CONCLUSION
Au terme de notre recherche, la construction de notre objet
d'étude nous a permis, non seulement d'explorer le champ de
l'étude, de poser le problème qui constituait le fondement
même de nos préoccupations, mais aussi d'identifier clairement les
différents aspects des changements culturels. Pour nous, l'articulation
principale est celle qui gère les rapports entre les populations de
Issala actuel avec les anciens villages jadis traversés par Du Chaillu
en 1885. Dans un second temps, nous avons recueilli les informations
pertinentes sur la base de notre guide d'entretien auprès des personnes
rencontrées aussi bien à Libreville, à Idoumi qu'à
Issala même.
La problématique que nous avons
développée dans ce mémoire s'est focalisée
principalement autour de la question de l'inventaire des sites et villages
exposés dans Afrique Sauvage en vu d'établir une
causalité entre les phénomènes. Nous avons pu
découvrir les populations desdits villages. L'intérêt
accordé à leur passé fournit les repères
variés. En effet, nous avons pu localiser et même retrouver la
majorité des sites et villages visités par du Chaillu. Nous avons
cerné les raisons qui ont déterminés le maintien des
anciens villages depuis près de 150 ans, bien que se présentant
sous d'autres formes. Et cela, malgré les regroupements imposés
aux populations le long des voies de communication construites par
l'administration coloniale. Au regard de l'information recueillie, il
apparaît clairement que la tradition orale a gardé un souvenir de
ce grand personnage historique. Souvenir relatif à
l'événement tragique ayant marqué la fin de sa longue
exploration de l'Afrique équatoriale Française.
Nos hypothèses de départ ont été
confirmées. En effet, il apparaît que les changements
constatés dans nos sociétés sont tributaires de la
politique coloniale. Loin donc de constituer une conclusion
qui clôt le débat, ce n'est nullement le but visé, nous
pensons que l'action coloniale a créé des disparités
nouvelles sur tous les plans. Elle a surtout créé des mutations
importantes au plan socioculturel. C'est à partir de cette
période qu'on peut situer le début des grands changements
socioculturels qu'on observe dans le Gabon d'aujourd'hui.
Mais bien que la colonisation contemporaine, à travers
ses activités (déplacement des populations, exploitation
forestière et pétrolière), ait oeuvré contre la
distribution traditionnelle des populations en créant des villages, de
regroupements sur les axes de
communication afin de faciliter leur gestion par
l'administration coloniale, il se trouve que de nombreux sites et paysages, non
soumis à l'exploitation ont conservé le même aspect que du
temps de notre explorateur, c'est le cas des villages : Mwawou, Niémbou,
Moubana, Mughiba, Ditadi pour ne citer que ceux-là, ou des monts
Biroughou, L'chingou. De même, nous notons la conservation du
système de chefferie, la persistance du système clanique dans
l'organisation sociale qui compose notre village d'étude. Les invariants
culturels restent centrés sur les principes de solidarité, de
sacralité, de continuité qui agissent et s'inscrivent dans une
logique culturelle qui redoute le changement.
Par ailleurs, d'autres phénomènes se
perpétuent avec moins de vivacité. C'est le cas des contes et
légendes au clair de lune, des danses, des jeux, quelques techniques et
savoirs-faire ainsi que les croyances aux mythes comme les animaux
totémiques (le perroquet) évoqués par Du Challu. Notons
aussi la pratique de la médecine traditionnelle qui vient relier la
médecine moderne. Au plan religieux, le Mwiri, le Bwiti, le Mimbouiri
etc. sont encore d'actualité quand bien même la majeure partie de
la population dudit village pratique parallèlement le culte
monothéiste imposé par le colon. Dans tous les cas, nos valeurs
traditionnelles subissent une pression extrême de la modernité.
Nous dirons, à la suite de Minko Mvé, que les manifestations de
la modernité (de la récurrence et du changement) étant
très évidentes, elles sont souvent complexes. « Elles
montrent que la société
gabonaise, en général, vit un tournant majeur
de son histoire et qu'elle est entrée dans une mutation qui concerne
tous les domaines et qui, par sa construction, se caractérise par une
allure exponentielle ».
Au regard de ce qui précède, nous n'avons pas la
prétention d'affirmer ou de conclure que le cas examiné chez les
Massango soit généralisable à l'ensemble du territoire
gabonais. Une autre étude menée dans une autre partie du
territoire peut nous amener à l'affirmer. Dans la mesure où notre
enquête s'est appesantie sur les témoignages de treize
informateurs. Face à l'ampleur des changements, il nous importe de
regarder autrement la modernité. Car, la réinvention des
traditions, comme le pensait déjà Gérard Buakasa, et la
résurgence de savoirs endogènes sont des réponses au
resserrement des contraintes sans entraves. Car comme le stipule une sagesse
africaine « lorsqu'on se trouve perdu en forêt, qu'on ne sait
plus où aller, il faut revenir sur le chemin laissé
derrière ».
Terminons par ce conseil de Léopold Sédar Senghor
à l'endroit de la jeunesse
africaine : « La civilisation de l'universel
aujourd'hui favorise de profonds changements, car les hommes se communiques
leur idée, leur sentiment, leur technique d'un bout à l'autre du
monde par les moyens qui ignorent les distances. Il est vrai que pour se
développer, les civilisations doivent se respecter et s'enrichir
à l'aube du troisième millénaire.
Cependant, nous devons reconnaître qu'actuellement,
pour une grande partie de l'humanité, l'échelle des valeurs a
perdu toute signification. Il appartient donc à vous les jeunes
d'élaborer cette civilisation de l'universel qui sera faite de valeurs
complémentaires de tous les continents et de tous les peuples. Il
convient de garder à l'esprit qu'il n 'y a pas de civilisation sans
culture, car l'effort culturel est lui-même la principale valeur de la
civilisation. Je souhaite que cet espace soit un lieu de rencontre,
d'échanges qui vous permette de trouver le bonheur culturel et vous
ouvrir aux civilisations. »34
34 Léopold Sédar Senghor, in
Réseau Afrique de janvier à avril 2006, p. 2.
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