III- Les recherches sur le foncier en Afrique
Depuis quelques années des réformes sont
en cours dans de nombreux pays africains. Ces réformes qui sont
consacrées sur le foncier ont pour but la promotion d'une gestion plus
efficace et équitable des ressources naturelles. Ces réformes ont
abouti à des projets de type « Plan Foncier Rural » dont
« le premier a débuté en Côte
d'Ivoire à partir de 1990, et il a
contribué à initier d'autres PFR en Guinée et au
Bénin à partir de 1993-1994 ainsi qu'au Burkina Faso, dernier en
date, en 1999.
Tous les PFR ont en commun les objectifs suivants
:
· Répondre au constat de
l'inefficacité des législations existantes et de la
marginalisation des pratiques locales dites "coutumières" à
laquelle ont conduit ces législations, alors que l'essentiel des terres
et des ressources naturelles était gérée selon ces
pratiques.
· Sécuriser les droits coutumiers,
réduire et maîtriser par ce moyen les conflits fonciers et,
ainsi, promouvoir le développement rural » (Chauveau ; 2003
:1)
La cause de ces réformes semble essentiellement
l'échec des états modernes dans la gestion des ressources
naturelles et la dépendance des populations rurales de ces ressources.
Ainsi dans les visions développementalistes « la pauvreté
est généralement associée à une très grande
dépendance vis-à-vis des ressources naturelles. Parmi ceux qui
dépendent de ces ressources il y a les autochtones dont la survie
culturelle est liée à l'exploitation de la terre » (Bruce et
Mearns ; 2002 :1). Ainsi la gestion des ressources naturelles a pris sa place
aux côtés de l'agriculture comme préoccupation majeure du
développement rural.
Au Sahel « les systèmes fonciers
évoluent à des rythmes différents, de manière
plus ou moins profonde et dans plusieurs directions. La transformation ne
s'effectue pas
sans heurts, le processus suscite certains conflits et
les litiges touchant à la terre au Sahel ont fait l'objet au cours de
ces quinze dernières années d'une attention accrue de la part des
hommes politiques et des chercheurs. » (Lund ; 1999 :1). Dans les
sociétés africaines « les processus de colonisation et de
modernisation ont engendré un décalage au sein du système
juridique entre le droit national et un code de réglementation de la vie
sociale plus coutumier ». Ainsi les conflits surviennent « dès
lors que les groupes ont des objectifs multiples et des intérêts
différents dans l'utilisation des ressources, la concurrence devient
plus aigue, bien que le conflit violent ne soit pas inévitable.
Lorsqu'il n'existe pas d'institutions responsables de la gestion des ressources
naturelles, le recours à la violence peut être le signe d'une
incompatibilité des institutions sociales ou d'une apparition de
nouveaux problèmes comme la pénurie d'une ressource
particulière » (Chauveau et Matthieu ; 1996).
La multiplication selon Delville des conflits fonciers
n'est pas seulement liée « aux changements macroscopiques »,
mais est le résultat de « l'intervention de l'état et de la
pluralité juridique existante ». Delville reconnaît toutefois
que les règles coutumières locales ne sont pas à
l'opposé des lois modernes. Les ruraux sont conscients de l'existence du
droit positif, aussi ils en tiennent compte dans leur prise de décision.
Un autre facteur de la multiplication des conflits fonciers est ce qu'appelle
Traoré « La Divagation des champs ». L'extension et le
défrichement de nouveaux champs grignotant les pistes de transhumance et
les parcours ordinairement réservés au bétail. La
priorité accordée à la mise en valeur agricole de la terre
constitue un des facteurs de la multiplication des conflits fonciers. Selon ces
chercheurs les conflits sont
une partie intégrante de la gestion des
ressources « les conflits sont des processus sociaux normaux et l'ordre
social ne dépend pas de leur absence mais de la capacité de la
société à bien les gérer » (Leroy ; 1991).
Pour celui-ci « les causes des conflits sont sans doute nombreuses tant
entre pasteurs en situation de raréfactions des ressources qu'entre
pasteurs et agriculteurs lorsqu'à la crise des écosystèmes
s'ajoute une affectation des espaces pastoraux à d'autres usages ».
