Trafalgar sur la marine de
commerce française
Yann Collin Thèse professionnelle
Tuteur : Pierre Tracol, Master en Management
Supérieurs hiérarchiques : Alain Fournier &
Philippe Hervé Promotion 2007
CMA - CGM
Conséquence de l'évolution du lien substantiel
entre État du pavillon et navire au sein de la marine marchande
Française et des équipages
Résumé Introduction
I. Le lien substantiel dans la relation État-navire
A. Définition du navire et approche du lien
substantiel
B. /mmatriculation et Francisation d'un navire
1. Battant pavillon national ou TAAF
a. Le port d'attache
b. Le nom
c. Le tonnage
d. Les conditions requises pour obtenir la francisation
2. Battant pavillon R/F
II. Le lien substantiel : l'État, l'armateur, le
Commandant
A. L'évolution du statut de l'armateur
1. Réaffirmation du rôle de l'État à
l'orée de la 2e guerre mondiale : le cas des Liberty Ships
2. La reconstruction de la marine marchande Française
dans le cadre du plan Marshall
B. L'entreprise armatoriale
1. Évolution et distanciation
2. La mise en place d'unité de business, le concept de
ligne
C. Le lien entre armateur et équipage, part du lien
substantiel
1. Navire et équipage, évolution de l'espace
2. Conséquence de l'unité de business, le multi
pavillonnement
D. L'exemple particulier du Capitaine, un statut d'exception
1. Les fonctions du capitaine, des évolutions
marquées
a. La réglementation relative aux conditions de travail
et de vie à bord
b. Le capitaine de mandataire itinérant à
préposé de l'armateur
2. Les limitations légales de responsabilité
III. Le lien substantiel : Le contrat d'engagement maritime, la
vie des marins
A. Le contrat d'engagement maritime
1. Les différences avec le code du travail
2. Le contrat d'engagement maritime
3. Les obligations des deux contractants l'un envers l'autre
4. La rupture du contrat d'engagement
B. Du contrat de travail maritime à l'agence de manning
C. La vie de marin aujourd'hui, conséquences des
stratégies de l'armateur
1. Les facteurs sociaux
a. La discrimination à la nationalité
b. Les problèmes de communication, la question des
langues
c. Disparité ethnique, la question de l'interculture
2. Les facteurs personnels
a. Le respect et l'importance du sentiment d'être
respecté
b. L'isolement géographique : la famille
c. Le développement de psychopathologies
particulières et leurs conséquences
3. Les facteurs professionnels
a. Les exemples d'une tournée Chinoise et du canal de
Panama
b. La préparation de la crise, les exercices
c. La piraterie, le terrorisme et l'/SPS
Conclusion
Annexes
Annexe 1:
Appréciation de l'entreprise
Annexe 2:
Glossaire
Bibliographie
Annexe 3:
Retour d'expériences
Officier de marine marchande
Officier de marine marchande, responsabilité, devoir
Officier mécanicien
Officier pont
La fonction d'Officier
Ship manager, à l'interface entre marin et entreprise
armatoriale Prédispositions structurelles du navire
L'opération de planning
Les outils de travail
L'organisation et la mise ne oeuvre de l'escale
La réalisation du plan de chargement
L'intégration au sein d'une unité de business
Remerciements:
Je souhaite en premier lieu remercier le commandant Raphael
Baumler, pour l'influence qu'il a pu avoir à la fois sur
l'élaboration de ce travail mais également sur la reprise de mes
études.
Un grand merci à M. Florent Vicaire, officier
mécanicien avant qu'il ne rejoigne les bureaux de la compagnie Maersk
Maritime puis CMA CGM, avec qui j'ai travaillé, et qui a pris le temps
de m'éclairer sur certains aspects de la gestion des compagnies
maritimes et à obtenir un certain nombre de données.
A Nicolas Vignes, Jean François Franceschi, Renaud
Boyer et Jean François Raoult Grondin et tout les autres, tous camarades
officiers ayant répondu à mes questions et partagé avec
moi les résultats de leur propres travaux de thèse.
Mes sincères remerciements à Alain Fournier et
Philippe Hervé, mes supérieurs hiérarchiques et
maîtres de stages qui m'ont offert leurs conseils ainsi qu'à mes
collègues des services NEMO et PAD. Mes remerciements s'adressent
également à Hervé de Tarade, formateur au F/RST de la CMA
CGM qui m'a donné accès à de nombreuses informations.
Enfin un grand merci à M. Pierre Tracol et au docteur Babu
Abraham, tuteurs de cet exercice, pour l'aide qu'ils m'ont apporté au
cours des deux années ou ils m'ont vu travaillé sur ce
document.
Résumé
Le lien substantiel est la traduction des systèmes
organisationnels, humains et structurels par lesquels un Etat exerce ou
entretient l'image de son autorité sur un navire battant son pavillon.
Le lien substantiel n'a jamais été clairement défini par
les réglementations internationales alors que son obligation a
été posée par la Convention de Montego Bay en 1982 faisant
suite à la convention de Genève de 1958. L'Etat du pavillon est
libre quand aux modalités d'exercice de ce lien substantiel, ce qui se
traduit principalement dans les conditions d'immatriculations du navire et dans
son contrôle.
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale la situation de la
marine de commerce française n'a cessé d'évoluer vers une
libéralisation du système. Alors que suite à
l'épisode des Liberty Ships, le gouvernement se posait la question de la
Nationalisation de la flotte, la fin de la colonisation, l'apparition des
conférences d'armateurs face aux nouveaux pays maritimes, va renforcer
la position des armateurs privés dans l'exercice de leur métier
en voyant la fin des dernières grandes compagnies d'économie
mixte. Au début des années 1980, les premiers pavillons de
complaisance, à l'instigation des armateurs américains font leurs
apparitions et vont déclencher un dépavillonnement massif vers
ces registres de non-droits, non-obligations et non-lien. Permettant de fait
à ces mêmes pays de voir leur importance grandir au sein de l'OM/
(Organisation Maritime /nternationale).
Les États à traditions maritimes, telles la
France, qui cherchaient à préserver et encadrer de manière
stricte l'accès à leur pavillons ont fini par céder sous
le poids de la globalisation maritime. L'apparition des pavillons de
complaisance à l'orée des années 1980, sous l'impulsion
des armateurs américains a permis un accroissement de la concurrence,
déjà bien développée à la suite
de l'effondrement du système colonial par
l'entée de nouveaux Etats maritimes tel Panama, les Bahamas, le
Libéria, la Mongolie (pays côtier ??). Ces nouveaux pavillons
présentent l'avantage de ne reconnaître que peu de droits sociaux
et font échecs dans la pratique comme en droit aux actions collectives,
en s'appuyant et favorisant l'enregistrement des navires sous couvert de
société écrans. Les Etats traditionnellement maritimes
cherchèrent tout d'abord à se préserver de ce
phénomène en s'appuyant sur les syndicats nationaux pour lutter
contre cette concurrence. Puis devant le manque de succès flagrant de
cette méthode, ils adoptèrent la création de pavillon bis
puis plus récemment de registres internationaux, les premiers permettant
de favoriser l'emploi d'une main d'oeuvre nationale et offrant aux
équipages internationaux un « droit social » encore à
l'état embryonnaire pour raison d'inactivité, issu d'un
territoire doté d'une autonomie juridique (Mata Utu, îles
Kerguelen pour la France). Cette mesure fit tomber la population de marins
français à 1500 environs.
C'est dans ce cadre que le lien substantiel a connu la plus
forte évolution. L'Etat se concentrant de plus en plus sur un
pragmatisme économique et stratégique et les armateurs cherchant
autant que faire ce peu à diminuer leurs postes de dépenses et
faisant face à une demande croissance de la part de la clientèle
de diminuer les couts ont permis la dérive du lien substantiel vers une
notion beaucoup plus floue ou la reconnaissance du rôle de l'Etat du
pavillon s'est transposée à une pseudo responsabilisation des
armateurs puis des affréteurs.
Parallèlement l'évolution des concepts de
sécurités civiles ont favorisé une
hyper-responsabilisation des équipages contrevenant à la notion
maintenant presque désuète de la fortune de mer permettant aux
armements et affréteurs de se dédouaner peu à peu sur les
Commandants et marins, sur les sociétés de classification, sur
les états du port.
Les impératifs commerciaux issus des politiques en flux
tendu des systèmes logistiques mondiaux ont engendré une
massification des navires comme des terminaux portuaires et des structures
adjacentes, et augmenté les contraintes liées à la
compétition pour l'obtention des marchés par les armateurs. De ce
fait la situation des marins et leurs relations avec les armateurs se sont
trouvées modifiées, avec l'exemple extrême du Commandant
perdant la quasi-totalité de ses prérogatives commerciales et
maritimes.
L'évolution du lien substantiel n'est pas anodine, et
ses conséquences sont lourdes à la fois d'un point de vue
économique, mais également écologique et humain. La marine
de commerce est l'épine dorsale des échanges commerciaux
mondiaux, mais les principaux acteurs refusent de voir le cancer qui
l'atteint.
La conquête de la haute mer a donné à
l'Europe sa primauté universelle au regard de l'histoire, lui permettant
de redécouvrir le monde, s'appuyant d'ailleurs bien plus sur les
populations autochtones que sur ses propres hommes, et d'en tirer les richesses
autant par le biais du commerce que du colonialisme. Cet essor de la navigation
hauturière marque réellement l'explosion du pouvoir occidental
sur le monde et reste une asymétrie qui, de nos jours encore, laisse des
traces. Bien que l'Islam et la Chine aient été les
détenteurs d'un savoir maritime nettement en avance sur l'Europe, telle
la boussole et la voile triangulaire pour celui-là ou la voile
carrée à lattes de bambous et le gouvernail d'étambot qui
permet de remonter au plus près du vent pour celui-ci, l'Europe, une
fois ces techniques apprises, connue une véritable rénovation
à partir du XIIIe siècle. Ces progrès
décisifs permirent, en 1297, le premier voyage commerçant de
navires de la flotte génoise, les Naves (et il ne s'agit pas encore de
découvrir. Deux mille ans auparavant la flotte phénicienne
passait Bonne espérance sur les ordres de Pharaon, il s'agissait de
navigation côtière 1 seulement, il est vrai...).
1 La navigation côtière s'oppose à
la navigation hauturière par l'utilisation continue de la côte
comme système de repérage (amers) et comme source
d'approvisionnement. La navigation hauturière autorise la perte de vue
des côtes grâce à l'utilisation des astres comme
système de positionnement.
Cet essor de la marine de commerce comme de la marine
militaire (les uns comme les autres étant armés et transportant
des marchandises), a permis, outre l'essor des citées d'escale telle
Lisbonne au XIIIe siècle, le développement d'un
nouveau champ de prospective relative à l'import et à l'export,
ce qui a également eu un impact décisif sur la vie terrestre.
Apportant de nouvelles denrées rares telles les épices ou le
sucre, le café ou le cacao, ainsi que le thé qui fit, avec les
soieries indiennes, la fortune de la compagnie des Indes, la marine marchande
devint un élément d'importance dans la vie des Européens
des classes sociales supérieures, et ensuite de toute la population,
comme vecteur de nouveautés et de modes2. Ainsi, l'invasion
du café qui arriva à Venise en 1615 puis à Paris en 1643,
devint un véritable phénomène de société
à partir de 1669 grâce, entre autre, à l'appui de
médecins publiant la liste de ses vertus supposées. D'autre part,
n'oublions pas que la découverte des Amériques et l'exploitation
des mines d'or, d'argent et de cuivre de l'Amérique du Sud rendirent
possible la pérennité d'une économie basée sur la
stabilité du cours de ces matériaux, et par suite, la
redécouverte des moyens de paiement tel que le billet, le chèque,
et le crédit.3
D'autre part, la découverte des Terra Incognita et
leurs revendications par les Commandants des navires découvreurs «
au nom du Roi » furent à l'origine de la mise en place du lien
presque sacré entre Etat et navire. N'oublions pas la lettre de course
restée célèbre car permettant l'exercice de la flibuste
(piraterie) sous la protection de Sa Majesté et évitant, à
l'équipage du navire pris, la pendaison.
Ces deux derniers exemples montrent bien l'importance
accordée au navire par les gouvernements. Quand Colbert, ministre du Roi
Louis XIV, dans le cadre de sa politique d'interventionnisme encourage la
construction navale en faisant planter la forêt de Tronçay
permettant la construction de 276 navires de guerre, abolit le système
de presse à l'Anglaise pour adopter le recrutement maritime et
l'enregistrement des marins, et crée la première caisse de
sécurité sociale destinée aux invalides de la
Marine4, le lien entre l'Etat et le navire est d'autant plus
évident qu'il existe dans le cadre d'une politique expansionniste.
2 Nous ne saurions considérer le transport de
bled en grain ou en farine comme d'importance au regard des quantités
transportées par voie de terre, le rapport est inférieur à
1% avant l'apparition de la vapeur.
3 Ce texte est largement inspiré du livre de
Fernand Braudel, Civilisation matérielle, économie et
capitalisme, XVe -- XVIIIe, Les structures du quotidien, édition Le
livre de poche Références, 1979
4 Elle deviendra l'actuelle ENIM, Etablissement
National des Invalides de la Marine
Aujourd'hui, ce lien est en proie à une
évolution rapide entamée avec la fin du colonialisme d'une part
et l'apparition des pavillons de complaisance d'autre part (nous reviendrons
sur ce terme ultérieurement). Les marins modernes, confrontés
à une internationalisation des conditions de travail grâce
à l'action de l'OIT et surtout à cause de l'extrême
compétition régnant entre les compagnies maritimes au commerce,
ont le sentiment de perdre de vue la relation qui les lie à leur Etat du
pavillon. Que ce soit par le biais des équipages recrutés par
marchand d'hommes, ou par l'affrètement de navire coque nue, ou tout
autre système accepté par les Etats, les navires sont-ils encore
à proprement parlé des portions de territoire National reconnu
comme tel, ou des îlots de plus en plus affranchis de la tutelle
nationale ? Il s'agit donc, pour nous, de nous interroger sur
l'évolution du lien substantiel entre l'Etat du pavillon et le navire en
France.
L'existence de ce lien substantiel, s'il est requis par les
conventions internationales, n'est cependant ni explicitée ni
normée. Chaque Etat signataire a, à sa charge, la mise en place
de ce lien substantiel. Ainsi, en France, celui-ci se traduit à travers
différents axes techniques, humains et organisationnels. Après
avoir défini le concept de navire en terme juridique selon le droit
français, nous verrons de quelle manière un navire est
amené à arborer le pavillon national. Puis nous étudierons
le lien social entre l'Etat et le marin, à travers les différents
personnages de l'entreprise maritime, à savoir l'armateur, le Commandant
et l'équipage ainsi qu'à travers le contrat d'engagement
maritime. Nous montrerons tout au long des paragraphes dans quelle mesure le
lien substantiel est affecté en France par les exigences du
marché mondial et les réglementations internationales.
CHAPITRE I
Le lien substantiel dans la relation
État-Navire
A. Définition du navire et approche du lien
substantiel
Le terme «navire» désigne tout engin ou tout
appareil de quelque nature que ce soit, y compris les engins sans tirant d'eau
et les hydravions, utilisé ou susceptible d'être utilisé
comme moyen de transport sur l'eau. Tel est défini le navire dans la
réglementation maritime internationale, dite COLREG 76.
Le navire est un bien meuble5 individualisé,
naturalisé et immatriculé et à ce titre met en
évidence la différence fondamentale qui l'oppose au bien meuble
traditionnel de type immobilier. Le navire, immobilisation financière
importante au regard du patrimoine de son/ses propriétaires,
présente en outre la particularité d'être mobile et de
pouvoir quitter les eaux relevant de la souveraineté nationale. A ce
titre, il paraît justifié de lui attribuer un regard particulier
dans le cadre des réglementations internationales. La convention de
Montego Bay sur le droit de la mer en 1982, faisant suite à un premier
mouvement vers la définition du navire lors de la convention
internationale de Genève de 1958, établit un certains nombre
d'éléments reconnaissant le statut spécifique du navire en
tant qu'entité. Le navire se doit
5 Comprend les biens amortissables qui donnent
droit ou qui donneraient droit à une déduction pour amortissement
aux fins de l'impôt sur le revenu. Ils comprennent aussi les biens
meubles, autres que les biens amortissables, dont la vente donnerait lieu
à un gain en capital ou une perte en capital aux fins de l'impôt
sur le revenu. Aux fins de la TPS/TVH, les immobilisations ne comprennent pas
les biens des catégories 12, 14 ou 44 de l'annexe II du Règlement
de l'impôt sur le revenu.
donc d'être reconnu par un État, et un seul
(faute de quoi il est considéré comme pirate). Le pavillon,
représentatif de l'État lui accordant sa reconnaissance, est
également le symbole du « lien substantiel » le liant à
cet État. Ce lien, non défini lors de la convention, a
été laissé à la libre appréciation des
États signataires et, pour beaucoup d'entre eux, n'a pris qu'une
signification purement légale. Chaque État est en mesure de
définir les critères d'acceptation d'un navire au sein de sa
flotte nationale, lui attribuant alors les documents requis par les
réglementations internationales et son entrée au « registre
maritime » justifiant des noms, et caractéristiques du navire.
Il me paraît important de souligner que le texte ne
spécifie pas la nature du lien substantiel de manière
systématique, laissant le soin aux États du pavillon de
définir par eux-mêmes sa nature, et quelles obligations il
entraînera.
En France, les administrations compétentes en
matière d'immatriculation du navire sont d'une part l'administration des
Douanes, qui dépend du Ministère des finances, et d'autre part
l'administration des Affaires Maritimes, qui dépend du Ministère
des Transports. L'administration des douanes accorde la nationalité
Française au navire par la procédure de «francisation»
et les Affaires Maritimes délivrent les titres de navigation et de
sécurité, ainsi que le numéro d'immatriculation du navire,
qui sont indispensables pour pouvoir naviguer en règle.
Il existe en France deux registres sous lesquels un navire de
marine marchande peut être immatriculé : un registre applicable en
métropole et dans les départements d'outre-mer et le Registre
International Français (RIF), considéré comme pavillon de
complaisance par l'ITF6.
Pour pouvoir être immatriculé sous le pavillon
Français, le navire doit au préalable être
individualisé par certains éléments. L'individualisation
du navire tient à des caractéristiques physiques qui sont le port
d'attache, le nom et le tonnage.
Le code des douanes, pour assurer le lien substantiel entre
l'État du pavillon et le navire exigé par les Conventions
internationales, a posé une condition relative à la construction
du navire et une autre relative à la propriété du navire.
Depuis 1793 jusqu'à aujourd'hui, ces conditions ont fait l'objet d'une
évolution importante. En effet, le navire devait avoir été
construit en France et appartenir pour le tout à des Français
à l'origine7. Suite à l'évolution
économique et l'apparition de nouveaux organes de financement
(crédit bail) ou de mode d'affrètement
6 International Trade Federation
7Titre IX, article 219 du code des douanes
(coque nue), des règles dérogatoires de
propriété du navire ont été mises en place. En
effet, dans le cas de l'affrètement coque-nue, il s'agit d'attribuer la
nationalité Française provisoirement à un navire
étranger affrété coque-nue par un armateur
Français, sous réserve que l'État d'origine accepte
l'abandon provisoire de son pavillon d'origine.
En outre, la condition de propriété du navire
fixée par la loi du 3 janvier 1967 a été
«communautarisée» par la loi n° 96-151 du 26
février 1996 relative aux transports, à l'occasion de la
réforme du pavillon TAAF afin de mettre en harmonie le droit
Français avec la droit communautaire. Le nouveau texte prévoit,
en outre, un contrôle de sécurité comme condition
préalable et indispensable à la francisation du navire et
«communautarise» la condition de construction du navire.
Pour obtenir la nationalité Française, le navire
est soumis à la procédure de francisation.
Cette procédure ne varie pas, que le navire soit sous
pavillon national ou qu'il batte pavillon RIF. Ainsi, le lien substantiel entre
l'État du pavillon et le navire ne semble pas être mis à
mal lors de la procédure d'enregistrement du navire à proprement
parler. Le nouveau registre RIF ne change pas non plus la donne en instituant
le guichet unique. Seules les conditions de navigants évoluent dans un
sens communautaire.
Voyons à présent de quelle manière
s'effectue la francisation puis l'immatriculation d'un navire de commerce. Nous
ne parlerons ni des navires militaires où le lien substantiel est par
trop évident puisque systématisé par l'influence du
ministère de la défense, par les missions de
représentations ou les opérations militaires conjointes, ni des
navires de plaisance qui n'ont pas d'impacts réels tant sur la politique
française que sur sa balance commerciale.
B. Immatriculation et Francisation d'un navire
L'immatriculation et la procédure de Francisation
obéissent à des normes édictées par l'État
Français, permettant à des armateurs d'arborer les couleurs
nationales au cul de leurs navires comme de bénéficier des
avantages qu'un tel pavillon peut leur procurer. En France, les registres
d'immatriculations sont au nombre de trois : le registre national
métropolitain (principalement les caboteurs ou ferry), le registre TAAF
(Terres australes et Arctiques Françaises, en cours de disparition) et
son remplaçant, nouvellement né, le Registre International
Français (RIF) qui simplifie la procédure.
Avant d'aller plus avant, il est, je crois, nécessaire
d'illustrer brièvement les différences existantes entre les modes
de pavillonnements.
Pavillon d'État : il s'agit de pavillons issus, en
général, de pays à forte tradition maritime. La
législation applicable à bord de ces navires est celle de
l'État, un quota plus ou moins important de personnes ayant la
nationalité du pavillon devant être employées à
bord. De plus, le siège ou un bureau représentant l'armateur doit
être installé dans ce même pays. Cette définition a
connue un certain nombre d'évolution au fil des ans. Nous y reviendrons
par la suite.
Pavillon dit de libre immatriculation ou de complaisance :
définition I.T.F. : « Sont considérés comme navires
sous pavillon de complaisance les navires pour lesquels la
propriété réelle et le contrôle se situent dans un
pays autre que celui des pavillons sous lesquels ils sont immatriculés.
». Cette définition a été également revue avec
l'apparition des registres internationaux, tel le RIF (que nous aborderons
brièvement plus tard). De nos jours l'ITF se focalise davantage sur les
notions de contrôle et d'exercice du lien substantiel que sur la
localisation géographique du lieu de pavillonnement.
Pavillon dit sous normes : on parle de pavillon sous normes
pour définir les navires immatriculés dans des États
n'ayant ratifié aucune convention ou presque, il n'y a donc aucune
législation qui régisse la vie à bord de ces navires. Tous
les pavillons de complaisance ne sont pas des pavillons sous normes, cependant
une corrélation a pu être établie entre ces deux «
registres ». Ce dernier point ne présente pas à proprement
parler un type de pavillon reconnu mais plutôt une catégorie
marginale.
1. Battant pavillon national ou TAAF
Le propriétaire qui souhaite immatriculer son navire
sous le pavillon français doit au préalable choisir le port
d'attache de son navire, élément d'individualisation du navire
prévu à l'article 1 de la loi du 3 janvier 1967, et justifier que
le navire possède deux autres éléments d'individualisation
: le nom et le tonnage (plus précisément le jaugeage),
prévus à l'article1 de la loi de 1967 et aux articles 1 et 2 du
décret de 1967.
a. le port d'attache
Le propriétaire doit choisir un port d'attache pour son
navire, c'est-à-dire le lieu de rattachement fixe où sont
rassemblées les informations légales utiles à son sujet.
Mais il faut souligner que le terme « port d'attache »
présente tout de même une certaine ambiguïté en
droit français dans la mesure où le navire est
rattaché à deux administrations différentes :
l'Administration des Douanes et l'Administration des Affaires Maritimes, dont
les bureaux peuvent se situer dans deux ports différents. Comme le
domicile d'une personne, le port d'attache obéit aux mêmes
caractères : son libre choix, sa fixité et son unicité.
Ainsi, tel un immeuble ou une personne, l'application de ce triple principe
permet le développement d'un système de publicité des
droits réels et de l'état juridique du navire.
i. Le libre choix du port d'attache.
Le port d'attache est librement choisi par le
propriétaire du navire. Le choix du port d'attache dépendra
souvent de la taxe professionnelle, qui est fonction de la commune de
rattachement. Il peut être changé au cours de la vie du navire, en
effet le port d'attache n'indique pas la nationalité du navire, le
navire peut donc librement changer de port d'attache.
Le port d'attache fait partie des marques extérieures
d'identité que tout navire est tenu d'arborer (décret du 17 avril
1924 complété par les décrets n° 278 du 17 mars 1956
et n° 526 du 5 juin 1964 et modifié par le décret n°
890 du 27 juillet 1977). Ainsi il doit être inscrit à la poupe
(avant) du navire, et à la proue (arrière) du navire si le navire
jauge plus de 25 tonneaux.
Comme le port d'attache n'indique pas la nationalité du
navire, on peut alors se demander si un navire français peut avoir son
port d'attache à l'étranger.
« Maersk Garonne »
Navire Porte conteneur
Maersk Maritime
4300 EVP
Port d'attache : Port aux Français Quartier Maritime :
Marseille Pavillon : TAAF
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Dans la pratique, le port d'attache n'apparaît qu'au cul
du navire sous le nom (voir la photo ci-dessus). A la proue, pour des raisons
peu évidentes, le port d'attache n'est pas exprimé
(confère photo ci-après). Il est bien entendu que cette
obligation faite aux navires battant pavillon français peut sembler de
pure forme, pourtant il semble nécessaire de signaler cette omission
tolérée comme première marque évidente de la
dégradation du lien substantiel dont la tangibilité s'exprime
entre autre par le respect des règles édictées par
l'État du pavillon. Le
décret de 1924 n'ayant pas été
modifié en ce sens, il apparaît surprenant qu'une telle marque
extérieure du lien puisse avoir été supprimée dans
la pratique, sans mesure prise par la suite dans le cadre des visites annuelles
par les Affaires maritimes.
