Théorie de la Reconstruction Rationnelle. Programmes de Recherche et Continuité en sciences( Télécharger le fichier original )par Julien NTENDO BIASALAMBELE SJ Faculté de Philosophie St Pierre Canisius, KInshasa - Licence en philosophie 2007 |
II.2.2.2. Le recours au modèle mathématique chez Newton
Pour les auteurs de La nouvelle alliance, la force - et aussi le mythe - du système de Newton réside dans la croyance en la révélation définitive d'une vérité unique sur la nature, et que les phénomènes naturels de tout genre peuvent s'interpréter et par là se reproduire à partir de quelques lois mathématiques du mouvement, à savoir l'attraction et la répulsion. Newton est dès lors perçu comme le symbole de la révolution scientifique moderne, dont la force réside dans le fait d'avoir découvert des lois mathématiques universelles qui expliquent les phénomènes particuliers de l'univers. La mathématique légifère et prédit et, grâce à elle, la science newtonienne a surmonté tous les obstacles131(*). Au commencement, rapporte Lakatos, le système planétaire newtonien prenait pour modèle celui d'un soleil fixe, avec une seule planète ponctuelle. Ce modèle contredisait la troisième loi de la gravitation. Cette contradiction interne - et non pas un contre-exemple d'observation- commanda un changement de modèle newtonien, car la troisième loi de la gravitation nécessite un modèle qui pose un centre de gravité commun autour duquel graviteraient le soleil et la planète. Dans la suite, le programme de Newton fut élaboré et élargi à un nombre plus grand des planètes, selon l'hypothèse que seules existent les forces héliocentriques et non pas interplanétaires. Il étudia ensuite le cas où le soleil et les planètes étaient des masses sphériques et non pas de masses ponctuelles. Mais, poursuit notre auteur, une théorie non formulée contredisait le système de base de Newton. Elle interdisait la densité infinie et conférait une certaine étendue aux planètes. Cette nouvelle modification posa d'énormes difficultés mathématiques qui, une fois résolues, contraignirent Newton à travailler sur les sphères ayant leur propre centre de gravité et sur leurs oscillations. Il en vint à affirmer l'existence des forces interplanétaires et à examiner le problème de la perturbation. Et, finalement, à passer au cas des planètes bombées132(*). Tous ces changements de modèles ne sont commandés que par des contraintes mathématiques internes au système. Newton illustre donc assez bien que l'heuristique positive d'un programme de recherche se focalise sur la conception des modèles théoriques et que seules les difficultés liées à cette mathématisation peuvent occasionner un changement de perspective. Ainsi, les anomalies, notamment contre-verdict de l'expérimentateur ou les produits d'observation, ne jouent aucun rôle majeur pouvant entraver le travail du chercheur. En effet, seul compte le déplacement progressif qu'opère un programme, nonobstant la foule d'anomalies, voire la fausseté qui caractérise un programme de recherche à son départ. Lakatos reste alors convaincu que Newton et ses successeurs devaient certainement être conscients des anomalies et de la fausseté de leur première version133(*). Fausseté et anomalies, cela reste un facteur de second ordre. Continuer à développer un programme en dépit des failles empiriques qu'il présente est un aspect marquant de la méthodologie de programme de recherche car, souligne Lakatos, « Rien ne montre plus clairement qu'on programme de recherche possède une heuristique positive que le fait de la prise de conscience de la probabilité de fausseté que peut comporter un programme à son adoption »134(*). Un facteur non négligeable en sciences est la construction des modèles. D'après notre auteur, un modèle est essentiellement un ensemble de conditions initiales. Ces conditions, sans exclure qu'elles soient accompagnées de certaines observations, déterminent l'orientation principale du programme et disparaissent au cours de l'évolution du programme. L'adoption précise de ces conditions initiales prouve à suffisance que l'heuristique positive d'un programme de recherche est une stratégie de prédiction et de direction des réfutations135(*). A dire vrai, avec la notion de modèles compris comme conditions initiales, la science mathématise et formalise la réalité en un système de lois de telle sorte que, ce qu'il y a d'anomalie dans un programme, l'est plutôt mathématiquement qu'empiriquement. Aussi pouvons-nous affirmer que les auteurs de Le nouvel esprit scientifique s'inscrivent, à ce niveau, dans la même perspective que Lakatos. * 131 PRIGOGINE, I., & STENGERS, I., op. cit., pp. 58-59. * 132 Ibidem. * 133 Idem, p. 68. * 134 Ibidem. * 135 Ibidem. |
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