C - L'expérience Numineuse
Si nous évoquons le rite, force est de parler des
notions de « sacré » et de « profane »,
de la séparation entre les mondes du sacré et du
profane, de la distinction de ces mondes parfois pourtant si proches.
Cependant, il nous fallait également considérer la dimension
affective de l'expérience de ce rite. Rudolf Otto a proposé en
191792 le concept de numineux qui consiste en l'expérience
affective du sacré.
Pour Jean Cazeneuve « Ce mot, d'ailleurs correctement
formé93, a l'avantage d'être plus large que ceux de
mana ou de sacré puisqu'il les englobe. Il serait en effet
90 Un individu dit spécialiste a des
connaissances à la fois théoriques et pratiques sur un sujet
particulier. Par spécialiste d'un film, nous entendons un spectateur qui
a des connaissances de fond du film (répliques, scène) et plus
théoriques (nom des acteurs par exemple).
91 CALBO, Stéphane (Sous la direction de
Laurent Creton), le cinéma à l'épreuve du
système télévisuel, CNRS éditions, Paris,
2002, 307 p.
92 OTTO, Rudolph, Le Sacré,
l'élément non rationnel dans l'idée du divin et sa
relation avec le rationnel, petite bibliothèque Payot, Paris, 1917, 281
p.
93 Le mode numineux découle du terme «
numen » qui signifie le « divin ». Au sujet de la formation
du nom de ce concept, Rudolph Otto dit ainsi : « il convient donc
de trouver un nom pour cet élément pris isolément. Ce
nom en fixera le caractère particulier, il permettra de plus d'en saisir
et d'en indiquer
inexact de dire que Rudolf Otto limite son usage à
la sphère du sacré, ainsi qu'on a parfois semblé le croire
». Pour Jean Cazeneuve, le numineux est le sentiment originaire et
spécifique dont la notion de sacré n'est que le résultat
final. Au reste, la notion de numineux semble regrouper deux
éléments, le mystérieux et le
tremendum.
Le mystérieux signifie que l'expérience
éprouvée s'échappe elle-même. La locution latine
tremendum que nous pouvons traduire par « inquiétant
» (dans le sens de « fascinant ») évoque le fait que
l'expérience est désirée pour elle même on est
attiré par elle et qu'on cherche parfois à s'y identifier. D'un
point de vue pragmatique, l'obscurité de ses sentiments n'est pas sans
évoquer l'incompréhension de la pratique de la collection, de
même que l'amour inconditionnel pour un objet
cinématographique. C'est-à-dire le fait que les spectatrices, qui
admettent être fascinées par le film et désirent en
prolonger et de fait, perpétuer l'expérience, ne comprennent pas
pour autant la causalité de leur pratique.
Hélène, 23 ans : ... Je sais vraiment pas
pourquoi on le regarde 1000 fois...
Comme Hélène, la majorité des 15
spectatrices interrogées demeure à la fois dans
l'incompréhension et la fascination, dans le sens où elles
expliquent avoir besoin de ce fétiche, de leur amulette, d'un «
doudou ». Ce qui confère une dimension singulière à
l'oeuvre, c'est le besoin qu'elle engendre chez l'individu : « dans le
domaine artistique, c'est le sublime qui représente le numineux avec le
plus de puissance94 Aussi, l'exaltation provoquée par le
film peut apparaître comme une manifestation physique de la dimension
singulière d'une oeuvre, dans le sens de la réception du
spectateur et non en considération de son esthétique.
aussi, éventuellement, les formes inférieures ou
les phases du développement. Je forme pour cela le mot : le numineux.
» (p. 27)
94 OTTO, Rudolf, Op.cit, p.124.
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