a cohésion sociale n'est rien d'autre que le partage
d'un certain nombre de valeurs capables de maintenir une société
solide et solidaire. En effet, au-delà de l'aspect économique,
l'absence de ces valeurs peut faire submerger une société, aussi
riche
et développée soit-elle, dans des profondes
dissensions. Le cas de la Belgique en est la parfaite illustration.
Effectivement celle-ci souffre d'un conflit inquiétant entre les
flamands et les wallons (francophones) pouvant mener probablement à une
scission du pays. Il est donc clair que le partage de valeurs communes,
approuvées et non imposées, constitue l'ossature d'une
société cohésive. Ce partage ne peut avoir lieu que par le
biais d'une socialisation des individus. Les principales institutions aptes
à sociabiliser ces derniers, dans le cas du Maroc, sont : la famille,
l'école et la religion. Cette dernière joue un rôle non
négligeable sur le comportement de la population marocaine étant
donné que la société marocaine est fortement religieuse.
Cependant, il faut être prudent à l'égard des idées
véhiculées par des groupements religieux qui n'ont aucune
légitimité. Ceux-ci cachent derrière leurs prêches
des idées intégristes totalement rétrogrades appelant
à la haine et à la violence. Le seul moyen dont dispose l'Etat
pour contrer la montée en puissance d'un islamisme
démesuré est l'école. En effet, tout ce qui est
enseigné à l'école renseigne sur le projet de
socialisation souhaité pour la prochaine génération. Il
convient donc de signaler le rôle de l'école en tant que rempart
agissant en faveur de la société contre les innombrables menaces
qui la guettent.
Seulement, l'école marocaine d'aujourd'hui ne remplit
guère son rôle. C'est à cause de cela qu'on peut expliquer,
en partie, la montée en puissance de l'islamisme qui a trouvé le
champ vide pour endoctriner une large partie de la population et surtout les
couches sociales les plus défavorisées qui ont été
faciles à convaincre en raison de l'exploitation de leurs conditions de
vie. Pis encore, les idées islamistes commencent à
pénétrer l'école par le biais de certains
éducateurs, ce qui n'est pas sans danger sur l'ensemble de la
société. La nécessité de repenser la mission de
l'école s'impose donc avec acuité.
Avant d'aller plus loin, il est nécessaire d'essayer de
donner une interprétation à l'éducation. En faisant cela,
nous pourrons mieux comprendre et définir la mission d'une école
qui défend des valeurs garantes d'une société
cohésive. En effet, selon Philippe MEIRIEU12
l'éducation peut être définie comme : « une
relation dissymétrique, nécessaire et provisoire, visant à
l'émergence d'un sujet. » (Philippe MEIRIEU, 1997)
· L'éducation = Relation
L'éducation est une relation qui lie
l'éducateur et l'éduqué, celle-ci ne se limite pas
seulement à la simple transmission du cours mais englobe l'ensemble des
outils et procédures utilisés à cette fin. En effet, la
sociologie anglo-saxonne met mieux en relief cette relation, selon les
études de Michael YOUNG il existe à côté du
curriculum formel (programmes, instructions pédagogiques) un autre
curriculum tacite où les élèves apprennent comment
intervenir en classe, quelles sont les questions qui sont convenables et celles
qui ne le sont pas. Dans le cas du Maroc, La relation
éducateur/éduqué n'est guère exemplaire, car
caractérisée, spécialement dans le secteur public, par
l'oppression physique et morale. Citons à titre d'exemple le
châtiment corporel qui est monnaie courante dans l'espace éducatif
marocain. Cette situation serait-elle le reflet des rapports de pouvoir dans la
société ?
· L'éducation = relation
dissymétrique
L'éducateur effectue un tri afin de choisir ce qui est
« bon » pour l'éduqué. Les concepteurs des programmes
et les éducateurs choisissent les contenus qui sont jugés
convenable à l'éduqué. La relation éducative,
pouvant être affective ou au contraire autoritaire, est régie par
un référent extérieur à elle. Le
référent (Savoirs, connaissances, cultures) joue donc un
rôle déterminant dans cette relation. Cela va sans dire que le
contenu éducatif doit être confectionné soigneusement. Or
le programme éducatif marocain a acquis sa cohérence au prix de
l'écrasement des langues et cultures régionales et le refoulement
de la diversité culturelle, favorisant ainsi
délibérément le primat d'une logique dominante à
savoir la culture arabe qui n'est pas représentative de l'ensemble de la
société marocaine. Toute une frange de la population (population
berbère qui représente une grande part de la population)
12 Professeur à l'université
Lyon-II.
trouve leur culture exclue de l'école marocaine qui
baigne dans « l'ethnocentricisme ». Effectivement, cela est plus
visible en reprenant les mots de Basil BERNSTEIN : « la manière
dont une société sélectionne, classe, transmet et
évalue les savoirs scolaires est le reflet à la fois de la
distribution du pouvoir et du contrôle social. »
· L'éducation = relation dissymétrique
nécessaire
Il est évident qu'aucun de nous n'a pu parvenir
à être adulte sans une transmission culturelle d'autres personnes
qu'elle soit positive ou négative. La « vie » ne peut
être éducative en raison de son caractère aléatoire.
En cela c'est à l'école qu'incombe la tâche de
l'éducation. En effet, elle doit être un espace qui permet un
apprentissage progressif et exhaustif. Cela implique que l'identification du
contenu à transmettre n'est pas suffisante à elle seule. Elle
doit être accompagnée de l'élaboration des méthodes
permettant une bonne transmission du contenu. C'est justement cet aspect qui
fait défaut au système éducatif marocain, lequel n'incite
guère l'éduqué à apprendre et se cantonne à
l'émission de l'éducateur et à la réception passive
de l'éduqué qui est sommé de recevoir le cours tel qu'il
est sans aucune critique.
