CHAPITRE III
Le lien substantiel : Le contrat d'engagement
maritime' la vie des marins
A. Le contrat d'engagement Maritime
C'est à la fin du XVIIe siècle que
Colbert (ministre des finances de Louis XIV), soucieux d'avoir une marine
forte, prit des dispositions afin d'améliorer la qualité et la
fiabilité de ses équipages. Car, avant ces mesures,
l'enrôlement des équipages était 'particulier' :
officiellement on parlait du système de la presse et officieusement de
« Shangaïer* » les hommes, c'est-à-dire leur promettre
l'or et la gloire, ou bien de les saouler au bar, ou encore de leur faire du
chantage, bref, embarquer n'importe quel homme de passage sur les quais de
gré ou de force. L'État allait même jusqu'à former
les équipages avec des prisonniers. Or les navigations duraient bien
souvent plus d'un an, et la vie à bord demandait une certaine
énergie. Par conséquent, l'hygiène, la santé et le
moral étaient bien souvent mauvais et donc, la fiabilité et
l'efficacité de la flotte en pâtissaient.
Ainsi vers 1670, Colbert résolut le problème du
recrutement des équipages en instituant le principe de l'Inscription
Maritime, qui deviendra plus tard l'Immatriculation des marins. De ce fait,
tout homme tirant substance de la mer devait un temps de service à
l'État, service dans « la Royale ». En temps de guerre il
pouvait être rappelé. En contre partie, Colbert mis en place un
régime de pension et des règles « d'assistance
médicale » totale et gratuite pour les marins blessés en
service. Ce sont les fondements du Droit Social Maritime et donc du CTM.
1. Les différences avec le code du travail
C'est donc de sa propre initiative et sous sa double tutelle
(tutelle légale - l'enregistrement du marin-, et tutelle sociale -
l'affiliation à l'ENIM -) que l'État a fondé le Droit
Social Maritime. De par sa nature, le Code du Travail Maritime (CTM) avait une
trace écrite et référencée, chaque navigant du
Royaume devait répondre des mêmes astreintes et capacités.
Il en allait bien entendu autrement pour les métiers terrestres,
où, bien souvent, les contrats n'étaient qu'oraux. Seulement, la
double tutelle de l'État n'a cessé de perdre du terrain en raison
de l'évolution du travail maritime.
C'est à la fin du XIXème
siècle que le Droit du Travail Maritime s'est aligné sur celui du
Travail Terrestre, et, bien que les textes soient restés distincts, leur
évolution fut parallèle.
La plus grande spécificité du CTM est le
contrat d'engagement maritime lui-même. Citons l'Article 1er de ce
dernier : « Tout contrat d'engagement conclu entre un armateur, ou son
représentant, et un marin, et ayant pour objet un service à
accomplir à bord d'un navire en vue d'une expédition maritime,
est un contrat d'engagement maritime régi par les dispositions de la
présente loi ». Le marin était donc lié plus à
l'expédition maritime qu'à l'employeur, et son engagement prenait
fin dès lors qu'il se trouvait sur la Terre de son domicile.
Or en 1936, avec l'instauration des Congés
Payés, il fallait que le contrat d'engagement maritime couvre les
périodes sans travail, c'est-à-dire sans présence à
bord. Dès lors, le marin ne se trouve plus dans la sphère du CTM,
puisqu'il est à Terre, mais dans la sphère du Code du Travail
terrestre. Il n'est plus engagé envers l'Expédition Maritime mais
envers son entreprise.
Ainsi, nous pouvons nous apercevoir que la
spécificité du CTM s'amenuise avec l'évolution du travail
maritime. La multiplicité des pavillons et la libre circulation des
travailleurs communautaires n'iront pas dans le sens d'une autonomie du CTM.
2. Le contrat d'engagement maritime
D'après la définition de l'Article 1er du CTM,
le seul contrat d'engagement maritime devait être le Contrat au Voyage
(ce fut le premier), puisqu'il prend effet à l'embarquement du marin et
cesse à la fin de l'Expédition Maritime.
Comme nous l'avons vu plus haut, ce contrat doit être
conclu par écrit. Entre autre, il doit y être stipulé :
Le service pour lequel le marin est engagé.
La fonction qu'il doit exercer.
Le montant de son salaire.
La durée du Contrat.
Le délai de préavis (du côté du marin
et de l'armateur).
En outre, il doit être visé par l'autorité
maritime (l'Administrateur des Affaires Maritimes en territoire
français, et le Consul de France à l'étranger). C'est un
reste de la tutelle légale de l'État. Souvent le Rôle
d'équipage remplit cette tâche.
