Théorie de la Reconstruction Rationnelle. Programmes de Recherche et Continuité en sciences( Télécharger le fichier original )par Julien NTENDO BIASALAMBELE SJ Faculté de Philosophie St Pierre Canisius, KInshasa - Licence en philosophie 2007 |
II.1.3 Bachelard et l'enveloppement dialectique des théories scientifiques.
D'après Bachelard, la science procède par "induction amplifiante"106(*) ou par une dialectique enveloppante. En effet, la connaissance scientifique ne croît ni par les "révolutions scientifiques" de Thomas Kuhn, ni par le critère de "falsifiabilité" cher à Popper, ni par l'anarchisme épistémologique" de Feyerabend, et moins encore par le cumul des théories scientifiques proposé par Rudolf Carnap. Le progrès scientifique est de l'ordre d'une philosophie du Non. Cette attitude de l'esprit signifie que « La négation doit rester en contact avec la formation première. Elle doit permettre une généralisation dialectique. La généralisation par le non doit inclure ce qu'elle nie. En fait, tout l'essor de la pensée scientifique depuis un siècle provient de telles généralisations dialectiques avec enveloppement de ce qu'on nie. Ainsi, la géométrie non euclidienne enveloppe la géométrie euclidienne; la mécanique non-newtonienne enveloppe la mécanique newtonienne; la mécanique ondulatoire enveloppe la mécanique relativiste107(*) ». En outre, l'histoire des sciences démontre que chaque nouvelle théorie qui se développe commence par nier la précédente. Cette négation ne va pas dans le sens de l'incommensurabilité de paradigmes kuhniens, elle est une négation qui est à la fois continuité, car le nouveau système théorique intègre les éléments pertinents du programme qu'il nie. C'est là une des thèses fondamentales de l'épistémologie de Bachelard. Il l'explicite davantage en ces termes : « si l'on prend une vue générale des rapports épistémologiques de la science physique contemporaine et de la science newtonienne, on voit qu'il n'y a pas développement des anciennes doctrines vers les nouvelles, mais bien plutôt enveloppement des anciennes pensées par des nouvelles. Les généralitions spirituelles procèdent par emboîtements successifs. De la pensée non-newtonienne à la pensée newtonienne, il n'y a pas non plus de contradiction, il y a seulement contraction. C'est cette contraction qui nous permet de trouver le phénomène restreint à l'intérieur du noumène qui l'enveloppe, le cas particulier dans le cas général, sans que jamais le particulier puisse évoquer le général. Désormais l'étude du phénomène relève d'une activité purement nouménale; c'est la mathématique qui ouvre les voies à l'expérience108(*) ». J.C Akenda commente la thèse bachelardienne, en soulignant que l'enveloppement est comparable à un "cas général" qui subsume l'ancien programme comme un "cas particulier", en éliminant les différences spécifiques et les contingences particulières. Dès lors le noumène qui enveloppe ne fait aucune référence au noumène inconnaissable et inconditionné d'Emmanuel Kant. Il se réfère au sens épistémologique que lui confère le Théétète de Platon et est comparable au "paradigme" de Kuhn, dépouillé de toute prétention révolutionnaire. L'enveloppement est donc dit "dialectique" : il est une négation dynamisante qui intègre les acquis scientifiques antérieurs dans les acquis présents considérés comme rectifiés et dont la rectification ouvre à une matrice nouménale amplifiée qui fait de la science une mémoire rationnelle109(*). Bachelard précise clarifie la différence évidente entre l'objet perçu est l'objet pensée. L'objet pensé est donc à la fois phénomène et noumène. Son caractère nouménal ouvre l'objet à un avenir de perfectionnement, qui fait défaut à l'objet de la connaissance commune. Voulant bien déterminer ce qu'est ce noumène, Bachelard écrit ce qui suit : « Le noumène scientifique n'est pas une simple essence, il est un progrès de pensée. Il se désigne, dans ses premiers traits, comme un progrès de pensée, et il appelle d'autres progrès. Pour caractériser un objet qui réalise une conquête théorique de la science, il faudrait donc parler d'un noumène nougonal, d'une essence de pensée qui engendre des pensées110(*) ».
Comme Kuhn et Lakatos, l'épistémologie dialectique de Gaston Bachelard fait reposer le progrès scientifique sur l'existence d'une structure qui persiste à travers la dialectique des enveloppements. Cette continuité rationnelle de l'activité scientifique peut aider à fonder la thèse structuraliste de l'épistémologie. * 106 BACHELARD, G., Le nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, 1991, p. 42. * 107 Idem, La philosophie du non, Paris, PUF, 1994, p. 137. * 108 Idem, Le nouvel esprit scientifique, p. 62. Dans le second chapitre de cet ouvrage, Bachelard dégage les caractéristiques générales de l'esprit scientifique newtonien et celles de l'esprit scientifique einsteinien. L'assomption fondamentale de ce chapitre est que la mécanique relativiste n'émerge pas comme un prolongement ou une suite logique partant d'une accumulation des connaissances et un raffinement de la mécanique classique. A son origine, la mécanique relativiste opère une révolution, une grande nouveauté. C'est a posteriori que les scientifiques découvriront que la mécanique classique est un cas particulier de la mécanique relativiste qui, elle, est générale. * 109 AKENDA K, J. C., Science comme mémoire de la raison. Introduction à l'histoire des sciences. Cours de Philosophie des sciences (Inédit), Kinshasa, St Pierre Canisius, 2006-2007, p. 33. * 110 BACHELARD, G., Le rationalisme appliqué, Paris, PUF, 1986, pp. 109-110. |
|