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« Club Med 2 »
Navire de croisière
Service et Transport
Port d'attache : Mata Utu Quartier Maritime : Le Havre Pavillon :
TAAF
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ii. Le navire français et son port d'attache
Bien que la solution soit admise dans la plupart des
législations (Vialard, Droit maritime, 1997), le navire français
ne peut avoir son port d'attache à l'étranger. En effet les
dispositions des articles 88 et suivants du décret du 27 octobre 1967
établissent une liaison trop étroite entre le port d'attache et
le pavillon français pour que l'on puisse admettre qu'un navire
français n'ait pas de port d'attache en France. De plus, étant
donné que le port, où est attaché un navire, doit
être le siège d'une recette principale des douanes et qu'il
détermine le quartier des affaires maritimes qui suivra le navire et ses
marins, l'immatriculation est impossible dans un port étranger où
la France n'entretient ni recette des douanes, ni quartier d'inscription. Par
conséquent, les navires français sont nécessairement
attachés à un port français même si dans leurs
activités ils ne touchent ni ports ni côtes françaises.
Cela dit, un navire français n'est pas nécessairement
attaché à un port métropolitain ; il peut avoir son port
d'attache dans un territoire ou département d'outre-mer ainsi que le
prévoit le registre TAAF.
En revanche, si un navire français est
nécessairement attaché à un port français, ce n'est
pas toujours vrai pour certains navires étrangers. En effet, les navires
d'États dépourvus de littoral maritime sont, par la force des
choses, immatriculés dans un port étranger. C'est le cas,
notamment, des navires suisses qui ont pour port d'attache celui de
Gênes. On peut ajouter qu'un navire étranger peut avoir un port
d'attache en France, sans que sa législation nationale soit tenue de
reconnaître à la chose des incidences juridiques.
Si le port d'attache peut, à première vue,
paraître comme une marque suffisante à
défaut d'être essentielle du lien substantiel, nous nous
apercevons rapidement des failles d'un tel à
priori. En effet, dans le cas de la France, que permet le port
d'attache et/ou d'enregistrement ? Référencer le navire au
registre maritime, cela autorisant d'une part la ponction obligatoire de
l'impôt telle que prévue par le code des douanes, et d'autre part
une affiliation au territoire Français. Mais cette même
affiliation est-elle pour autant la consécration du lien substantiel ou
pas ? Il apparaît assez vite que celui-là ne saurait être
validé uniquement par la définition du port d'attache tant il est
vrai que la multiplication de ceux-ci sur et hors territoire
métropolitain, favorisant une foultitude de registres d'imposition, ne
permet pas une reconnaissance évidente de l'état de filiation
entre navire et État. Ainsi, l'existence des différents statuts
des pavillons Français, National, TAAF et RIF met déjà
à mal la nature du lien en reconnaissant le principe
d'inégalité des navires dans leur statut, leur imposition, leur
reconnaissance par l'État. L'État, garant des droits et devoirs,
prononce par la différenciation au port d'attache, image du statut du
pavillon, l'iniquité de traitement de sa propre marine. Nous reviendrons
ultérieurement plus en détails sur les différences entre
pavillons.
b. Le nom
Le nom est choisi par le propriétaire du navire, mais il
fait aussi l'objet d'un contrôle et d'une autorisation par
l'administration des Affaires Maritimes.
En principe, le nom est librement choisi par le
propriétaire avec cependant certaines limites, le nom devant permettre
de distinguer le navire des autres bâtiments de mer.
Il est ainsi interdit de choisir un nom pouvant donner lieu
à un trouble pour l'ordre public, offenser les bonnes moeurs ou nuire
à l'intérêt général. De même, tout nom
pouvant prêter à confusion phonique avec le mot « mayday
» prévu comme signal de détresse radiophonique est à
proscrire. Le choix de deux initiales comme nom de navire n'est pas
autorisé car peut prêter à confusion avec les initiales du
quartier d'immatriculation. De même, le propriétaire ne peut pas
choisir un nom déjà donné à un autre navire
existant sous le même pavillon, ce qui entraînerait des risques de
confusion, notamment à l'occasion d'un évènement de mer.
Ainsi, une réglementation administrative précise qu'un navire de
plus de 25 tonneaux de jauge ne peut prendre un nom déjà
adopté par un autre navire : la règle est coutumière et
n'est assortie d'aucune sanction.
Il est cependant admis que des similitudes de noms ne
présentent aucun inconvénient lorsque les caractéristiques
et le genre de navigation des navires en cause ne sont pas comparables et
n'entraînent donc aucun risque de confusion. Il est à noter
également que, lors des communications radiophoniques, les navires
utilisent pour s'identifier le code alpha numérique qui leur a
été attribué par l'État du pavillon, numéro
unique, permettant de lever le
doute quant à l'identification du navire. Voici un exemple
où un navire appelle le pilote de Hong Kong, lui indique son nom puis
lève le doute.
"Hong Kong Pilot station, Hong Kong Pilot station, Hong Kong
Pilot station, this is Maersk Garonne, Maersk Garonne, Maersk Garonne,
Foxtrot Whisky Yankee Hotel (FWYH) ..."
Il a donc été nécessaire de
prévoir que le nom, que le propriétaire souhaite donner à
son navire, fasse l'objet d'un contrôle et plus précisément
d'une autorisation par l'administration des Affaires Maritimes. Il est à
noter que ces règles ne sont pas appliquées avec rigueur dans le
cas des navires dont le tonnage est inférieur à 500 tonneaux.
L'influence qu'exerce l'administration française sur le
choix du nom du navire peut-elle être considérée comme de
nature à être partie du lien substantiel ? Il semble difficile de
considérer la chose comme allant de soi. En effet, le contrôle du
nom obéit davantage à une nécessité de
sécurité maritime et de facilité administrative
qu'à une réelle volonté de l'État d'exercer son
pouvoir sur ce qui n'est qu'une simple formalité. Le nom du navire, s'il
est part de la procédure de francisation, ne saurait être
suffisant ni même part à l'expression du lien substantiel.
c. Le tonnage
Le tonnage ou la jauge du navire est « l'expression de la
capacité intérieure du navire » (article 2 du décret
de 1967). Il s'exprime en tonneaux de jauge, c'est une mesure anglaise qui vaut
100 pieds cubes et qui représente 2,83 mètres cubes ; aujourd'hui
on parle d'UMS : Universal Mesural System. Le chiffre donne une idée des
dimensions du navire et permet de l'identifier. La jauge du navire est un
élément qui a des incidences très importantes, elle permet
d'asseoir les taxes et péages perçus par les autorités
maritimes à l'occasion du passage du navire dans un port, dans un canal,
etc. Au plan juridique, elle commande l'application de nombreux
règlements. C'est ainsi que les règles de sécurité
varient selon la jauge du navire ; il en est de même des
compétences qui sont exigées du Capitaine.
La jauge du navire se calcule de diverses manières, il
faut alors distinguer les différents types de jauges qui existent pour
ensuite étudier l'opération technique qui permet de calculer la
jauge : le jaugeage.
Il faut distinguer la jauge nette de la jauge brute :
indications réglementaires, administratives, ainsi que le port en lourd
: indication commerciale, qui complète le volume pour certains types de
navires. Seule la jauge brute est prise en considération dans la
procédure d'individualisation du navire.
Le jaugeage est l'opération technique consistant
à calculer la jauge d'un navire et destinée à
préciser son tonnage. Le jaugeage est effectué par
l'administration des douanes, et plus précisément par le service
de jaugeage maritime comprenant un service central à Paris et 6
échelons régionaux à Dunkerque, Rouen, Lorient, Nantes,
Bordeaux et Marseille, pour les navires dont on demande la francisation.
Ce même service établit le certificat de
jaugeage, certificat indispensable pour établir l'acte de francisation
et calculer le droit de navigation et de francisation prévu à
l'article 223 et suivant du Code des douanes. Ainsi l'article 3 du
décret de 1967 précise que : « l'autorité
administrative définit les règles du jaugeage et délivre
aux propriétaires de navire des certificats de jauge conformes aux
prescriptions des conventions internationales en vigueur ». Il y a
là un renvoi pur et simple à la réglementation
douanière ; l'article 222 dispose : « le service des douanes
procède au jaugeage des navires dont on demande la francisation et il
établit le certificat de jauge ».
Le calcul s'opère à partir de normes
standardisées définies par des conventions internationales.
Pour pouvoir être immatriculé sous le pavillon
français, le navire, une fois individualisé, doit ensuite se voir
attribuer la nationalité française.
Le calcul de la jauge, nécessaire dans le cadre de la
procédure d'identification du navire et par suite de sa francisation,
obéit à présent à des réglementations
internationales, lesquelles permettent une uniformisation des brevets, dont les
prérogatives sont exprimées selon la jauge et la puissance
machine telles que définies par la convention internationale STCW 95.
Peut-on alors encore parler de particularisme, puisque c'est ainsi que
s'exprime le lien substantiel français ? Il est bien évident que
non. Si l'ensemble de la procédure d'immatriculation du navire et sa
francisation était propre à la France, alors la notion de lien
substantiel comme expression du particularisme de la relation entre
l'État et son navire serait de nature à définir le lien
substantiel. Or, il apparaît que cette procédure dans son ensemble
est le produit d'une évolution lente partagée par l'Europe puis
par le monde, et qu'utilise même la plupart des États dits de
complaisance, la différence se jouant ultérieurement sur la
perception de la taxe.
d. les conditions requises pour obtenir la francisation
Pour obtenir la francisation d'un navire, une condition relative
à la construction du navire et une condition relative à la
propriété doivent être réunies.
La condition de construction a évolué au fil des
siècles pour ensuite être « communautarisée » par
la loi du 16 janvier 2001 modifiant l'article 3 de la loi de 1967.
La règle de construction en France a été
élargie en janvier 2001, modifiant l'article 3 de la loi de 1967 et les
articles 219 et 219 bis du Code des douanes, qui assimilent à la
construction du navire en France la construction dans le territoire d'un
État membre de la Communauté européenne. Les taxes et
droits d'importation ne seront donc plus exigibles pour qu'un navire construit
dans un autre pays de la Communauté européenne puisse avoir la
nationalité française, ce qui constitue une grande
nouveauté. Cependant, le navire construit en dehors de France ou de
l'Union Européenne devra acquitter ces droits et taxes d'importation
exigibles pour pouvoir être francisé ; « à moins qu'il
n'ait été déclaré de bonne prise faite sur l'ennemi
», précise l'article 219 I 1°. En effet, lorsque les navires
sont impliqués dans une guerre, il peut arriver qu'une des forces en
présence puisse saisir au cours d'une bataille le navire de son ennemi.
Le droit de la guerre prévoit alors que son nouveau propriétaire
n'a pas à acquitter les droits et taxes d'importation exigibles en temps
normal car ce navire est déclaré « de bonne prise faite sur
l'ennemi ». Pour pouvoir être francisé et donc arborer le
pavillon français, le navire impliqué doit être un navire
ennemi ou un navire ayant violé son obligation de neutralité en
fournissant aide et concours aux opérations ennemies. Cependant, ce cas
de figure semble être tombé en désuétude depuis la
Seconde Guerre Mondiale. (Au delà de la condition de construction, et
toujours selon les articles 219 et 219 bis I 1°, la francisation peut
également avoir lieu pour un navire confisqué pour infraction aux
lois françaises. Il s'agit ici d'une mesure pénale sanctionnant
des contraventions aux lois fiscales).
Pour obtenir la francisation, une condition relative à
la propriété doit également être remplie. Pour qu'un
navire puisse être francisé et arborer le pavillon
français, l'État français a posé des conditions de
propriété qui ont fait l'objet de nombreuses modifications et qui
divergent selon le statut du propriétaire : personne physique ou morale.
Cependant, avec l'apparition de nouveaux modes de financement du navire
(crédit bail et affrètement coque nue), des règles
spéciales, dérogatoires aux règles traditionnelles de
propriété ont dû être prévues et ont
été introduites dans la loi de 1967 par la loi 75-300 du 29 avril
1975.
Les conditions de nationalité des propriétaires
du navire ont été largement assouplies au fil du temps, notamment
depuis 1996 avec la nécessité d'harmoniser le droit
français avec le droit communautaire.
Comme la condition de construction du navire, la condition
relative à la nationalité des propriétaires a connu une
évolution importante au cours des siècles.
L'Ordonnance de la Marine de 1681 et l'Acte de navigation de
1793 prévoyaient que le pavillon français ne pouvait être
attribué à un navire que si ce dernier appartenait
intégralement à des français. Afin de tenir compte des
exigences du droit communautaire, les dispositions de la loi de 1967 (article
3) et du Code des douanes (article 219...) ont été
profondément modifiées par la loi 96-151 du 26 février
1996. Cette loi marque l'entrée du droit communautaire dans le droit
français du navire.
Désormais, pour être francisé, un navire
doit appartenir pour moitié au moins à des ressortissants
communautaires, ou pour le tout à des sociétés ayant leur
siège social en France ou dans le territoire communautaire. Concernant
les sociétés, les conditions sont plus exigeantes
vis-à-vis des dirigeants sociaux qui doivent être ressortissants
communautaires. Le siège social de la société
peut-être situé hors de la Communauté, s'il existe une
convention bilatérale de réciprocité conclue entre la
France et cet État, et si le navire est exploité et
utilisé à partir d'un établissement stable8
situé sur le territoire français.
Néanmoins, l'évolution de la structure du
commerce et de ses besoins en matière de transport, en particulier
maritime, a rendu nécessaire la création d'artifices tels
l'affrètement coque nue9 ou le crédit
bail10. Les conditions de propriété, autrefois marques
évidentes du lien substantiel sont largement remises en question, tant
par la communautarisation que par les arrangements contractuels
explicités ci-avant. Ainsi, la propriété, qui faisait
autrefois la différence entre le pirate et le flibustier, le Commandant
armateur et le boucanier, a disparu au profit d'un lien moins normatif pour un
autre privatif. A présent, la société écran
étant de mise, l'État du
8 Selon l'avocat général Mischo (DMF
1996 p 1096), « l'établissement implique une présence
matérielle continue sur le territoire de l'État d'immatriculation
et l'exercice effectif et réel de l'activité économique en
cause à partir de ce territoire »
9 La francisation des navires étrangers
affrétés coque nue par un armateur français (c'est
à dire loués sans équipage, le navire étant
armé par un équipage mis à bord par
l'affréteur).
10 Il s'agit d'une forme de contrat de financement
d'équipement. Le principe est de permettre à une entreprise, qui
ne dispose pas des fonds nécessaires à l'acquisition d'un bien
meuble, de l'utiliser pendant une période de temps
déterminée (dans le contrat) moyennant une contrepartie
pécuniaire ou autre et par l'intermédiaire d'un tiers auquel elle
le louera. A l'issue de ce contrat, l'utilisateur bénéficie d'une
option d'achat sur le bien, c'est-à-dire que celui-ci pourra être
acheté par le locataire pour un montant fixé dès
l'origine.
pavillon exerce sa souveraineté sur un navire dont il
ne verra jamais ni la couleur ni la coque, et, par suite de la
raréfaction des personnes compétentes au sein de l'administration
des affaires maritimes et du raccourcissement de la durée des escales,
aura des difficultés sans cesse grandissantes à effectuer in situ
le contrôle du navire tel que prévu dans l'exercice du lien
substantiel par la France. La société de classification devient
alors le seul recours d'un État affaibli pour exercer son devoir de
contrôle.
2. Navire battant pavillon RIF
Les paragraphes précédents s'appliquent de la
même manière dans le cadre du Registre International
Français, au détail près que le port d'attache est
obligatoirement Marseille.
Le groupe Bourbon, opérateur off-shore de stature
mondiale, a immatriculé le premier un navire sous pavillon RIF, le 10
mars 2006, profitant de ce fait des avantages que ce nouveau registre procure
comparativement au flou du registre TAAF.
Ce nouveau registre créé le 3 mai 2005
s'établit dans le cadre de l'harmonisation du droit maritime
européen, du développement de la compétitivité des
armements européens ainsi que de l'influence du nombre de navires
pavillonés sur la balance commerciale comme sur l'appui
stratégique réquisitionnable ou dans le cadre des politiques
d'indépendances énergétiques. Je reviendrai
ultérieurement sur ces derniers points. Fin décembre 2007, 248
navires seraient immatriculés sous pavillon RIF. Néanmoins, ce
résultat reste mitigé alors même qu'il enregistre une
hausse du nombre d'immatriculations importantes avec 74 enregistrements
supplémentaires en un an. En effet, la majorité de la flotte sous
RIF est constituée de petites unités ne comptant que quelques
trop rares unités importantes telles le méthanier Provalys (Gaz
de France), le supertanker Samco Europe ou plusieurs porte-conteneurs
géants de CMA CGM.
Un rapport d'évaluation sur la mise en oeuvre du
nouveau registre sera remis au parlement au début de l'année
2008.
Les navires battant pavillon RIF sont soumis au même
titre que les pavillons nationaux ou TAAF aux réglementations
internationales en matière de sécurité et
sûreté maritime, de formation des navigants et en matière
de droit social et de protection de l'environnement.
Le registre international français se caractérise
par les avantages suivants : > Le RIF est un registre communautaire ;
> Le RIF est un registre offrant toutes les garanties en
terme de sécurité et de sûreté des navires ;
> Le RIF offre des procédures administratives
simplifiées d'immatriculation et de francisation dans le cadre d'un
guichet unique, qui assure aussi un appui aux armements dans leurs autres
relations avec l'administration française ;
> Le RIF s'accompagne de différentes mesures fiscales
ou d'exonérations ;
> Le RIF assure un socle social pour les navigants non
résidants en France ;
> Le RIF fixe des exigences de nationalité pour la
composition de l'équipage.
Il est néanmoins nécessaire d'exprimer un hiatus
au regard de ce registre. En effet, celui-ci introduit dans le droit
français la notion de discrimination à la nationalité
quant aux conditions de navigation comme à la
rémunération. Cette discrimination s'effectue entre intra et
extra- européens.
Rappelons, pour finir, ce propos tenu par le Docteur Catherine
Berger lors du VIIIe Congrès pour la recherche interculturelle de
septembre 2001: « Pour accroître la rentabilité, les
compagnies ont eu recours à différentes mesures techniques comme
l'utilisation de conteneurs et l'accroissement de la taille des bateaux. Elles
ont également cherché à utiliser à plein les
navires en réduisant au maximum le temps passé dans les ports et
surtout elle se sont efforcées de diminuer les coûts les plus
facilement compressibles, ceux liés au personnel.
Pour ce faire, la taille des équipages a été
réduite, souvent de manière drastique.
On a également cherché à payer les marins
moins cher et même, beaucoup moins cher. Dans les grandes puissances
maritimes, les lois sociales et des syndicats puissants s'opposaient à
toute baisse des salaires et imposaient des mesures de protection des
salariés et de l'emploi. C'est ailleurs, dans des pays pauvres, qu'on
pouvait trouver une main d'oeuvre à la fois abondante, bon marché
et docile, prête à accepter des conditions de travail plus dures
et une forte précarité. Pour échapper aux contraintes
nationales, il ne restait plus aux armateurs et aux compagnies de navigation
qu'à domicilier leurs navires dans un État plus
compréhensif qui, moyennant une taxe modique, les inscriraient sur son
propre registre. Les pays qui possèdent aujourd'hui les plus grandes
flottes du monde par le volume des marchandises transportées sont le
Panama, le Liberia, les Bahamas, Malte, Chypre, etc., mais de grandes nations
maritimes comme la Norvège, le Danemark, le Royaume Unis, etc. ont aussi
leurs propres territoires "complaisants" où la loi nationale ne
s'applique pas dans sa totalité. La France n'est pas en reste avec ses
îles Kerguelen dans l'antarctique qui seraient bien en peine
d'accueillir les pétroliers qui y sont
immatriculés. Ce "registre Bis", que certains syndicats voudraient voir
considéré comme pavillon de complaisance et qui fut suivi par le
Registre International Français (RIF) immédiatement
apostillé comme pavillon de Complaisance11 dès la
sortie du décret d'application au même titre que ceux cités
plus haut, permet notamment de n'employer que 33% de marins français et
donc de "compléter" l'équipage avec des marins
étrangers.
Alors que les flottes européennes traditionnelles
déclinaient très fortement, celles de pays du tiers monde ou de
pays ayant des lois très avantageuses pour les armateurs comme la
Grèce se développaient. Les équipages multinationaux se
sont donc multipliés, d'autant plus qu'aujourd'hui la distance entre le
lieu d'habitation des marins et leur port d'embarquement n'entre plus en ligne
de compte.»
11 32 pays ont été
référencés comme pavillon de Complaisance par le
Comité Fair Practices de l'ITF. Voir tableau page suivante.
22Liste des pavillons de complaisance :
Gibraltar (UK) Honduras Jamaica
Lebanon Liberia
Malta
Marshall Islands (USA) Mauritius
Mongolia Netherlands Antilles North Korea
Panama
Sao Tome and Principe St Vincent
Sri Lanka Tonga
Vanuatu
Antigua and Barbuda
Bahamas Barbados Belize
Bermuda (UK)
Bolivia
Burma
Cambodia Cayman Islands
Comoros Cyprus
Equatorial Guinea
French International Ship Register (FIS)
German International Ship Register (GIS)
Georgia
CHAPITRE II
Le lien substantiel : l'État' l'armateur et
le
Commandant
Tel le contrat à terre, le contrat d'engagement
maritime existe dès lors qu'un marin s'engage pour le compte et sous la
direction d'un armateur moyennant rémunération (Cours de M.
Mazé, ESC Bretagne Brest, 2005). Le lien de subordination juridique
établit entre le marin et l'armateur est alors transféré
au Capitaine, traditionnellement reconnu comme le chef de l'expédition
maritime. Apparaissent dès à présent trois fonctions
représentatives et parties prenantes du contrat d'engagement maritime,
l'armateur, dont le métier est d'exploiter les navires, le Capitaine,
« seul maître à bord après Dieu »,
représentant de l'armateur et garant de la bonne conduite du navire, et
enfin le marin, membre d'équipage.
Originellement, l'armateur 12 était le
propriétaire du navire et chargé de l'exploiter au commerce,
à la pèche, à la plaisance, etc. L'armement peut se
définir comme l'ensemble des opérations (juridiques et
matérielles) par lesquelles le navire est rendu opérationnel.
Ainsi, l'armateur est en charge du recrutement de l'équipage, de
l'entretien du navire et de sa bonne conformité aux
réglementations internationales, de l'approvisionnement des navires
et
12 Le terme armateur désigne le
propriétaire du navire ou toute autre entité ou personne, telle
que l'armateur- gérant, l'agent ou l'affréteur coque nue,
à laquelle l'armateur a confié la responsabilité de
l'exploitation du navire et qui, en assumant cette responsabilité, a
accepté de s'acquitter de toutes les tâches et obligations
afférentes. (Convention n°179 de l'OIT, art.1 al.c)
équipages en combustibles et périssables (eau,
nourriture), etc. Comme nous l'avons vu précédemment, l'armateur,
seul propriétaire et exploitant du navire, a été
remplacé par une réalité économique autrement plus
floue, permettant l'exploitation du navire par des tiers (pratique du
crédit bail ou de l'affrètement), ou sa propriété
à un regroupement financier (quirat13). Remarquons
néanmoins qu'au regard de la loi, est armateur « celui qui exploite
le navire en son nom, qu'il en soit propriétaire ou non. » (Loi
n° 69-8 du 3 janvier 1969, décret n°69-679 du 19 juin 1979,
article 1). Il paraît donc difficile d'établir en ce sens un
quelconque lien entre l'État du pavillon et le navire autrement que par
l'acte de Francisation. Cela étant, il reste encore, au regard des
marins comme des politiques, le garant du lien entre l'État et le navire
de part les dispositions particulières qu'il peut être
amené à prendre, fonction principalement de l'état de
compétitivité du pavillon. En ce sens, la mise en place du
pavillon RIF a été perçue par une part importante des
navigants au long cours comme une dérégulation et un abandon de
l'État face aux armateurs.
Du temps de la navigation à voile, le Capitaine
était un personnage d'une importance primordiale. Il était le
chef proprement dit de l'expédition maritime : « en mer et en cours
d'expédition, il était par la force des choses, pratiquement le
seul maître et le seul représentant du navire et des divers
intérêts engagés »14. Il intervenait dans
toutes les opérations de l'expédition maritime ; les armateurs ou
propriétaires de navire confiaient à leur Capitaine
l'administration du navire et sa gestion commerciale. En plus de ces
attributions techniques et commerciales, le Capitaine représentait
l'État du pavillon. Le navire, coupé du monde terrestre pendant
de longs mois et les communications n'étant pas ce qu'elles sont
aujourd'hui, la petite communauté composée par l'équipage
et/ou les passagers constituait une sorte de société à
part avec ses règles et ses lois. L'État dont le navire battait
pavillon se devait alors de fixer les lois et l'organisation de cette
société naviguant dans un espace sans maître sur lequel ne
s'exerce aucune souveraineté.
La navigation a bien changé et la situation du Capitaine a
perdu de son prestige.
Trois paramètres ont changé : la taille des
navires, l'évolution des communications et l'importance du temps. Il
faut aller vite, le plus vite possible car, pour l'armateur, toute perte de
temps est synonyme de perte d'argent. D'agent commercial de l'armateur, le
Capitaine est aujourd'hui confiné dans ses attributions techniques dans
le but de raccourcir autant que faire
13 Quirat : dispositif fiscal permettant
l'acquisition d'un navire de commerce en copropriété, et dont la
responsabilité est partagée en fonction du niveau
d'investissement des quirataires. Un allègement fiscal encourage en
outre l'acquisition de navire par ce biais. (Loi du 26 juin 1987 du plan «
marine marchande »)
14 Cf. P.CHAUVEAU, Traité de Droit Maritime,
Librairies Techniques 1958, n°351
se peut la durée des escales. Les attributions
commerciales, que détenaient le Capitaine, sont maintenant
exercées par des agents de l'armateur à terre.
Tandis que par les ordonnances royales de 1668, 1673 et 1681,
le roi Louis XIV jetait les bases d'un droit social maritime sous
l'égide de l'État mais reconnaissant son particularisme, depuis
la fin du XIXème siècle, une lente phagocytose de
cette différenciation a permis un alignement du droit social maritime
sur le droit social général.
