Chapitre 4: Le regroupement de village
Section 1. Facteurs historiques et
géographiques
L'État indépendant dans lequel nous mouvons est
l'héritier direct de l'État colonial, lui-même construit
sur le modèle métropolitain. Les changements consécutifs
à l'indépendance ont été même perceptibles
dès l'implantation des colons français en Afrique. Ils ont
affecté les politiques, redistribué le pouvoir et
entraînant les mutations profondes. C'est ainsi qu'après
l'implantation de la domination coloniale, plusieurs facteurs vont
désormais agir plus activement pour favoriser les changements sociaux au
Gabon. Parmi les plus importants, nous pouvons citer la route.
En effet, pendant la période coloniale, les Africains
ont constitué une maind'oeuvre bon marché pour des travaux lourds
et des activités à caractère commercial. À ce
niveau, les souvenirs sont encore beaucoup plus vivaces et parfois plus
douloureux. Selon les informations recueillies, il ressort que les villageois
en garde encore le souvenir et leurs récits très proches de ceux
rapportés par du Chaillu. Ils étaient enrôlés de
force pour la construction des routes, des tracés de boussole dans les
forêts pour l'ouverture des chantiers et la création des pistes
afin de faciliter l'écoulement des marchandises. D'autres sont
envoyés dans les grands chantiers où ils n'étaient pas
rémunérés. Par exemple, le travail du caoutchouc et de
l'ébène dont du Chaillu fait légèrement
état, étaient de plus en plus importants et permettaient aux
villageois d'échanger leurs produits à Yombi, près de
Fougamou, qui paraissait être le centre de transaction commerciale. Bien
que du Chaillu soit relativement discret sur ses activités,
précisons, tout de même que c'est grâce à ces
ressources qu'il a pu financer ses expéditions.
Dans l'optique de mieux contrôler les populations, un
rapprochement des villages semblait inéluctable. Ce regroupement se
faisait sur la base de la proximité intervillageoise, de la langue et
des régions. La plupart des villages rassemblés se sont donc
concentrés à proximité des routes nouvellement
créées. De là découle les mouvements de
distribution des populations.
Section 2. Facteurs politiques
Pour tenter de comprendre la réorganisation administrative
du territoire Gabonais à l'orée des indépendances, nous
avons voulu remonter plus haut afin de saisir les facteurs
politico-administratifs de l'époque. En effet, la
France avait pris possession du Gabon par le traité signé avec
les chefs et rois du pays en 1886. Date à laquelle il se sépare
de ses dépendances (Cotonou et Porto-Novo qui furent rattachées
au Sénégal). Dès lors le Gabon fonda une administration
autonome rattachée directement au ministère de la marine et des
colonies.
Le souci manifeste de s'autonomiser obligea les dirigeants de
l'époque de développer le secteur commercial. Or à cette
époque, la monnaie n'existait pas. Les échanges se faisaient par
le troc. « Avant l'introduction au Gabon des concepts
économiques occidentaux, l'économie Gabonaise était
orientée vers le troc ».15 En effet,
l'entrée du pays dans le système capitaliste devrait moderniser
et faciliter l'échange. Car le commerce était à la base
des préoccupations coloniales des années 19O6. Le gouverneur
Général Marlin soumit au ministère des colonies trouva
mieux d'augmenter les territoires dans lesquels le commerce libre pouvait
exercer son activité. Dans la mesure où ma réorganisation
administrative et juridique devrait permettre d'utiliser, d'une manière
plus parfaite les moyens de pressions dont disposaient les colonisateurs.
Mais sur le terrain, les réajustements et le
perfectionnement de l'appareil répressif et administratif se traduisait
par une désagrégation et l'anéantissement des
révoltes populaires à l'exemple de la révolte Awendji
(1928), de l'Ivindo (1908-1912), Powe (1912), ou la guerre de Wongo (1928).
C'est vers 1957 que le regroupement de village fut constitué au niveau
de Issala actuel. Cette création faisant suite à celle des routes
insufflées par les pouvoirs publics en 1950. Les populations de nombreux
et anciens villages massango établis au nord de la route
(Lébamba-Mbigou), situées sur la rivière Wano ont
été drainées au nord de celle-ci. En effet, c'est à
la suite des mouvements de décolonisation que le Gabon, à
l'instar des autres pays africains, a acquis son indépendance (1960).