A l'origine, les contrats d'engagements maritimes
étaient tous des contrats au voyage, comme prévu dans le CTM de
1926, mais petit à petit le marin et l'armateur ne conclueent plus un
contrat au voyage liant le marin à l'Expédition Maritime mais un
contrat à durée déterminée ou
indéterminée liant le marin à l'entreprise maritime, et
ainsi les périodes non embarquées se font sous le contrat
d'engagement. Mais toujours d'après l'Article 1er du CTM ce n'estt pas
possible. C'est donc par défaut que le droit commun du travail terrestre
s'applique. Ce fut encore plus sensible dès 1936 avec l'apparition des
Congés Payés à Terre. Or le Législateur n'avait pas
à statuer sur celui des deux droits qui devait faire foi... Donc, selon
l'âge des textes en balance, c'était soit le droit commun du
travail terrestre qui s'appliquait, soit celui du CTM.
C'est donc en 1936 que le principe de la stabilisation des
marins fut obtenu par les Conventions Collectives de la Marine Marchande. Mais
c'est seulement entre 1947 et 1950 que la stabilisation des marins et la
titularisation des Officiers furent organisées.
Ainsi, le marin stabilisé bénéficiait
d'une priorité d'embarquement sur les navires de l'armateur, d'une
rémunération pendant les éventuelles périodes
d'attente d'embarquement, en contrepartie de sa disponibilité.
Dès lors, les contrats à durée indéterminée
devinrent le principe, ceux à durée déterminée
l'exception.
D'autre part, il est très intéressant, voire
important, de lire les Articles 10.2 ; 10.3 ; 10.4 ; 10.5 et 10.6 du CTM, car
ils traitent du devoir de l'armateur envers le marin pour tout ce qui est des
contrats à durée déterminée et leurs reconductions,
et finalement de l'aboutissement au contrat à durée
indéterminée.
3. Les obligations des deux contractants l'un envers
l'autre
Puisqu'il y a entre le marin et l'armateur un lien contractuel de
source écrite, cela les engage l'un envers l'autre à respecter
certaines obligations.
Obligations du marin envers l'Armateur : (Titre 3 du CTM)
Il y a une grande imbrication entre le CTM et le Code du Travail
Terrestre mais on peut toutefois signaler quelques cas particuliers des droits
et devoirs du marin :
- De ranger et de garder en bon état de fonctionnement
sa cabine et les effets mis à sa disposition, et cela en dehors des
heures de travail et sans donner droit à une allocation
supplémentaire. (Article 22).
- Il n'est pas tenu d'accomplir un travail qui n'est pas celui
pour lequel il a signé le contrat d'engagement maritime, sauf si le
Capitaine juge que les circonstances sont de force majeure, dans ce cas, le
Capitaine est le seul juge. (Article 18).
- Seul le Capitaine décide si le marin est autorisé
à descendre à Terre en dehors de son service, durant les escales.
(Article 19).
- Le marin ne peut charger sur le navire une marchandise pour son
propre compte sans l'autorisation préalable de l'armateur ou de son
représentant. (Article 23).
- Pour tout ce qui touche à la durée du temps de
travail et du temps de repos hebdomadaire, c'est le Code du Travail terrestre
qui est pris en compte, à l'exception de l'exigence du Capitaine afin
d'assurer la sécurité immédiate et nécessaire au
navire, aux personnes à bord, ou à la cargaison. Citons l'article
22 : « le marin est tenu de travailler au sauvetage du navire, de ses
débris, des effets naufragés et de la cargaison »
- Enfin l'Article 30 précise que tout travail induit par
un cas de force majeure (déclaré par le Capitaine) ne peut donner
droit au repos compensatoire, ni à une allocation de l'armateur.
Obligations de l'armateur envers le marin : (Titre 4 du CTM)
Dans cette partie il nous semble intéressant de s'attarder
sur les particularités de la vie du marin. A savoir : il vit à
bord durant toute la durée de son embarquement.
Cette situation implique, de la part de l'armateur,
propriétaire du navire sur lequel vivent 'ses' hommes, certaines mesures
:
- La nourriture doit être de bonne qualité et en
quantité suffisante. Et dès qu'il y a plus de 20 hommes à
bord, le cuisinier doit effectuer son travail à plein temps. (Article 73
& 74).
- Les accessoires pour le couchage doivent être fournis
selon les règles relatives à l'hygiène à bord des
navires. (Article 78).
- L'armateur doit prendre en charge tout marin blessé ou
malade à bord, et le faire soigner voire même rapatrier aux
frais du navire. C'est une des plus vieilles obligations de la
marine instaurée par Colbert, et elle a justement donné
naissance au CTM. Le salaire du marin sera
conservé pendant un maximum de 4 mois à partir
du jour où il aura été laissé aux soins d'une
autorité compétente à Terre. (Article 83).
- L'armateur doit rapatrier le marin aux frais du navire qu'il
soit en fin de contrat ou en fin d'embarquement. Ce rapatriement comprend le
transport, l'hébergement, et la nourriture, jusqu'à son port
d'attache. (Article 87 et 88).
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