Partie III : de la pratique de sortie à la
cinéphilie domestique
« (...) consommé en salle ou à la
télévision, le cinéma se situe à l'interface des
pratiques culturelles de sortie et des pratiques domestiques
103».
Avec plus de 170 millions d'entrées au cinéma
par an104 , la sortie au cinéma demeure une pratique de
sortie incontournable en France. Dès lors, il ne s'agit
pas de remettre en cause le cinéma comme pratique de sortie mais
d'introduire une étude réflexive et exploratoire sur la
cinéphilie domestique d'une quinzaine de personnes. Nous utiliserons
pour cela les entretiens effectués, au cours desquels les spectatrices
ont accepté de répondre un certain nombre de questions sur leurs
pratiques liées au cinéma, de leur fréquentation des
salles obscures à l'acte d'achat d'un film en passant par leur
consommation télévisuelle.
L'étude de ces pratiques s'inscrit
dans notre problématique dans la mesure où on peut
considérer que le film fétiche de salon tel que nous l'avons
décrit peut apparaître comme un bon indicateur de l'importance des
pratiques domestiques. Alors : opportunités techniques ou
cinéphilie parallèle ? Nous nous interrogerons d'abord sur la
circulation de l'oeuvre entre la salle de cinéma et l'espace
privé, avant de nous pencher sur la place du cinéma dans le
quotidien, et enfin d'ouvrir notre réflexion sur la notion de «
cinéphilie parallèle ».
103 COULANGEON, Philippe, Sociologie des pratiques
culturelles, La Découverte, Paris, 2005, p. 97
104 CARDONA Janine, LACROIX Chantal, Chiffres clés 2007-
Statistiques de la Culture, Département des Etudes, de la Prospective et
des Statistiques, La documentation française, Paris, 2007, 224 p.
Chapitre I
De la salle obscure à la DVDthèque
Dans ce chapitre, nous étudierons la circulation des
oeuvres cinématographiques ainsi que la circulation des publics «
autour » des oeuvres. L'objet-film n'a pas pour seule destination la
projection à être projeté dans une salle de cinéma
avant d'officier sur les étagères d'un vidéoclub et de
finir par être diffusé sur une chaîne de
télévision. Il s'agira pour nous
d'étudier, la consommation et le « mode de partage105
» des films mais également la mobilité actuelle des films du
fait de nouvelles alternatives de circulation et de consommation comme le
téléchargement.
A- La consommation
Avec 118.522 milliers de DVD produits en 2005 (contre 3310
milliers de VHS), le commerce du DVD se porte bien106. Il est
même devenu, en quelques années, le support par excellence des
oeuvres. En effet, en 2004, « 70 % du dépôt légal
s'est fait sur DVD ». En 2005, 6,5 millions de lecteurs DVD ont
été vendus et on estime aujourd'hui le parc de lecteurs de salon
à 19 millions d'appareils, lecteur DVD et magnétoscopes
confondus. Le DVD, en quelques années, est devenu un produit de
consommation courante.
Les jeunes femmes qui composent notre étude affirment
également utiliser et acheter ce support. À la question «
achetez-vous des DVD ? » voici quelques réponses :
105 à la fois comme mode de diffusion est comme mode de
consommation
106 CARDONA Janine, LACROIX Chantal, Chiffres clés 2007-
Statistiques de la Culture, Département des Etudes, de la Prospective et
des Statistiques, La documentation française, Paris, 2007, 224 p.
« Seulement de DVD que je suis sûr de revoir
après... » Juliette, 24 ans
« Non... On a d'autres moyens de... Je ne sais pas si je
peux le dire... » Virginie, 22 ans
« Bah j'ai pas trop de sous... » Marion, 20
ans
« Oui, j'achète les DVD de films qui m'ont
beaucoup beaucoup plus ! Quand j'ai envie de les garder, et de les avoir en
« beau » ! Mais je n'en achète pas énormément,
je crois que je dois en acheter trois par an ! Au total, je dois
peut-être en avoir une trentaine, une quarantaine... » Delphine,
24 ans
« Très peu... Car j'utilise surtout des DivX...
» Emilie, 26 ans
|
Les réponses que les spectatrices nous ont donné
semble révélatrices des possibilités offertes aux
spectateurs. Cependant, nous devons considérés deux choses :
- - Tout d'abord, les spectatrices considèrent l'objet
DVD qu'elles achètent comme un objet qu'elles vont conserver ; elles
doivent donc savoir, à l'avance, si c'est un film qu'elles vont regarder
à nouveau, qu'elles vont partager en groupe, voire prêter. Nous
envisagerons donc la possession de l'objet-film comme première marque
d'attachement.
- - Deuxièmement, la dimension budgétaire est
importante. En effet, les jeunes femmes que nous avons interrogées ont
entre 20 et 35 ans107, si elles ne suivent plus d'études,
c'est parce qu'elles viennent de s'installer dans la vie active. La culture et
a fortiori les loisirs ne sont donc pas leurs premiers pôles de
dépenses. Le fait qu'elles doivent payer pour un objet alors qu'elles
ont la « possibilité » de se le procurer « gratuitement
» pousse celles-ci à se tourner vers d'autres alternatives, dont le
téléchargement.
