2- Transmission(s)
« La consommation ne renvoie donc pas tant à
une question de communication (...) Qu'à une question de transmission,
c'est-à-dire de maintien dans le temps d'une sorte de dynamique de la
mémoire collective29 »
La circulation qu'une oeuvre culturelle fait à travers
les âges et, en l'occurrence, à travers les modes de
réception est due en partie à la transmission de l'oeuvre,
c'est-à- dire à l'action de la faire perdurer dans le temps.
Comment cette oeuvre a t'elle été transmise, et à notre
tour, quel rôle jouent les spectatrices dans ce mode de diffusion ?
A l'instar de la recherche, Damien Malinas-Veux 30
qui insiste sur le rôle des « premières fois »,nous
avons demandé aux jeunes femmes rencontrées les circonstances de
leur premier visionnage du film, c'est-à-dire, implicitement, la
manière dont leur avait transmis.
Caroline, 27 ans, en bravant l'interdit institué par sa
mère, garde le souvenir de cette première fois :
Est-ce que tu peux nous raconter la première fois
que tu l'as vu ?
J'avais 11 ou 12 ans... Et bah en fait... C'était une
de mes amis... Qu'il me l'a fait découvrir... Et je n'avais pas le droit
(rires)... En fait, ma mère ne voulait pas que je regarde, du coup, je
le regardais en cachette chez Jenny... Elle., elle avait le droit de le
regarder, et pas moi... Du coup, je suis allée le voir chez elle... Et
avec elle, je l'ai vu plusieurs fois... Après, au fil des années,
je l'ai regardé toute seule... En tout cas, je regardais sans elle
(rires) ... Je le regardais des copines, dans des soirées, ou des trucs
comme ça...
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29 HELBURNN Benoit, l'ange ou le diable?
L'individualisation de l'enfant dans les pratiques de consommation familiale,
in SINGLY (de) François (sous la direction de), être soi
d'un âge à l'autre, Famille et Individualisation
(Tome II°, l'harmattan, Paris, 2001,p.77.
30 MALINAS-VEUX, Damien, Transmettre une fois ?
Pour toujours ? Portraits des festivaliers d'Avignon en public,
thèse dirigé par Jean Louis Fabiani et Emmanuel Ethis.
Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse, Novembre 2006.
Est-ce que tu sais pourquoi ta maman t'avait interdit de
regarder Dirty dancing ?
Oui, c'est parce qu'il y avait des scènes d'amour...
même si c'était très sobre ... À 16 ans, je n'ai pas
eu droit de regarder L'Amant ! Alors ! Mais ça me donnait
forcément envie de regarder, pour moi, dans ce film, il n'y avait rien
de quand... Alors je ne comprenais pas sa réaction...
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De même, Hélène, 23 ans se rappelle de cette
expérience qui a conditionné l'usage qu'elle en a fait ensuite
:
Est-ce que tu te souviens la première fois que tu
as vu Dirty Dancing ?
(Rires) la première fois que je l'ai vu, c'était
la télé, parce qu'il passait... Enfin il était au
programme de TF1 ou de M6... Et c'est comme ça que je l'ai vu pour la
première fois que... Je devais avoir quoi, 12 ans, j'avais dû
faire la guerre à mes parents parce que ça passait un vendredi
soir, et que le lendemain je devais aller à l'école, en y
repensant j'avais dû lui lire la critique de Télérama ou un
truc dans le genre et j'avais vraiment dû faire la guerre... Mais j'avais
convaincu mon papa de me laisser regarder ce film... Et après, les
autres fois que je l'ai vu... C'était parce que ma mère m'avait
offert la cassette, donc forcément, quand tu l'as sous la main, tu le
regardes plus facilement... Et puis, je crois que tout le monde avait la
cassette... Julie avait la cassette, Marie avait la cassette, tout le monde je
crois... Donc c'est vrai qu'on allait chez les unes ou chez les autres, et quoi
qu'il arrive, la cassette était là.
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A travers ces premières fois racontées bien
souvent à titre anecdotique, nous pouvons nous rendre compte de la
dimension subjective et affective de la narration de ce « souvenir ».
Bien souvent, l'affect qui accompagne le discours révèle aussi la
dimension de l'objet par rapport à une période donnée, un
contexte ou un bagage. Dans sa thèse, Damien Malinas-Veux cite
Jean-Claude Passeron: « La transmission ne concerne pas simplement des
manières de penser, des idées, des savoirs, ni même des
objets. Le plus important, ce sont les manières d'éprouver, de
sentir, c'est à dire des
manières d'être là, les passeurs
indispensables sont des passeurs d'affects31. » En parlant
du contexte et du ressenti, les jeunes femmes interviewées replacent
notre objet d'étude dans une dimension subjective
véhiculée à travers les années par l'importance du
moment. La première fois conditionne également le souvenir global
qu'on se fait de la manière dont on a reçu l'objet culturel et de
fait, on peut penser que la manière dont on reçoit va de paire
avec la manière dont on transmet à notre tour. Passage
obligé certes, mais essentiel, « la première fois
procède toujours pour qualifier le sens du commencement d'une histoire,
d'une expérience ou d'une pratique » (D. Malinas-Veux, 2006).
Aussi, la manière dont l'objet de recherche est évoqué par
les jeunes femmes interviewées dans le cadre de cette transmission
relève bien souvent de `anecdote, et de même il semble parfois
être évoqué sur le ton de la confidence. Plus qu'une
histoire de pratique avec ou autour d'un film, on a l'impression d'entendre
parler d'une histoire d'amour32.
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