L'implication de la communauté internationale dans les processus de démocratisation en Afrique. Le cas du Cameroun( Télécharger le fichier original )par Jean Marcel ILUNGA KATAMBA Université de Kinshasa - Graduat 2004 |
B. L'ambiguïté de l'action française en faveur de la démocratie au CamerounLa politique étrangère française en matière de soutien aux processus de démocratisation en Afrique reste à géométrie variable. Divers faits corroborent cette observation. Ainsi, afin de ne pas être accusé d'aider les dictateurs, en application des préceptes de la Baule, le Togo et le Zaïre avaient vu leur coopération militaire avec la France suspendue. Au même moment, la France n'a pas pris des mesures analogues à l'endroit du Cameroun, de la Côte-d'ivoire et du Gabon, pays considérés par Achille MBEMBE comme faisant partie du cercle restreint de « l'Afrique utile » et bénéficiant d'un traitement de faveur de la part de la France. L'ambiguïté de l'action de la France résulte non seulement d'une absence de consensus de fait - contrairement à la stratégie américaine - entre les acteurs sociaux et politiques de ce pays sur la position à adopter mais aussi et surtout du double langage des autorités et personnalités publiques. S'agissant de l'absence de consensus entre les acteurs sociaux et politiques, dans le domaine da la presse précisément, la presse française en général, et RFI en particulier ne montraient guère des bonnes dispositions à l'endroit du régime BIYA et semblaient manifester de la sympathie pour l'opposition camerounaise. A l'inverse, les milieux diplomatiques français se voulaient beaucoup plus rassurants, en expliquant que les positions de la presse étaient celles de la presse et n'engageaient pas les pouvoirs publics, et que ce n'est pas la presse française qui dictait la politique française à l'endroit du Cameroun((*)183). La contradiction ainsi relevée ne fait pas pour autant de l'action des officiels une action claire et univoque. En effet, on peut relever une certaine ambiguïté dans cette action, ambiguïté résultant de leur double langage. Ainsi, face à la querelle entre le pouvoir et les acteurs sociaux camerounais de savoir si oui ou non le Cameroun devait passer par la formule de la conférence nationale souveraine afin de s'engager sur la voie de la démocratisation, les politiques français étaient divisés aussi en deux camps : ceux qui étaient favorables au président Paul BIYA, et ceux qui affichaient de la sympathie pour les partisans de la thèse de la conférence nationale souveraine. Dans le premier camp, on rangeait Jean Christophe MITTERRAND, conseiller du président François MITTERRAND pour les affaires africaines, et Yvon OMNES, ambassadeur de France au Cameroun. Dans le second, se classaient des africanistes du Quai d'Orsay, mais surtout Michel ROCARD qui, disait-on, animait une cellule des conférences nationales((*)184). Le gouvernement camerounais s'est toujours montré de bonne disposition face à l'action de la France. En effet, il ressort des diverses analyses que l'action française est plus soucieuse de la préservation d'un maillon important du « pré-carré » africain plutôt qu' à le démocratiser. Démocratiser le Cameroun reviendrait à « donner » le pouvoir à une clase dirigeante qui menacerait les intérêts économiques français, tel que Pascal LISSOUBA s'était permis de le faire au Congo-Brazza, ou encore mettrait en péril sa zone d'influence stratégique et culturelle. D'où l'intérêt pour la France à garder le statu quo. Le gouvernement camerounais sous la conduite de Paul BIYA y trouvant son compte, on ne peut point s'étonner de la collusion de sa politique avec l'action française. A l'opposé, les acteurs non gouvernementaux n'ont jamais montré de bonnes dispositions à l'égard de la France, la considérant comme un obstacle à l'instauration réelle d'un régime démocratique, à cause de son soutient indéniable au régime BIYA. D'abord, signalons la frange de l'opposition dite radicale qui avait eu à défrayer la chronique au plus fort de la contestation politique en 1991 en lançant un mot d'ordre de boycotte des produits français((*)185). Ensuite, il convient de mentionner les personnalités de l'intelligentsia comme les professeurs Achille MBEMBE et Maurice KAMTO, le célèbre écrivain MONGO BETI et le philosophe Fabien EBOUSSI BOULAGA - pour ne citer que ceux-là, qui, dans leurs écrits, se sont toujours montrés critiques à l'égard d'une démocratisation en trompe l'oeil conduite sous la bénédiction du parrain français. Enfin, citons des journaux tels que Challenge Nouveau, la Nouvelle Expression, Le Messager, qui ont toujours critiqué avec véhémence l'ambiguïté de l'action française. Eu égard à tout ce qui précède, il apparaît clairement que l'action américaine en faveur de la démocratie au Cameroun procède par la stratégie d'appui aux partenaires sociaux de ce pays, forces qui soutiennent le changement démocratique. A l'inverse, l'action française s'allie au gouvernement, force qui semble ne pas soutenir le changement démocratique, ou qui ne le fait pas en tout cas comme le voudrait son opposition. Cette attitude ambivalente de la France semble être justifiée par le fait que ce pays mènerait sur le terrain camerounais un combat pour la défense d'une certaine civilisation face aux appétits des allemands, américains et britanniques. Les Etats-Unis dénient de leur coté à la France le rôle de parrain de ses ex-colonies et chercheraient par la voie de la démocratisation du Cameroun à installer au pouvoir une classe dirigeante qui protégerait au mieux ses intérêts((*)186). Au-delà donc de la promotion de la démocratie, l'intérêt national semble avoir servi de fondement à l'implication de ces deux Etats. * (183) Non loin de nous, c'est-à-dire en 2004, l'interview de Monseigneur Christian TUMI diffusé sur les antennes de RFI le 20 octobre, qualifiant le scrutin du 11 octobre 2004 de mascarade, avait provoqué l'ire du Ministre de la communication, M.Pierre MOUKOKO MBONDJO qui, par un communiqué virulent diffusé le même jour, qualifiât ladite interview de « violation flagrante des lois universelles de la déontologie journalistique » et accusait RFI « de traiter les événements majeurs du Cameroun avec un parti pris inadmissible ».Continuant toujours sur le même ton, le ministre de la communication s `étonnait du fait que RFI, pourtant placée sous la tutelle du Ministère français des affaires étrangères, n `avait même pas tenu compte du message de félicitation envoyé à Paul BIYA par son homologue français, Jacques CHIRAC, à l'issu dudit scrutin. * (184) Voir Z..NGNIMAN, op.cit, p.214 et svt. * (185)J.F.BAYART, « Réflexions sur la politique africaine de la France », in Politique africaine n° 58, Juin 1995, p.44. * (186) On ne peut donc s'étonner dans ces conditions que l'ambassadeur américain Mme Frances COOK ait mené à visage découvert la campagne présidentielle de John FRU NDI ( l'opposant principal à Paul BIYA) lors des élections présidentielles de 1992. |
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