Cette nouvelle orientation politique favorise une réorganisation
administrative et territoriale. Les lois et règlements qui
régissent le pays sont fixés et promulgués par
l'organisation politique et administrative centrales.
Mais la nécessité de l'efficacité
administrative, ainsi que l'éloignement de certaines régions du
pouvoir central, exige de ce fait les relais, sorte de courroie de transmission
entre le gouverneur et les populations. C'est ainsi que le territoire gabonais
dont les limites internationales ont été établies
arbitrairement comme partout en Afrique à l'époque
15 El Hadj Omar Bongo, Un homme, un pays (Le
Gabon), collection Etat Africain d'Hier à Demain, nouvelle
édition Africaine, Dakar, 1984, 28O p.
coloniale, est actuellement divisé en provinces,
elles-mêmes subdivisées en départements, ceux-ci en
districts, cantons, et regroupement des villages. Pour ce qui est de notre
part, le village constitue la cellule administrative de base. Il est donc
placé sous l'autorité d'un chef de village. Regroupés, le
chef de village passe donc pour un chef administratif. « La
création et l'organisation des villages sont fixées par
Arrêté du ministère de l'administration du territoire et
des collectivités locales (anciennement dénommé)
».16
Malgré tout, force est de reconnaître que la
politique de regroupement des villages a favorisé une réelle et
évidente intégration des populations des forêts.
Récit 4 - Georges Mbembo (né
vers 1952, village d'origine Mughiba, clan : SimaMaduma ; clan du père
Mbaghu), Chef de regroupement. Il porte sur la guerre ethnique
Massango-Nzèbi dite mbalmakuta collectée à Issala au cours
de notre second passage. Récit collecté en français :
Pour commencer, retiens d'abord que les fondateurs de ce
village : Ibour-kas, Ibour-kiengu', Ibourkoidi, tous de la tribu boukombe et
originaire de mubana. C'est également un homme de cette tribu notamment
Bukile bu mouange né de sime mbaghu qui fonda Moughiama.
Mubana est un village massango et le capitaine de
l'équipe s'appelait Mbal 'makoute (nom qui fut donné à la
guerre que nous faisons état). Il avait donc la mission d'empêcher
l'arrivée et l'invasion d'une autre ethnie sur leur territoire notamment
les nzèbi. La nourriture des masango c'est le tarrot, la banane,
l'igname alors que celle des nzèbi c'est principalement le manioc. Ah !
Mon fils tu sais, ces choses là, on ne les raconte plus parce qu'on
déjà ensemble partout donc c'est pas bon, mais comme c'est
l'école je te le dis.
Les Nzèbi habitant de Ndènguè
voulaient s'installer à Mubanu. L'armée nzèbi en route
pour l'annexion de Mubana, marqua une pose au niveau de la rivière afin
de s'alimenter en nourriture avant de faire la traversée. Sur les lieux,
ils détachèrent le paquet de concombre et le manioc pour en
manger. C'est alors que le moukouyi massango ramassa le paquet de concombre et
le manioc et les emmena au village avertir le capitaine Mbalmacouta qu'il y
à une armée postée au niveau de la rivière, ce sont
les nzèbi, ils arrivent nous annexer. En voici les preuves.
Les arrivistes étaient très nombreux : une
armée redoutée et donc difficile à combattre physiquement.
Cette troupe s'appelait Dibadi. Le capitaine Mbalmacouta se voulant
réaliste, estima que le seul moyen de les combattre c'est par la ruse,
en employant les fétiches. Dès lors, il immobilisa tous les
villageois pour en fabriquer, ainsi tout le monde ouvrit la porte des
fétiches. Une fois terminé, tout le village s'éparpilla en
forêt. Un seul vieux resta au corps de garde pour contrôler les
fétiches. Au bout du village, Mbalmacouta déposa un «
Moukanda » et un poteau (moughoughou) qui est en fait un « Moukouyi
» qui devait combattre contre les arrivistes. Les premier fusils
étaient des « Ikiape, Dibéboudjou » et les «
Foulou » ; poudre qui rend tous les villageois invisibles, mais ces
derniers voient les ennemis. Les plombs étaient les « Milourgue
».
