Chapitre 2 : DE LA CRISE DE L'ARACHIDE AUX EFFETS DES
POLITIQUES D'AJUSTEMENT STRUCTUREL : L'EMIGRATION, UNE SOLUTION A LA
DEGRADATION DES CONDITIONS DE VIE.
La migration est sans doute un des phénomènes
les plus anciens de la civilisation humaine. Depuis la nuit des temps, l'homme
s'est toujours déplacé d'une contrée à une autre,
d'une région à une autre, par curiosité, par soucis de
s'enrichir des expériences des autres, pour améliorer ses
conditions d'existence, ou tout simplement, pour assurer sa survie dans un
environnement plus favorable.
La région de Louga fait partie des zones où la
propension à l'émigration internationale est devenue très
forte. Ce phénomène a un impact sur la population mais
également sur la vie économique de la région. Il est
parfois soumis à de très grandes variations conjoncturelles. La
région de Louga a connu ces dernières décennies des
sécheresses qui ont rendu les conditions de vie très
vulnérables et précaires. Toute la structure économique a
été bouleversée et l'environnement fortement
dégradé. Ceci a amené les populations à
développer des stratégies de survie dont le départ en
émigration.
Ce qui revient le plus souvent comme facteur explicatif de
l'émigration dans le département de Louga réside dans la
détérioration des conditions climatiques depuis 1973 qui a
sérieusement affecté la production agricole. Cependant comme le
souligne Laurence Marfaing (2003) dans son livre Les
sénégalais en Allemagne: « la
sécheresse qui sévit au sahel à cette époque est
certes catalyseur mais non pas, contrairement aux idées reçues,
la cause ». Les causes de la forte vague des migrations depuis les
années 70 sont en effet plus profondes ; elles sont liées
à l'évolution historique, économique et sociale du pays et
de la région. Un effet de « suivisme » joue également
un rôle important dans l'explication des facteurs de
l'émigration.
A/ CONTRAINTES CLIMATIQUES ET DIFFICULTES DE
L'AGRICULTURE
A-1/ Contraintes climatiques
Depuis la fin des années 70 les régions du sahel
subissent une sécheresse liée à une importante diminution
des précipitations. Les conséquences qui s'en sont suivies sont
dramatiques. L'analyse des données sur la pluviométrie laisse
apparaître que la baisse des précipitations s'est amorcée
depuis la fin des années 60, en phase avec ce qui a été
observé au sahel et s'est intensifié au cour des années
80. Cette diminution atteint en moyenne 20% par rapport à la
pluviométrie enregistrée auparavant et parfois des valeurs
supérieures à 25%.
Tableau 5: Evolution de la pluviométrique dans
le département de Louga par rapport aux 3 normales.
Normales/ Départements
|
Louga
|
1931-
|
1960
|
472,2 mm
|
1951-
|
1980
|
406, 5 mm
|
1961-
|
1990
|
323, 1 mm
|
Source : Ecographie du Sénégal
subsaharien
L'examen de ces chiffres permet de noter une diminution
tendancielle des normales qui participe à l'aggravation de la
dégradation de l'environnement régional. Cette péjoration
climatique fragilise les ressources naturelles et constitue ainsi un des
facteurs limitants.
Dans le département de Louga, la situation
pluviométrique de ces dernières décennies reste alarmante.
L'adaptation de certaines cultures au déficit hydrique est difficile, et
ce qui se répercute sur les rendements. Selon O. L.14, chef
de la division production végétale de la DR-DR de l'Inspection
Régionale de l'Agriculture de Louga, « la situation alimentaire
au
14 Entretien du 21 mai 2007
niveau de Louga est très difficile et serait encore plus
grave n'eut été l'apport significatif de l'argent envoyé
par les parents émigrés ».
Tableau 6: Evolution de la pluviométrie annuelle
dans la commune de Louga et l'arrondissement de Mbédiéne
depuis 1992
ANNE ES
|
1992
|
1993
|
1994
|
1995
|
1996
|
1997
|
1998
|
1999
|
2000
|
2001
|
2002
|
2003
|
2004
|
2005
|
LOUG
|
202,4
|
361,4
|
361,4
|
275,7
|
317,6
|
164,1
|
238,5
|
407,6
|
423,6
|
285,1
|
215,2
|
156,4
|
373,2
|
350,9
|
A
|
20*
|
26
|
26
|
34
|
25
|
21
|
25
|
28
|
33
|
32
|
18
|
30
|
24
|
29
|
Arr. de
|
211,3
|
400,3
|
218,2
|
306,6
|
317,7
|
198,6
|
220,2
|
412,0
|
432,6
|
326,6
|
?
|
225,7
|
362,4
|
412,3
|
MBED
|
|
23
|
25
|
26
|
26
|
21
|
21
|
17
|
30
|
32
|
|
20
|
20
|
25
|
IENE
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
*En gras Nombre de jour de pluie Source DR-DR IRA
Louga
L'analyse des données du tableau 6 révèle
une pluviométrie très aléatoire dans la zone. Aux
années de bonne pluviométrie (1999, 2000) peuvent succéder
des années plus sèche où les moyennes tournent autour de
200mm/an (1992, 2003). Même si ce sont plusieurs facteurs combinés
qui permettent une bonne récolte, les années de forts
rendements/ha coïncident avec des années de bonne
pluviométrie
D'autre part la diminution notable de la pluviométrie a
sévèrement compromis les rendements agricoles très
tributaires des précipitations. Ainsi comme le dit le chef du village de
Djélerlou Syll15 :
« Nous sommes des paysans et des éleveurs. Nos
parents ne vivaient que de cela. Mais depuis quelques années
l'agriculture ne marche plus. Les pluies se font rares, la sécheresse
s'est installée. La terre ne produit plus assez pour assurer la survie
des populations du village. Quand les premiers émigrés sont
partis et qu'ils ont commencé à entretenir convenablement leurs
familles, on a vu que l'émigration constituait une solution. Depuis tous
les jeunes du village partent en Espagne, en Italie ou en France et ceux qui
sont encore là, ne pensent qu'au jour où ils partiront, au
détriment de la terre. Peut-être, si la terre produisait encore
suffisamment, ils seraient restés. Mais en tout
15 Entretien du 05 avril 2007 avec Baye Modou Syll,
chef du village de Djélerlou Syll
cas, l'émigration est une bonne chose, car elle permet
notre survie, il suffit juste de regarder autour de vous »16
Ces propos traduisent parfaitement la perception de
l'émigration par les populations lougatoises comme une
conséquence directe des difficultés écologiques et de
l'agriculture. L'exode rural qui était la première solution s'est
très vite orienté vers l'internationale, à la suite des
difficultés économiques qui touchèrent le monde urbain.
|