
hypersecrétée de façon inappropriée et non
freinable par du tissu parathyroïdien pathologique. Il s'agit le plus
souvent d'une hypercalcémie chronique bien tolérée puisque
dans une série de 1 200 cas d'HPT I, l'incidence de la crise
d'hypercalcémie aiguë a été évalué
à 6 % La PTH en excès favorise la résorption osseuse,
l'absorption intestinale et la réabsorption rénale de calcium
empêchant le rein d'excréter la surcharge calcique
filtrée.
L'HPT I se rencontre essentiellement entre 40 et 65 ans, elle
affecte 2 fois plus les femmes que les hommes tout âge confondu et plus
particulièrement les femmes dans les 10 ans après la
ménopause. Le facteur le plus souvent associé à l'HPT I
est l'irradiation. En Angleterre, l'incidence de l'HPT I est d'environ 25 pour
100 000 habitants. Il existe des formes asymptomatiques et d'autres
entraînant des manifestations rénales (lithiase rénale et
néphrocalcinose), articulaires (chondrocalcinose, calcifications
péri-articulaire ou péri-capsulaire), neuropsychique (faiblesse,
dépression, mémoire défaillante), digestive (anorexie,
constipation, vomissements, nausées, ulcère, pancréatite)
et cardiovasculaire (hypertension)
La crise aiguë parathyrotoxique a une expression polymorphe
marquée par:
a) Des signes rénaux (polyurie, déshydratation
globale, polydypsie).
b) Des signes digestifs (nausées, vomissements,
constipation, inappétence, simulant parfois une urgence chirurgicale
d'autant que la crise peut se compliquer de pancréatite aiguë et
d'ulcères gastro-duodénaux.).
c) Des signes neuropsychiques (agitation puis somnolence,
confusion mentale, hypotonie musculaire avec aréflexie, et au maximum
coma sans signe de localisation).
d) Des signes cardiaques parfois vitaux: hypertension
artérielle et à l'ECG un raccourcissement de l'espace QT et du
PR, des troubles du rythme cardiaque tels que des extrasystoles ventriculaires,
tachycardie ou fibrillation ventriculaire ou des troubles de la conduction
bradycardie à type de bloc sino-auriculaire ou auriculo-
ventriculaire.
Dans 80 à 85 % des cas d'HPT I, il s'agit d'un
adénome bénin d'une seule glande. Dans 1 % des cas on
découvre un carcinome parathyroïdien d'une seule glande. Dans 15 %
des cas on découvre une hyperplasie des 4 parathyroïdes et dans les
cas restants plus d'une glande est impliquée sans qu'elles ne le soient
toutes. On appelle ces cas adénome double ou multiple.
L'HPT I se retrouve sporadiquement dans le cadre des
néoplasies endocriniennes multiples (NEM). Le type I de Wermer (NEM I)
est la combinaison variée de tumeurs hypophysaires,
pancréatiques, parathyroïdiennes et d'autres glandes. À
partir de 40 ans, chez les patients atteints de NEM I on retrouve 85 % d'HPT I,
25 % d'adénomes à prolactine, 35 % de syndrome de
Zollinger-Ellison et moins fréquemment des insulinome Le traitement
chirurgical est efficace dans 90 % des HPT I, mais il existe à distance
beaucoup de récidives.
Le type IIa de Sippel est caractérisé
principalement par l'association d'une HPT I, d'un phéocromocytome et
d'un cancer médullaire de la thyroïde. À partir de 70 ans,
la fréquence d'une HPT I dans ce syndrome est de 70 % et
l'hypercalcémie est habituellement minime. (Stephen J, Marx
M.)
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Absorption intestinale de calcium
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Résorption osseuse nette
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Réabsorption tubulaire de
calcium
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Médiateur
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[Ca]s
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[Ca]u
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PTH
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Calcitriol sanguin
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HPT I
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PTH Calcitriol
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Intoxication à la vitamine D
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25(OH)D
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N,
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N,
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Hypercalcémie humorale des
néoplasies
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PTHrP
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Ostéolyse locale maligne
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IL-1 IL-6
TNF
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Production ectopique de calcitriol
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Calcitriol
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N
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N,
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Hyperthyroïdie
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T3
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N
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|
N,
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Immobilisation prolongée
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|
?
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N
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N,
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N,
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Hypercalcémie hypocalciurique familiale
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Mutation du Ca récepteur
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N
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Intoxication au lithium
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Lithium
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Hypercalcémie idiopathique de
l'enfant
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Sensibilité accrue à la vitamine D
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Syndrome des buveurs de lait
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N,
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HPT II sévère
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Tableau 3: Étiologie des
hypercalcémies. (Hashiba 1988)
La biologie est caractéristique: calcémie totale
supérieure à 2,6 mmol·L-1 ou une
élévation du calcium ionisé; hypophosphorémie et
hyperphosphaturie; acidose hyperchlorémique; hypercalciurie
supérieure à 10 mmol·L-1; augmentation de la
concentration de PTH active non adaptée à l'hypercalcémie
; augmentation des PAT sériques et de l'excrétion urinaire de
l'AMPc et de l'hydroxyprolinurie témoignant d'une participation
osseuse.
L'augmentation généralisée de la
transparence du squelette est le signe essentiel avec notamment un
amincissement des corticales et des lacunes bien visibles le long des
métaphyses et au niveau des deuxièmes et troisièmes
phalanges. Des images géodiques plus ou moins volumineuses et des
aspects de tumeur viennent compléter ce tableau, donnant l'aspect
typique d'ostéite fibrokystique.
L'exploration radiologique par échographie cervicale,
scintigraphie parathyroïdienne ou imagerie par résonance
magnétique ne permet pas de répondre formellement aux deux
questions qui reste après le diagnostic biologique. Où se situe
le tissu parathyroïdien anormal? S'agit-il d'une hyperplasie des
parathyroïdes ou d'un adénome? En effet il existe 15 à 20 %
de faux positifs (imagerie positive non confirmé par la chirurgie) et
seulement 60 % de vrais positifs avec ces techniques Un chirurgien
entraîné reconnaît le tissu pathologique dans 97 % des cas.
De plus, cette imagerie n'a pas démontré d'amélioration
sur la qualité du geste opératoire et accentue le coût de
la prise en charge, il n'est donc pas recommandé lors d'une
première cervicotomie de les réaliser En revanche, elle devient
nécessaire quand une première cervicotomie est négative
alors que le diagnostic d'HPT I est certain.
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