Ainsi, divers facteurs permettent de mettre en lumière
cette perte d'autonomie du droit social maritime, tels que la séparation
de la marine militaire et marchande ayant amené à un
assouplissement du code disciplinaire et pénal. D'autre part,
l'évolution de la taille des navires, des machines (vapeur puis diesel),
le développement de lignes régulières et le
raccourcissement des escales ont soutenu une politique de diminution de la
taille des équipages. De même, l'apparition des systèmes de
télécommunications ainsi que la sédentarisation de
certaines fonctions commerciales traditionnellement effectuée par les
marins (planners) entraînent une diminution de l'autorité du
Commandant comme de la relation avec l'armateur. Ainsi, l'alignement du droit
social maritime et terrestre s'effectue en 1898 avec la loi du 9 avril relative
à l'indemnisation des victimes d'accident du travail. D'autres lois
procèderont par simples renvois du domaine général au
domaine maritime tels le comité d'entreprise (1948), les
procédures de licenciement (1977 et 1986), la semaine légale de
39 heures (1982) puis de 35 h (2001), etc.
A. L'évolution du statut de l'armateur
1. Ré-affirmation du rôle de l'État
à l'orée de la 2nde guerre mondiale : le cas des Liberty Ships
L'épisode des Liberty Ships débute à
l'été 1941. En cette période de deuxième guerre
mondiale, la bataille de l'Atlantique fait rage et les unités navales
allemandes mettent en place un blocus sur l'Angleterre dans l'optique d'une
invasion. Afin de ne pas perdre ce dernier bastion libre de l'Europe, les
alliés décident la mise en place d'une ligne de ravitaillement
maritime entre les États-Unis et la Grande-Bretagne afin d'alimenter
l'effort de guerre contre l'Allemagne nazie. Le but est simple : produire plus
de navires que ce que la marine allemande pourra couler. Il faut noter
qu'à ce moment-là, l'Amérique n'est pas la puissance
industrielle que l'on se représente habituellement, et qu'elle ne
possède que la 16ème armée du monde,
derrière la Roumanie ! C'est pourtant sur son appareil industriel que
repose la totalité
du projet mené par l'équipe de Henry J. Kaiser
après la déclaration du président Roosevelt faisant des
États-Unis « l'arsenal de la démocratie ».
Le département d'Etat Américain passe donc
commande de 60, puis 200 navires qu'il prêtera à la
Grande-Bretagne dans le cadre de la loi Lend-Lease mise en place pour
l'occasion. Rapidement, la demande s'envole, les chantiers navals sont agrandis
et modernisés, la main d'oeuvre accrue. On voit pour la première
fois des ouvriers noirs postuler pour une embauche aux cotés d'ouvriers
blancs dans les chantiers. Les arsenaux se multiplient sur les deux côtes
des États-Unis, comme à Vancouver, Portland, Mobile, Houston,
Providence... Le nombre total de chantiers mis en place atteindra 18
installations, dont deux au Canada. De nouvelles techniques de construction,
notamment la préfabrication, sont mises au point pour réduire les
temps de fabrication et augmenter les cadences. D'une durée de 230
jours, on passera finalement à une durée moyenne d'assemblage du
navire de 42 jours, le record absolu étant de 4 jours, 15 heures, et 30
minutes pour le Robert E. Peary (qui naviguera jusqu'en 1963 !!). En 1943,
trois Liberty Ships sortent chaque jour d'un chantier américain.
Contrairement à une idée reçue, ces navires ne sont pas
tous des sister-ships, bien que leur conception modulaire les rende tous
très semblables en dépit des différentes tailles de
navires construits. D'une longueur moyenne de 135m, ces navires sont
propulsés par des machines à vapeur alternative d'une puissance
d'environ 2500 chevaux, déjà dépassées à
l'époque et qui propulsent péniblement l'ensemble à 11
noeuds en entraînant une hélice unique. Les passerelles sont par
endroit renforcées avec du béton et quatre canons de 102mm, ainsi
que plusieurs batteries anti-aériennes sont montées sur les ponts
des navires. Les équipages, qui comptent une quarantaine de membres,
voient la durée de leur formation réduite au strict minimum,
jusqu'à 6 semaines pour les matelots. Au total, ce sont 2751 navires
d'un déplacement moyen de 10 000 tonnes qui sortiront de ce qu'il
convient d'appeler des chaînes de montage géantes. Prévus
à la base pour supporter trois à quatre traversées de
l'Atlantique au maximum, de nombreux navires continueront de naviguer bien
après la guerre dans de nombreuses compagnies maritimes qui les
rachèteront à la fin du conflit. Parmi ceux sous pavillon
français, on citera notamment l'Alger et le Bastia qui participeront
à l'évacuation d'Alger pendant la guerre d'Algérie. A
l'heure actuelle, deux sont encore en service dans le monde.
L'influence de l'État Américain se sera fait
clairement sentir durant cet épisode. Il est intéressant de noter
que cet exemple de réussite de l'État providence servira de point
d'appui en Europe dans le cadre des velléités de nationalisation
de la Marine Marchande.
2. La reconstruction de la marine marchande
Française dans le cadre du plan Marshall Pour reconstituer sa flotte,
le gouvernement français reçoit des États-Unis 75 Liberty
ships qu'il loue aux armateurs.
« C'est le rôle de l'État d'assurer
lui-même la mise en valeur des grandes sources d'énergie :
charbon, électricité et pétrole, ainsi que les principaux
moyens de transports ferrés, maritimes, aériens et les moyens de
transmission dont tout le reste dépend. C'est son rôle d'amener la
principale production métallurgique à son niveau indispensable.
C'est lui qui doit disposer du crédit. » (Général de
Gaulle exposant à l'assemblée nationale le programme de son
gouvernement le 2 mars 1945).
Suite à la deuxième guerre mondiale et à
la destruction de près de 70% de sa flotte15, l'État,
ayant réquisitionné-affrété les navires de commerce
(loi du 11 juillet 1939 relative à l'organisation de l'État en
temps de guerre) à hauteur de 2 900 000 tonneaux, garde le
contrôle de la flotte jusqu'en avril 1948, interdisant aux armements
toute initiative commerciale d'aucune sorte. Cette période,
fondamentalement tournée vers une reconstitution tant de la flotte que
des zones portuaires largement détruites par les alliés et durant
le retrait allemand, verra l'apparition d'un mouvement politique prônant
la mise en place d'une nationalisation permanente de la Marine marchande, des
banques et des assurances.
Ainsi, « L'État devra veiller à fixer le
rythme des investissements et à infléchir leur répartition
en privilégiant les transports, les sources d'énergie, les
matières premières, les matériaux de construction, la
grosse métallurgie. » (Point de vue des « légistes
» à travers le rapport Courtin, Comité Général
d'Étude créé en 1942). De même, les dirigeants du
parti communiste, s'appuyant sur le même rapport, réclament une
nationalisation, une participation des travailleurs à la direction de
l'économie, les prélèvements sur les enrichissements et le
capital. Il apparaît très clairement que l'importance de la Marine
marchande est au coeur de tous les esprits. Mais quelles sont les raisons pour
lesquelles le pavillon Français au cul d'un navire intéresse
autant le monde politique ?
Le marin, le navigant est encore à cette époque
considéré, qu'il soit civil ou militaire, comme au service de
l'État. D'ailleurs, avec les premiers alignements du droit maritime sur
le droit terrestre, on notera l'exclamation de M. Florian Cordon,
Trésorier Général des Invalides de la Marine : « Une
demi-solde, cela possédait des quartiers de noblesse, et haussait le
marin âgé au rang des serviteurs du pays, en retraite. Une pension
de vieillesse, cela fait, du loup de mer, un simple vieux » en 1950.
»
15 Les grandes mutations de la Marine marchande
Française (1945-1995), B.Cassagnou, Histoire économique et
financière de la France
En fait trois facteurs principaux peuvent être retenus
comme étant de nature à marquer l'importance d'une flotte
nationale. Le premier, de nature économique, est lié à la
balance commerciale du pays. En effet, à l'export comme à
l'import, toute marchandise/passager à destination/provenant de France
transporté(e) sur des navires battant pavillon étranger
représente un coût non négligeable pour l'État. De
la même manière, toute marchandise étrangère
préférant à la flotte Française des navires
étrangers devient un manque à gagner.
D'autre part, ainsi que nous l'avons vu
précédemment, la flotte de marine marchande possède une
importance stratégique pour l'État du pavillon en ce sens qu'elle
peut être réquisitionnable en temps de crise et est garante de
l'indépendance du pays quant à son approvisionnement en ressource
extérieure. A ce titre, il est important de noter que jusqu'en 1939 la
France entretenait un monopole de fait quant au raffinage et au transport
d'hydrocarbure à destination du territoire national (loi du 10 janvier
1925 relative à la création de l'Office National des Combustibles
Liquides). La suppression de toute restriction quantitative sur la production
et la distribution a amené les pouvoirs publics Français à
tirer un trait sur la loi de 1928 à l'occasion de la mise en place du
marché unique avec la loi de 1992 ; subsistent essentiellement de nos
jours le devoir d'information, les stocks stratégiques (obligation, en
fait, européanisée depuis 1968), l'obligation de pavillon
(malgré son relatif insuccès en grande partie dû au
coût du marin Français et aux affrètements
spots16).
« Les transports par mer sont une des activités
vitales des Sociétés humaines de tous les temps, d'autant plus
vitales que les Civilisations se développent davantage ; les Flottes de
Commerce se révèlent en fait, à l'analyse, comme un des
éléments les plus indispensables de l'indépendance, de la
prospérité et de la puissance des Nations. » (L.Poirier,
Ingénieur général, Economie Maritime, 1978).
Enfin, la flotte de commerce battant pavillon national est un
vecteur de communication de la puissance de l'État du pavillon
auprès des autres États, tant par l'image qu'il véhicule
que par, de nos jours, l'influence que le tonnage de la flotte donne à
l'État du pavillon dans les conférences de l'OMI (Organisation
Maritime Internationale).
« Très solennellement proclamée -- comme
c'est le cas aux USA -- ou instinctivement intégrée au
patriotisme de tous les Gouvernants et à leur sens des
intérêts supérieurs dont ils ont la charge, la politique
maritime est une nécessité de base pour tout grand Pays, et se
fonde sur les notions de balance des paiements extérieurs,
d'indépendance économique et d'expansion générale,
de volonté politique et de prestige. Aucun Gouvernant, digne de cette
16 Affrètement spot : ou tramping ou au voyage,
mobilise le navire pour une opération précise.
qualité, ne peut durablement ignorer que le navire
n'est pas seulement un instrument de transport portant la marque et les
couleurs d'un Compagnie commerciale, mais que c'est une parcelle du sol
national, et qu'un cargo Français à Dakar ou à Valparaiso,
c'est la France qui s'y trouve en visite, avec le pavillon national, avec des
hommes en uniforme au sein d'une petite Société
hiérarchisée qui représente la Patrie. Cette simple
remarque permet de comprendre la justification et la nature particulière
d'une politique maritime nationale ; il n'est pas question, en ce domaine, des
intérêts des seuls armateurs, mais d'un intérêt
commun aux armateurs, aux gens de mer et à la Nation. » (L.Poirier,
Ingénieur général, Économie Maritime, 1978).
Ainsi, il apparaît clairement que même si la
politique maritime Française n'avait malheureusement su faire preuve de
la cohérence de l'Angleterre, les gouvernants avaient tout du moins une
vision plus ou moins claire de l'importance de la marine marchande pour
l'État, son indépendance et sa représentativité. A
ce titre, le lien substantiel entre l'État et le navire se faisait de
manière parfois houleuse, en accord avec les armements. Cet accord
permis notamment à la France de redresser la puissance de sa flotte et
d'accéder au 9ème rang mondial à la fin des années
1970. Ainsi apparaît cette relation dans la synthèse faite par
Pierre Léonard du programme de la flotte de commerce du Ive plan (1962)
:
« Aux armateurs, il appartient d'adapter leur flotte et leur
organisation aux particularités d'exploitation des navires
Français :
en poursuivant l'effort d'amélioration de leurs
bâtiments [...]
en améliorant les liaisons d'ordre commercial et financier
avec les flottes de la zone franc en améliorant leurs méthodes de
gestion [...]
[en développant leur activité vers les secteurs
internationaux]
Toutes ces orientations doivent être encouragées par
l'État.
Aux clients nationaux de l'armement Français il doit
être recommandé instamment de faire [...] une place maximum au
pavillon Français et d'abord d'acheter FOB17 et vendre
FCA18. [... »
Ite missa est. La relation entre l'État et l'armateur est
explicitée, les armateurs sont libres d'agir sous le regard bienveillant
de l'État.
17 Free On Board
18 Free Carrier
B. L'entreprise armatoriale
1. Évolution et distanciation
En 1948, les armateurs et opposants à la
nationalisation de la flotte marchande Française obtiennent gain de
cause. Reconnaissant la nécessité de l'interventionnisme
d'État dans l'effort de redressement de la flotte, les armements,
entreprises privées, se reconnaissent seuls à même de
pratiquer une politique de tarification adaptée et réactive au
marché mondial. A ce titre, il ne saurait être, pour les pouvoirs
publics, question de mettre en place une politique de prix et/ou
douanière réactive et adaptable. «Le seul pouvoir qu'ils
aient (les pouvoirs publics) sur l'industrie maritime nationale est celui
d'aggraver ou de diminuer les charges d'exploitation des
navires.»19. Ainsi, en avril 1948, les armateurs
Français retrouvent, avec deux ans de retard sur l'Angleterre, la
capacité à investir et décider par eux-mêmes de
l'évolution à donner à leurs entreprises. L'État
restant le partenaire privilégié afin de permettre le
redressement de la flotte, puis à plus long terme d'aider à la
compétitivité des prestations maritimes Françaises.
A ce titre, il est intéressant de noter que les
compagnies maritimes d'Économie mixte, telle que la Compagnie
Transatlantique, le Service postal (qui trouvera sa fin avec la
décolonisation), la Compagnie Générale maritime, etc.,
fermeront peu à peu en raison de leur manque de
compétitivité sur le marché mondial. L'exemple
récent de la Société de Navigation Corse
Méditerranée, privatisée pour partie en 2005 après
avoir représenté une hémorragie financière pour
l'État à hauteur de 70 millions d'euros par an, (de la même
manière, l'État apporte 113 millions d'euros pour le
remboursement des dettes de la compagnie et le financement du plan social lors
du processus de privatisation, après l'ouverture des lignes de
continuité territoriale à la concurrence) prouve, s'il en
était encore besoin, l'incapacité de l'État à agir
efficacement dans le domaine du commerce international et de la réaction
à la concurrence.
Ainsi que nous l'avons vu dans le paragraphe
précédent, pour pouvoir naviguer sur les mers du monde, les
navires doivent être immatriculés à un registre maritime
reconnu et seront alors autorisés à battre le pavillon de
l'État qui gère le registre. Cet État deviendra
"l'État du pavillon" de ce navire. Les obligations et les
responsabilités de l'État du pavillon à l'égard des
navires battant son pavillon sont énoncées dans la Convention des
Nations Unies sur le droit de la mer.
19 Les grandes mutations de la Marine marchande
Française (1945-1995), B.Cassagnou, Histoire économique et
financière de la France
Alors que nombreux sont ceux qui font valoir que l'obligation
de « lien substantiel » devrait limiter la propriété
des navires aux seuls ressortissants de l'État dans lequel le navire a
été immatriculé ou à quelque autre lien clairement
établi, l'interprétation de facto de cette disposition est devenu
très large dans la mesure où l'on en est venu à
considérer de manière générale que cette obligation
de lien est satisfaite par la simple existence d'une relation commerciale,
rémunérée à l'acte, entre le propriétaire et
l'État du pavillon. De nos jours, malgré une conscience
grandissante des conséquences désastreuses de l'apparition des
pavillons de complaisance, sur l'environnement en particulier après les
catastrophes de l'Amocco Cadiz (État du pavillon : Liberia), Erika
(Malte), Prestige (Bahamas)20, il pouvait être entendu dans
l'hémicycle à propos du recrutement des navigants:
«M. le Secrétaire d'État -...1 A vous
entendre, Madame Lebranchu, on pourrait croire que de nombreux navires sous
pavillon métropolitain pourraient demain choisir le RIF et employer
moins de marins Français. En vérité, un seul navire
pourrait être dans ce cas...
Mme Marylise Lebranchu - Non, 12 !
M. le Secrétaire d'État - Mais il se trouve que
l'affréteur a demandé par contrat que l'équipage soit 100
% Français. Le risque est donc nul. [...»21
Cette interprétation très libre du lien
substantiel a permis la création et l'essor des « Registres de
libre immatriculation » pour lesquels la nationalité du/des
propriétaire(s) est sans intérêt. D'un point de vue
opérationnel ou commercial, cette absence de lien direct n'importe
probablement guère, dès l'instant que l'État du pavillon
exerce une surveillance et un contrôle convenables sur l'armateur et son
navire.
Cependant, cette absence de lien offre aussi aux armateurs des
possibilités de dissimuler leur identité. Cela vaut aussi pour la
propriété collective des navires lorsque le pays
d'immatriculation de l'entité juridique n'importe guère non plus,
ce qui, là encore, renforce les possibilités d'anonymat.
Tous les registres maritimes exigent que certains
renseignements concernant la propriété soient fournis au moment
de la demande d'immatriculation. De façon générale, la
plupart des registres maritimes s'efforcent, au moins superficiellement,
d'établir la propriété des navires candidats. Au minimum
ils demandent de fournir certaines précisions sur la
propriété, même
20 Ces trois pavillons sont
référencés comme pavillons de complaisance par l'ITF.
21 Cession du 22/03/05 retranscription des
échanges dans l'hémicycle sur le sujet de la création du
registre International Français (RIF), par le Directeur du service des
comptes rendus analytiques, François GEORGE
s'ils peuvent, pour diverses raisons, ne pas être en mesure
de vérifier sans équivoque les renseignements fournis.
La principale différence entre les registres provient
du fait que certains font manifestement des efforts pour connaître le
véritable propriétaire (même si ces efforts peuvent
être contrecarrés par d'autres mécanismes) alors que
d'autres prônent l'anonymat comme un attrait propre au registre. C'est
ainsi qu'une publicité pour le registre maritime d'Anguilla (mais il y
en a bien d'autres) signale que les deux principales caractéristiques du
registre sont la non divulgation du nom des propriétaires effectifs et
la possibilité d'établir des actions au porteur qui contribuent
beaucoup à protéger leur anonymat.
Après comparaison des différents types de
registres, il apparaît que ce ne sont pas tant les registres maritimes
(quoique certains d'entre eux semblent très satisfaits de favoriser
cette situation) qui offrent aux armateurs des moyens de garantir leur anonymat
que les dispositifs juridiques internationaux dont les finalités n'ont
rien à voir avec la navigation.
Ces mécanismes sont les suivants : Le voile
sociétaire
Les actions aux porteurs22
Les actionnaires mandataires23 Les administrateurs
mandataires24 Les intermédiaires25
Mécanismes institutionnels permettant de cacher
l'identité :
Sociétés de capitaux fermées et
sociétés de capitaux ouvertes26 IBC (International
Business Corporations) et sociétés
exonérées27 Fiducies (trusts)28
22
Letitre de propriété peut alors passer de main en
main sans contrôle réel.
23 Personne représentant le propriétaire
réel lors d'une prise de décision et pouvant émettre des
instructions en leur nom.
24
Société ou personne agissant comme
intermédiaire légal au nom du propriétaire.
25 Les agents intervenant dans la création de
sociétés, les fiducies, avocats, fiduciaires et autres
professionnels qui proposent leurs services à ceux qui souhaitent
créer et gérer des sociétés privées dans
certaines juridictions
26 Sociétés non cotées en bourse
et donc moins soumises que d'autres au contrôle des autorités,
elles sont aisément convertibles en société
écran.
27 Les IBC, pouvant être montées presque
instantanément en ligne, se caractérisent essentiellement par le
fait qu'il leur est interdit d'exercer des activités dans le pays
où elles ont été constituées. Ces
sociétés sont donc rarement dans l'obligation de présenter
des rapports annuels aux autorités et ne payent pas non plus
d'impôts. En conséquence, puisqu'il n'y a guère
d'incitation à une surveillance rigoureuse, elles sont rarement
contrôlées.
Fondations29
Sociétés de personnes
Ne dédouanons cependant pas les États du
pavillon comme n'étant que les malheureux gardiens de navires dont les
propriétaires peu scrupuleux leur auraient confiés la charge. Le
registre des Iles Marshall est tout à fait explicite quant à sa
procédure d'immatriculation: il est nécessaire de remplir
certaines conditions, ce qui peut se faire par la constitution d'une
société à responsabilité limitée qui est
présentée en ces termes :
« Quelles que soient les circonstances à l'origine
de la création d'une entité commerciale, en
général, son objectif consiste à obtenir la meilleure
rentabilité possible tout en minimisant le risque d'exposer la
responsabilité personnelle des propriétaires effectifs. La SARL
offre cette possibilité en associant les avantages des
sociétés de capitaux et des sociétés de personnes
et en éliminant une grande partie des inconvénients. »
La constitution d'une SARL peut être faite par une
société étrangère, les enregistrements peuvent se
faire en ligne et les actions au porteur sont autorisées. Afin
d'encourager davantage les éventuels propriétaires qui
recherchent la discrétion, le site internet prévient
également que : « Les documents déposés à
l'occasion de l'immatriculation d'un navire aux Iles Marshall n'ont pas besoin
d'être authentifiés par un consulat. ». On peut trouver des
arrangements identiques dans le cas de tous les registres de libre
immatriculation qui proposent d'ailleurs manifestement une protection non
négligeable de l'identité des propriétaires effectifs.
Cela étant, ce phénomène est loin
d'être une nouveauté et n'apparaît pas subitement à
la fin du XXe siècle avec l'apparition des pavillons de
complaisance. Ainsi, des armements Français déplorent-ils
l'utilisation de la société en commandite qui permet à un
marchand irlandais de Nantes de s'associer avec un marchand irlandais de Cork
et de tourner la législation en vigueur jusqu'à la
révolution, interdisant au non-régnicoles de participer aux
entreprises nationales de navigation.
On le voit, le problème n'est pas nouveau, et si la
France du XVIIIe lutte contre de tels problèmes c'est bien
parce que les intérêts de l'État sont en opposition avec
les intérêts de
28 Instruments juridiques destinés à
dissocier le concept de propriété en droit de celui de la
propriété effective et les fondations bénéficient
d'une plus grande confidentialité et d'un anonymat plus important que
d'autres instruments juridiques
29 Ce sont des entités juridiques distinctes.
Elles n'ont ni propriétaire ni actionnaire et sont gérées
par un conseil d'administration. Dans certaines administrations, telle Panama,
il n'est nul besoin d'une autorisation de l'administration pour créer
une fondation ou modifier ses statuts.
certains de ces marchands au loin. Car ce que permet la
société en commandite, c'est aussi de rester dans
l'ombre30, ce dont profitent des nobles, se mettant ainsi à
l'abri de la dérogeance ou des officiers du roi, cachant leurs
intérêts dans telle ou telle entreprise.31
Cette dérive des pavillons liée à un
environnement juridique favorisant la dissimulation des propriétaires
responsables au regard du droit de la mer est à la fois le fait de
certains États du pavillon moins scrupuleux que d'autres, mais
également le fait de l'intense pression commerciale et des coûts
engendrés par l'entretien d'un navire au commerce. Ainsi, la CMA CGM,
3e groupe mondial au conteneur et premier groupe Français,
enregistre-t-il 20 navires seulement sous pavillon Français (dont 13
sous pavillon bis) pour une flotte de 242 navires dont 167 sous pavillon de
complaisance32. Nul ne doute que l'actuelle remise en question du
système de GIE ayant bénéficié toutes ces
années aux armateurs Français aura une influence sur le nombre de
navires battant pavillon national au profit des pavillons moins regardant. Je
citerais à l'appui le propos de M. Yves Perrin, président du
comité armateur de France: «La Commission européenne a
lancé une enquête sur le dispositif du GIE fiscal il y a
maintenant 18 mois et nous sommes toujours en attente d'une décision.
Depuis tout ce temps, les armateurs ont gelé leurs investissements._
»33 . De même, dans le cas de la société
Maersk France, «La société n'envisagera l'investissement
dans de nouveaux navires que si le dispositif du GIE fiscal est maintenu et que
le RIF perde son statut de pavillon de complaisance. »34
2. La mise en place d'unités de business, le concept
de ligne
Avec la containerisation, la mise en place du concept de ligne
régulière dans le cadre de la satisfaction première de la
clientèle, loin des considérations de fortune de mer
traditionnelle, va avoir pour conséquence une distanciation de la
relation terre mer. Le Commandant va passer d'une relation
privilégiée où il est le représentant unique de
l'armateur-transporteur à celle de simple défenseur de
l'intégrité du navire dans un complexe échange
armateur/affréteur transporteur.
La croissance des flux commerciaux dans le monde, la fin des
conférences d'armateurs ayant sonné le glas des quasi
monopoles et ouvrant le transport maritime à la libre concurrence, le
30 L'ordonnance de 1673 impose la déclaration
devant notaire des sociétés en commandite avec signatures des
intéressés si et seulement si ceux-ci sont marchands et
négociants.
31 Fernand Braudel, Civilisation matérielle,
économie et capitalisme, XVe -- XVIIIe, Les structures du quotidien,
édition Le livre de poche Références, 1979
32
www.cma-cgm.com
33 Lettre d'armateur de France de Novembre 2005,
N° 178
34 Source : un cadre supérieur au sein de la
société Maersk France
développement du concept de « juste à temps
» et des systèmes fonctionnant en flux tendu, sont autant de
paramètres à l'origine de la création des systèmes
de lignes régulières.
Source : Armateurs de France
Comme je l'ai déjà expliqué plus haut, le
navire s'inscrit à présent au sein d'un environnement mettant en
jeu un grand nombre d'intervenants différents travaillant en
coordination. Et ce qui est vrai pour un navire porte-conteneurs l'est tout
autant pour un navire à passagers, pétrolier, vraquier ou autres.
En effet, la massification des navires, la tension de plus en plus importante
sur les horaires imposés, le développement de programmes de
construction par sister ships35, ont permis et imposé le
développement des systèmes de services hebdomadaires, mettant fin
aux principes de tramping36 et réduisant l'utilisation des
affrètements au spot.37
Cette évolution, multipliant le nombre d'intervenants
là où le seul Commandant était suffisant autrefois, a
créé une distance liée à la méconnaissance
des uns et des autres de la nature du travail de leurs coordonnés.
La formation des marins telle que définit par les
conventions internationales oblige les futurs marins à aborder les
principes d'EGC (Economie Gestion & Commerce) durant lesquels sont
introduits les différents métiers para-maritimes.