Ces conflits consistent selon lui une phase de transition entre « le
mirage des sociétés pastorales souveraines » et « la
sédentarisation forcée » Donc déclencher un conflit
semble être un moyen « pour aboutir à un consensus minimal
résultant de la prise en considération d'un ensemble de facteurs
dans le cadre d'une négociation globale avec tous les acteurs
concernés et en fonction de ces contraintes » (Leroy ;
1995)
Pour d'autres « la gestion des conflits est
souvent un élément très important de la réussite de
l'usage des terres et des ressources naturelles. Les conflits devraient
être considérés comme étant des aspects essentiels
des régimes de propriété complexes plutôt qu'une
anomalie » (Bruce et Mearns ; 2002 :33)
Ainsi le conflit est « un vecteur de
communication entre divers groupes, l'objectif ultime est de mettre en place un
cadre destiné à renégocier l'accès aux ressources
et de réaffirmer l'identité des groupes » (Hendrickson et al
; 1998 :7)
Les rapports pasteurs agriculteurs sont décrits
comme « complémentaires, coopératifs » d'une part et
de l'autre part comme « conflictuels, compétitifs »,
voire « incompatibles ». Ces conflits « naissent d'une
compétition pour l'accès aux
ressources naturelles et semblent découler de
la croissance démographique, de la migration ainsi que de la
dégradation et de la raréfaction des terres ». (Brockhaus et
al ; 2003 :2)
Ainsi, les conflits ne peuvent être
étudiés en tant que phénomène isolé, local
ou ethnique. Ils ont une histoire et sont conditionnés par des facteurs
sociaux, politiques, économiques et écologiques.
Cependant, l'analyse du conflit doit dépasser
la dimension ethnique qui est introduite par les litiges « Agriculteurs -
Eleveurs ». Car le problème fondamental demeure la coexistence et
l'intégration de différents systèmes d'exploitation et
particulièrement l'accès à des ressources
stratégiques à des moments déterminés de
l'année. Selon d'autres auteurs, le lien entre le régime foncier
et les « conflits portant sur des terres » est évident
dès le moment où « plusieurs personnes se disputent le
pouvoir de décision sur un terrain et son utilisation ». Pour
Hagberg,
« Les disparités entre les groupes rivaux
en terme de valeurs culturelles et d'acceptation du droit moderne et coutumier
» constituent des sources de conflit. Pour lui, pour comprendre le
processus de règlement et de gestion des conflits, il ne faut pas
séparer un « conflit de terre » d'un conflit « ethnique
» ou « politique ». Hagberg ajoute d'autres dimensions à
l'analyse du conflit foncier. Pour lui les facteurs religieux et politiques ne
doivent pas être dissociés des facteurs
écologiques.
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Ainsi les conflits « ne peuvent pas être
appréciés s'ils sont réduits à des
phénomènes isolés ou ethniques » donc leur analyse
doit tenir compte de tous ces facteurs qui déterminent leurs
portées. Leur compréhension « requiert une analyse plus
approfondie des différents acteurs, de leur rôle dans
l'arène des conflits et dans la gestion des conflits, et doit
s'accompagner d'une appréciation des accords institutionnels
associés aux niveaux local, régional et national »
(Brockhaus et al -- 2003 :2). Pour Brockhaus, il est capital pour mieux
comprendre la gestion des conflits d'étudier « des processus
généraux comme la décentralisation » et »les
réformes foncières »en cours. Car « il se peut que les
réformes visant à établir des régimes fonciers
efficaces, viables et équitables ne soient toujours pas appliqués
du fait de réticences ou de déséquilibres liés au
pouvoir de négociation des différentes parties prenantes. Il sera
crucial de mieux appréhender le mode de fonctionnement de ces dynamiques
afin de rectifier le décalage entre les résultats des recherches
et les décisions d'orientation » (Haramata N°44 ; 003
:9)
Vu les problèmes que posent les conflits, on
observe un intérêt grandissant pour des techniques de
résolution centrées sur le litige en tant que tel. Car le
problème n'est pas seulement de changer les législations car
« pour être efficace, la loi doit dans l'ensemble correspondre
à ce que les gens considèrent comme juste et légitime.
Elle ne doit pas proposer des valeurs trop éloignées des opinions
et des normes couramment admises. De même, les changements dans les lois
et les institutions supposent que les ressources nécessaires à la
mise en pratique des nouvelles mesures soient disponibles » (Toulmin et
Pepper ; 2000 :9)
Ainsi « certains experts ont tenté de
créer des modèles de résolution de conflit des litiges qui
abordent le problème étapes par étapes, allant de la
recherche d'un terrain pour l'élaboration d'un plan d'action et la
réduction des divergences, aux négociations finales »
(Thièba et al ; 1995). Les recherches semblent s'accorder sur des
initiatives de cogestion des ressources naturelles pour atténuer les
conflits liés aux ressources ainsi « on admet de plus en plus que
les systèmes fonciers indigènes incarnent d'importantes valeurs
sociales qui sont essentielles à la gestion des ressources naturelles,
à l'orientation de bénéfices tirés des
activités du projet vers les indigents des zones rurales et à la
protection de l'accès des membres les plus pauvres à ces
ressources »(Bruce et Mearns ; 2002 :5)
Aussi pour Winter « l'idéal serait de
transférer les pouvoirs de l'Etat sur les questions foncières aux
juridictions créées et gérées par les usagers des
ressources » et qu' « il est préférable de
procéder à la résolution des conflits au niveau local,
à condition de que le processus soit transparent et que
l'impartialité des médiateurs soit évidente. Les
juridictions locales devraient être encouragés à
développer une capacité locale pour la résolution des
conflits » (Winter ; 1998 :15)
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