CHAPITRE II
L'OBLIGATION D'EMPLOI : MYTHE OU REALITE ?
Les conditions d'accès des personnes handicapées
à un emploi en milieu ordinaire de travail, sont aujourd'hui encore, peu
satisfaisante en dépit des progrès indéniables accomplis,
notamment grâce à la loi du 10 juillet 1987 sur l'obligation
d'emploi des travailleurs handicapés. La réforme du 11
février 2005 est alors apparue nécessaire afin de parfaire
certaines insatisfactions et dysfonctionnements. Désormais38,
l'employeur est tenu de prendre des mesures appropriées pour permettre
aux personnes handicapées d'accéder à l'emploi ou
conserver un emploi correspondant à leurs qualifications, de l'exercer
ou d'y progresser pour qu'une formation adaptée à leurs besoins
leur soit dispensée. Mais qu'entendre par « mesures
appropriées » ?
La loi de 1987, parce qu'elle constituait une discrimination
positive, destinée à égaliser les chances en tentant de
compenser les effets négatifs du handicap, a suscité de larges
débats, notamment au niveau européen (lutte contre toute forme de
discrimination fut elle positive) et beaucoup d'espoir pour de nombreuses
personnes handicapées en quête de travail au lendemain de son
adoption. Mais la réalité du terrain est venue tempérer
fortement cet espoir. En effet, le dispositif a montré très vite
ses limites en raison notamment, des nombreuses alternatives admises par la loi
elle-même, permettant ainsi à bon nombre d'entreprises assujetties
par la loi, d'échapper à leur obligation d'emploi par des moyens
moins favorables à l'embauche des personnes handicapées. Tous les
moyens d'exonération à cette obligation sont-ils
véritablement aussi néfastes pour les travailleurs
handicapés ? Les accords d'entreprise ne sont-il pas favorable à
l'accès des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail
? (II) Si autant d'entreprises trouvent le moyen de déroger à
cette obligation, ne serait-ce pas parce qu'elle entraîne certaines
problématiques ? (I)
Toutes ces interrogations atteignent la
crédibilité et la portée même de cette obligation,
d'où ce questionnement : s'agit-il d'un mythe ou d'une
réalité encore à peaufiner grâce peut-être
à la réforme du 11 février 2005 ?
38 A compter du 1er janvier 2006, date
d'entrée en vigueur de la loi.
I. Une appréhension difficile de l'obligation :
perception et
mise en oeuvre
Cette obligation d'emploi fut, certes, perçue comme une
superbe avancée pour les demandeurs d'emploi handicapés, mais au
delà de cette première perception, sa mise en place n'est pas
aussi simple qu'il n'y paraît (B), certainement à cause d'une
vision erronée parce qu'ignorante du handicap par la collectivité
de travail y compris l'employeur, personnage, qui plus est,
déterminant
(A)
A. Représentations et réalités
complexes du handicap
L'histoire de la perception du handicap varie selon les «
cultures sociologiques » au regard de l'acceptation du handicap. Pendant
longtemps, en France notamment, les personnes handicapées étaient
quasiment exclues du champ social.
La représentation traditionnelle de la personne
handicapée est celle d'une personne en fauteuil roulant. Il est frappant
de constater que la réaction la plus fréquemment observée
lorsque l'on évoque avec un chef d'entreprise la possibilité
d'embaucher une personne handicapée est « que les locaux ne sont
pas accessibles » ce qui sous entend l'assimilation du handicap avec une
perte de la mobilité...
Dans un autre domaine, c'est bien l'image du fauteuil roulant qui
a été retenue comme logo pour schématiser les emplacements
réservés au stationnement des personnes handicapées...
Au delà des concepts qui ont été
évoqués, il convient de se souvenir que l'on parle ici d'une
personne handicapée et non d'un handicap, et que lorsque l'on aborde une
personne handicapée il convient de s'intéresser, au delà
de sa propre personnalité, à son environnement puisqu'il
conditionne son intégration et sa capacité à «
participer ».
La réalité des handicaps ne permet donc aucune
généralisation, mais on évoquera classiquement le handicap
moteur, psychique, et sensoriel.
Le handicap moteur peut être inné ou acquis,
d'origine traumatologique, neurologique ou vasculaire, il peut toucher
différentes parties du corps et aura des conséquences
fonctionnelles très variées.