Néanmoins, il paraît évident que cette formation ne saurait
être suffisante d'autant plus qu'elle est à sens unique !! A ce
jour, il n'existe pas de formation en école de commerce en France
introduisant les particularismes de ce qui est tout de même le fer de
lance de la logistique. La seule formation disponible a été
35 Sister ship : Suite de navires construits suivant
les mêmes plans permettant des économies d'échelles et de
temps de chantier.
36 Tramping : Exploitation d'un navire, fonction du
meilleur prix de la marchandise à un lieu donné ; l'escale et la
route sont déterminées par le meilleur prix de vente de la
marchandise transportée. Principe encore en cours au pétrole.
37 Affrètement au spot : aussi appelé
affrètement au voyage. Le navire n'est affrété que pour un
transit seul. Souvent utilisé comme une solution de secours pour les
armements ne possédant pas la capacité de transport
nécessaire à la bonne exploitation de leur marché.
créée à L'ESC Marseille à
l'instigation de la CMA CGM afin d'améliorer la qualité de ses
collaborateurs et pallier à une déficience pourtant
évidente.
Il va sans dire que dans ce contexte, face à la
montée de l'internationalisation des navigants et la faiblesse de leurs
formations, face également à la méconnaissance totale (ou
peu s'en faut) du milieu maritime par les intervenants à terre, la
relation avec les navires se trouve alors dénaturée. Les
prérogatives du Commandant et celles de ses officiers sont alors
soumises aux aléas des diverses interactions de tiers, souvent non
compétents dans les particularismes maritimes. A l'inverse, le respect
au minimum des standards internationaux par la plupart des organismes de
formation mondiaux de marins engendre un déplacement des objets de
responsabilité des marins vers la terre (à titre d'exemple et
pour expliciter, le second Capitaine et le Commandant sont seuls responsables
devant la loi du chargement et des conditions de chargement du navire. Que se
passe-t-il quand le Commandant annonce au planner : « Votre plan de
chargement sera toujours accepté » ?). Une boucle d' «
irresponsabilisation » se trouve alors créée, pouvant mener
à des conséquences dramatiques. Le principe de
Peters38, relatif à la pyramide d'incompétence,
n'est-il pas en train de s'inverser dans ce contexte ? En effet, avec le
transfert des compétences de la mer vers la terre, on assiste à
une hyper responsabilisation de personnels non systématiquement
formés, et ce malgré un recrutement auprès d'anciens gens
de mer (dans le meilleur des cas, et il n'est pas systématisé,
loin s'en faut).
Le développement des lignes et des unités de
business n'est pas directement responsable, loin s'en faut, de cet état
de fait. Il est néanmoins important de noter que le transfert des
incompétences ayant accompagné le phénomène a
encouragé la pratique du recrutement de main d'oeuvre de moins en moins
qualifiée par le biais des marchands d'hommes peu ou prou
surveillés.
Une étude plus systématique de cette
évolution serait certainement nécessaire pour étayer cette
hypothèse. Elle ne sera cependant pas abordée dans ce document
car s'écartant de manière trop importante de la
problématique qui nous occupe.
38 · ·
Principe de Peters : Tout employé tend à
s'élever au sein d'une entreprise jusqu'à atteindre son niveau
d'incompétence.
C. Le lien entre armateur et équipage' part du
lien substantiel ?
1. Navire et équipage, évolution de l'espace
N'oublions pas que le navire, s'il est le lieu de vie de tout
un groupe d'hommes reste avant tout un espace industriel représentant un
apport en capital massif et sur lequel la rentabilité doit être
maximisée. Ainsi, si nous nous en tenons à l'évolution du
poids du capital fixe (immobilisé par le navire) et du capital circulant
(liquidités nécessaires au paiement des salaires, achats des
périssables, fuel, etc.), il apparaît assez vite une majoration de
celui-là par rapport à celui-ci. Ainsi, à titre d'exemple,
en 1706, le navire malouin « Maurepas », représente une «
mise hors » de 235 315 livres, auxquelles il faut ajouter les
dépenses du voyage, soit 51 710 à l'aller et 89 386 livres au
retour, d'où une dépense globale de 376 411 livres. Une fois
ventilés, tous ces chiffres selon qu'ils concernent le capital fixe
(radoub, calfatage, équipements) ou circulants (vivres et
appointements), on obtient un montant de 251 236 livres pour le capital fixe et
125 175 de capital circulant ; soit un rapport approximatif de 1 pour 2. (F = 2
C). Ce rapport restera globalement inchangé jusqu'au XVIIIe
siècle, époque à laquelle il s'inverse. C'est à
partir de cette époque que l'homme cesse d'être le capital
majoritaire du navire pour ne plus être qu'un assistant à la
machine navire. Si l'histoire explique mal cette affirmation (encore mal
étayée), un certain nombre de questions se posent relativement
à cette évolution. En effet, le seul progrès technique et
la complexité grandissante des navires (doublage des coques avec du
cuivre par exemple), des apparaux embarqués, et la hausse des prix, ne
vont-ils pas de pair avec une diminution des salaires, une réduction des
équipages et une baisse de la qualité des approvisionnements.
Cette question qui se pose dès le milieu du XVIIIe
siècle face à la hausse de la productivité des navires
restera d'actualité pendant les siècles à venir.
Aujourd'hui, un calcul équivalent permet d'établir une estimation
du rapport capital fixe/capital circulant pour un porte-conteneurs de 300m de
long comprenant 20 membres d'équipage autour de 1 pour 8 à 1 pour
12. On le voit, l'homme ne fait plus le poids face au navire...
Aujourd'hui, Catherine Berger, sociologue, définit la
machine navire de la manière suivante : « Le navire marchand est
avant tout un lieu de travail. Il a pour fonction de transporter un chargement
d'un point à un autre et tout est subordonné à cet
objectif. Les hommes sont là pour "servir" le navire afin qu'il
mène la tâche à bien. Ils s'occupent des machines pour lui
permettre d'avancer et surtout éviter qu'il ne tombe en panne, ils
veillent à la navigation pour l'amener à l'endroit voulu. Le
reste, c'est à dire l'entretien du navire et les conditions de vie des
hommes, peut passer totalement au second plan. Sous la pression des contraintes
commerciales, une large majorité des armateurs rogne sur ces deux
postes. Pour les hommes,
cela se traduit par des équipages plus réduits
que par le passé, 12 à 20 hommes en moyenne, et des charges de
travail plus élevées. On embauche aujourd'hui dans des pays
pauvres des marins qui reviennent moins cher. Comme un navire immobile
coûte de l'argent, les armateurs cherchent par tous les moyens à
réduire la durée des escales. Celles-ci sont limitées au
temps nécessaire pour que des opérations indispensables soient
effectuées : chargement, déchargement, approvisionnement du
navire. Selon une étude récente, un navire passe en moyenne 93%
de son temps en mer. En fonction de la nature de la cargaison, les escales
dureront quelques jours ou seulement quelques heures (la moyenne étant
de 1611). En dépit des améliorations techniques, on peut voir
là des dégradations des conditions de travail ou même de
sécurité qui sont rendues possibles par la navigation sous
pavillon de complaisance. Celle-ci permet de contourner les lois nationales,
voire internationales, et elle ne cesse de se développer, la France
n'étant pas reste en immatriculant des bateaux aux îles Kerguelen.
»39
La réglementation nationale et internationale
évolue de plus en plus vers une protection sociale du travailleur
maritime. A ce titre, la France, membre de l'Organisation Internationale du
Travail, est précurseur dans nombre d'articles visant à assurer
l'amélioration des conditions de travail des marins. Ainsi, et
malgré les problèmes de représentativité
liés à l'importance de la flotte40, le droit du
travail international maritime tend-il à considérer l'humain en
tant que tel et non plus comme matériau humain.
Néanmoins, et malgré un environnement
légal toujours plus contraignant pour les armements, la
compétitivité et la difficulté à effectuer des
contrôles objectifs et systématiques encouragent ces derniers
à pratiquer des politiques de gestion des ressources humaines de plus en
plus symboliques, ceci est rendu d'autant plus facile que, comme nous l'avons
vu, les outils juridiques permettent une identification de l'armateur toujours
plus difficile.
Lorsque, notamment à la suite des chocs
pétroliers, de nombreuses compagnies de navigation ont cherché
à faire des économies par tous les moyens, elles ont choisi de
s'affranchir des contraintes sociales en immatriculant leurs navires dans des
pays comme Panama, le Liberia, Malte, les Bahamas, etc., qui les laissaient
libres de faire appel à une main d'oeuvre meilleur marché et
moins exigeante sur les conditions de travail. La tendance s'est
accélérée, et aujourd'hui, plus de 60% du tonnage est
transporté par des navires sous pavillon de
39 Espaces privés/espaces publics : Gestion de
l'espace, du temps et de la parole sur un long courrier, Catherine Berger,
maître de conférences, université paris 13,
27-28/10/2000
40 Les pays tels les Bahamas, Libéria, Chypre,
Malte, etc., dont l'importance de la flotte dépend étroitement de
la quasi absence de contraintes de leur pavillon, ont un vote plus lourd que la
France et ses 96 navires TAAF/RIF
complaisance. Dans le même temps, le nombre de marins
d'Europe et d'Amérique du Nord a fortement décru et on a
recruté de plus en plus dans des régions pauvres,
particulièrement en Asie et en Europe de l'Est. Dans ce contexte, les
marins philippins occupent une place à part puisqu'ils constituent, et
de très loin, la plus importante population de marins au monde. Le
dernier recensement du SIRC41 en 2002, établi à partir
des rôles d'équipage, indique que plus de 28% des marins qui
naviguent pour le commerce international sont originaires des Philippines.
Nous l'avons vu, l'importance du navire par rapport à
l'homme devient grandissante au fil du temps. Les capitaux engagés dans
ces opérations sont gigantesques, et encore ne tenons nous pas compte du
fret, celui-ci étant aux mains des marchands et non des armateurs. Nul
doute que le rapport (Capital fixe + Capital fret)/capital circulant
atteindrait alors des records au détriment de l'homme, sans doute 1 pour
1000 dans le cas d'un pétrolier de taille moyenne.
Néanmoins, l'homme reste au coeur de la fortune de mer.
Si les accidents maritimes ne sont plus légions, ils restent
suffisamment présents à notre esprit pour que le marin soit
déconsidéré par la population terrestre. « Pollueur,
assassin, danger public », que d'adjectifs pour désigner l'objet de
cette vindicte populaire. Mais que se cache-t-il derrière l'image que
nous donnent en pâture les médias. Les conditions de vie ont
changées, les conditions de navigations, de communications et de
sécurité également, mais certaines ont mieux
évolué que d'autres ou, à tout le moins, ont pris des
orientations différentes.
Le lien substantiel s'exprimant à travers le contrat
maritime ? La réalité de la marine moderne ne semble pas
être en accord avec cette vision idyllique des choses. Trop de facteurs
entrent en jeu dans la vie du marin, quelque soit sa nationalité, pour
que celui-ci perçoive l'existence d'un tel lien avec son pavillon.
2. Conséquence de l'unité business, le
multi-pavillonnement
Le choix du pavillon entraîne l'adoption de la
nationalité de l'État qui détermine librement des
conditions d'attribution de son pavillon. De ce fait, le navire dépend
des lois de son pays d'adoption en matière de réglementation
sociale, administrative, fiscale, technique, et en haute mer. Il
bénéficie de la protection de l'État du pavillon. Le port
d'attache sera celui d'un des
41 SIRC : Seafarers International Research Center,
ports de l'État du pavillon (Comme nous l'avons vu
précédemment, chaque État est seul juge des
modalités d'attribution de son pavillon.).
De nombreux armateurs immatriculent leurs navires dans des
États comme les Bahamas, Chypre, ou encore le Liberia car la
réglementation sociale en matière de composition des effectifs
est moins rigoureuse que celle des autres pavillons, comme par exemple la
France. Ces pays, dits de libre immatriculation ou encore « pavillon de
complaisance », sont souvent choisis par des armateurs qui profitent du
faible niveau de contrôle pour exploiter ainsi des navires sous normes.
Mais ils sont aussi choisis par des armateurs plus sérieux, souhaitant
armer leurs navires avec des équipages internationaux, au coût
moins élevé que sous pavillon national.
Ces deux raisons principales, ajoutées à la
compétition très dure qui s'exerce sur le monde maritime, ont
conduit à ce qu'aujourd'hui, 50% de la flotte internationale soit sous
pavillon de libre immatriculation.
Aussi, afin de maintenir leur pavillon national, les
États communautaires ont créé leur pavillon bis ou «
second registre », ayant pour conséquence d'assouplir la
réglementation sociale sur la composition des effectifs mais en aucun
cas celle relative à la sécurité maritime.
Ces pavillons bis ont été créés en
respectant la politique sociale communautaire et en se basant sur les articles
suivants :
- l'article 92 : les aides accordées par les
États ou au moyen de ressources d'État sous quelques formes que
ce soient qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines
entreprises ou certaines productions (il s'agit ici de concurrence entre
États communautaires). - l'article 117: les États membres
conviennent de la nécessité de promouvoir l'amélioration
des conditions de vie et de travail de la main d'oeuvre permettant leur
égalisation dans le progrès.
Le navire étant part de l'entreprise et non plus
entreprise en tant que telle, il devient alors cessible et sujet à tout
mouvement que d'autres types d'immobilisations couvraient jusqu'à
présent. Ainsi, dans le but de dégager des liquidités,
certains armateurs n'hésiteront pas à utiliser le navire comme un
objet financier permettant, le cas échéant, de dégager des
liquidités à la revente afin d'augmenter la capacité
d'investissement. Ainsi, profitant à la fois des avantages
procurés par les différents États du pavillon et du statut
d'immobilisation mobile du navire, certains d'entre eux peuvent être
amenés à connaître une succession de cession et
repavillonnement en l'espace de quelques mois, éventuellement pour le
même
armateur sous couvert de filiale, lui permettant de
dégager les liquidités dont il pourrait avoir besoin pour mener
à bien une opération financière.
D. L'exemple particulier du Capitaine' un statut
d'exception
Membre de l'équipage à part entière, le
Capitaine est néanmoins un statut d'exception à bord du navire.
Représentant de l'armateur, responsable de l'exploitation commerciale
comme de la bonne marche du navire et de son équipage, parfois
actionnaire ou armateur lui-même, le Capitaine au long cours
possède un certain nombre de prérogatives issues de
l'évolution de la marine à travers le temps comme des relations
avec les armements et les conditions d'exploitation des navires.
Si le droit français reconnaît encore dans le
Capitaine un officier d'état civil, apte à marier, à
rédiger les certificats de décès et de naissance, force
est de constater que, à l'instar des paragraphes
précédents, son rôle s'est de plus en pus réduit
vers celui d'un chef des marins.
1. Les fonctions du Capitaine, une évolution
marquée
De nos jours, la conception légale du rôle du
Commandant se rapporte davantage à ses attributions techniques
plutôt qu'à son rôle de représentant de l'armateur et
ses prérogatives dans le domaine commercial. Le Commandant est reconnu
en tant que Chef de la navigation et n'est qu'accessoirement le mandataire de
l'armateur, le représentant en tant que défenseur des
intérêts supérieurs de l'outil navire devant un
affréteur. Le développement des moyens de communication, des
systèmes de liaison satellite et du mail a permis le recul de cette
fonction au profit de services spécialisés à terre.
a. La réglementation relative aux conditions de
travail et de vie à bord.
Le Capitaine doit prendre toutes les mesures voulues afin
d'assurer de manière permanente la sécurité du
bâtiment et des vies humaines qui sont à bord. Il est responsable
de son équipage. Il doit veiller non seulement au respect des
règles de sécurité mais également aux conditions de
travail et de vie de ses marins.
Seul le Capitaine a un pouvoir de décision exclusif
tant sur l'équipage que sur les décisions intéressant la
navigation. Cela n'a pas toujours été le cas, le Capitaine a
dû pendant longtemps demander l'accord puis simplement l'avis à
plusieurs personnes (à l'équipage) avant de prendre des
décisions, notamment dans le cas de dépenses ou sacrifices
relatifs à la
marchandise ou au navire. Aujourd'hui, le Capitaine,
maître de la navigation prend ses décisions, en principe, seul. Il
décide de la route à suivre, des escales à faire... Dans
la théorie, la pratique nous force à constater l'absence de
« contrôle » du Capitaine tant sur les escales que sur les
routes à suivre.
Ainsi, l'intérêt d'une escale peut-il être
défini par le taux de fret du navire et par là par le taux de
rentabilité, justifiant l'intervention de l'armement dans le choix des
escales ? De la même manière, les grandes compagnies maritimes
encouragent l'utilisation par le Capitaine des systèmes de routage
météo, définissant pour eux la meilleure route à
suivre. Une décision contraire au routage demandera une justification
auprès de l'armement (en particulier si avarie). Enfin, le prix du baril
de fuel augmentant, les armements sont de plus en plus attentifs tant à
la vitesse du navire qu'au choix de la route (une mer moins formée
requiert moins de puissance pour une vitesse identique, soit une moindre
consommation). En la matière, la responsabilité et l'exercice de
sa responsabilité ne concerne plus pour le Capitaine que la gestion de
la crise dans sa première phase. (La gestion de crise exige, selon la
procédure ISM (International System Management), une mise en relation
avec l'armement en charge des négociations relatives à la gestion
de la crise : cas particulier du remorquage).
Les fonctions du Capitaine débordent l'ordre technique
et commercial, il est en effet un représentant de l'État, ce qui
le rend légataire de plusieurs obligations. Il est officier
d'État Civil pour les naissances et les décès survenus
à bord, il authentifie les testaments reçus à bord et joue
le rôle de notaire (sous réserve d'une confirmation par un notaire
à terre). Mais il détient également des pouvoirs de
discipline et de réquisition. Le Capitaine est en effet le garant du
maintien de l'ordre à bord, condition sine qua non de la
sécurité du bord. Il exerce ses pouvoirs sur toutes les choses et
toutes les personnes présentes à bord. « L'identité
des besoins ne permet pas de distinguer suivant les titres auxquels les
individus sont à bord du navire » écrivent justement R.
Rodière et E. du Pontavice 42 . A situation exceptionnelle,
moyens exceptionnels. Les exigences de la sécurité et l'isolement
de la société du bord impliquent que l'autorité du
Capitaine s'exerce pleinement. L'arbitraire est néanmoins
sanctionné.
Le Capitaine a, en premier lieu, l'obligation de rédiger
deux séries de documents qui revêtent une valeur juridique
importante: le journal de mer et le rapport de mer. Ces documents
42 R.RODIERE et E. du PONTAVICE, Droit Maritime,
Précis Dalloz Ed. n°12, n°221.
révèlent la collaboration et le contrôle
de l'État sur les activités du Capitaine de navire. Ces documents
sont effectivement visés par les affaires maritimes : en France par les
Affaires maritimes, à l'étranger par le Consul de France.
Il a, en deuxième lieu et en sa qualité de chef
de la société du bord, le devoir de tenir un livre de discipline
(article 43 du Code Disciplinaire et Pénal de la Marine Marchande). Il
ne suffit pas de sanctionner les infractions de droit commun survenues à
bord, il faut également, compte tenu des risques encourus, que le
Capitaine sanctionne les fautes contre la discipline. La société
à bord d'un navire est strictement hiérarchisée et
l'ensemble de la discipline du bord relève de la compétence du
Capitaine. Il a ainsi en charge la surveillance et l'encadrement de son
équipage.
Ainsi que je l'ai expliqué précédemment,
le Capitaine n'est plus, loin s'en faut, responsable ou même partie
prenante dans le recrutement des membres d'équipage. Le recours aux
marchands d'hommes, quasi systématique de la part des armements, a
rangé ce rôle aux oubliettes et compliqué grandement la
fonction disciplinaire du Commandant. Comment le Capitaine, responsable de son
navire comme de son équipage, peut-il remplir correctement son
rôle quand 7 nationalités différentes et autant de langues
se côtoient à bord ? L'anglais, langue internationale, n'est
souvent pas maîtrisé convenablement. Les différences de
cultures, les problèmes de racismes sont autant de facteurs aggravant
une situation par ailleurs déjà bien tendue.
b. Le Capitaine, de mandataire itinérant à
préposé de l'armateur
Nous l'avons vu à plusieurs reprises au fil des pages
de cet exercice, c'est la terre qui, à présent, régit les
affaires commerciales du navire s'insérant de manière plus
efficace au sein des flux mondiaux. Les communications
s'accélérant, les voyages aux trampings ont connus un premier
essor avant de presque disparaître face à la massification des
besoins logistiques (terminaux, containerisation, taille des navires) et au
développement des systèmes de lignes s'intégrant dans
l'ensemble des systèmes en «juste à temps ». Là
où le Capitaine traitait directement avec la clientèle et agents
portuaires, il s'intègre maintenant au même titre que son
équipage dans un paysage industriel dont la principale garantie de
pérennité repose sur la constance et la vitesse de ses
approvisionnements. A ce titre, le Commandant et les marins ont vu leurs
rôles se limiter pour devenir celui de « transporteur maritime
» quand ils étaient marins au long cours.
C'est dans ce cadre que le rôle du Commandant auprès
de son armateur a vu son importance se réduire de mandataire à
préposé.
Statut et obligations de l'armement
L'armateur choisit son Capitaine en tant que
représentant de ses intérêts à bord mais il est
indispensable, pour comprendre le statut du Capitaine, de préciser que
l'administration maritime va intervenir dans sa nomination et dans le
contrôle de son activité technique.
L'administration maritime va agréer le choix de
l'armateur en contrôlant les conditions d'engagement et l'obtention des
stages et diplômes par le Capitaine. Cette intervention de
l'administration, qui peut aller jusqu'au retrait ou suspension disciplinaire
du Capitaine, se justifie par les fonctions d'ordre publique dont est investi
le Capitaine. Mais le pouvoir de l'administration ne pourra pas s'exercer sur
les fonctions commerciales du Capitaine. Ces fonctions et obligations seront
définies par le contrat régissant les relations entre armateur et
Capitaine, le principe de la liberté des conventions s'applique.
Le Capitaine peut-il vraiment résister aux immixtions
éventuelles de l'armateur, telles que nous avons pu les aborder
précédemment ? Michel Dubosc, avocat au barreau, a répondu
à cette question de façon négative à l'occasion du
colloque organisé par l'Association Française du Droit Maritime
relatif au droit de la mer et de la sécurité de la
terre43. Il justifie sa position en citant l'article 109 du Code du
travail maritime qui permet à l'armateur, toujours et en tout lieu, de
congédier son Capitaine. Par là, l'armateur exerce sur son
Capitaine un droit de subordination, il peut lui donner des ordres et des
instructions. Ce type de comportement est réprimé par la loi mais
le progrès des communications rend ces échanges plus faciles dans
la mesure où ils ne laissent souvent aucune trace écrite.
Cette immixtion de l'armateur, mais aussi et surtout des
services à terre, compromet la sécurité de la navigation
et rend le travail du Capitaine très délicat dans la mesure
où il doit remplir ses fonctions tout en restant en accord avec son
armateur, qui, nous le savons, poursuit souvent des buts commerciaux au
détriment parfois de la sécurité.
En contrepartie, l'armateur engage sa responsabilité
dans plusieurs cas définis par la loi. Comme nous l'avons dit, il est
responsable des dommages causés par son navire. Il répond des
fautes du Capitaine, son préposé, selon l'article 216-1° du
Code de commerce. Le
43 Colloque de l'AFDM des 10 et 11 mai 1979 à
Nantes : « Le droit de la mer et la sécurité de la terre
»
Capitaine peut engager la responsabilité civile et donc le
patrimoine de son armateur par ses fautes, sauf fautes nautiques.
Obligations du Capitaine envers l'armateur
Le Capitaine est le représentant commercial de
l'armateur. Il existe une relation de confiance entre les deux parties. Le
Capitaine doit défendre les intérêts de son armateur. Mais
son rôle commercial ayant pratiquement disparu aujourd'hui, les
obligations dont il était débiteur, comme par exemple de vendre
au mieux les marchandises transportées, de conclure les contrats au lieu
et place de l'armateur, n'existent plus. Le Capitaine doit, en principe,
équiper le navire, c'est-à-dire engager l'équipage, faire
radouber le bâtiment, acheter les agrès et instruments
nécessaires et se munir des approvisionnements. Mais ces obligations
sont aujourd'hui à la charge de l'armateur ou de ses
représentants à terre, notamment le Capitaine d'armement. Le
Capitaine redevient débiteur de ce type d'obligations lorsqu'il ne se
trouve pas en la demeure de l'armateur, c'est-à-dire que lorsque la
présence de l'armateur ou d'un de ses représentants à
terre fait défaut, le Capitaine recouvre alors la plénitude de
ses fonctions commerciales. Cela dit, cette situation est très rare de
nos jours, dans la mesure où l'armateur est représenté
dans une large mesure et que le Capitaine ne se trouve que dans des situations
exceptionnelles coupé de toute relation avec son armateur. En bref, le
Capitaine est responsable envers l'armateur de l'accomplissement de la mission
qui lui a été confiée. Cette responsabilité est une
responsabilité contractuelle44 . Le Capitaine prend, en
acceptant le commandement, la responsabilité de mener à bonne fin
l'expédition maritime. Un manquement à la bonne conduite de
l'expédition maritime pour satisfaire des intérêts
personnels est considéré comme un crime.
Le Capitaine, un préposé de l'armateur
Malgré de nombreuses et vives controverses, le
Commandant est reconnu de nos jours comme préposé de l'armateur,
juste illustration de la diminution des responsabilités du Commandant et
de sa perte de contrôle sur le déroulement des opérations
commerciales. Néanmoins, une certaine indépendance du Commandant
issue d'une longue tradition résiste encore à l'ingérence
de la terre.
44 Ex de faute commerciale du Capitaine : le
Commandant ayant appareillé malgré une condition
météo ne permettant pas d'assurer la sécurité du
navire et de l'équipage commet une faute commerciale et ne peut invoquer
la fortune de mer. A l'inverse, la fortune de mer sera applicable si le navire
venait à subir une avarie lors d'une traversée, puisqu'il s'agit
là du domaine purement nautique.
