Chapitre II
Le cinéma dans le quotidien
Presse, émissions, sites Internet, diffusion à
la télévision... Le cinéma nous entoure mais comment se
caractérise, au quotidien, la présence du septième art ?
Une fois visionnés, que reste-t-il de ces films qui marquent
les spectatrices ?
A- Les « goodies », de la consommation de masse
à l'affichage du soi
Il est difficile, à l'heure actuelle, de ne pas penser
la consommation du cinéma -- ou plus précisément des films
-- sans évoquer la distribution de masse. Comme le souligne David
Morin-Ulmann lorsqu'il étudie la réception adolescente des films
d'action à grand spectacle (FAGS). Les FAGS appartiennent au FàGS
(film à grand spectacle). Ces derniers englobent bon nombre d'objets
cinématographiques puisque c'est leur propre consommation qui "de masse"
: « disons encore que le FàGS contient le FAGS parce que c'est
sa consommation sociale qui est à grand spectacle : une consommation de
masse assurée par une circulation, une distribution de masse d'imagerie
et de produits dérivés (chosification ou
merchandising115) ». Chaque spectateur peut trouver parmi
le panel de biens qui lui sont proposés celui qui, à ses yeux,
représentera le mieux le film ou a fortiori ce qu'il retient du
film.
Bien souvent, ce sont les affiches de films, les posters ou
les photos qui font l'objet d'une attention particulière, Damien
Malinas-Veux et Virginie Spies ont étudié l'affiche de
cinéma ou plus spécifiquement l'acte d'afficher "son"
cinéma116. Il s'agit d'un moyen pour les jeunes spectateurs
de trouver un moyen original de se présenter, de quitter son imaginaire
d'enfant. "On pourrait penser que c'est bien " un éclat" de
la
115 MORIN-ULMANN, David, Esthétique(s) du film
d'action, Qu'est-ce que l'action dans les films à grand spectacle ?
in GIMELLO-MESPLOMB, Frédéric, le cinéma des
années Reagan, un modèle hollywoodien?, éditions
Nouveau Monde, Paris, 2007, p.67.
116 MALINAS-VEUX, Damien, SPIES, Virginie, «Mes jours et
mes nuits avec Brad Pitt : l'affiche de cinéma, une identité
énonce ses de la chambre d'étudiant à la
télévision » in ETHIS Emmanuel, FABIANI, Jean-Louis
(sous la direction de), Figures du corps au cinéma, Cultures et
Musées n°7, Actes Sud, Arles, 2006, p. 47.
construction identitaire qui se manifeste dans
l'accrochage des images photo-filmiques qui précisément viennent
caractériser des différences assez fortes et propres à
distinguer les attitudes des "filles" et des "garçons".
Parmi notre échantillon de spectatrices, certaines
gardent en mémoire ces fenêtres sur le monde, ses affiches par
lesquels elles continuent de rêver le film, et elle- même.
Alors par contre euh... oui... puisque j'étais sans
doute assez fan, je suppose, puisque j'avais quand même des choses
accrochés, des posters accrochés dans ma chambre, sur mon
armoire, tout ça... bon alors c'étaient des posters d'elle,
Jennifer Grey... pas de lui, alors je ne sais pas pourquoi lui n'était
pas plébiscité dans les journaux, les articles, euh, je sais pas,
mais j'avais des photos d'elle accrochés sur mon armoire, dans ma
chambre, comme j'étais quand même assez fan de ce film ; à
mon avis, pour que j'accroche des trucs comme ça dans ma chambre...
Sophie, 25 ans
Souvent, nos affichages témoignent de notre rapport au
film. Dans l'extrait que nous venons de citer, Sophie semble s'étonner
de n'avoir affiché que des posters de l'héroïne. D'autant
plus qu'elle apprécie également Patrick Swayze. Pourtant, si on
considère que Sophie était avant tout amatrice de danse et
qu'elle pratiquait la GRS, il paraît normal qu'elle choisisse comme
modèle la jeune fille, qui, comme elle, s'entraîne dur pour
réussir. Au fur et à mesure que les spectatrices vieillissent,
les affiches se décollent du mur et les fenêtres qui
étaient ouvertes sur l'image de ce monde moins hostile semblent se
refermer. À la place, viennent s'accrocher des oeuvres d'art, des
photographies, des signes de notre érudition. Les spectatrices
possèdent peu d'objets relatifs au film qu'elles aiment... «Le
goût cinématographique, je lorsqu'il s'énonce aussi
ouvertement dans l'affiche accrochée au plus discrètement dans
les conversations, fonctionne comme une sorte de projection de soi-même,
qui s'élancent pour soi quand à Paris et pour celui ou celle qui
la perçoit comme une promesse117."
117 Op.cit. p.55
De fait, nous pouvons imaginer que les affiches marquaient
l'appartenance à une communauté sexuée et qui se
reconnaissait. Durant la période transitionnelle entre enfance et
adolescence que constitue la période Dirty Dancing des jeunes
femmes que nous avons interrogées, les affiches devenaient une promesse,
un élément de la fiction qui pénétrait le
réel. Il pouvait alors s'agir d'une incarnation physique de leur
amulette118.
Cependant, la quasi-totalité des spectatrices
rencontrées affirment posséder un certain nombre de bandes
originales, qu'elles considèrent comme directement reliées au
film. Il est important pour nous d'étudier la place de la musique dans
le cas d'un film- fétiche, d'autant plus si on considère que la
musique est une des caractéristiques principales du succès de
Dirty Dancing.
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