II- Les méthodes de lutte biotechnique :
Ce terme, de plus en plus utilisé ces dernières
années avec la montée de l'aspect écologique, a
été rapporté par Boller (1983) comme désignant des
méthodes utilisées pour la
lutte contre les insectes, comprenant des stimuli physiques et
chimiques ou agents qui agissent sur le comportement ou le développement
des insectes nuisibles. Elles englobent les attractifs, les répulsifs,
les régulateurs et les inhibiteurs de croissance en incluant la
stérilisation des insectes (1).
II.1. L'anéantissement des mâles
:
Cette méthode est basée sur l'utilisation d'un
attractif sexuel très performant mélangé à un
insecticide pour attirer les mâles et les tuer par contact. La
rareté des mâles augmente le pourcentage des femelles ne
produisant pas d'oeufs fertiles, mais cette méthode n'a pas
trouvé d'échos favorables envers la Cératite
(1).
II.2. La confusion sexuelle :
La lutte par confusion sexuelle consiste à diffuser
dans l'atmosphère du verger des quantités importantes de
phéromone sexuelle de synthèse de façon à
désorienter les mâles empêchant ainsi la rencontre des
sexes. Cette méthode ne présente aucun avantage pratique pour la
Cératite à cause de ses exigences techniques (coût
élevé de la phéromone).
II.3. La lutte biologique :
La lutte biologique consiste en l'utilisation d'ennemis
naturels d'un ravageur. La lutte biologique par épizooties est connue
principalement par les agents qui se développent au cours des
élevages de Cératite tel que les bactéries du genre
Serratia qui s'attaquent aux oeufs, larves et pupes, et les champignons
entomophorales du genre Beauvaria, ou agents viraux (1).
Mais tous les microorganismes sont sans aucune importance
pratique en dehors de leurs dégâts sur les élevages de
masse.
Les parasites sont divisés en :
- Parasites des larves généralement du genre
Diachasma (Hyménoptéra,
Braconidae).
- Endoparasite "larvo-pupaux" dont l'Opius concolor
Szepligeti (Hyménoptéra,
Braconidae) endoparasite du stade (L3) juste avant la
formation de la pupe, provoquant la mort de l'adulte et la destruction du
puparium. A l'opposé des autres parasites, il ne se disperse pas
beaucoup mais présente une grande capacité adaptative. En
Tunisie, son taux de parasitisme sur la Cératite est très bas
(13).
- Les parasites des pupes sont des espèces attaquant la
Cératite au stade pupe tel que
Trichopria capensis et galesus silvestrii
(Hyménoptéra, diapriidae).
Malgré les nombreux travaux réalisés sur
ces différents parasites, les résultats sont relativement faibles
à cause des difficultés d'élevage et de la
complexité de la relation hôte- parasite.
II.4. Piégeage de masse
Devant l'incapacité de la lutte chimique, plusieurs
auteurs se sont penchés sur la combinaison des facteurs pouvant affecter
les populations de mouches tel que le stimulus olfactif et visuel. Le
piégeage de masse consiste à l'utilisation de cet ensemble de
stimuli par le biais d'un grand nombre de pièges en vu de réduire
au maximum la population adulte de la mouche.
L'utilisation des pièges Mcphail appâtés
avec des attractifs alimentaires et des chémiostérilisants
réduit significativement l'infestation. Le contrôle par les
pièges englués à attractifs alimentaires réduit
aussi bien la densité de la population que le taux d'infestation des
fruits sous certaines conditions (1).
Les pièges appâtés à l'attractif
alimentaire et à la phéromone sexuelle capturent plus de femelles
que ceux appâtés uniquement à la phéromone. Pour
ceci les modèles mathématiques de Barclay (1988) montrent qu'en
piégeage de masse la combinaison des deux types d'attractifs sur le
même piège augmente son efficacité (1).
Haniotakis et al. (1991) concluent après un
essai de piégeage de masse, que cette technique peut être
utilisée à la place des traitements insecticides pour le
contrôle de la mouche des fruits, mais ayant l'inconvénient de
n'être dirigée que vers le stade mobile du ravageur et qu'elle
n'est efficace qu'en cas de vergers isolés où le risque de
ré invasion est minimisé (1).
En Tunisie, les captures étaient 4 à 5 fois plus
importantes dans la parcelle traitée par le piégeage de masse.