Le 25 février 2000, l'Assemblée
plénière de la Cour de Cassation a posé par
arrêté la fonction de préposé au Commandant et
diminué de fait ses responsabilités dans l'exercice normal de ses
fonctions. Ainsi le Commandant n'engage plus sa responsabilité à
l'égard de tiers s'il n'excède pas les limites de la mission qui
lui a été impartie. Suite au naufrage du paquebot
Lamoricière, la Cour de Cassation insiste en déclarant : «
l'armateur, conservant l'usage et le contrôle du navire au cours du
voyage, en reste gardien, malgré le pouvoir de direction dont dispose le
Capitaine, mais que celui-ci n'exerce qu'en qualité de
préposé de l'armateur, incompatible avec celle de gardien
».
Cet arrêt, première pierre à un nouvel
édifice de la juridiction, marque le début de l'immixtion du
droit civil dans le droit maritime. Jusqu'à cet arrêt, la Cour
n'admettait pas l'application de la responsabilité du fait des choses au
contrat de transport maritime. La Cour a pris une telle position pour ne pas
déclarer le Capitaine gardien du navire, pour faire peser la
responsabilité sur l'armateur jugé seul solvable45.
Ainsi, le Capitaine est un préposé de
l'armateur, il n'est pas gardien du navire qu'il commande, sa
responsabilité ne pourra être engagée que dans les limites
posées par les dispositions du Code Civil.
2. Les limitations légales de responsabilité
Les limitations de responsabilité sont une autre
institution particulière au droit maritime. La limitation de
responsabilité était au départ réservée
à l'armateur mais elle a été élargie au Capitaine.
Avant la limitation, l'armateur pouvait se protéger des fautes du
Capitaine par l'abandon du navire et du fret. Une deuxième phase
permettait à l'armateur de choisir entre l'abandon et la limitation en
valeur (Convention de 1924). Enfin, une convention internationale vient
entériner le système de la limitation de responsabilité en
élargissant son domaine d'application. Aujourd'hui, l'armateur,
propriétaire ou non de son navire, ou toute personne exploitant le
navire ainsi que leurs préposés bénéficient de ce
système de limitation de responsabilité pour les fautes commises
par eux ou par les choses qui sont sous leur garde, sauf cas de faute
inexcusable.
45
Cass. Com. 19 juin 1951, Recueil Dalloz
1951, 41° cahier p.61, note G.RIPERT.
Un bémol à cette limitation de
responsabilité a été récemment mis en place,
soulevant l'indignation de l'ensemble des Commandants français. La loi
Perben n° 2004-204 du 9 mars 2004 a ainsi directement mis en cause le seul
Commandant en cas de pollution accidentelle, ou non, par « imprudence,
négligence ou inobservation des lois et règlements » assorti
d'une peine de prison et d'une amende pouvant atteindre 500 000 C.
Ainsi nombre de Commandants, prévoyant une telle
possibilité, ont fait établir un nouveau contrat de mariage
lorsque cela était nécessaire, afin de passer en régime de
séparation de bien et de préserver leur famille d'un tel
risque.
Le risque est d'autant plus important que le flagrant
délit de pollution est constitué le plus souvent par une photo
d'altitude d'une trace d'hydrocarbure. Seule la sensibilité du juge et
l'avis d'experts permettra de décider du sort du Capitaine
français emprisonné. La procédure semble sujette à
caution...
|
En effet, la simple
photographie d'un rejet à la mer ne suffit pas à
établir l'existence d'une infraction, car il peut s'agir tout simplement
de l'évacuation du circuit de refroidissement, ou d'un exercice de la
lance à incendie.
|
|
Pourrait-on aujourd'hui, sans susciter un scandale, condamner
quiconque sur la base de la photographie d'une tache rouge, accompagnée
d'un procès verbal commenté par un
43
|
Quant à la photographie d'un yacht de luxe
derrière lequel se trouvent des traces suspectes, il est évident
qu'elle ne suffit pas pour affirmer que le dégazage de la part de ce
navire aurait été volontaire. La photographie même "
corroborée " par un procès verbal, même commentée
par un expert, ne peut absolument pas suffire à dissiper le doute.
expert qui viendrait dire que la tache rouge n'est pas de la
peinture ni du sang de poulet mais bien, sur la foi de la seule observation
visuelle, du sang humain ? C'est évidemment impensable. Le
prélèvement de la substance de couleur rouge et son
identification est évidemment indispensable pour que l'on puisse parler
de sang.
La nécessité de procéder à des
prélèvements n'a rien d'extraordinaire.
Ainsi, effectuer des prélèvements paraît
résulter du simple bon sens, même si l'on sait la
difficulté de différencier un hydrocarbure d'un autre de
même nature. Néanmoins, cette procédure plus
crédible résulte de la simple lecture du " Recueil des preuves
concernant les rejets en provenance des navires " publié en application
de l'accord de Bonn de 1993. Citons ce texte fondamental : " Lorsqu'il y a
incertitude quant à la présence d'hydrocarbures à la
surface de l'eau, échantillonner l'eau polluée est un moyen de
lever le doute. Si des traces d'hydrocarbures déversés restent
à bord du navire suspecté, des comparaisons d'échantillons
d'hydrocarbures relevés à bord du navire et dans la nappe ou dans
la Zone contaminée peuvent aider à l'identification. Diverses
techniques peuvent être utilisées : le couplage chromatographie en
phase gazeuse, la spectrométrie de masse (CG/SM) utilisée
actuellement qui est à même de fournir une véritable «
empreinte digitale », caractéristique de l'hydrocarbure
analysé. "
Le problème n'est pas pour autant résolu avec
certitude. Des recherches sont actuellement effectuées pour marquer les
cargaisons d'hydrocarbures grâce à un identifiant
génétique.
En attendant, le Commandant français est passible
d'emprisonnement et d'une lourde amende sur simple constatation visuelle. Et si
les armateurs marquent leur contentement face au durcissement de la
répression à l'encontre des « opérateurs coupables
», c'est à dire le Commandant, ils s'émeuvent quand en cas
de pollution involontaire ayant causé « des dommages
irréversibles à l'environnement », ils puissent être
mis en cause contrairement à des armements étrangers. Autant pour
le lien entre le Commandant et l'armateur et les responsabilités de l'un
envers l'autre...
Ainsi le transporteur maritime, autrement dit l'armateur, se
libère par la preuve que les pertes ou dommages résultent "des
actes, négligences ou défauts du Capitaine, marin, pilote ou de
ses préposés dans la navigation ou dans l'administration du
navire", faute dite nautique (Bruxelles 1924, Art. 4-2-a). On sait aussi qu'il
se libère en apportant la preuve que ces pertes ou dommages
résultent de l'un des faits énumérés dans les 16
autres lettres du même article. Or si certains de ces faits constituent
sans aucun doute le cas de force majeure
traditionnellement exonératoire, d'autres, tel
l'incendie ou la grève, ne le sont pas nécessairement.
Cependant, la faute nautique a été le bouc
émissaire de la vindicte des pays nouvellement indépendants
contre ce droit de classe élaboré par les pays anciens
colonisateurs. Ainsi, l'indépendance proverbiale du Commandant du navire
(nous y reviendrons dans le paragraphe suivant), les périls de la mer et
la méfiance vis-à-vis de celui qui prend une décision dans
la chaleur de son cabinet (le juge) ne légitimaient-ils plus une
institution qui apparaissait injuste dans la mesure où le
défendeur (l'armateur) se précipitait à invoquer la faute
de son préposé (le Capitaine) pour faire valoir une
exonération de responsabilité qui devint particulièrement
choquante.
La faute nautique souffre d'ailleurs d'un autre mal : elle est
difficile à qualifier. La chose apparut très nettement avec la
faute d'arrimage, c'est à dire de répartition des marchandises
dans le navire et de saisine de celles-ci, dans la mesure où la faute
peut produire deux effets différents : endommager les marchandises ou
mettre en péril la navigation du bâtiment. Devait-on alors
distinguer entre une faute d'arrimage commerciale et une faute d'arrimage
nautique ?46
Un « préposé- indépendant »
Parallèlement au régime de responsabilité
applicable au Capitaine et aux limitations de responsabilité auxquelles
il peut recourir, il nous paraissait important de faire une parenthèse
sur la situation d'indépendance ou de dépendance entre le
Capitaine et son armateur, et les conséquences qu'une immixtion trop
importante de l'armateur pouvaient avoir sur la sécurité comme
sur les fonctions du Capitaine.
L'indépendance du Capitaine est une des
caractéristiques principales 47 de ce statut. Le Capitaine,
représentant de l'armateur, ne peut être assimilé à
aucun autre sujet du Droit Civil ou Commercial. Il ressemble à un
fonctionnaire, il exerce dans un intérêt public, en vertu d'une
délégation qu'il tient de la loi, une partie de l'autorité
publique.
Il existe un lien de subordination avec son armateur mais il ne
s'agit pas du même lien de subordination que celui que l'on peut
rencontrer en droit commun, car le Capitaine jouit, ou est sensé
jouir, d'une liberté absolue et d'un pouvoir de décision exclusif
dans l'exécution de
46 Y.TASSEL, Droit Maritime, un anachronisme?, revue
juridique Neptunus
47 G.RIPERT, Droit Maritime, Tome I, Ed.Rousseau,
1950, n°809.
sa mission. « Le Capitaine, maître de la
navigation, prend ses décisions tout seul. Qu'il en réfère
aujourd'hui à son armateur par T.S.F. ou autrement n'ôte rien
à cette vérité de fait et de droit : il prend seul toutes
ses décisions. C'est lui qui choisira sa route, décidera des
escales, même rétrogrades, stoppera les moteurs pour telle ou
telle réparation de fortune en pleine mer, fera ralentir en cas de brume
ou n'en faire rien parce qu'il se fie à son radar...
»48.
Force est de constater que ce n'est plus le cas aujourd'hui.
J'ai eu l'occasion de lire les interventions de Capitaines au long cours lors
de colloques ou séminaires et de rencontrer personnellement des
Capitaines qui m'ont permis de faire la part des choses entre la théorie
et la pratique des fonctions de Capitaine.
Lors d'un colloque de l'AFDM49, Maître Dubosc
a comparé la situation du droit positif français avec la
réalité des faits et sa conclusion est éloquente. Il a
relevé dans son intervention tous les cas d'immixtion de l'armateur dans
les prises de décision du Capitaine et en a conclu implicitement que le
Capitaine ne dispose plus de la liberté que la loi et les
règlements sont sensés lui accorder.
Ainsi, peut-on considérer que le Capitaine
maîtrise et contrôle réellement l'arrimage des marchandises
? Si l'on considère que les plans de charge sont établis par les
représentants à terre de l'armateur (planners), qu'ils sont
ensuite normalement transmis au Capitaine qui doit les vérifier en un
temps record dans la mesure où les délais de chargement et
déchargement sont très serrés, on ne peut qu'en douter.
Mais la loi prescrit toujours que le Capitaine est responsable du chargement,
déchargement et arrimage de la marchandise.
Le Capitaine est également maître de la
navigation, il choisit sa route et ses escales. Mais il appartient à
l'armateur de fixer les destinations des marchandises transportées. Et
on peut penser que les pressions économiques rendent les escales ou les
déroutements, pour des raisons de sécurité, difficiles
à admettre pour l'armateur qui voit les délais de livraisons
allongés. Il en est de même relativement au recours par le
Capitaine à l'assistance en cas d'événement de mer. «
Non seulement la signature d'un contrat d'assistance quelle que soit sa forme
mais même le recours à l'assistance ne seront mis en oeuvre
qu'avec l'accord généralement explicite de l'armateur ».
Rappelons-nous le triste épisode de l'Amoco Cadiz
48 R.RODIERE, Traité Général de
Droit Maritime, Dalloz 1976, Introduction, n°394.
49 Association Française de droit maritime
qui s'échoua sur les côtes Bretonnes car la
négociation entre le remorqueur et l'armateur n'avait pu être
conclue à temps.
Ainsi, force est de reconnaître que la liberté
présumée du Capitaine est mise à mal dans les nouvelles
relations professionnelles et juridiques qu'il entretient avec son armateur.
Cela modifie de façon sensible les conditions d'exercice du Capitaine.
L'armateur-propriétaire exerce un droit de subordination sur le
Capitaine qui n'est pas négligeable. Mais, ainsi que nous l'avons
évoqué précédemment, il convient de préciser
une évolution récente, c'est l'influence grandissante des
services de l'armateur à terre, notamment en ce qui concerne le
chargement, le déchargement et l'arrimage de la marchandise. Ils sont en
charge de la supervision et de l'exécution de ces tâches, mais
toujours sous l'autorité et le contrôle théoriques du
Capitaine.
Il me paraît intéressant pour conclure ce
chapitre de laisser la parole au Commandant P.Beaufrere, dans un message
rédigé à l'intention de la tribune de l'Association
Française des Capitaines de Navires :
« Lorsque j'étais au cours de Capitaine au Long
Cours, on nous apprenait que le Capitaine, à bord, était le chef
de l'entreprise maritime, le représentant de l'armateur et qu'il
était chargé de la police et de la sécurité sur son
navire.
Les récents événements de la SNCM posent
maintenant la question : est-ce toujours vrai ? Il y a quelques semaines,
à la suite d'un mouvement revendicatif violent des équipages, des
personnels étrangers au bord qui obligeaient, sous la menace, Commandant
et Officiers à quitter leur navire. L'un des Commandants, au moins, a
déposé un rapport aux Affaires Maritimes, donnant même le
nom de certains des agresseurs ; rien ne s'est passé...
Le Pascal Paoli a été mis en route sur Bastia,
après qu'une poignée d'insurgés du STC ait obligé,
là encore sous la menace, les Officiers à lancer les moteurs et
à appareiller. Ces mêmes personnes, après un simulacre
d'arrestation, étaient les interlocuteurs des Ministres dans les
discussions sur l'avenir de la SNCM. Pourtant, toujours selon le droit
maritime, ce détournement était un acte de piraterie
caractérisé. Là encore, rien ne s'est passé ;
aucune réaction ni des Ministres, ni des Affaires Maritimes, ni de la
Direction de la Compagnie.
Enfin, il y a peu, le Commandant du Napoléon Bonaparte
a été agressé sur la passerelle du navire par une
quinzaine de personnes qui, après l'avoir insulté, l'ont
obligé à quitter le bord sous la menace. La Compagnie a
réagi... en remplaçant immédiatement le Commandant.
Que penser de toutes ces exactions restées sans suite ?
Tous ces gens : Politiques de tous bords, Représentants
des Affaires Maritimes, Présidents de Compagnies de Navigation,
Représentants des médias nous montrent par leur silence
assourdissant que lorsqu'ils parlent tous, avec emphase, de la France,
ÉTAT DE DROIT, ils oublient de signaler qu'il s'agit du DROIT DU PLUS
FORT et que la menace et la violence sont les seuls arguments qu'ils
écoutent.
Il me semble que le Monde Maritime, lorsque les esprits se
seront calmés, devra se pencher sur ce problème du Capitaine et
sur ses pouvoirs réels car il ne doit pas être à bord
seulement pour être poursuivi en cas de pollution, accidentelle ou non,
mais parce qu'il symbolise toute la structure de notre monde Maritime et qu'il
doit être soutenu dans son action par son Armateur et les
représentants des Affaires Maritimes. »
CHAPITRE III
Le lien substantiel : Le contrat d'engagement
maritime' la vie des marins
A. Le contrat d'engagement Maritime
C'est à la fin du XVIIe siècle que
Colbert (ministre des finances de Louis XIV), soucieux d'avoir une marine
forte, prit des dispositions afin d'améliorer la qualité et la
fiabilité de ses équipages. Car, avant ces mesures,
l'enrôlement des équipages était 'particulier' :
officiellement on parlait du système de la presse et officieusement de
« Shangaïer* » les hommes, c'est-à-dire leur promettre
l'or et la gloire, ou bien de les saouler au bar, ou encore de leur faire du
chantage, bref, embarquer n'importe quel homme de passage sur les quais de
gré ou de force. L'État allait même jusqu'à former
les équipages avec des prisonniers. Or les navigations duraient bien
souvent plus d'un an, et la vie à bord demandait une certaine
énergie. Par conséquent, l'hygiène, la santé et le
moral étaient bien souvent mauvais et donc, la fiabilité et
l'efficacité de la flotte en pâtissaient.
Ainsi vers 1670, Colbert résolut le problème du
recrutement des équipages en instituant le principe de l'Inscription
Maritime, qui deviendra plus tard l'Immatriculation des marins. De ce fait,
tout homme tirant substance de la mer devait un temps de service à
l'État, service dans « la Royale ». En temps de guerre il
pouvait être rappelé. En contre partie, Colbert mis en place un
régime de pension et des règles « d'assistance
médicale » totale et gratuite pour les marins blessés en
service. Ce sont les fondements du Droit Social Maritime et donc du CTM.
1. Les différences avec le code du travail
C'est donc de sa propre initiative et sous sa double tutelle
(tutelle légale - l'enregistrement du marin-, et tutelle sociale -
l'affiliation à l'ENIM -) que l'État a fondé le Droit
Social Maritime. De par sa nature, le Code du Travail Maritime (CTM) avait une
trace écrite et référencée, chaque navigant du
Royaume devait répondre des mêmes astreintes et capacités.
Il en allait bien entendu autrement pour les métiers terrestres,
où, bien souvent, les contrats n'étaient qu'oraux. Seulement, la
double tutelle de l'État n'a cessé de perdre du terrain en raison
de l'évolution du travail maritime.
C'est à la fin du XIXème
siècle que le Droit du Travail Maritime s'est aligné sur celui du
Travail Terrestre, et, bien que les textes soient restés distincts, leur
évolution fut parallèle.
La plus grande spécificité du CTM est le
contrat d'engagement maritime lui-même. Citons l'Article 1er de ce
dernier : « Tout contrat d'engagement conclu entre un armateur, ou son
représentant, et un marin, et ayant pour objet un service à
accomplir à bord d'un navire en vue d'une expédition maritime,
est un contrat d'engagement maritime régi par les dispositions de la
présente loi ». Le marin était donc lié plus à
l'expédition maritime qu'à l'employeur, et son engagement prenait
fin dès lors qu'il se trouvait sur la Terre de son domicile.
Or en 1936, avec l'instauration des Congés
Payés, il fallait que le contrat d'engagement maritime couvre les
périodes sans travail, c'est-à-dire sans présence à
bord. Dès lors, le marin ne se trouve plus dans la sphère du CTM,
puisqu'il est à Terre, mais dans la sphère du Code du Travail
terrestre. Il n'est plus engagé envers l'Expédition Maritime mais
envers son entreprise.
Ainsi, nous pouvons nous apercevoir que la
spécificité du CTM s'amenuise avec l'évolution du travail
maritime. La multiplicité des pavillons et la libre circulation des
travailleurs communautaires n'iront pas dans le sens d'une autonomie du CTM.
2. Le contrat d'engagement maritime
D'après la définition de l'Article 1er du CTM,
le seul contrat d'engagement maritime devait être le Contrat au Voyage
(ce fut le premier), puisqu'il prend effet à l'embarquement du marin et
cesse à la fin de l'Expédition Maritime.
Comme nous l'avons vu plus haut, ce contrat doit être
conclu par écrit. Entre autre, il doit y être stipulé :
Le service pour lequel le marin est engagé.
La fonction qu'il doit exercer.
Le montant de son salaire.
La durée du Contrat.
Le délai de préavis (du côté du marin
et de l'armateur).
En outre, il doit être visé par l'autorité
maritime (l'Administrateur des Affaires Maritimes en territoire
français, et le Consul de France à l'étranger). C'est un
reste de la tutelle légale de l'État. Souvent le Rôle
d'équipage remplit cette tâche.
A l'origine, les contrats d'engagements maritimes
étaient tous des contrats au voyage, comme prévu dans le CTM de
1926, mais petit à petit le marin et l'armateur ne conclueent plus un
contrat au voyage liant le marin à l'Expédition Maritime mais un
contrat à durée déterminée ou
indéterminée liant le marin à l'entreprise maritime, et
ainsi les périodes non embarquées se font sous le contrat
d'engagement. Mais toujours d'après l'Article 1er du CTM ce n'estt pas
possible. C'est donc par défaut que le droit commun du travail terrestre
s'applique. Ce fut encore plus sensible dès 1936 avec l'apparition des
Congés Payés à Terre. Or le Législateur n'avait pas
à statuer sur celui des deux droits qui devait faire foi... Donc, selon
l'âge des textes en balance, c'était soit le droit commun du
travail terrestre qui s'appliquait, soit celui du CTM.
C'est donc en 1936 que le principe de la stabilisation des
marins fut obtenu par les Conventions Collectives de la Marine Marchande. Mais
c'est seulement entre 1947 et 1950 que la stabilisation des marins et la
titularisation des Officiers furent organisées.
Ainsi, le marin stabilisé bénéficiait
d'une priorité d'embarquement sur les navires de l'armateur, d'une
rémunération pendant les éventuelles périodes
d'attente d'embarquement, en contrepartie de sa disponibilité.
Dès lors, les contrats à durée indéterminée
devinrent le principe, ceux à durée déterminée
l'exception.
D'autre part, il est très intéressant, voire
important, de lire les Articles 10.2 ; 10.3 ; 10.4 ; 10.5 et 10.6 du CTM, car
ils traitent du devoir de l'armateur envers le marin pour tout ce qui est des
contrats à durée déterminée et leurs reconductions,
et finalement de l'aboutissement au contrat à durée
indéterminée.
3. Les obligations des deux contractants l'un envers
l'autre
Puisqu'il y a entre le marin et l'armateur un lien contractuel de
source écrite, cela les engage l'un envers l'autre à respecter
certaines obligations.
Obligations du marin envers l'Armateur : (Titre 3 du CTM)
Il y a une grande imbrication entre le CTM et le Code du Travail
Terrestre mais on peut toutefois signaler quelques cas particuliers des droits
et devoirs du marin :
- De ranger et de garder en bon état de fonctionnement
sa cabine et les effets mis à sa disposition, et cela en dehors des
heures de travail et sans donner droit à une allocation
supplémentaire. (Article 22).
- Il n'est pas tenu d'accomplir un travail qui n'est pas celui
pour lequel il a signé le contrat d'engagement maritime, sauf si le
Capitaine juge que les circonstances sont de force majeure, dans ce cas, le
Capitaine est le seul juge. (Article 18).
- Seul le Capitaine décide si le marin est autorisé
à descendre à Terre en dehors de son service, durant les escales.
(Article 19).
- Le marin ne peut charger sur le navire une marchandise pour son
propre compte sans l'autorisation préalable de l'armateur ou de son
représentant. (Article 23).
- Pour tout ce qui touche à la durée du temps de
travail et du temps de repos hebdomadaire, c'est le Code du Travail terrestre
qui est pris en compte, à l'exception de l'exigence du Capitaine afin
d'assurer la sécurité immédiate et nécessaire au
navire, aux personnes à bord, ou à la cargaison. Citons l'article
22 : « le marin est tenu de travailler au sauvetage du navire, de ses
débris, des effets naufragés et de la cargaison »
- Enfin l'Article 30 précise que tout travail induit par
un cas de force majeure (déclaré par le Capitaine) ne peut donner
droit au repos compensatoire, ni à une allocation de l'armateur.
Obligations de l'armateur envers le marin : (Titre 4 du CTM)
Dans cette partie il nous semble intéressant de s'attarder
sur les particularités de la vie du marin. A savoir : il vit à
bord durant toute la durée de son embarquement.
Cette situation implique, de la part de l'armateur,
propriétaire du navire sur lequel vivent 'ses' hommes, certaines mesures
:
- La nourriture doit être de bonne qualité et en
quantité suffisante. Et dès qu'il y a plus de 20 hommes à
bord, le cuisinier doit effectuer son travail à plein temps. (Article 73
& 74).
- Les accessoires pour le couchage doivent être fournis
selon les règles relatives à l'hygiène à bord des
navires. (Article 78).
- L'armateur doit prendre en charge tout marin blessé ou
malade à bord, et le faire soigner voire même rapatrier aux
frais du navire. C'est une des plus vieilles obligations de la
marine instaurée par Colbert, et elle a justement donné
naissance au CTM. Le salaire du marin sera
conservé pendant un maximum de 4 mois à partir
du jour où il aura été laissé aux soins d'une
autorité compétente à Terre. (Article 83).
- L'armateur doit rapatrier le marin aux frais du navire qu'il
soit en fin de contrat ou en fin d'embarquement. Ce rapatriement comprend le
transport, l'hébergement, et la nourriture, jusqu'à son port
d'attache. (Article 87 et 88).
4. La rupture du contrat d'engagement
Historiquement, c'est une fois que l'Expédition
Maritime est terminée que le contrat, qui était un contrat au
voyage, prend fin. Juridiquement, le contrat d'engagement maritime prend fin en
cas de décès du marin, de prise ou de perte du navire.
D'après ces deux versions, le marin
débarqué se retrouve donc hors contrat d'engagement maritime, par
conséquent il peut trouver un embarquement chez un autre armateur
intéressé par ses services.
Seulement avec la stabilisation des équipages, les
marins ont vu leurs contrats changer. Ainsi, que le contrat soit à
durée déterminée ou indéterminée, durant les
périodes de débarquement, le marin reste au service de son
employeur et est payé par lui.
Lorsque la résiliation du contrat a lieu avant la fin
de la durée prévue de celui-ci (indéterminée ou
déterminée), cette résiliation doit tenir compte du
préavis cité dans le contrat d'engagement maritime. Si ce
préavis n'est pas respecté, le contractant qui se voit 'au pied
du mur' pourra réclamer des indemnités.
Dans tout les cas, il doit y avoir une déclaration,
écrite ou verbale, par le contractant qui résilie son contrat
à l'autre signataire. Attention ! Si cette déclaration est
verbale, elle doit être faite en présence de deux témoins
qui contresigneront le journal de bord.
Le cas du contrat indéterminé :
Le licenciement du marin, autre que pour faute grave, donne
lieu à des indemnités de licenciement et à un
délai-congé d'un mois minimum. Lorsque c'est le marin qui, suite
à un désaccord, quitte son employeur, il peut être
amené à lui rembourser des sommes dues (nourriture,
déplacement...).
Le cas du contrat déterminé :
Si le contrat prend fin en cours de traversée, le marin
reste engagé à son armateur jusqu'au premier port d'escale
prévu sauf si le navire doit faire un retour en France dans un
délai d'un mois à compter de la date d'expiration du contrat
d'engagement du marin.
