B/ ARCHITECTURE ET MATERIAUX
Le secteur de l'habitat et de la construction a connu, ces
dernières années, une mutation remarquable du point de vue de
l'occupation de l'espace. Les tendances récentes laissent entrevoir une
présence marquée des émigrés dans
l'édification de belles demeures en contradiction avec les poches
d'habitats précaires dans tous les quartiers de la commune de Louga.
Le bâtiment exprime dans cette localité, «un
élément de réussite et d'ascension sociale et entretient
une fierté auprès des familles qui ont leur progéniture
à l'extérieur» souligne un ancien conseiller municipal
reconverti dans le secteur des BTP.
Dans la commune de Louga l'impact le plus visible des revenus
migratoires se lit dans les transformations qui s'opèrent dans l'habitat
à travers les modèles architecturaux. Partout, s
élèvent des villas en terrasse et à étage
(photos 5 et 6). Elles sont ensuite le plus souvent carrelées
et le marbre couvre le plafond. Sur les balcons, dominent des vitres
teintées, bien accrochées à des cadrans en aluminium.
L'amélioration de l'habitat est incontestablement l'aspect le plus
visible des mutations liées à l'émigration. Cet aspect est
considérable. Nos entretiens et enquêtes nous permettent
d'affirmer que presque tous les émigrés ont soit construit ou le
projettent.
Photos 5 : Exemples maisons d'émigré
à Louga
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Le toit en tuile verte est une des caractéristiques de ces
maisons
Cadrant en aluminium qui retient les vitres tintés
Carrelage qui se généralise sur les murs
extérieurs
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Photo : Exemple de maison d'émigré
lougatois
le marbre est devenu incontournable dans les nouvelles
constructions des émigrés
Photo : Chantier en construction d'une maison
d'émigré
Photos : Papa Issa Ndiaye, octobre 2007
Cependant, l'évolution de l'architecture des villas et
des matériaux utilisés, est indissociable de l'évolution
du mouvement migratoire lougatois. En effet, chaque période a produit un
modèle architectural dominant avec l'utilisation de certains types de
matériaux dans la construction. Trois périodes ont pu être
décelées dans l'évolution de l'habitat au niveau de la
commune depuis l'avènement de l'émigration. Cependant quelle que
soit la période, une chose demeure, l'émigré lougatois
aspire au grand standing.
*Les pionniers : les premières maisons
des émigrés étaient très simples. Elles
étaient calquées sur le modèle d'une maison de famille
traditionnelle sénégalaise avec plusieurs chambres. Le
séjour (salon) n'était pas pris en compte, de même que la
cuisine et les toilettes. Ces dernières étaient construites
à l'extérieur, à l'écart du bâtiment. Ce
modèle assez simple était couvert d'un toit en pente, le plus
souvent en zinc ou tuile. Leurs particularités résidaient dans
leurs couleurs souvent ocres, jaunes, orangées ou rosées. Ce
modèle architectural qui a prévalu durant la fin des
années 80, a été détrôné par les
villas en terrasse.
Figure 6 : Façade principale des
premières maisons d'émigré
Terrasse en pente
Source : Direction de l'urbanisme de Louga, 2007
*L'arrivée de la deuxième
génération d'émigrés dans les années 90
a marqué un changement véritable dans l'évolution du
mouvement migratoire lougatois. De
nouvelles destinations ont commencé à
émerger. L'Italie devient un pays de plus en plus visé par les
émigrés. Cela a eu un impact sur le paysage immobilier lougatois.
Des modèles importés de l'architecture occidentale font leur
apparition dans le secteur immobilier. C'est la génération des
villas en terrasse avec la cage d'escalier où dominent des tuiles
vertes. Les maisons en pente sont progressivement abandonnées ou
transformées en terrasses. Egalement, la cuisine et les toilettes
commencent à être intégrées dans le bâtiment.
Un émigré du quartier de Ndiang Bambodj explique sa
mésaventure avec sa mère qui ne pouvait pas concevoir que la
cuisine soit à l'intérieur du bâtiment. En effet, dans les
sociétés sénégalaises, la cuisine et les toilettes
ont longtemps étaient à l'écart des habitations, dans un
coin de la maison.
Cette deuxième génération
d'émigrés a donné une nouvelle impulsion à
l'architecture des maisons. La dimension esthétique est de plus en plus
prise en compte dans les nouvelles constructions. D'autre part, malgré
la taille assez grande du bâtiment, le nombre de chambre diminue - 4
à 6 chambres- au profit d'un séjour et d'un garage pour la
voiture. Les matériaux aussi évoluent. C'est le carrelage qui se
généralise. L'importexport de matériaux de construction
connaît un essor considérable. A l'intérieur des villas,
presque tous les équipements sont importés.
L'émigré se crée un style de vie particulier.
Photo 6 : Façade principale maison de la
deuxième génération d'émigré
Carrelage sur tous les murs
Garage pour la voiture de l'émigré
Photo : Pape Issa Ndiaye, octobre 2007
*Actuellement les villas des émigrés prennent de
plus en plus compte de la rentabilisation du terrain. Face à la forte
spéculation foncière qui atteint des records, se
développent les constructions en hauteur. Ils sont
généralement l'oeuvre des émigrés « gauchers
» car seuls eux peuvent supporter leurs coûts très
élevés. Dans ces villas à étages, le
rez-de-chaussée est souvent destiné à une activité
commerciale (magasins) et les étages à usage d'habitation. Ce qui
frappe au premier regard de ces villas est leur splendeur. Elles font
rêver tous les jeunes et contribuent à entretenir le mythe de
l'émigré très riche qui gangrène la
société lougatoise. Les matériaux sont aussi nouveaux avec
l'utilisation du marbre importé d'Italie et de l'aluminium
Photo 7: Façade principale d'une maison
d'émigré avec magasin
Photo Papa Issa Ndiaye, octobre 2007
Ce développement de l'immobilier est sans répit.
Les nouvelles constructions poussent comme des champignons aussi bien dans les
poches vides des anciens quartiers, que dans les nouveaux lotissements des
quartiers périphériques. Que se soit à Ndiang, Voile d'Or
ou dans les autres quartiers de la commune, le secteur de la construction
connaît un dynamisme remarquable. Louga reste le troisième client
de la SOCOCIM pour la
fourniture en ciment derrière Dakar et Touba. Ces
villas qui symbolisent la réussite de l'émigré ont
joué un rôle déterminant dans le développement de la
ville. Selon les autorités municipales, l'émigration est le
moteur de l'urbanisation de la ville et constitue le principal facteur
explicatif de l'extension rapide du périmètre communal.
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