C/ L'EFFET DU SUIVISME
Des raisons non économiques conduisent également
des populations à quitter provisoirement ou durablement leurs lieux
d'origine. L'histoire et la géographie des groupes ethniques peuvent
constituer d'importants motifs de mobilités. A force d'envoyer leurs
ressortissants en migration, certaines sociétés ont
transformé le phénomène de la migration en habitude. Les
raisons des migrations ne sont pas toujours seulement d'ordre économique
ou politique, elles sont également de nature éducative,
religieuse, sociale ou culturelle. Des recherches empiriques conduites en
Afrique de l'Ouest montrent que la migration ne peut être vue seulement
en tant que processus économique, mais doit être
considérée également comme un processus social (Petit in
AMMASSARI S, 1994).
En effet, «des causes anciennes ont créé un
contexte historique qui a transformé la migration en habitude et qui l'a
très fortement orientée vers l'extérieur; mais cela ne
suffit pas à expliquer la permanence du phénomène, son
accroissement sensible au fil des années » (Gaude J. 1982).
L'ampleur de la migration est d'un niveau tel à Louga que la presque
totalité des jeunes ne pensent plus qu'à émigrer,
d'où l'importance du phénomène mimétique. C'est
connu, la capitale du Ndiambour est devenue au fil des années une
importante zone d'émigration où le rêve des jeunes
garçons est avoir un visa, ce fameux sésame qui permet de quitter
le pays.
A Louga, il existe deux types d'émigrés : les
« gauchers » et les « goorgorlu ». Les premiers,
se livrent à des activités illicites, se caractérisent par
leur aisance financière et matérielle : voiture de luxe, villas
insolentes, dépenses incontrôlées dans les
cérémonies de tout genre, gaspillage au gré des
fantaisies. Les seconds sont par contre, des émigrés ordinaires,
leurs dépenses se font de façon modérée voire
économe. Ils mettent trois fois plus de temps que les premiers à
amasser de l'argent en Europe. Leurs maisons se construisent étape par
étape, après plusieurs séjours à l'étranger.
Si à Louga beaucoup de gens ne rêvent que de l'émigration,
c'est pour une bonne part à cause des émigrés «
gauchers » et de l'image qu'ils donnent de l'Europe une fois au bercail. A
les voir
évoluer au pays, on a l'impression qu'en Europe, la vie
est belle, trop belle, et que l'argent se ramasse à la pelle.
L'émigration affecte également
l'éducation nationale à Louga, à plusieurs niveaux. Dans
les établissements secondaires, les enseignants sont unanimes à
reconnaître le peu d'intérêt que les élèves,
particulièrement les garçons, portent aux études. Au
lycée Malick Sall de Louga, un professeur nous dit « avoir dans une
de ses classes 35 filles sur un total de 50 élèves environ.
Certes, il s'agit d'une classe, mais le fait est révélateur
» dit-il. Le professeur poursuit son analyse en affirmant que «
même le projet de la scolarisation des filles devrait être
relativisé à Louga à cause du phénomène de
l'émigration. Sinon on risque dans le long terme, de constater l'effet
inverse ».
Outre cette volonté des uns d'échapper au
contrôle social, et des autres de les maintenir, les zones
d'arrivée (Europe occidentale) exercent aussi une forte attraction sur
les jeunes. Les migrants qui, à leur retour, racontent avec magnificence
la vie qu'ils menaient en migration ont largement participé à
créer le mythe du migrant. Dès lors ils deviennent des
«modèles identificatoires », des personnes qui incarnent le
mieux la modernité.
Le silence sur les conditions résidentielles et
professionnelles réelles des migrants renforce le désir des
jeunes qui veulent découvrir la vie, souvent présentée
comme paradisiaque, dans les lieux d'immigration. Pour maintenir le
mystère qui entoure leur situation, les migrants revenus au village ne
se plaignent jamais. Au contraire, ils parlent des avantages de la migration en
évitant soigneusement de d'évoquer les difficultés
endurées. L'essentiel étant de bien paraître, même au
prix d'une grande prodigalité. « La réussite -réelle
ou simulée- du migrant n'engage pas que sa personne mais implique
également la notoriété de toute sa famille »
(Bâ Ch. O. 1995-1996).
Enfin, il existe encore des causes qui sont plutôt
liées à la complexité même du
phénomène migratoire. En effet, dans certains cas, les causes
peuvent devenir des conséquences et vice-versa. Pour exemple, une des
causes essentielles souvent avancées dans l'étude des migrations,
est que, c'est le déficit pluviométrique qui engendre le
déficit alimentaire et pousse les populations à s'exiler. Or, en
ce qu'elle ponctionne dans la population active, on s'aperçoit que la
migration diminue considérablement la
main-d'oeuvre agricole. Pour compenser leur absence, les
migrants envoient de l'argent destiné à payer des gens qui vont
travailler dans leurs champs. De plus, l'argent envoyé par les migrants
sert aussi à financer la migration de ceux qui, au village, attendent
leur tour. En permettant de recruter une main-d'oeuvre étrangère,
elle permet à d'autres actifs de prendre le chemin de la migration.
Cette imbrication des causes et des conséquences de la migration milite
en faveur de l'examen du processus migratoire dans une perspective dynamique
afin de mieux mettre en évidence le rapport entre les facteurs sociaux,
culturels, économiques, et psychologiques qui conduisent des populations
de Louga à émigrer (Anonyme, 2004).
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