A l'issue d'un contrat à durée
déterminée, ou d'un contrat au voyage, le marin a le droit
à une indemnité de fin de contrat qui consiste en un
complément du salaire. Celle-ci n'est due au marin que si c'est
l'armateur qui est à l'initiative du non renouvellement ou de la non
prolongation du contrat.
B. Du contrat de travail maritime à l'agence de
manning
Aujourd'hui, seuls 1500 marins français (environ)
bénéficient du contrat de travail maritime décrit
ci-dessus, liant davantage le marin à l'entreprise maritime qu'au navire
tel que cela était pratiqué dans le passé. Mais qu'en
est-il des 1 227 000 marins, dont 72% provenant du tiers monde, navigant sur
à peine plus de 40 000 navires (ces deux nombres varient
considérablement en fonction des sources et des définitions) ?
70, 5% de la flotte mondiale est actuellement pavillonnée
sous complaisance.
On observe, sur le marché du travail maritime, les
restes d'une structure en voie de liquidation, car les droits des marins des
nations maritimes anciennes sont soumis à la concurrence permanente du
non-droit de ceux du reste du monde.
Les conditions extrêmes sont les plus connues, parce que
médiatisées. Salaires impayés, navires abandonnés
couverts de dettes, ou de rouille, ou des deux, marins surexploités et
mal nourris, conditions sanitaires effroyables, intimidation et meurtres au
besoin, sans voie de recours. Navires exténués, risques mortels
pour les marins, mais pas pour le propriétaire
généralement bien assuré. De la criminalité
économique, on passe aisément à la criminalité tout
court, sous l'impunité des mondes sans loi, facilitée par
l'existence des nombreux outils juridiques abordé
précédemment, rendant difficile quand ce n'est pas impossible
l'identification des armateurs responsables et leur mise en demeure.
On s'approche de l'esclavage. Nombre d'armateurs, et surtout
des marchands d'hommes travaillant pour leur compte, ont mis au point des
moyens liberticides d'obtenir la docilité des marins. L'un de ceux-ci,
très répandu, consiste à taxer le marin pour lui procurer
un emploi, couramment d'un ou deux mois de salaire. N'ayant évidemment
pas cette somme, le travailleur embarque endetté, ce qui crée --
en plus de la spoliation -- une sujétion. Une autre méthode
réside dans le retard de paiement du salaire : quelles que soient les
conditions de travail et de vie qu'on lui impose, le marin se refuse à
quitter un navire qui est le seul gage de récupération des
salaires impayés. Ici encore, spoliation et sujétion vont de
pair, et d'une manière trop récurrente pour qu'on puisse
l'attribuer à des difficultés économiques
passagères. Les moyens directs d'intimidation sont pires, les listes
noires, une pratique courante.
Il ne faut pas croire que la dégradation de la relation
de travail se limite à une frange maudite d'armateurs-voyous, si large
soit-elle. Jusque dans les armements les plus réputés, dans les
trafics des grands porte-conteneurs modernes, la situation se tend :
réduction des équipages, augmentation des rythmes de voyages et
cadences de travail, réduction des couvertures sociales, pression sur
les salaires. La pratique des équipages multinationaux se
généralise (six ou sept nationalités, couramment, sur une
vingtaine de personnes) et favorise la surexploitation, mais aussi le
déclin des pratiques syndicales, ou tout simplement revendicatives. Tel
est le cas dans l'ensemble des armements français tel Maersk Maritime,
CMA CGM, La Morbihannaise, la compagnie des Iles du Ponant, et bien d'autres.
N'échappent à cette situation que les compagnies restées
sous pavillon National métropolitain tel la tristement
célèbre SNCM, la CMN ou Sea France. Ne parlons pas de la Dreyfus,
ancien fleuron de la flotte marchande française ayant
dépavilloné en masse à l'orée des années
1980 et ne possédant plus aucun navire sous registre national si ce
n'est les navires spécialisés tels les sismiques ou
câbliers.
C'est donc dans l'ensemble de la marine marchande mondiale que
le marché du travail est de plus en plus ouvertement
débarrassé de ses contraintes et régulations. Cela s'est
d'abord fait sous le couvert des pavillons de complaisance, puis des «
pavillons-bis » sous le couvert desquels les nations maritimes cherchent
à concurrencer les précédents (en France, les pavillons
Kerguelen, TAAF, et Wallis et Futuna). Le chaos qui s'ensuit se restructure
spontanément, sous le fort déterminisme d'une concurrence
débridée, selon deux « attracteurs étranges »,
deux lignes de force générale : le marchandage et la
discrimination.
LE RIF, nouveau registre français, créé
dans le but d'attirer les navires français dépavillonés et
les navires étrangers sous pavillon national n'est que l'expression de
cette évolution. Car le texte du RIF fait un pas en avant en
matière de recrutement international, introduisant dans le droit
français et international la reconnaissance à la discrimination
nationale et au marchandage. Évolution qui permet à ces pratiques
de sortir de l'ombre et évoluer au grand jour.
Le texte accorde, en effet, aux « manning agencies »
internationales, rebaptisées « entreprises de main-d'oeuvre
maritime », un statut légalisant la pratique de marchandage de
main- d'oeuvre que nous avons définie ci-dessus. C'est le seul point sur
lequel on trouve une référence précise à une
convention de l'OIT, en l'occurrence la convention n°179 sur le
recrutement et le placement des gens de mer. Mais, en réalité,
cette référence est fallacieuse car « recrutement et
placement » signifient que le marin obtient un contrat de travail avec
l'armateur, ce qui n'est pas le cas quand il y a, comme dans le RIF, «
embauche et mise à
disposition ». Cette interprétation abusive risque
néanmoins de faire école, créant ainsi une brèche
sérieuse dans un domaine du droit international qui manque encore de
jurisprudence.
Conditions pour un français navigant sous pavillon
étranger :
Un officier ou un opérateur radio ne peut servir
à bord d'un navire battant pavillon étranger que si son brevet a
été " reconnu " par ce dernier pays. Ceci constitue une
obligation au plan international.
Pour naviguer sous pavillon étranger, un marin
français titulaire d'un titre STCW 95, devra s'adresser aux
autorités compétentes du pays du pavillon sous lequel il souhaite
embarquer. S'il y est autorisé, il sera alors soumis aux dispositions
spéciales prévues dans le cadre du pavillonnement du navire ou du
contrat passé avec son armateur/marchand d'hommes, dans les limites
minimales du droit international.
COMPARAISON DES COÛTS D'E<PE OITATION DES
NAVIRES: TYPES ET PAVIE E ONS
5
|
000
|
000
|
4
|
000
|
000
|
hiffres en euros 3
|
000
|
000
|
par an 2
|
000
|
000
|
1
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000
|
000
|
|
|
0
|
Pav. Pav. Pav.
Français Tiers Tiers
(TAAF) (I.E)
Pétrolier VE CC
Transporteur de produit pétroliers 7000 TPE
Vraquier Capesi@e
Roulier 22000 TPE
Source : armateurs de France, 2005.
Conditions pour un étranger navigant sous pavillon
français :
Un officier détenteur d'un brevet étranger
désirant naviguer sous pavillon français devra
faire reconnaître son brevet par la France. Lorsque le pays du marin
figure sur la liste blanche50, on peut entamer une
procédure appelée : "visa de reconnaissance". Le marin
dépose un dossier
50 Liste regroupant tous les États suivant les
dispositions de la convention STCW 95 ; celle-ci est éditée et
tenue à jour par l'O.M.I
auprès de son armateur qui dirigera son dossier vers
les services des affaires maritimes. Il recevra en retour une attestation de
dépôt (valable 3 mois) lui permettant de naviguer pendant que le
service des affaires maritimes effectue les vérifications d'usage
(authenticité du titre, expérience du marin...).
C. La vie de marin aujourd'hui' conséquence des
stratégies de l'armateur
1. Les facteurs sociaux
51Statistiquement, il apparaît que la
majorité des accidents maritimes peut être expliquée par
« le facteur humain ». La réalité cachée sous ce
chiffre tient bien davantage à des erreurs de management du personnel et
de l'accroissement de la tension de travail des navigants, qu'à
l'incompétence des marins impliqués. Les études faites par
Trompenaar, Hoefstede ou Halls, au regard du management interculturel en
entreprise, sont pourtant claires, et leur résultats sans appel : «
La Culture est plus souvent une source de conflit que de synergie. Les
différences culturelles sont des nuisances dans le meilleur des cas et
le plus souvent des désastres. »52 Voilà qui a le
mérite d'être clair. Hofstede en énonçant cette
hypothèse s'appuie sur une étude en profondeur des
différences culturelles au sein d'une même entreprise
présente dans 75 pays. Les compagnies maritimes modernes sont souvent,
pour les plus grosses d'entre elles, présentes dans bien plus de pays.
Car il ne s'agit pas seulement de gérer des marins mais, comme Maersk,
de posséder des ports et leur main d'oeuvre, d'avoir des agents
diffusés dans le monde, et éventuellement de monter des
écoles.
51 Les paragraphes suivants sont tirés du
document « officier de Marine Marchande, au delà du rêve
», Yann Collin, ESC Bretagne Brest, 2006
52 Hoefstede, 1984
a. La discrimination à la nationalité
Il est trop aisé de se référer aux
dimensions d'Hofstede, en particulier celle relative à la distance au
pouvoir, ou reconnaissance et acceptation des inégalités par la
population. Les Philippines, la Thaïlande, l'Inde sont tous trois des pays
dont l'Index PDI (Power Distance) est supérieur à la moyenne
mondiale. De là à dire que leur acceptation des
inégalités sociales du bord est un fait acquis, il y a un
fossé que les armements n'ont pourtant pas hésité à
franchir.
Telle que définie par le statut légal du
pavillon, la loi s'appliquant à bord de tout navire de commerce est la
loi de l'État du Pavillon. Dans certains cas particulier, c'est la loi
du pays côtier qui s'applique (norme de déballastage des ballasts
d'eau de mer par exemple).
Rares sont les situations où les marins se voient
appliquer des lois différentes selon leur nationalité.
Néanmoins, si le contrat obéit aux règles communes du
Pavillon, le recours quasi systématique aux entreprises de
marchandages 53 permet aux armements de se désolidariser de
leurs marins, leur permettant de fait d'appliquer une discrimination
légale et sociale selon la Nationalité par l'établissement
de contrat différent.
Ainsi, il n'est pas rare de voir sur des navires coexister des
conventions collectives différentes pour application aux
Français, Polonais, et Philippins, avec des durées d'embarquement
et des salaires différents à fonction similaire.
53 Entreprise de marchandage : Les entreprises de
marchands d'hommes sont des entreprises de « service » mettant
à disposition de l'armateur des équipages. Le marchand d'hommes
s'assure de la bonne certification des équipages proposés et de
leur connaissance maritime. Mais nombreux sont parmi eux, ceux qui ont mis au
point des moyens liberticides d'obtenir la docilité des marins. L'un de
ceux-ci, très répandu, consiste à taxer le marin pour lui
procurer un emploi, couramment d'un ou deux mois de salaire. N'ayant
évidemment pas cette somme, le travailleur embarque endetté. La
pratique de la « liste Noire » est elle aussi très
courante.
A titre d'exemple, la disparité des périodes
d'embarquements selon la nationalité d'origine est de : 3 mois pour les
Français, 5 à 6 mois pour les officiers d'Europe de l'Est et
d'Inde, 9 mois pour les Asiatiques.
Cette situation d'apartheid n'est pas sans créer des
tensions, des jalousies, et alimenter les réflexes racistes. Le plus bel
exemple de ce phénomène est la guerre larvée que se
livrent sur les mers du globe les marins Philippins et Indiens. Le canal 16
(canal de sécurité international, sur lequel tous les navires
gardent une veille auditive permanente) résonne de « Philipino
monkey » et « Stinking Indians ». Et les conflits ouverts, s'ils
sont plus rares, n'en sont pas moins fréquents et souvent violents.
Il est à noter qu'à ce titre le code
disciplinaire s'appliquant est celui de l'État du Pavillon. En France,
le code est clair, le conflit ouvert est sévèrement
réprimé, souvent par un débarquement à la
première escale. Là encore, le marin coupable risque non
seulement la perte de son salaire, mais éventuellement d'être
black lister par les marchands d'hommes comme élément
perturbateur.
Par convention sociale fortement ancrée, le marin ne
fera pas ouvertement état de ces disparités à bord du
navire. La profonde compréhension de la vie en communauté,
d'autant plus importante que le navire peut être considéré
comme un micro univers clos, oblige le marin à faire preuve d'une
équanimité permanente. Le conflit est absolument
prohibé.
Cependant, ces disparités peuvent avoir des
conséquences néfastes dans le cas de situation dangereuse. En
effet, il est nécessaire d'avoir à bord un minimum de
solidarité entre tous les marins d'un même navire. Cette
solidarité est inexistante lorsque le traitement est différent
selon la nationalité.
Le concept d'équité de traitement est bien connu
dans le monde de l'entreprise. Et, de fait, officiers et Commandants assurent
autant que faire ce peu une équité dans la manière dont
l'équipage est géré. Cependant, comment espérer
pouvoir correctement gérer une équipe quand le seul point commun
partagé est le métier de marin et la conscience de se battre dans
un environnement hostile dans des conditions physiquement
éprouvantes.
A ce titre, le RIF semble avoir créé un
dangereux précédent. Le texte accorde, en effet, aux «
manning agencies » internationales, rebaptisées « entreprises
de main d'oeuvre maritime », un statut légalisant la pratique de
marchandage de main d'oeuvre dont nous avons parlé ci- dessus. C'est le
seul point sur lequel on trouve une référence précise
à une convention de
l'OIT54, en l'occurrence la convention #179 sur le
recrutement et le placement des gens de mer. Cependant, cette
référence est détournée de son but originel car
« recrutement et placement » signifient que le marin obtient un
contrat de travail maritime avec l'armateur, ce qui n'est pas le cas d'un
recrutement par une manning agency, ou comme pour le RIF « embauche et
mise a disposition ». Cette interprétation risque, je le crains, de
faire école dans un environnement international toujours prompt à
saisir de telles opportunités, créant ainsi une brèche
sérieuse dans un domaine du droit international manquant encore d'une
solide jurisprudence.
b. Les problèmes de communication, la question des
langues
Le contexte économique actuel, particulièrement
dans le cadre ultra compétitif de la marine marchande, encourage les
armateurs à rechercher leurs navigants au sein de multiples pays, au
gré des fluctuations du prix de la main d'oeuvre sur le marché
mondial.
Ainsi, comme je l'ai explicité
précédemment, les deux bateaux sur lesquels j'ai navigué
se voyaient armés de 5 à 8 nationalités
différentes. Le problème de la compréhension entre membre
d'équipages, si elle paraît évidente sur le papier par le
choix d'une langue commune de travail, est dans la réalité
souvent détournée. Ainsi, une équipe de 4 nettoyeurs
Thaïlandais se verra certifier STCW 95, si l'un d'entre eux est capable de
s'exprimer dans la langue officielle du bord. Outre le désastreux aspect
sécuritaire (incapacité à comprendre les notices,
impossibilité de séparer le groupe en cas d'évacuation du
navire afin d'assurer une meilleure espérance de survie, etc....), la
communication durant les heures de repos avec les autres membres
d'équipages devient rapidement problématique.
Il y a là un facteur important de risques d'avaries
à la marchandise, au navire, aux installations portuaires, et de
dommages aux hommes et à l'environnement.
Dans un tel cas, l'accident n'est pas dû au "facteur
humain", mais à un défaut de management de l'armateur, qui n'a
pas pris garde à cet aspect important de la qualification.
D'autre part, la multiplicité des ethnies n'encourage
pas le développement d'un système défensif efficace de la
part des marins vis-à-vis de l'armateur. Le syndicat, tel qu'il est
appliqué dans les compagnies nationales de Ferries, n'a pour ainsi dire
aucune existence au long cours.
54 Organisation Internationale du Travail
c. Disparité ethnique, la question de l'interculture
Outre le problème de langue, équipage
pluriethnique est synonyme d'équipage pluriculturel. Ainsi, dans
beaucoup de pays d'Asie, le « non » n'est pas considéré
comme une réponse convenable, de même que l'expression d'un
désaccord ou d'une incompréhension. Ce qui amène, au
contact d'officier Européen, des situations parfois cocasses, mais
révélatrices.
Traditionnellement, oeuvres vives55 et oeuvres
mortes56 ne sont pas peintes de la même couleur. Ainsi, le
second Capitaine avait donné l'ordre à l'équipage
Thaïlandais de repeindre la coque (oeuvre vive seulement, en rouge).
Après s'être assuré de leur bonne compréhension de
l'ordre reçu et avoir obtenu une réponse affirmative, il partit.
A son retour, 2 heures plus tard, une bande de 40 m2 de coque
(oeuvre vive et oeuvre morte) avait été intégralement
repeinte. Si la situation prête à sourire, ses implications sont
malheureusement évidentes et dangereuses.
Il est donc encore plus important à bord des navires
à nationalités multiples de ne pas se contenter de donner un
ordre ou une consigne, mais de faire en sorte d'établir un vrai
dialogue.
A cette différence entre peuples de cultures
différentes, il faut ajouter la différence de perception de la
culture d'entreprise.
J'ai ainsi pu constater que certains marins Philippins
considéraient des consignes de sécurité ou de protection
de l'environnement, même données par écrit et
affichées, comme des "parapluies" déployés par la
hiérarchie à bord et à terre. C'est ainsi que je fus
amené à avoir des conversations de sourds avec mes matelots
à propos, par exemple, du rejet des plastiques par-dessus bord. La
compréhension n'étant pas effective, force me fut faite de donner
l'ordre et de veiller à ce qu'il fut proprement appliqué.
La formation d'officier prépare, en particulier pour
les futurs mécaniciens, à ce type de problématique. Ainsi,
le cours de dessin technique puis de lecture de plan permet-il d'abord aux
élèves officiers de maîtriser la construction de volumes
sur des plans et les amènent, par la suite, à étudier la
simplification des ordres et consignes à transmettre par l'utilisation
de petits dessins. La vertu du dessin sur la longue explication n'étant
plus à démontrer, j'ai eu l'occasion de transmettre des consignes
ou ordres en format Bande Dessinée. On le voit, la communication reste
un réel problème à bord des navires modernes. Et si cette
communication efficiente fait défaut à bord, il est consternant
de constater que c'est également le cas entre navires. Il ne s'agit plus
de remettre en cause la connaissance des règles de navigation, mais bien
d'aborder le sujet de l'anglais comme langue de travail internationale.
55 Parties du navire submergées
56 Parties du navire à l'air libre
Combien de fois n'avons nous pas été
témoins ou avons expérimenté, mes collègues et moi,
des situations rapprochées, dues à une incompréhension
majeure de la part des officiers de quart quant au côté sur lequel
venir.
2. Les facteurs personnels
D'un point de vue psychologique, le marin est contraint
à un paradoxe permanent entre l'espace maritime et l'espace Navire. Si
le premier se caractérise par son immensité, le second, lui, est
un univers de très petite taille à part entière, où
la promiscuité, malgré la réduction des effectifs dans la
marine moderne, reste très perceptible. La principale occupation du
marin, faisant face à ce double stimulus, consiste à ne pas se
perdre lui-même. Henri Laborit, médecin et marin, disait ceci :
"Rester normal, c'est d'abord rester normal par rapport à soi-
même ". Confronté à cet univers si particulier, il n'est
pas étonnant de constater que le taux de suicide des Marins Marchands
est parmi les plus élevés (ségrégation par
catégorie professionnelle, étude de Wickstrom et Leivonniemmi en
1985).
a. Le respect et l'importance du sentiment d'être
respecté
Comme toute personne, le marin est sensible au fait
d'être respecté. D'ailleurs, plus peut-être car le lieu de
vie et le lieu de travail sont ici les mêmes, et pendant parfois une
année complète.
Le respect, c'est en premier lieu un logement correct, une
nourriture de qualité correcte et en quantité suffisante, des
salaires payés en toute justice, et l'accès aux soins
médicaux. L'expérience de 3 siècles sur les mers avait
permis aux grandes compagnies maritimes de comprendre cette
réalité. La France comme la Grande Bretagne ont des tableaux
légaux indiquant les quantités minimales de viande, poisson,
légumes, ou équivalentes à attribuer au personnel.
Les armateurs considéraient comme normal d'offrir aux
marins des cabines correctes. Les piscines et salles de sport étaient
considérées comme utiles.
Malheureusement, le confort de la vieille marine est
tombé dans l'oubli. Si certains armateurs, plus conscients que d'autres
de la nécessité de maintenir à bord une certaine
qualité de vie afin de renouveler quotidiennement la force de travail
des navigants, continuent à en équiper leur navire, trop nombreux
sont les bateaux où piscine et salles de sport ont été
supprimées, où la bibliothèque est pauvrement
achalandée et souvent avec des livres dans la langue du pavillon,
rarement comprise par l'équipage.
La notion de «navire poubelle» largement
diffusée dans les médias n'est souvent pas en adéquation
avec celle ressentie par le marin. En effet, celui-ci est très conscient
de la qualité du bateau sur lequel il navigue et pour quel armateur,
mais pour peu qu'il n'y ait pas de restrictions quant à la nourriture,
les salaires et l'accès aux soins médicaux, il acceptera de
travailler dur en dépit de sa propre sécurité parfois,
afin d'améliorer la qualité du navire.
S'il est vrai que les navires poubelles sont rarement de "bons
navires", j'ai entendu parler de marins Philippins qui se sont mis en
grève à bord d'un navire en bon état. Cette grève
aurait été évitée si le Capitaine avait su
écouter les marins qui se plaignaient de l'insuffisance de nourriture,
et avait accepté de partager plus équitablement certaines primes,
c'est à dire s'il avait respecté les marins.
De même, une demande de visite médicale est
parfois, plus qu'une maladie, l'expression d'un mal-être, au bout d'une
trop longue période d'embarquement. Le constat a été fait
qu'au-delà de 6 mois de bord, les marins sont plus demandeur de visites
médicales.
b. L'isolement géographique : la famille
Cet espace restreint du navire isole physiquement les hommes
de leur société et de leur famille. Le marin se sent souvent peu
concerné par la vie de la Société : peu
d'intéressement à la vie politique, peu de possibilités de
vie associative ou sportive. Seule la vie culturelle et artistique peut avoir
des prolongements à bord et se développer chez certains, par
l'exercice de la lecture, de la peinture et du dessin, par l'écoute de
la musique ou encore par la fabrication de maquettes et d'objets divers (la
culture maritime est riche : ex-votos, maquettes de bateaux, navires en
bouteilles, travaux de matelotage).
L'éloignement familial majore la pression
psychologique. En fait, cette relation avec la famille est plus complexe qu'il
n'y paraît car, sitôt débarqués, beaucoup de marins
attendent avec empressement leur nouveau départ. Inévitable
déception des retrouvailles ou difficultés de vivre le matriarcat
? La femme de marin assure, bien entendu, toutes les tâches du foyer,
l'éducation des enfants, le maintien des relations sociales; mais
même si elle contribue de manière essentielle à la
sérénité du mari lorsqu'il est en mer, à la maison,
les rapports peuvent rapidement devenir conflictuels. En effet, ayant
passé plusieurs mois en mer durant lesquels l'activité
professionnelle est le seul palliatif accepté et reconnu à
l'ennui et le stress, le marin, en débarquant, devient brutalement
inactif. Cette perte brutale des repères qui consistaient sa vie,
l'amène à se sentir agressé par les habitudes prises par
sa famille de se passer de lui.
D'autre part, "A peine rentré, Ulysse est, dans son
coeur, déjà reparti...", le marin considère sa vie
professionnelle comme un remède efficace à l'évolution
d'une société qu'il ne comprend
pas bien, et pour cause ; dans le cadre maritime,
confronté à un nombre limité de stimuli sociaux et
situationnels, il se sent souvent plus en sécurité. Mais tant que
le bateau n'a pas largué ses amarres, le marin est, lui aussi,
lié à la terre et à du mal à s'en détacher.
L'interface terre-mer est donc le règne du paradoxe, des sentiments
contradictoires et de la nostalgie.
d. Le développement de psychopathologies
particulières et leurs conséquences
Reconnu comme un corps de métier où le taux de
suicide est exceptionnellement élevé, le marin est amené
à développer des troubles psychiatriques par la perte de
repères sociologiques, propre à lui amener une certaine
sérénité. Bohnker et al, dans une étude
réalisée en 1992 à bord d'un porte-avions
américain, affirment que 68% des patients qui avaient
présenté des symptômes psychiatriques avaient un
comportement suicidaire. Wickstrom et Leivonniemmi, en 1985, ont montré
que le taux de suicide des matelots Finlandais était deux fois et demie
plus élevé que celui de la population générale
Finlandaise. Plus récemment, en 1994, Brandt, Jensen, Kirk et Hansen ont
pu montrer à partir d'une étude rétrospective couvrant la
période allant de 1970 à 1985 que la mortalité
élevée des marins Danois pouvait s'expliquer en partie par un
taux de suicide particulièrement élevé, notamment chez les
jeunes marins célibataires.
Les manifestations anxio-dépressives
caractéristiques de ces troubles peuvent elles-mêmes être
responsables d'un certain nombre d'accidents. Outre le passage à l'acte,
déclenchant les procédures de sécurité « homme
à la mer », son impact psychologique très fort sur le reste
de l'équipage peut éventuellement déclencher un
phénomène d'imitation.
L'éloignement familial aggrave la pression
psychologique par occultation d'affectivité dans ces situations de
crise. Bien entendu, les horaires de travail chargés ainsi que les
rythmes soutenus sont source de fatigue, insomnies, insatisfaction et
frustration au travail. Tous facteurs qui viennent majorer un état
déjà fragilisé au préalable. Mais le bruit
permanent des machines et de la ventilation, rendu encore plus éprouvant
par les vibrations, vient encore aggraver la situation en provoquant insomnies,
irritabilité, stress et difficultés à communiquer.