107Les jeunes femmes interrogées ont en moyenne
25, 5 ans.
À l'instar des statistiques nationales, dans les
entretiens, nous remarquons que la sortie au cinéma reste une pratique
de sortie courante. Si la majorité des personnes rencontrées
estime aller au cinéma entre une et trois fois par mois, les plus jeunes
ont une fréquentation plus assidue des salles obscures :
Est-ce que tu vas souvent au cinéma ?
« Non, non... Pas du tout... J'en ai pas envie...
Ça m'ennuie... J'ai été une très grande fan de
cinéma, j'allais voir... Quand j'avais 15 ans... J'allais voir quatre
films par semaine... C'est énorme... Et puis un jour, plouf, plus
rien... Je ne supporte plus les salles de cinéma... Je ne supporte pas
de faire la queue, en attendant de ciné ! Je ne supporte pas... Soit j'y
vais, et j'arrive à la dernière minute... Et j 'ai une place, et
je regarde mon film et on ne m'emmerde pas... Mais je préfère me
louer un DVD, comme ça... Je l'arrête quand je veux, je discute,
je vais me faire un thé... Ce qui m'ennuie, au cinéma, c'est
qu'on ne puisse pas partager pendant le film nos émotions ! Tu vois, si
tu y vas avec quelqu'un, un petit copain mettons... Tu vois, c'est difficile,
il y a des choses qui sont difficiles à communiquer... Et tu ne peux pas
parler... Parce que ça gêne tout le monde, tu ne veux pas te
lever... Tu ne peux rien faire... Et ça, avec mon caractère,
ça ne marche pas. Non, je n'aime pas aller au cinéma... Ça
m'ennuie... »
Valérie, 35 ans Par mois ? Par semaine... peut
être une fois par semaine... je vais surtout voir les nouveautés
qui sont bien critiquées. Je suis allé voir Ensemble c'est
tout, la dernière fois, 300, heuuum, Contre
enquête... ce sont mes trois derniers films...
Marion, 20 ans
|
Ces remarques corroborent le constat des chiffres clés
: « la sortie cinéma est ce qu'on appelle classiquement une
« pratique juvénile » : le public du cinéma se recrute
essentiellement parmi les individus de 15 à 25 ans.» ( Guy,
2000) Le cinéma reste une pratique de sortie considérable.
La location fait également partie des moyens de
consommation de films. Selon nos entretiens, elle est une
pratique irrégulière, qui dépend des
infrastructures de location mise en place, du lieu d'habitation, de la
proposition des films à louer :
Vous arrive t-il de louer des DVD ou des VHS
?
Alors... ouais, y'a 2ans, 2,3 ans, on louait vachement de
films... ben c'était aussi l'époque ou y'avait des distributeurs
installés partout... dans les villes, dans les quartiers, donc à
Strasbourg, ça c'était quand j'habitait encore chez ma
mère... avec une copine qui habitait dans le coin on allait souvent se
chercher un film et l'après midi, le soir, on se regardait un petit
truc... donc ça j'ai fait ça, peut être 6 mois, un an ;
maintenant... mais je loue plus du tout... don ouais, je les regardais avec
cette amie, plutôt que de errer à rien faire, on se louait des
films...
Sophie, 25 ans
En fait, ce n'est pas forcément moi qui ai la
démarche d'aller les louer, c'est surtout Jean qui va me dire...
Après c'est moi qui vais choisir le film, mais je n'ai pas le
réflexe, je n'ai pas la démarche première de me dire,
tient on va se mater un DVD... (...) En fait je trouve que ça n'a pas le
même impact à la maison... Quoique, avec un DVD c'est encore
différent, qu'il va chercher le film, alors j'ai encore une certaine
démarche mais quand même tu es beaucoup plus passif, quoi qu'il
arrive, en regardant un film chez toi... Et c'est ça qui me
gêne... Tu n'as pas l'échange que tu aurais pu avoir après
sur un film que tu as vu au cinéma...
Hélène, 23 ans
« Des DVD oui, des VHS non... Plus du tout... Des DVD
oui... Il y a un ciné Bank à 1 m 5 de chez moi alors c'est
facile... Des fois quand le soir il n'y a rien à
la télé... Ou quand j'ai déjà tout vu de ce
qu'il y a sur l'ordi... Alors je vais louer un DVD... Mais j'ai souvent la
flemme de le ramener après... Mais j'y vais quand même...
» Juliette, 24 ans
|
La location de DVD sous-entend donc un déplacement,
voire même plusieurs, et ne semble pas être particulièrement
prisé par nos spectatrices. En effet, cela semble être une
solution alternative, quand elles n'ont plus de films à regarder chez
elle. Mais cette solution semble petite à petit être mise à
l'écart au profit du téléchargement.
|
|