Le handicap psychique a fait l'objet de nombreux débats
quant à son appellation mais il semble que cette notion soit maintenant
acceptée. On différencie cependant la déficience
intellectuelle39 de la maladie mentale40.
Le handicap sensoriel quant à lui concerne deux sortes
de handicap acquis ou innés, d'une part le handicap visuel total
(cécité) ou partiel (mal - voyance) et d'autre part le handicap
auditif total (surdité) ou partiel (mal - entendance), s'accompagnant ou
non d'une mutité.
Ces handicaps peuvent être associés ; de plus,
ceux-ci évoluant et variant d'une personne à une autre, cela
justifie que l'on porte un regard différent sur la personne.
Au vu de ces différents types de handicap, l'obligation
d'emploi s'applique différemment. En effet, si les entreprises de plus
de 20 salariés sont soumises à un obligation d'employer 6% de
personnes handicapées sur l'effectif de l'entreprise, ce quota se
calcule non pas en personnes physiques mais en nombre d' « unités
bénéficiaires », une personne pouvant « valoir »
plusieurs unités en fonction de son âge, son handicap, sa
formation, son statut antérieur. C'est la COTOREP qui classe la personne
dans une des trois catégories A, B ou C selon que le niveau de son
handicap soit reconnu « léger », « modéré
», ou « grave », ce classement étant prononcé
à titre temporaire ou définitif41.
Chaque année, l'entreprise doit faire une «
déclaration d'emploi des travailleurs handicapés » (DOETH) ,
où apparaît son obligation d'emploi et le nombre d'unités
bénéficiaires. Cette déclaration est ensuite
adressée à la DDTEFP et sert de base de calcul à une
éventuelle cotisation.
Il convient de souligner toutefois que certains emplois ne
sont pas pris en compte dans le calcul du nombre d'unités que doit
employer l'entreprise, du fait de conditions d'aptitude physique
particulière pour exercer certains métiers. Il s'agit
essentiellement des métiers du transport42, du
bâtiment, de la pêche.
L'existence de ces catégories permettait aux personnes
subissant un handicap lourd de trouver un emploi plus facilement car
l'entreprise qui embauchait une personne en catégorie C y gagnait du
fait que celle-ci comptait pour deux salariés.
Avec la réforme du 11 février 2005, ces
catégories disparaissent et l'espoir d'être embauchées
pour ces personnes lourdement handicapées aussi. Les incidences de
cette loi ne sont donc pas négligeables d'un double point de vue.
D'une part, certains employeurs vont devoir revoir leurs
39 Qui porte sur la capacité d'apprentissage,
la mémorisation les connaissances, la conceptualisation, ... (par
exemple la Trisomie 21)
40 Classiquement séparée en psychoses et
névroses... (Par exemple la schizophrénie)
41 C. trav., art. L. 323-12 et R. 323-32
effectifs de travailleurs handicapés et, d'autre part
ceux qui, normalement, relevaient de la catégorie C ne seront plus
embauchés puisque, qu'il s'agisse de personnes relevant de la
catégorie A, B ou C, elles compteront désormais pour une
même part.
Cette loi s'avère donc, sur ce point très
important, plus favorable pour les employeurs. Désormais, dans les
entreprises embauchant des travailleurs handicapés, on ne trouvera plus
d'handicapés « lourds ».
Il convient aussi de souligner que, certains handicaps ne se
décelant pas de visu, un risque de suspicion de l'employeur sur le
potentiel handicap d'un salarié va naître, celui-ci recherchant au
sein de son entreprise un salarié déjà «
handicapé », pour se prévaloir de celui-ci afin de le faire
entrer dans son effectif de 6% de personnel handicapé.
Ne serait-ce pas en quelque sorte revenir en arrière ? Car
c'est, dans une certaine mesure, revenir sur une partie de la discrimination
positive qui a été critiquée fut un temps.
Cette réforme est indéniablement favorable aux
employeurs et paraît alors être un paradoxe législatif
puisqu'elle comporte en son titre « pour l'égalité des
droits et des chances » des personnes handicapées, et que les
mesures ci-dessus exposées ne vont pas du tout dans ce sens
là.
Ce qui est certain c'est que, si lors de son application
effective, les choses se passent comme cela, certaines exigences n'en seront
plus. En effet, concernant l'adaptation des lieux qui pose parfois des
problèmes, ceux-ci deviendront négligeables dans le sens
où, un moindre handicap entraîne un moindre aménagement de
locaux, de postes de travail.
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