Les niveaux d'infestation étaient relativement faibles; de l'ordre de
9,6% correspondant à des réductions des piqûres de l'ordre
de 82% et 89 % par rapport aux parcelles traitées chimiquement et aux
témoins.
II.5.La technique des insectes stériles II.5.1
.Introduction
C'est une méthode de lutte biologique contre les
insectes nuisibles notamment la Cératite, qui commence à
s'imposer devant les traitements chimiques comme étant une
méthode très respectueuse de l'environnement, sans
conséquences négatives sur la santé
humaine et très efficace.
La méthode a été appliquée pour la
première fois à l'île de Curacao (Antilles) contre la
Cochliomyia hominivorax (20) ce qui a incité
les chercheurs à l'expérimenter sur plusieurs insectes notamment
ceux de la famille des Tephritidae tel que le Dacus dorsalis
Hendel et Dacus cucurbitae coquillet, Dacus tryoni Frogg,
Anastrepha ludens Loew et Anastrepha suspensa loew et plus timidement
pour Bractocera oleae Gmelin, et Rhagolettis cerasi
(21).
En ce qui concerne la Cératite, le programme qui a
permis de limiter les populations dans la région d'Amérique
centrale a commencé à Hawaii, en Californie, et en Mexique.
D'autres applications ont été engagées depuis, avec plus
ou moins de succès en Egypte et Tunisie (22) ;(11)
En Tunisie, le programme en cours est celui mené par le
ministère de l'Agriculture et le Centre National des Sciences et
Technologies Nucléaires. Ce programme qui vise le contrôle de la
cératite dans la région de Beni Khaled au Cap bon (environ 6000
hectares).
II.5.2. Principe de la méthode
C'est l'entomologiste Américain E.F.Knipling qui a
été le premier à développer l'idée de
contrôler les insectes nuisibles aux cultures végétales par
des manipulations génétiques, une méthode connue comme
« lutte autocide » ou un « contrôle
génétique des insectes nuisibles » (23).
En se basant sur les travaux du généticien
H.Mueller, qui a provoqué des mutations létales dominantes dans
les chromosomes de Drosophila melanogaster, « Knipling » et
ses collègues ont montré que des faibles doses de radiation sont
capable de stériliser les insectes. Son modèle comprend une
colonisation et un élevage en masse de l'espèce cible, sa
stérilisation et sa dispersion dans les champs. Si les mouches
stériles l'emportent largement en nombre sur les mouches
fécondes, la population des mouches sauvages est rapidement
anéantie. La proportion des mouches stériles par rapport aux
mouches sauvages fertiles doit être d'au moins 10 pour 1.
Dans les champs, les mâles trouveront et s'accoupleront
avec les femelles fertiles leur transférant ainsi leur sperme
stérile. On obtient des descendants non viables, causant de cette
façon une réduction dans la population naturelle de l'insecte
nuisible. Au début de l'année 1950, dans son essai dans les
champs contre la mouche screwworm en Floride et Curaçao, la
validité de ce modèle a été
démontrée.
II.5.3. Bases génétiques de la
stérilité
La technique des insectes stériles a comme cible les
femelles sauvages dans les champs. Les femelles déterminent la dimension
de la population de la génération suivante. Par
conséquent, la stérilité est introduite seulement dans la
population sauvage à travers les mâles stériles. Ainsi les
mâles sont l'agent actif de la technique des insectes stériles.
II.5.3.1. Processus de la
stérilisation
Le processus de stérilisation doit être
sélectif et spécifique à la population cible.
Le traitement doit affecter seulement les cellules reproductrices
tout en gardant l'insecte viable et capable de rivaliser dans les champs.
L'exposition des cellules germinales aux radiations ionisantes
cause des mutations létales dominantes dans la progéniture de la
mouche irradiée (1).
L'irradiation des jeunes pupes de la Cératite permet
d'obtenir des adultes stériles à l'émergence.
Les doses de 80 à 100 Gray provoquent un niveau
élevé de stérilité chez les mâles. Les
femelles sont sensibles à des doses d'irradiation inférieures
à celles des mâles. En effet, à des doses de 40 Gray, on
obtient des femelles stériles.