Quand l'armée nzèbi arriva à
l'entrée du village Moubana, le chef d'équipe ordonna à
ses troupes d'attendre là et se présenta le premier au niveau du
corps de garde. Immédiatement, le vieux resté au corps de garde
poussa un grand cri par lequel il ordonna l'attaque. Le fusil des Massango
déclencha et fendu la tête du chef de « dibadi ». Son
crâne fut récupéré et déposé à
la maison des fétiches.
L'armée « Dibabi », voyant leur chef mort,
se retourna pour prendre la fuite. Mais hélas, les « Mikanda
» placés à l'entrée du village barrèrent la
route aux soldats de « dibadi ». Le poteau planté dans la
cours criait « bébé », ce dernier n'était qu'un
« Moukouyi » entendons Moukoukwè
16 Ministère de l'Education Nationale de la
République Gabonaise, Géographie et cartographie du Gabon,
atlas illustré, Libreville, IPN/LNC/Edicef, 1983.
pour dissuader la troupe. A cet instant, les masango
déclancha le «Mouyèni»: le fusil sur les envahisseurs.
Se sentant vaincu, « dibadi » demanda l'arrêt du
combat.
Une fois le combat arrêté, les nzèbi
sollicitèrent l'aide des Massango pour le remède contre le «
Munèyi » afin d'anéantir le poison. Les Massango
répondirent que c'est la rivière (nzèli en nzèbi).
Or, c'était à nouveau un piège. Ces derniers
allèrent dans la précipitation se jeter dans la rivière et
en mourus tous. Voilà l'origine du nom nzèli.
Récit 4bis - Georges Mbembo (né
vers 1952, village d'origine Mughiba, clan : SimaMaduma ; clan du père
Mbaghu), Chef du regroupement. Il porte sur la guerre des clans dite de
Moubana, autant de du Chaillu, collecté à Issala au cours de
notre second passage. Récit collecté en français :
À l'époque de nos grands parents, nous avons
connu plusieurs guerres entre les clans, entre les villages ou alors entre
ethnies. Celle de Moubana opposait deux clans massango des différents
villages. Mon village, Moughiba, n'était pas en reste. Enfin, je
n'étais pas à cette époque, mais c'est ce qui nous a
été rapporté.
Moubana que tu entends-là, c'est le nom de la
montagne qui, par la suite, donna son nom à la région. Mais le
nom du village c'est Ndèng'. Cette guerre de Moubana s'appelait Mbouda.
Tu entends bien mon fils ? Parce que, lorsque vous faites vos
papiers-là, vous confondez les choses. Mbouda a débuté
à Moubana, puis s'est poursuivie dans d'autres villages. Les clans
à l'origine de la guerre sont ceux de Boukomb et Baghondji.
Les villages environnant, une fois au courant de la
guerre, prenaient chacun position aux côtés du clans qui est le
leur, sans hésiter. Nos grands parents à l'époque avaient
l'esprit de solidarité et d'entraide, surtout lorsqu'il est question
d'un clan ou d'un lignage qui est le sien. Mais vous aujourd'hui, on attaque le
voisin à côté, vous regardez sans rien dire, ni
séparer. Ha ! Le blanc vous a déjà gaspillé. C'est
pourquoi je n'aime pas aller à Libreville. C'est tout, tu veux encore
que j'ajoute quoi ? On se battait avec des flèches et des
poudres.
Les récits de Mbembo Joseph portant sur la guerre, en
général, traitent respectivement la question des guerres
ethniques, claniques ou régionales. Dans les premières
séquences du premier récit, l'auteur nous livre les informations
en rapport avec le clan fondateur du village étudié, ainsi que
les conflits inhérents à l'implantation de certaines
communautés. De même, il fait état des techniques
employées par les Massango.
Avant d'en faire dans le second récit une comparaison
distincte entre la société traditionnelle et la
société moderne lorsqu'il aborde la question de solidarité
et d'entraide. Il met en exergue les mots qui minent la société
de l'heure (l'individualisme), ainsi que tout ce qui gravite autour et qui sont
une émanation de l'Occident. Ainsi, nous rendons compte que la guerre de
Moubana, telle que raconté par notre informateur n'a rien à voir
avec notre explorateur. On peut être amené à penser que
l'événement malheureux de du Chaillu à Moubana n'est pas
un élément fondamental dans l'histoire.
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