Confronté à un milieu hostile tant physiquement
qu'émotionnellement, le marin peut être amené à
développer des troubles psychologiques. L'effet de vase clos, propre
à la navigation moderne, en rend les conséquences encore plus
importantes, tant au niveau personnel qu'au niveau de l'ensemble de
l'équipage. Il m'a été donné de constater à
quel point les armements, par le biais des marchands d'hommes, ne prennent que
très faiblement en compte l'impact psychologique et ses
répercussions sur les hommes. (Mon matelot a appris le
décès de sa petite fille par téléphone, la
compagnie et/ou le marchand d'hommes a refusé son
rapatriement sous peine de rupture de contrat). Ainsi,
contrairement à la Marine Nationale et plus spécifiquement aux
sous-marins auxquels il est strictement interdit d'envoyer de mauvaises
nouvelles, il n'existe pas de dispositif de filtrage de l'information. A
contrario, rien n'est prévu pour l'accompagnement du marin
confronté à une nouvelle grave. L'absence de médecin sur
tous les navires de commerce sauf à passager, et les conditions
drastiques prévalant à un débarquement pour deuil, font
que le marin (souvent étranger) prend sur lui et reste à bord,
les conventions sociales et sa fierté l'empêchant souvent de
partager sa souffrance.
Toutefois, et pour conclure sur les pathologies
psychiatriques, il est intéressant de noter que le chiffre des
consultations en rapport avec un trouble anxio-dépressif reste
modéré. De la même manière, des études
menées en 1992 sur des navires de commerce Polonais montrent que seul
1,2 % des consultations médicales concernent des troubles psychiatriques
contre 10,1 % en 1971. Un meilleur suivi médical de la profession et une
sélection plus efficace des navigants sont vraisemblablement à
l'origine de cette évolution.
3. Les facteurs professionnels
a. Les exemples d'une tournée Chinoise et du canal
de Panama
Dans l'une des zones les plus densément peuplées
au monde, où 333,8 millions d'habitants vivent quasi-exclusivement par
la pêche (source Quid 2001), où les fonds ne dépassent pas
40 mètres le long des côtes, la navigation en approche de Hong
Kong, principal pôle économique local, à 25 noeuds
s'apparente à la manoeuvre d'un éléphant dans un magasin
de porcelaines. Éprouvante par nature, l'approche d'un port chinois
s'avère rapidement épuisante lorsque la météo se
dégrade. Le radar ayant la jaunisse57 sur une échelle
de 1.5 mille, la brume s'en mêlant, il est surprenant que davantage de
pécheurs locaux ne disparaissent corps et biens, renversés par
des tankers, porte-conteneurs, vraquiers et méthaniers croisant dans la
zone.
Un navire n'est considéré productif par un
armateur et/ou un affréteur58 que lorsqu'il est en
opération de chargement ou déchargement. La multiplication des
escales dans la zone Asiatique, liée à l'accroissement
exponentiel de l'économie locale, implique pour le marin une
période de plusieurs jours où son principal souci est de ne pas
s'endormir. En application de la convention C180, convention sur la
durée du travail des gens de mer et les effectifs des
57 Sur un radar, en réglage de jour, les
échos apparaissent usuellement en jaune sur l'écran. Un radar
réglé à 1.5 mille soit environ 3.5 Km d'échelle
ayant la jaunisse donne une idée de la concentration de navires sur
zone.
58 L'armateur est propriétaire du navire,
l'affréteur loue les services de l'armateur afin de transporter des
biens.
navires (disponible en annexe), il est demandé aux
navigants de remplir une « REST TIME HOURS SHEET »(RTHS). Outil de
contrôle par les autorités portuaires, celles-ci peuvent
être amenées à stopper un navire dont l'équipage
présente un taux de dépassement d'horaires trop important.
Malheureusement, ces contrôles ne sont pas systématiques, et
nombreux sont les armements qui tirent sur la corde, quand ils ne demandent pas
à leurs navigants de fausser les feuilles d'horaires.
Ainsi qu'il est indiqué sur la RTHS en annexe, un
officier de quart pourra être amené à n'avoir que 28 heures
de pause en 72 heures ; pauses entrecoupées par les manoeuvres, le
quart, les opérations commerciales et les éventuelles
formalités douanières.
De plus, le quart passerelle se fait en général
dans des conditions de stress permanent de part la concentration de
pêcheurs apparaissant faiblement au radar, les autres navires manoeuvrant
souvent en dépit des réglementations internationales (COLREG), la
présence de haut fond et l'accumulation de fatigue.
De la même manière, dans le cas du passage du
Canal de Panama (voir RTHS), l'officier « Zérac » et son
matelot feront une journée de presque 24 heures, l'officier ayant eu la
possibilité de dormir deux à trois heures avant de reprendre le
quart. D'autre part, le stress durant toute la remontée du canal de
Panama est à son maximum. Outre la navigation en eau resserrée,
un navire Panamax est réellement limitéquant à son
entrée dans l'écluse.
Enfin, comme il existe une visibilité OMI59,
en deçà de laquelle un navire n'a pas le droit d'appareiller,
Panama a fixé une limitation de visibilité plus
sévère. Néanmoins, la plupart des compagnies
préfèrent payer l'amende afin de passer avec un navire
rentabilisé au maximum. Là encore, la tension nerveuse du
Commandant et des officiers est à son comble lors du passage des
écluses, ce à quoi, il faut rajouter la fatigue physique due
à une trans-pacifique toujours éprouvante pour l'organisme
(changements de fuseaux horaires quasi journaliers, météo
médiocre à déplorable).
Seules quelques compagnies, telle MAERSK Danemark, pratiquent
la doublure dans ces zones à très forte tension de travail. La
plupart des armements, préférant jouer sur une alternance
semaine épuisante/semaine plus reposante. Néanmoins, l'organisme
est incapable
59 La visibilité OMI (Organisation Maritime
Internationale) est l'angle mort maximum acceptable au-delà duquel un
navire ne peut être autorisé à appareiller. Cf. annexe
d'anticiper sur le manque de sommeil à venir, les
conditions de navigation, de part les impératifs économiques, qui
se dégradent alors très vite.
b. La préparation de la crise, les exercices
Le domaine maritime n'autorise pas, en cas d'avarie, un
soutien logistique facile d'accès. Ainsi, les équipages sont-ils
rodés ou tout au moins supposés l'être aux notions de bases
de lutte contre l'incendie, la pollution, l'accident du travail, etc. La
fréquence des exercices, telle que déterminée par la
SOLAS, est malheureusement loin d'être suffisante pour assurer un niveau
de maîtrise convenable du matériel. Ainsi, il appartient souvent
aux officiers d'apprendre à l'équipage l'utilisation correcte des
équipements disponibles.
A valeur d'exemple, il m'est arrivé de conduire des
exercices avec un matelot Philippin si effrayé à l'idée
d'étouffer dans son masque à air que sa bouteille ne parvenait
à lui fournir que 5 à 6 minutes d'air (hyperventilation). De la
même manière, un exercice incendie non prévu, vit la
quasi-totalité de la Maistrance réfugiée dans les
embarcations de sauvetage.
Nous abordions plus haut (les nationalités à
bord -- la discrimination à la nationalité) le problème de
la confiance et de la solidarité au sein même de
l'équipage. Il apparaît clairement que suite à un manque de
formation cet esprit ne peut être atteint. Ainsi, la certification
internationale délivrée, la majeure partie des équipages
et Maistrance étant maintenant recrutée via les marchands
d'hommes, quand est-il de la traçabilité et la validité de
ces certifications ?
Ce manque de maîtrise du matériel, la
répétition des exercices (en moyenne 1 à 2 par semaine),
ajoutés à la tension de travail nécessaire à la vie
courante du navire entraînent une usure physique et psychologique
prématurées des hommes. La vie en milieu marin se
caractérise par une tension de survie permanente, la notion de
sécurité des hommes et du navire étant au premier plan des
préoccupations de chacun. Sur un bateau de près de 300
mètres de long, et dont l'équipage ne compte qu'une vingtaine de
personnes, chacun sait que l'espérance de survie en cas de chute
par-dessus bord est presque nulle, la plupart des hommes ne se croisant que
pendant les repas ou à la relève de quart.
c. La piraterie, le terrorisme et l'ISPS
Loin des histoires de boucaniers, la piraterie est encore de
nos jours d'actualité. La recrudescence des actes de piraterie aux
approches du détroit de Malacca, des côtes Somaliennes et en mer
de Chine, ajoute une ultime dimension stressante à une situation qui
Message journalier reçu par satellite
l'est déjà bien suffisamment. Les navires de
Marine Marchande étant désarmés, les consignes de
sécurité telles qu'énoncées par l'OMI sont les
suivantes : doublement du quart passerelle (de 1 on passe à 2 personnes
également fatiguées), disposition de lances à incendie de
part et d'autre du navire en position ouvertes..., ronde
régulière sur le pont afin de s'assurer de l'absence de
pirates..., préparation de manoeuvres évasives en cas d'approche
d'un vecteur suspect, etc. La réalité est que, confronté
à une attaque pirate, l'équipage ne peut souvent rien faire si ce
n'est tenter de fuir l'abordage. Une fois celui-ci effectué, il ne reste
plus qu'à prier.
Carte représentant les lieux reconnus pour les risques de
Piraterie en fonction du niveau de dangerosité :
De plus, les attentats du 11 septembre 2001 ont clairement
démontré la possibilité d'une attaque terroriste par
détournement d'un appareil de fret civil, la possibilité de
l'utilisation d'un navire de commerce, nettement plus facile à
arraisonner, est alors clairement apparue comme existante.
Différents facteurs favorisant cette hypothèse
peuvent être énoncés :
- La distance d'arrêt d'un navire ne
déplaçant que 61 000 tonnes est d'environ 4 à 5 Km en
fonction de l'état de la mer, cette distance s'accroissant avec le
tonnage (jusqu'à 10
Km).
- Le niveau technique mis en oeuvre pour effectuer un
atterrissage avec un navire est nettement plus simple à acquérir
que celui d'un pilote.
- Un méthanier explosant engendrera une boule de froid
intense sur un rayon de 800 mètres, puis une explosion,
dévastatrice par l'effet de souffle.
- A titre d'exemple le port de New York se trouve en plein
centre-ville.
Conscientes de ce risque, les autorités
Américaines appuyèrent la mise en place du code ISPS, relatif
à la sûreté des navires et espaces portuaires. Obligation
était alors faite à tous les navires d'assurer la veille
anti-terroriste en opérations commerciales. Malheureusement, rares sont
les ports à fournir des équipes de gardiens, encore moins
nombreux sont les armements ayant engagé de la main d'oeuvre
supplémentaire afin de pallier convenablement à cette nouvelle
astreinte, tout en respectant le droit du travail maritime.
Ainsi, en escale, depuis la mise en place du code ISPS, les
matelots sont-ils contraints d'effectuer en plus du quart normal en
Opération Commerciale, une veille ISPS, rendue d'autant plus inutile que
ces derniers ne possèdent aucun moyen de prévenir la
montée à bord de terroristes armés.
Tous ces facteurs sont autant d'accidents maritimes en
gestation, aucun d'entre eux ne pouvant jamais être
considéré comme mineur. Car qu'est-ce qu'un accident ? La
définition telle qu'elle nous est donnée dans les cours de
l'école nationale de marine marchande indique que l'accident n'est que
la résultante de la dégradation d'un certain nombre de
détails/facteurs isolés ou dépendants. Considérer
le facteur humain est une chose, mais comme nous le savons bien, nul
employé n'est responsable des contraintes organisationnelles et
structurelles de l'entreprise pour laquelle il travaille. Si à terre, la
réponse à l'accident est trop souvent le stage de formation, en
mer, elle se traduit par un recours en justice. Les conséquences de la
fortune de mer ne sont jamais anodines :
Ainsi, le cargo "FENES" chargé de blé qui s'est
éventré sur la côte Corse, créant une pollution
significative par la fermentation du blé répandu sur le fond.
De même, le porte-conteneurs "MELBRIDGE BILBAO" venu
s'échouer sur les rochers de l'île de MOLENE, comme ses
frères "KINI KERSTEN" sur une plage du Cotentin ou "COASTAL BAY"
à l'entrée de LIVERPOOL, parce que l'officier de quart
s'était endormi.
Et ces accidents ne sont pas encore à la hauteur de ce
qui pourrait arriver : le gigantisme des navires, l'absence totale
d'implication des marins dans le processus de conception de ces derniers au
profit d'ingénieurs maritimes savants, certes, mais théoriciens
avant tout, peuvent permettre de prévoir certains accidents susceptible
d'arriver dans un avenir plus ou moins proche.
Imaginons le porte-conteneurs de 14 000 boîtes, tel
l'Emma Maêrsk, conteneurs chargés pour certains d'entre eux
évidemment d'une énorme quantité de produits dangereux ou
polluants. Imaginons à la place d' "AMOCO CADIZ" un LPG de 75.000
m3 chargé de propane ! Que seraient devenues la population et
toute la vie côtière ? Le propane se vaporisant et restant
particulièrement froid aurait recouvert la côte asphyxiant tout,
à moins de ne rencontrer une étincelle créant une
énorme explosion !
Imaginons un transport de GNL de 125.000 m3 victime
d'un abordage à proximité d'un port ! Le méthane (à
-164°C) se déversant à la mer, créant un iceberg qui,
en se désintégrant progressivement, bombarderait de
glaçons les environs tout en créant des ondes de choc et un
risque pour la navigation aérienne.
Imaginons le désastre qu'aurait pu présenter
l'abordage du "VASCO da GAMA", éthylénier, devant TERNEUZEN, qui
n'a heureusement pas eu de cuve touchée... Certains spécialistes
disent que si une cuve s'était déversée brutalement dans
l'estuaire, l'explosion se serait fait sentir jusqu'à Anvers où
plus aucune vitre ne serait restée en place.
Imaginons l'abordage d'un navire à passagers, loin de
côtes équipées, par un transport de gaz (certains
constructeurs "géniaux" imaginent déjà des paquebots avec
10.000 passagers !). Le feu, l'explosion, la tempête etc. rendant le
sauvetage immensément difficile.
Mesure-t-on les conséquences d'une brèche dans
une cuve d'un chimiquier transportant du "VCM" ou tout autre produit hautement
cancérigène à l'abord d'un port ?
La course au gigantisme dont sont les victimes consentantes
les armateurs, à tort ou à raison, la réduction permanente
des équipages et l'accroissement de la tension de travail
inhérente, le recours à des solutions technologiques à
moindre coût plutôt qu'à une main d'oeuvre qualifiée,
le jeu fait sur les règlementations internationales quant au code du
travail maritime ou de l'ISM, la pression que certains gros transporteurs sont
capables d'infliger aux
États si ceux-ci se montrent trop pointilleux ou pas
assez accommodant (la compagnie Maersk fait plier le gouvernement
Panaméen quant à la définition des navires Panamax, fait
également plier le gouvernement Danois quand celui-ci désire
durcir les règles de son pavillonnement), sont autant de critères
montrant bien le peu de cas qui est fait du marin face aux besoins du capital
navire. C'est oublier bien vite que, malgré une tentative peu
convaincante au Japon de navires sans marin, celui-ci reste le seul à
même de faire circuler le navire et d'assurer sa rentabilité et
son entretien tout au long de sa vie. Le marin « donne une main au navire,
et en garde une pour lui, mais si le bateau souffre, il donne encore trois
doigts au navire. »
Bien évidemment, les conditions de vie des marins sont
bien loin de celles qui prévalaient du XIVe au
XIXe siècle. Les nuits de sommeil dans l'entrepont, les
hamacs si serrés que le nez de l'un touche le dos de l'autre, la pluie
ou l'eau de mer dégoûtant du pont mal jointé, les
vêtements toujours humides d'eau de mer et l'eau douce, denrée
rare, n'autorisant ni douche ni même un semblant d'hygiène, tout
cela a disparu. Mais tandis qu'à l'époque, les marins, en avance
sur leur temps, bénéficiaient d'une sécurité
sociale, d'une retraite et nombreux autres avantages comparativement à
la population terrestre, le marin d'aujourd'hui, s'il est à la pointe du
capitalisme, fer de lance d'une société de consommation et
d'échange nécessitant un apport de matières, produits et
denrées sans cesse grandissant, a néanmoins perdu les
avancées qui lui étaient propres. Le lien entre le marin et son
armateur, s'il n'a jamais été particulièrement fort,
était représenté néanmoins en la personne du
Commandant. Mais le rôle de celui-ci, ayant été lui aussi
soumis à une très forte évolution, n'est plus
représentatif de ce dernier.
Que reste-t-il alors du lien entre armateur et marin ? Le
contrat de travail maritime. Encore celui-ci ne s'applique-t-il que pour une
faible portion des navigants. Nous l'avons vu, les matelots sont plus souvent
recrutés par l'intermédiaire de marchands d'hommes que par un
armement, celui-ci se dégageant alors du maximum de
responsabilités.
On le voit, la situation de la marine marchande, soumise
à une évolution extrêmement rapide de l'environnement
commercial mondial et à la massification des flux de marchandises, a
été amenée à relâcher et distendre les
relations que les États pouvaient normalement entretenir avec elle.
Conscients des conséquences du dépavillonnement, les pays
traditionnellement maritimes ont créé les pavillons bis, pauvres
succédanés aux pavillons de complaisance et peu satisfaisants
à la fois dans la détermination du lien substantiel comme dans
les avantages et certitudes qu'ils pouvaient procurer aux armements maritimes.
Ainsi, le TAAF, tant décrié par le flou juridique dans lequel il
évoluait, n'avait pas su convaincre les armements français et
étrangers de pavillonner tricolore.
La tentative du RIF, reconnu pavillon de complaisance par
l'ITF, obéit à une logique purement économique dans
laquelle la situation de la France d'un point de vue commercial et
stratégique ne permet plus de protéger les emplois des nationaux.
Le report des responsabilités de l'engagement de main d'oeuvre
française sur les affréteurs, loin des considérations
normales de la responsabilité des Commandants comme de celle des
armateurs est l'une des nombreuses marques de la distanciation de l'État
quant au lien substantiel qu'il exerce sur le navire.
Alors que la communautarisation du droit français et
l'alignement du droit maritime sur le droit terrestre ont eu des
conséquences importantes sur les particularismes de la vie maritime et
de celle des marins, il est intéressant de noter que le fer de lance des
capacités d'export et d'import d'un pays passe par une
dérégulation sensible et néanmoins ordonnée de son
fonctionnement.
La licence donnée aux armements de faire appel aux
agences de manning pour le recrutement d'une main d'oeuvre
étrangère aux conditions du pays d'origine est une marque forte,
à mon sens, de la volonté de l'État français
d'aborder de façon pragmatique le problème de la marine marchande
française et son manque de compétitivité. Loin des
considérations sociales et de la responsabilité envers ses
ressortissants navigants, la France prend lentement la voie derrière de
nombreux pays pour rejoindre une complaisance totale et affranchie de tout
scrupule pusillanime.
Il est de bon ton chez les navigants de critiquer ouvertement
toutes les avancées effectuées par l'État comme par les
armements concernant leurs statuts propres, et cela semble justifié dans
la mesure où le métier se réduit comme peau de chagrin
autour de quelques navires dont les équipages n'auront de
français que le pavillon au cul du navire flottant au dessus du nom
d'une ville dont ils ignoreront jusqu'à la localisation.
Du Commandant français, officier d'État Civil,
représentant de la France en déplacement, nous arriverons sous
peu à un Commandant de navire français dont les
prérogatives déjà bien mises à mal par
l'évolution du monde maritime feront face aux énormes
responsabilités qu'engendrent la loi Perben.
Néanmoins, force est de reconnaître que
l'importance de la marine marchande pour un État n'est pas
négligeable et loin s'en faut. C'est la force de leur flotte et
l'attractivité de leur pavillon qui ont permis à certains pays
tels le Liberia, les Bahamas ou Malte et Chypre, plus proches de chez nous,
d'éviter une banqueroute dans le pire des cas, une situation
économique difficile dans le meilleur des cas. D'autres pays tels que
les philippines voient dans la manne de la marine marchande internationale le
moyen d'importer des devises fortes en encourageant leur population à
embrasser le métier de marin60.
60 La plupart des marins du monde sont payés en
Dollars américains.
Un certain nombre de solutions existe néanmoins afin de
sauvegarder un semblant d'ordonnancement sur les mers du monde. La convention
de Montego Bay stipule que l'État du port peut effectuer des
contrôles sur les navires en relâche ou de passage dans les eaux
territoriales. Cette tache qui permettrait un assainissement notable des mers
n'est malheureusement pas systématisée. En effet, alors que la
majorité de la flotte mondiale navigue sous pavillon de complaisance,
imaginons les conséquences d'un boycott de la flotte panaméenne
sur les côtes française. Ne nous faisons pas d'illusion, la France
s'enorgueillit d'influer sur les orientations politiques maritimes. Force est
de reconnaître que ni sa petite flotte, ni la productivité de ces
terminaux, ni même sa capacité d'import-export et sa situation
géographique en retrait par rapport aux lignes de flux logistiques ne
permettent de tenir bon face à la foule compacte des pavillons de
complaisance.
A mon sens, le renforcement du contrôle par
l'État du port ne passera que par une volonté européenne
commune d'assainir les mers du monde des pavillons poubelles.
Une autre solution envisageable serait le renforcement des
contrôles de compétences et une réévaluation de la
STCW 95 fixant les standards de formation des marins marchands. Car le danger
sur la mer ne vient pas du pavillon à proprement parler puisqu'il n'est
que l'extension d'un besoin économique et commercial de la part d'un
État,, mais des marins qui sont amenés à naviguer sous ces
pavillons. Cela étant, le peu de contrôle effectué sur les
navires et l'état déplorable de certains dus à la mauvaise
volonté évidente d'armateurs-affréteurs, plus
concernés par la rentabilité immédiate et à court
terme du navire que par son entretien, montrent bien que le renforcement des
normes pesant sur les seuls marins ne sera pas suffisant.
S'il est vrai que ce dernier point mériterait
d'être soulevé comme symptôme conséquent à la
dérive de l'ensemble des pavillons mondiaux, il n'en reste pas moins que
le principal problème de l'exercice réel du lien substantiel
réside d'abord dans le flou juridique qui entoure le concept et dans la
latitude qui fut laissée aux pays à organiser le mode
d'immatriculation et de pavillonnement.
Il est important de souligner une fois encore que si le flou
juridique a su profiter aux États du pavillon, ses précisions
dans le domaine de l'enregistrement des sociétés a permis
à nombre d'armateurs de limiter leurs responsabilités, de fait,
bien au-delà du cadre initialement prévu par la loi
(confère la limitation légale de responsabilité, chapitre
précédent).
Enfin, un effort important reste à faire auprès
des États-Unis dont l'intégralité de la flotte marchande
(ou presque) est pavillonnée sous complaisance principalement aux
Bahamas. Sans l'appui de ce pays important représentant une part de
marché non négligeable dans le commerce mondial, il ne saurait
être question de convaincre les pays émergents dans le monde
maritime, comme la Chine, de renoncer aux facilités et aux dangers des
pavillons de complaisance.
Addenda : Article paru le 24 janvier 2008 sur le site armateurs
de France.
Le tribunal correctionnel de Paris a rendu, ce jour, sa
décision dans l'affaire de l'Erika.
En écartant la convention sur les pollutions maritimes,
le tribunal a réussi à éviter le conflit entre le droit
international et le droit français. L'armateur, son gérant
technique et la société de classification ne pouvaient ignorer le
problème grave de structure du navire et que celui-ci n'était pas
aux normes. Dans ces conditions, on ne peut que se réjouir de leur
condamnation. Elle est exemplaire pour améliorer notre métier.
Un armateur dont la légèreté jette
l'opprobre sur l'ensemble de sa profession doit être sanctionné.
Toutefois, la question du respect de la hiérarchie des normes reste
entière et il serait souhaitable que les conventions internationales
puissent servir leur véritable objet : poser les fondements du droit de
la mer pour éviter désormais toute interprétation.
Le grand absent de ce procès est l'État du
pavillon. A quoi sert en effet de créer des obligations pour les
États qui accordent leurs pavillons, s'ils ne peuvent être tenus
responsables lorsqu'ils n'exercent pas les contrôles nécessaires ?
Pourquoi la France n'a-t- elle pas poursuivi sa logique et engagé devant
une juridiction internationale la responsabilité de l'État de
Malte ? Au nom de la réciprocité ? En matière de
contrôle par l'État du pavillon, l'administration française
est exemplaire.
Le bon fonctionnement du Fipol (fonds créé
spécialement pour compenser les conséquences de ce type de
catastrophe) avait permis d'indemniser le préjudice économique
des victimes. Le tribunal a décidé de compléter ce fonds
conventionnel. Introduire une notion de « préjudice environnemental
», pourquoi pas ? Mais cette notion ne devrait-elle pas dans son principe
et ses modalités être définie par le législateur (au
niveau international) plutôt que par un tribunal ?
Fin de citation.
On le voit, le problème reste entier, le contrôle
par l'État du port en France est convenablement fait, sans s'accorder
les envolées lyriques du texte ci-dessus, mais comment faire face
convenablement à la dégradation générale des
conditions de navigation et de flux commerciaux quand il est manifeste que
certains États se refusent à assumer toute responsabilité
quant à la situation des navires immatriculés sous leurs
pavillons. Il est regrettable que le droit International ne se penche pas de
façon plus approfondie sur le problème, comme il est regrettable
que la taille de la flotte pavillonnée préside à la valeur
du vote de l'État du pavillon. Que dire du fait que l'État du
pavillon incriminé dans cette affaire soit un pays européen,
Malte ?
ANNEXE I
Définitions
TEU: Twenty Equivalent Unit ou EVP, Equivalent 20
Pieds. Les conteneurs sont de trois catégories de taille: les 20 pieds,
les 40 et les 45 pieds. La capacité d'emport d'un porte- conteneur est
exprimée en équivalent 20 pieds, soit le nombre maximum de
conteneurs 20 pieds transportables. Dans le cadre de la compétition
économique, ce chiffre public est souvent en deçà de la
réalité.
GIE Maritime: Le dispositif fiscal issu de la loi
n°98-546 du 2 Juillet 1998, portant diverses dispositions d'ordre
économique et financier, permet notamment de favoriser l'investissement
maritime, s'agissant aussi bien des navires de charge que des navires à
passagers. Ces dispositions remplacent le dispositif quirataire instauré
par la loi du 5 Juillet 1996 dont le coût s'était
révélé excessif pour les finances publiques. Elles
comportent notamment un amortissement exceptionnel des navires qui seront
détenus par des groupements d'intérêt économique
ainsi que la rétrocession à l'utilisateur du navire des deux
tiers de l'avantage fiscal. Enfin, la revente du navire par le GIE à
l'utilisateur, lorsque les deux tiers de la durée normale d'utilisation
du bien sont écoulés, fait l'objet d'une exonération de la
taxation sur les plus-values de cession. (source :
http://www.assemblee-nationale.fr)
Manning List: Aussi appelé Liste d'Effectif,
elle donne le nombre de marins défini comme étant le minimum par
les Affaires Maritimes afin d'assurer l'exploitation du navire en toute
sécurité.