II.5.3.2. Conséquences génétiques de
l'irradiation
Bien que quelques mutations létales dominantes
causées par l'irradiation soient des mutations seulement dans les
unités génétiques (gènes), on croit que la
létalité provient du fait que des parties des chromosomes sont
perdues, se sont dupliqués ou ont subis une translocation. Ce
déséquilibre des chromosomes est engendré par la radiation
ionisante causant la fragmentation des chromosomes (25)
(Figure 5).
Figure 6 : Les conséquences
génétiques de l'irradiation (25)
Lors de la fécondation de la femelle par le mâle
irradié, les chromosomes fragmentés sont transmis aux cellules
causant un matériel génétique
déséquilibré. Ainsi, lors de l'embryogenèse, les
duplications et les délétions des chromosomes vont
révéler des embryons qui vont finir par mourir.
II.5.4. Base génétique des souches à
sexage génétique :
Puisque seulement les mâles irradiés transmettent
la stérilité désirée à la population cible,
et comme pour le plus part des espèces les mâles et les femelles
sont morphologiquement semblables, des souches à sexage
génétique ont été développés pour
pouvoir séparer les deux sexes lors de l'élevage et de ne
lâcher que des mâles qui sont l'agent actif de la
stérilité.
II.5. 4.1. Cytologie de la Cératite :
La mouche méditerranéenne des fruits contient 6
paires de chromosomes incluant la paire de chromosomes du sexe. Quatre
autosomes sont métacentrique ou submetacentrique et une paire est
acrocentrique. Les chromosomes du sexe sont subtelocentrique.
II.5.4.2. Les mutations génétiques
:
Pour rendre la technique de l'insecte stérile plus
efficace et plus économique, on s'est basé sur une approche
génétique pour pouvoir séparer les mâles des
femelles lors de l'élevage en masse de la Cératite.
Une mutation sur la couleur des pupes : wp (white
pupae : pupe blanche) et une deuxième mutation (temperature sensitive
lethal) : tsl (26) sont utilisés comme
marqueurs de sélection. Ces mutations sont induites sur le chromosome
5.
Philippe Kerremans et Gerald Franz (1993) (26)
ont pu déterminer la position de ces mutations sur le chromosome 5 en
construisant la carte cytogénétique de ce dernier (Figure 6).
Figure 7: Carte cytogénétique du chromosome
5 de la Cératite.
D'autres marqueurs de sélection sont également
utilisés lors du sexage génétique des souches de la mouche
méditerranéenne des fruits tel que la sensibilité des
larves à la purine, la sensibilité différentielle (une
mutation Adh (Alcool deshydrogénase)) à l'alcool et la
couleur des pupes noire / brune (26).
II.5.4.3. Les souches à sexage
génétique :
Parmi les souches à sexage génétique il
y'a ceux dont on a réalisé une liaison entre l'autosome portant
le gène des marqueurs de sélection (mutation tsl et
wp) avec le chromosome du sexe mâle (chromosome Y).
L'allèle dominant du type sauvage des marqueurs de sélection est
lié au chromosome Y suite à une translocation provoquée
par irradiation.
Figure 8 : Structure du chromosome des souches à
sexage génétique (26).
Dans les souches à sexage génétique, en
se basant sur ce mécanisme, les mâles sont de phénotype
sauvage (tsl/wp+ : pupe brune/résistant à la température)
et les femelles sont mutantes (tsl+/wp : pupe de couleur blanche/non
résistant à la température).
II.5.5.Milieu de développement
larvaire
II.5.5.1. Milieu d'élevage standard
Le milieu d'élevage présente la composante la
plus importante pour un élevage de masse destiné à faire
des lâchers en plein champ. Par conséquent, le souci majeur de
l'élevage de masse est d'améliorer les performances des insectes
produits tout en réduisant le coût de leur élevage. Le
milieu d'élevage adopté à l'unité est celui de
Tanaka (1969).