· L'éducation = relation dissymétrique
nécessaire et provisoire
L'objet ultime de l'éducation est l'intégration
du contenu éducatif par l'éduqué. Autrement dit, ce
contenu doit être utilisé et réapproprié par ce
dernier dans sa vie quotidienne. Cette intégration constitue le pont qui
lie l'école à la société. Cela étant dit,
l'établissement de ce lien n'est pas une mince affaire, car selon les
penchants et les conditions d'enseignement des matières, certaines
d'elles sont plus prisées que d'autres. A cela vient s'ajouter
l'hégémonie de certaines matières telles que les
mathématiques qui ont une place centrale dans le système
éducatif et qui sont imposées à l'éduqué de
façon systématique sans prendre en considération sa
volonté et ses penchants. Ainsi, peut-on avancer qu'il ne peut y avoir
point d'éducation s'il n'y a pas une appropriation personnelle de ce qui
est transmis à l'éduqué.
· L'éducation = relation
dissymétrique nécessaire et provisoire visant l'émergence
d'un sujet.
L'éducation ne doit pas rimer avec fabrication, en
effet cette approche est à proscrire car il est impossible
d'aliéner les opinions et assigner à l'école la mission de
forger des générations dociles dont les opinions sont identiques
: « L'éducation-fabrication ne conduit qu'à la violence
car, quand les volontés s'opposent, le conflit éclate
inévitablement, avec son cortège d'humiliations ou de
renonciations. » Philippe MEIRIEU La finalité de
l'éducation est de veiller à ce qu'une génération
autonome dotée d'un esprit analytique au niveau intellectuel puisse
émerger. Pour ce faire, le système éducatif doit
être un espace de liberté accordant à
l'éduqué la possibilité de forger sa propre
personnalité en s'appuyant sur un contenu éducatif adéquat
qui anticipe la volonté et la conscience de tout un chacun.
En définitive, Sigmund FREUD n'a pas tout à
fait tort en considérant l'éducation comme étant un «
métier impossible » dans la mesure où il est
impossible d'agir sur la conscience d'autrui. En effet, il faut plutôt se
focaliser sur l'importance de prévaloir un système
éducatif qui accepte les différences et qui encourage
l'éduqué à poursuivre ses volontés et à les
appliquer pour le bien de la société. En résumé, le
processus d'éducation doit prendre en considération trois
exigences indissociables13 :
o Hominisation: rendre l'éduqué
sensible aux questions de l'humanité,
o Socialisation: lui apprendre le « vivre
ensemble » et lui permettre de trouver
une place dans la société à travers
l'insertion professionnelle par exemple,
o
Personnalisation: celui-ci doit trouver dans le système
éducatif un outil
efficace pour forger sa propre personnalité.
L'école doit donc permettre à
l'éduqué de s'épanouir quelle que soit son origine
sociale, et non pas être un facteur supplémentaire d'exclusion.
Force est de constater que le système éducatif marocain et loin
de répondre à ces exigences. En effet, on constate une dichotomie
entre le secteur privé et le secteur public. Le premier est
élitiste, réservé à une partie de la population
particulièrement aisée, offrant à ses élèves
un environnement adéquat à l'apprentissage tandis que le second
est empêtré dans ses problèmes ne pouvant même pas
fournir à ses éduqués les rudiments de l'éducation.
Nous pouvons citer la situation dans les
13 Bernard CHARLOT - professeur en sciences de
l'éducation, Université Paris-VIII
établissement ruraux où l'enseignant doit
enseigner trois classes à la fois. Dans ce contexte, l'école, en
tant que promoteur social, devient un espace de concurrence acharnée et
continue, permettant aux plus compétitifs d'accéder à des
établissements prestigieux. Cela dit, cette concurrence, qui n'est ni
pure ni parfaite eu égard à l'inégalité
d'accès au savoir, s'est d'autant plus accrue avec le nombre important
de jeunes diplômés chômeurs, dû principalement
à la déconnexion de l'école avec le marché du
travail. L'entrée dans la vie active décente suppose
impérativement l'obtention de diplômes délivrés par
des établissement prestigieux très sélectifs
nécessitant une durée d'études de plus en plus longue. Les
savoirs et compétences scolaires deviennent des marchandises vendues aux
plus offrants.
Comme on l'avait souligné avant, le système
éducatif marocain doit être en phase avec les besoins actuels de
la société et promouvoir ainsi des valeurs communes pouvant faire
front contre les perversions qui menacent la quiétude de la
société.
Pour ce faire l'école marocaine doit intégrer
l'hominisation, la socialisation et la personnalisation au sein de son
système. Autrement dit, l'éduqué, en sortant de
l'école, doit :
o acquérir des valeurs universelles telles que les Droits
de l'Homme,
o appliquer ses droits et ses obligations en tant que
citoyen,
o se sentir membre de la nation sans pour autant nier les
cultures régionales, o forger une personnalité forte.
Tels sont donc les défis de l'ensemble des
établissements éducatifs marocains. L'enseignement de ces
pratiques ne pourra se faire que dans un cadre qui favorise le
développement en se basant sur l'interactivité, la
diversité des opinions. Sans oublier, la nécessité de
réhabiliter les établissements scolaires publics, qui est une
condition sine qua non, en leur fournissant les ressources financières
et humaines nécessaires à leur développement. Si toutes
ces conditions sont réunies, l'éducation promouvra alors la
citoyenneté et par voie de conséquence la cohésion
sociale.