Type de milieu
|
Composition
|
Son de blé
|
28%
|
Sucre
|
12%
|
Levure Torula
|
7%
|
Benzoate de sodium
|
0.2%
|
HCL
|
1%
|
Eau
|
50%
|
Tableau 8. Milieu d'élevage de la
cératite (Tanaka 1969)
Tableau 9: Quelques milieux d'élevage
essayés dans certains programmes de lutte contre la Cératite
dans le monde
Type de milieu
|
Composition
|
Unité d'élevage
|
|
Son de blé 26 %
|
|
|
Sucre ...12%
|
|
Milieu Tanaka
|
Levure Torula 3,6 %
|
Unité d'élevage
|
(Tanaka et al, 1970).
|
Benzoate de sodium 0,1 %
Methyl-p-hydroxy benzoate 0,1%
|
Waimanalo et California à Hawaii.
|
|
Eau .58 %
|
|
|
Methyl-p-hydroxy benzoate .0.1%
|
|
|
Sucre granulé 12%
|
|
Milieu à cane
|
Levure Torula (type B) 9%
|
|
à sucre
|
HCl concentré 1%
|
Unité d'élevage El Pino
|
bagasse
|
Eau 56%
|
au Guatemala.
|
|
Cane à sucre bagasse 13%
|
|
|
Farine .6%
|
|
|
Methyl-p-hydroxy benzoate ...0.6%
|
|
|
Sucre granulé .10%
|
Unité d'élevage Metapa
|
|
Levure Torula (type B) 9%
|
de Dominguez, Chiapas
|
Milieu à
|
HCl concentré ...0.7%
|
au Mexique.
|
betterave à
|
Eau .60%
|
|
sucre bagasse
|
Betterave à sucre bagasse .11,5%
|
|
|
Son de blé ...8%
|
|
II.5.5.2. Milieu d'élevage liquide
L'élevage de la mouche méditerranéenne
des fruits, en employant un milieu liquide a été un objectif
à réaliser pour des programmes d'élevage de masse de
mouche de fruit pendant les trois dernières décennies. A cause de
l'anatomie buccale de la cératite et de ses fonctions (la succion),
convertir le milieu de développement d'un régime solide à
base de son de blé à un régime liquide pourrait en effet
présenter une multitude d'avantages, ces avantages ont été
constatés surtout au niveau du premier et du deuxième stade de
développement de la mouche. Toutefois la mortalité
élevée et le bas rendement ont été rapportés
dans quelques études (Halanda 1976, Brunissent et La Neige 1978, Letardi
et Caffarelli 1990) (27).
Le milieu de développement larvaire de la mouche
à fruit basé sur l'utilisation du son de blé
utilisé actuellement au Département d'Agriculture des Etats Unis
(USDA) a été exécuté pendant plus de 30 ans et
excepté les changements mineurs (principalement dans les agents
nutritifs), ce milieu est employé dans le monde entier pour
l'élevage de masse de la mouche. Ce milieu contient du son de blé
qui présente pour les jeunes larves le rôle d'un substrat de
soutien aussi bien que certaines autres valeurs nutritives. Cependant, ce type
de milieu conventionnel présente quelques problèmes liés
à l'absorption de l'eau, la contamination par les champignons, le
coût de la production, la gestion (disposition, malaxage et nettoyage du
plateau), le stockage, l'espace, etc. Toutefois un milieu de
développement basé sur un liquide et fait d'un système
recyclable de substrat, pourrait diminuer plusieurs de ces problèmes
énumérés ci-dessus et réduirait le coût de
production global (27).
Le milieu est composé de levure de brasseur, de sucre,
d'agents antifongiques (benzoate de sodium et de Nipagine), d'acide citrique,
et d'eau distillée. Le tissu d'éponge placé à la
base des plateaux a été employé comme
élément de soutien pour des larves, substituant ainsi le
rôle de son de blé comme substrat dans le milieu traditionnel.
L'élevage larvaire de la Bactrocera Cucurbitae
Coquillett (la mouche du melon) sur ce type de milieu a eu comme
conséquence :
· Une production de moins de 20% de pupes
· Un poids de pupe inférieur de 10% par rapport
au milieu conventionnel, tandis que la densité, l'émergence des
adultes et les insectes adultes n'ont montré aucune anomalie
significative.
· La productivité en pupes a augmenté avec
des concentrations en levure jusqu'à 14.2%.
Les avantages d'un élevage à base d'un milieu
liquide incluent la réduction dans le coût de production, la
suppression du son de blé (qui risque d'être contaminé par
les pestes et les champignons) la réduction de l'espace de stockage et
du travail consacré (27).
Ces avantages et ces réductions du coût de
production doivent être pris en considération surtout lorsque
l'élevage passe à une grande échelle de production de
mouche stériles dans le cadre d'un programme de lutte.
|