Registre TAAF: Le pavillon Kerguelen ou pavillon Bis
Français, est un registre créé en 1986 dans le but
d'accroître l'attractivité économique du pavillon
Français. En plus d'offrir des allégements fiscaux et salariaux
intéressants et le remboursement à 50 % des charges sociales par
l'Etat, il autorise le recours à 65 % de main d'oeuvre
étrangère (hors union Européenne). Ce pavillon reconnu
comme peu attractif fut remplacé en 2005 par le Registre International
Français.
STCW 95: Standards of Training, Certification and Watch
Keeping. Convention Internationale édictant les règles minimum
applicables quant à la formation des Marins.
OEuvre vive : Partie immergée de la
coque. OEuvre morte : Partie émergée de la coque.
Moteur 2 temps / 4 temps: Moteur 2 temps:
Le cycle moteur s'effectue sur un seul tour moteur.
1. Admission
2. Compression
3. Explosion et détente
4. Echappement
|
|
COLREG: Convention on the International Regulations for
Preventing Collisions at Sea, 1972, autrement appelé Règle de
barre. Il s'agit du «code de la route» maritime, à ceci
près qu'il laisse le champ libre à l'interprétation du
marin. (
http://www.belgiumsailing.com/COLREG.htm)
Doublure: Période durant laquelle l'Officier ou
le matelot débarquant va passer la main à sa relève. Dans
la grande majorité des cas, cette doublure, quand elle existe,
n'excède pas quelques heures afin de limiter les frais de personnels.
Là encore, cette absence de doublure est source de nombreux
problèmes dont certains sont intimement liés à la
sécurité du navire.
OMI: Organisation Maritime Internationale, agence
internationale responsable de l'amélioration de la
sécurité maritime et de la prévention des pollutions.
SOLAS: International Convention for Safety Of Life At
Sea; la convention SOLAS dans ses formes successives est
considérée comme le plus important traité concernant la
sauvegarde de la vie humaine en mer. La première version fut
adoptée en 1914 suite au naufrage du Titanic, depuis de nombreux et
réguliers amendements y ont été apportés.
Visibilité OMI: telle que définie dans la
SOLAS (édition 2001, page 383)
«Angle mort»
Cet « angle mort » varie en fonction du chargement
du navire, de son enfoncement dans l'eau et de son assiette (inclinaison
longitudinale). Il ne doit pas excéder 2 fois la longueur du navire ou
500 m.
Moteur 4 temps : le cycle moteur s'effectue sur 2 tours moteur
Admission Compression Explosion Échappement
et Détente
Bibliographie
Bibliographie - Livres
A. Vialard, droit maritime, Puf, 1997
P. Chaumette, le contrat d'engagement maritime, droit social des
gens de mer, CNRS Editions, 1993
B. Cassagnou, les grandes mutations de la marine marchande
française (1945-1995), Histoire économique et financière
de la France, 2002
F. Braudel, civilisation matérielle, économie et
capitalisme, xve -- xviiie, Le livre de poche, Références,
1979
X. Guilhou, P. Lagadec, la fin du risque zéro, Eyrolles
société,
Mr. Duval, ni morts, ni vivants: marins!, Puf,
colreg 72
CODE IMDG,
Bibliographie -- Articles
M. Duval, Sous la protection de Neptune, rite d'initiation
des élèves de Marine Marchande Dr R. Lavergne, Pathologie
médicochirurgicale et traumatique à bord des transbordeurs du
groupe Brittany Ferries
M.Rougemont, rapport: Un pavillon attractif, un cabotage
crédible, Deux atouts pour la France.
Y. Tassel, Le droit maritime: un anachronisme?, revue juridique
Neptunus
P. Chaumette, Le contrôle des navires par les États
riverains, les cahiers scientifiques du transport, 1999
M.Lamour, député, rapport fait à
l'assemblée nationale sur: les modalités d'exercice par
l'État de ses pouvoirs de contrôles en mer, juin 2004
B. Dujardin, Souveraineté nationale et pavillon civil, la
revue maritime, 2004
Convention sur la durée de travail des gens de mer et les
effectifs des navires, C180, session de l'OIT du 8 octobre 1996.
Table ronde : les entreprises de transport de marchandises et
l'international, Assemblée Générale du Conseil National
des Transports du 6 au 14 octobre 2004.
Projet d'implantation d'un port méthanier à
Gros-Cacouna par Cacouna Energy, avril 2005
Naufrage du pétrolier ERIKA, Contribution provisoire au
rapport d'enquête technique par Commission permanente d'enquêtes
sur les événements de mer
Bibliographie - Mémoires
Melle Anne Renard, L'immatriculation du navire en droit
français, DESS droit maritime et transport, 2005
M. Raphaël Baumler, Cas particulier de la
sécurité maritime, le Code ISM, DESS gestion des situations
d'urgence, 2002
M. Nicolas Vignes, Livraison et neuvage d'un porte containeur,
DESMM, Le Havre, 2005 M. Nicolas Chomard, Le management dans la marine
marchande, DESMM, Marseille, 2005
M. Yann Lecoq, Le marin Français face à une rupture
de contrat, DESMM, Marseille, 2005
Melle Julie Bougant, Les troubles de la santé mentale des
marins du commerce, Capitaine 1ère classe, Le Havre, 2003
M. Gérard Couturier, Bridge team management, DESMM,
Marseille 2002
M. Yann Collin, Officier de Marine Marchande - au delà du
rêve, rapport, ESC Bretagne Brest, 2005
Mlle Marie Lecoq, La responsabilité du capitaine, DESS
droit maritime et transport, 2002
M. Jean François Franceschi, Systémique,
cybernétique et Marine Marchande : l'épopée des Liberty
Ship, DESMM, Marseille 2008
Webographie
Législation et réglementation
Code des douanes :
http://admi.net/code/
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (convention
de Montego Bay) :
http://admi.net/eur/loi/leg_euro/fr
Journal Officiel : http://www.legifrance.gouv.fr/
Marine
Armateur de France :
http://www.armateursdefrance.org/fr
La Touline:
http://www.latouline.com
Le site de la marine marchande:
http://www.marine-marchande.net
Hydro- Sup 'Marine:
http://www.hydro.sup.marine.chez.tiscali.fr/asso.html
L'ENIM:
http://www.mer.gouv.fr/enim
Site Internet de la Compagnie Maersk:
http://www.maersk.com
Site internet de la compagnie CMA CGM:
http://www.cma-cgm.com Association
Française des Capitaines de Navires, AFCAN:
http://www.afcan.org Organisation
Internationale du Travail:
http://www.ilo.org
Autres
> Institut d'histoire du temps présent (unité de
recherche du CNRS) :
http://www.ihtp.cnrs.fr > Les
compagnies pétrolières nationales (histoire,
caractéristiques, comparaisons, de l'entredeux-guerres à la fin
du XXe siècle)
> Bien public à l'échelle mondiale :
http://www.bpem.org
> Estimation de prix de transport par containeur:
http://www.resotainer.com
Autres
> Cdt J.P. DECLERCQ, Intervention dans le cadre du colloque
sur : Relations professionnelles et conditions de travail dans la marine
marchande internationale
> XV Réunion Plénière: Les
Professionnels de la mer par Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants
et des Itinérants, transcrit par Ricardo Rodríguez-Martos Dauer,
Diacre, Délégué diocésain de l'Apostolat de la
Mer.
> Cession du 22/03/05 retranscription des échanges dans
l'hémicycle sur le sujet de la création du registre International
Français (RIF), par le Directeur du service des comptes rendus
analytiques, François GEORGE
> Catherine Berger, Espaces privés/ espaces publics :
Gestion de l'espace, du temps et de la parole sur un long courrier,
maître de conférences, université paris 13,
27-28/10/2000
> Comité des transports maritimes,
Propriété et contrôle des navires, 2003
ANNEXE III
Retour d'expériences Officier de marine
marchande Ship manager
Situation actuelle de la marine marchande Française :
110 entreprises
Plus de 1 000 navires sont opérés par des
compagnies françaises dont 240 navires sous pavillon français
Les entreprises maritimes françaises emploient 12 500
navigants et 15 500 personnels sédentaires dans le monde entier (pour la
seule France, cela représente 11 000 navigants et 8 500
sédentaires1).
102 millions de tonnes de marchandises transportées par
an
72 % des importations et exportations de la France s'effectuent
par le mode maritime
Retour d'expériences
A. Officier de Marine Marchande
Après avoir navigué pendant un an pour la
compagnie Service et Transport à la croisière sur le Club Med 2,
je dus quitter cette compagnie, le nombre de navires et de postes à
pourvoir ayant diminué en l'espace de quelques mois de façon
drastique. Je postulais pour un poste d'officier chez Maersk France en juillet
2003, 3 mois après mon dernier embarquement d'élève
officier. J'effectuais un total de 6 embarquements, réparti entre des
fonctions d'officier mécanicien (2 contrats) et passerelle entre
août 2003 et juillet 2005, par période allant de 4.5 mois à
2 mois, chacune d'elle donnant droit à une durée à peu
près équivalente de congé. Afin de clarifier mon propos,
j'aborderai le récit de mon expérience suivant 4 axes,
j'exposerai dans un premier temps le rôle de l'officier, puis
j'évoquerai les deux types d'embarquement que je fus amené
à effectuer dans le cadre de mes contrats, en commençant par la
fonction mécanicien avant d'aborder la passerelle. Enfin, je me
pencherai brièvement sur la fonction d'officier telle que je l'ai
perçue durant ces 2 ans de navigation.
/. Officier de Marine Marchande, responsabilité, devoir
L'officier de Marine Marchande (OMM) est à la fois
responsable, devant le Commandant, son Armement et la Loi de la bonne marche du
navire, de la sécurité du navire et de son équipage, du
respect des réglementations maritimes nationales et internationales, de
la bonne gestion des ressources matérielles et humaines, de la
sûreté du navire et de l'équipage et de la gestion et
résolution des éventuelles détresses. Outre les aspects
réglementaires, l'OMM est aussi responsable, selon sa fonction, de la
bonne tenue et continuité de son service, des opérations
commerciales, du quart à la mer, etc....
De part sa fonction, l'OMM est amené à prendre
des décisions visant à assurer outre la « Sauvegarde de la
vie humaine en Mer », la bonne marche d'une structure physique et
financière. A valeur d'exemple, un conteneur de 20 pieds sec sera
transporté entre l'Arabie Saoudite et la France, soit environ 4000Km,
pour une somme moyenne de 14000€2 dans le cas d'un conteneur
dit « Super Freezer », les sommes mis en jeux sont beaucoup plus
importantes. De nos jours, les plus gros porte-conteneurs ont une
capacité de transport
1 Ces chiffres représentent principalement les
navigants au cabotage et navires de servitude. La flotte au long cours seule
donne un nombre inférieur à 300 marins pour les quelques 100
navires concernés.
2 http://www.resotainer.com/
officielle de plus de 12000 conteneurs. Ce chiffre étant
bien souvent inférieur à la capacité réelle de
transport du navire.
Afin d'assumer au mieux ses responsabilités, l'OMM
effectue une formation théorique initiale de trois ans : recrutement sur
concours post-bac, que vient compléter une dernière année
théorique à l'Ecole Nationale de Marine Marchande après
qu'il ait navigué un minimum de 12 mois comme élève
officier puis 12 mois supplémentaires comme officier. Outre la
scolarité, l'OMM est amené à effectuer un certain nombre
de stages visant à lui permettre de répondre aux situations
d'urgences avec la plus grande efficacité et
célérité possible. Ainsi, l'OMM est à la fois
pompier, manager, mécanicien, navigateur, opérateur radio,
responsable anti-pollution, responsable de la sûreté, et, en
liaison avec le Centre de Consultations Médicales Maritimes PURPAN
(Toulouse), peut effectuer des actes médicaux et chirurgicaux.
L'ensemble des brevets lui ayant été
attribués durant sa scolarité ou l'exercice de ses fonctions
doivent être revalidés à intervalles réguliers,
ainsi le Certificat Général d'Opérateur Radio n'est
valable que 5 ans.
2. Officier mécanicien
En tant que 4ème officier mécanicien, il
m'appartenait de prendre soin du traitement des 4500 tonnes de fuel
nécessaires à la propulsion et production
d'électricité, du traitement de l'eau de boisson (normes
d'hygiène et traitement chimique), de la production de l'air
comprimé, du traitement et de la gestion des huiles utilisées
et/ou en stock.
Le rythme de travail était usuellement de 08001200 puis
13001800, les manoeuvres portuaires ou en eaux resserrées
nécessitant également la présence de l'officier
d'astreinte à la machine. Ce même officier voyait les alarmes
machines renvoyées dans sa cabine pendant ses pauses, nuits
comprises.
Sur un navire de commerce, l'espace machine est une
concentration d'apparaux assurant à la fois la propulsion du navire et
sa sécurité, mais également l'ensemble des
équipements nécessaire à la vie de l'équipage.
C'est dans la machine que l'on produit le froid nécessaire au
fonctionnement des frigos vivres et de la climatisation. C'est dans la machine
également que se fait le traitement de l'eau de mer en eau potable. De
même, l'alimentation électrique nécessaire non seulement au
confort des marins, mais également et surtout, au bon fonctionnement des
radars, radios à la passerelle, et des séparateurs, etc.,
à la machine. C'est enfin dans l'espace machine que se gère
l'ensemble des pompes et vannes de ballastages, des
pompes du système incendie, etc... Qu'un seul point de
la cascade d'apparaux nécessaires vienne à manquer, et l'accident
peut survenir. Sur un navire, la négligence est le premier facteur
d'erreur, le premier facteur d'accident. Mais peut-on réellement parler
de négligence quand la fatigue du personnel s'accumulant, le risque
lié au facteur humain va en s'aggravant?
Au delà d'un espace purement industriel dont la
température moyenne atteint les 40 à 55°C sous les latitudes
tropicales, la machine est un espace humain dans lequel le personnel de service
est amené à faire face à des difficultés d'ordre
physique, morale et mentale très particulières. Loin de la marine
de commerce de nos grands parents, où l'équipage était
constitué de natifs du même pays, la marine de commerce, profitant
de l'ultra libéralisme du marché mondial, a su attirer en son
sein une population hétéroclite de travailleurs internationaux.
Recherchant le moindre coût, à la fois dans les processus de
construction des navires (il est fini le temps où les chantiers de St
Nazaire s'enorgueillissaient de liste d'attente, de nos jours, les chantiers
navals les plus importants du monde sont en Asie, entre la Chine et la
Corée), et dans la gestion des opérations de maintenance comme
d'équipages, seules quelques compagnies, telles MAERSK Danemark,
privilégient-elles encore la qualité de leurs personnels et de
leurs navires en recrutant et construisant sur le territoire National. Mais ces
compagnies sont rares, et les raisons qui les poussent à construire et
recruter dans ces conditions sont plus souvent liées à des
impératifs politiques qu'à des raisons économiques.
Mais pour expliciter mon propos, il me faut, je pense, donner
une courte explication du processus de construction d'un navire, et les
contraintes rencontrées par un équipage moderne. Un navire
marchand se construit en tranche, et pour le temps du chantier, ressemble
davantage à l'assemblage d'un sandwich d'acier qu'à la
cathédrale de métal qu'il est appelé à devenir.
Chaque portion de ce sandwich est construite en même temps, en respectant
les cotes données sur les plans.
Néanmoins, si sur le papier le principe reste simple,
il faut rappeler les faits suivants. Les délais de fabrications des
navires sont de plus en plus courts. Les chantiers navals utilisent de plus en
plus une main d'oeuvre sous qualifiée afin d'effectuer un certain nombre
d'opérations en sous-traitance, augmentant ainsi leurs marges. Les
compagnies maritimes cherchent à réduire au maximum la
durée de construction de manière à pouvoir rentabiliser
l'immobilisation massive que constitue un navire. A titre d'exemple, le navire
Maersk Garonne sur lequel je fis mon premier embarquement d'officier
mécanicien, fut livré avec 2 mois d'avance sur le programme
initialement prévu.
Mais ce type d'attitude n'est pas sans avoir de lourdes
conséquences sur l'équipage. Car un navire vide est un navire qui
perd de l'argent, à ce titre les compagnies maritimes n'attendent
souvent même plus la fin des essais à la mer et le ravitaillement
du navire pour entamer les premières opérations commerciales au
mépris de la dangerosité de la navigation effectuée par un
équipage épuisé travaillant sur un navire sur ballast
seulement3 et dont les coursives sont envahies par l'ensemble du
matériel nécessaire au maintien de la vie humaine à bord
comme à sa sécurité.
Une autre conséquence de ce type de construction tient
à un aspect purement mécanique des choses. Construits à
l'emporte pièce, les navires modernes ont souvent la
particularité de faire leur premier appareillage avec la plupart des
apparaux non fonctionnels. Certains tuyaux ont encore leurs bouchons plastiques
bien que tous assemblés. Des vannes de non retour sont montées
à l'envers, les cosses électriques sont mal serties, et certains
tuyaux s'avèrent impossibles à reconnecter au passage d'une
tranche, un jeu de plusieurs centimètres existant parfois. Et si le
chantier maritime a les outils permettant de jouer sur
l'élasticité naturelle de l'acier afin de régler le
problème, ce n'est pas le cas à bord. Ces erreurs de
constructions se traduisent pour l'équipage embarqué par un
surcroît important de travail et un raccourcissement notable des nuits
à cause d'alarmes intempestives. Il m'est personnellement arrivé
à plusieurs reprises, lors de mon premier embarquement, de dormir au
poste de contrôle machine, afin de pouvoir gérer plus rapidement
les alarmes, et aller resserrer des cosses au milieu de la nuit. Il va sans
dire qu'avec la quantité de travail à faire dans la
journée, il ne saurait être question de faire la sieste.
La chaîne hiérarchique sur un navire de commerce,
que ce soit à la machine comme à la passerelle, obéit
à un ordre strict apparenté à la hiérarchie
militaire. Du Chef mécanicien au soudeurs/tourneurs et nettoyeurs, la
chaîne de commandement est connue de tous et respectée. Il s'agit
ici, comme à la passerelle, de préserver la
sécurité du personnel embarqué et de faciliter la gestion
des situations de crises. La hiérarchie dans l'espace machine reste
cependant empreinte d'une ambiance bon enfant, se démarquant, de fait,
de l'ambiance de la passerelle. La difficulté du travail physique, le
partage d'efforts et de dangers en commun, le travail en équipe quasi
permanent, sont à l'origine de la création d'une
communauté à part sur le navire. Cette communauté presque
autonome, souvent confrontée à des impératifs
3 Ce qui entraîne une forte diminution de la
stabilité du navire, une diminution du « ñ - a », se
traduisant par un couple de rappel faible, mais un mouvement angulaire de
grande ampleur (plus de 80° bord sur bord)
mécaniques que semble ignorer la passerelle, est souvent
amenée à se serrer les coudes devant l'ingérence des
«gens du pont ».
La chaîne hiérarchique prend également
toute son importance dans la gestion du personnel international, dans un
environnement de travail où le hurlement à travers le bruit et le
casque antibruit est la norme, et le langage des signes le seul moyen de se
faire comprendre à plus de 2 mètres de distances. Le respect de
la chaîne hiérarchique permet ainsi de limiter les discussions
nuisant à l'efficacité du travail, de gérer avec certitude
des situations à haut indice de dangerosité, de manipuler et
faire manipuler des pièces de plusieurs tonnes. Parce que l'officier
donne l'ordre, le travail sera fait avec promptitude. Parce que l'officier
donne l'ordre, il prend toute la responsabilité.
Car, au coeur de l'espace navire, que ce soit à la
passerelle comme à la machine, l'officier est responsable de la vie et
de la santé des hommes qui travaillent sous ses ordres. Cette
responsabilité est le coeur du métier d'officier, et augmente
avec le grade, jusqu'au pinacle du Commandement, assumant la
responsabilité pour l'ensemble du navire et de son équipage.
C'est cette responsabilité qui pousse certains Commandants à
dégazer le long des côtes Bretonnes pour éviter le risque
d'incendie dans l'espace machine.
3. Officier pont
Il appartient à l'officier pont d'assurer une
«Veille permanente, visuelle et auditive »4, de
manière à assurer la sécurité du navire et de
l'équipage ainsi que celle des navires et équipages pouvant
être amenés à croiser sa route.
Au cours de mes divers embarquements Passerelle, deux services me
furent affectés. Le premier d'entre eux fut le service Navigation.
Outre la veille, s'effectuant par période de Quart (en
l'occurrence 00000400 & 1200 1600 à la mer, et 0000 - 06000 &
1200 - 1800 en opérations commerciale), j'étais directement
responsable devant le Commandant de la bonne tenue des documents nautiques et
de leur corrections hebdomadaires, du traçage des routes à suivre
sur les cartes papiers, électroniques et GPS, du respect des
réglementations internationales, nationales et régionales
concernant la navigation et de leurs mises à jour, et de l'entretien
courant des apparaux de navigation.
4COLREG 72
En opération commerciale, il m'appartenait de
surveiller le bon déroulement des opérations de chargements et
déchargements des conteneurs, la bonne application de la
réglementation Internationale quant au chargement/déchargement de
conteneur IMDG5 (International Maritime Dangerous Goods) et de leur
marquage, de la stabilité du navire par mouvement de ballast en
appliquant les réglementations locales de non contamination des eaux, de
la sûreté du navire en application du code ISPS (the International
Ship and Port Facility Security Code), et d'assister le Second Capitaine quant
à la tenue de l'escale.
Le deuxième service auquel je fus affecté fut la
Sécurité.
Travaillant par période de quarts (08001200 &
20002400), j'étais responsable, outre la veille, de la formation
permanente des membres d'équipage à la sécurité du
bord. Cela comprenait sans être exhaustif, leur parfaite connaissance de
leur rôle Incendie, Abandon, Pollution6, ainsi que des
formations de base à l'exercice des premiers secours, à l'abandon
du navire, à la survie en immersion ou en radeau, à la lutte
contre l'incendie. D'autre part, en tant que pompier, il m'appartenait
d'assurer l'entretien et la surveillance de tout les systèmes
d'extinction incendie, de lutte contre la pollution par hydrocarbure et/ou
chimique, de la bonne signalisation des échappées (sortie de
secours), du renouvellement des périssables à poste dans les
embarcations de sauvetages, etc... De même que lors de mon
précédent contrat, j'assurais le quart en opérations
commerciales.
La fonction d'officier passerelle repose sur une
appréciation de son rôle totalement différente. Il ne
s'agit plus seulement d'être responsable de l'équipe avec laquelle
on travaille. Il s'agit d'accepter la responsabilité d'un navire, d'un
équipage, et de tout autre navire et équipage croisant dans les
mêmes eaux. Car l'officier pont travaille principalement en solitaire et
ce n'est pas l'éventuelle présence nocturne du matelot philippin
qui change la situation. Responsable de la vie des membres de
l'équipage, de la conduite du navire et de sa sécurité,
l'officier pont a pour premier devoir, d'être capable de
reconnaître sa propre faiblesse. Car, afin de préserver la vie
humaine, et éventuellement les cormorans Bretons, l'officier doit
être capable d'appeler le Commandant, lui remettant alors toute la
responsabilité qui pesait alors sur lui. Cette pratique, très
courante, et systématiquement appliquée lors des manoeuvres en
5 IMDG: Conteneur obéissant à une
réglementation particulière tant au niveau du marquage que du
positionnement sur le navire par la nature du/des produit qu'il contient.
Ceux-ci peuvent être de nature chimique, radioactif, militaire, etc. Ils
sont l'objet d'une veille attentive tout au long de leur transport de part leur
dangerosité potentielle.
6 Rôle : Chaque membre d'équipage à une
fonction attribuée selon son niveau de compétences et de
responsabilité afin d'assurer la sauvegarde du navire ou des hommes en
situation d'incendie, pollution,
eaux resserrées7, est attendue de la part du
Commandant chez ses officiers. Les ordres permanents affichés à
la passerelle et signés par tout officier embarquant sont clairs: «
En cas de doute, de visibilité réduite, de situation
rapprochée, appelez le Commandant ». On ne saurait être plus
clair. Mais il s'agit alors de s'interroger sur le sens de « doute »,
« visibilité réduite » et « situation
rapprochée ». C'est là que le rôle de l'officier prend
toute sa dimension. En plus de ses différents rôles, l'officier
pont, au contraire des collègues mécaniciens, doit faire face
à une situation de profonde solitude. Ainsi l'officier de 0 à 4,
dormira t'il quand les autres se réveilleront pour commencer leur
journée de travail, montera au quart quand le stimulus social du
déjeuner commencera, quittera le quart quand tout le monde sera en train
de travailler, ira dîner rapidement afin de faire une sieste avant son
quart de minuit à 4 heure de façon à pouvoir assurer son
quart dans de bonnes conditions. Cette situation est poussée à
son extrême dans le cas de cet officier mais reste néanmoins vrai
dans le cas des autres officiers. D'autre part, la gestion des situations de
stress se fait également seul. Car, appeler le Commandant dès que
le danger est présent, relèverait de l'aberration. De nos jours,
poussés par les impératifs commerciaux, les porte-conteneurs
naviguent le plus vite possible dans la mer de Chine, zone dont la
concentration de navire de pêche comme de commerce est la plus haute au
monde, après Malacca et la Manche. On atteint déjà une
situation où l'officier n'appelle plus le Commandant en situation de
doute, mais d'extrême doute, de situation extrêmement
rapprochée. Et déjà s'opère, au sein même
d'un équipage compétent, la dérive vers l'accident pour
tenter de préserver le sommeil du Commandant qui a aussi peu, si ce
n'est moins, dormi que n'importe quelle autre personne du bord.
4. La fonction d'Officier
Comme j'ai tenté de le présenter dans les
précédents paragraphes, la fonction d'officier de Marine
Marchande, a contrario du courant général, se caractérise
par une extrême importance de la polyvalence et de l'adaptabilité
des hommes. La grande diversité des taches et missions, découlant
naturellement de la réduction des équipages, favorise à la
fois la prise d'initiative et de responsabilité, et une certaine
indépendance quand à la façon d'effectuer ou
d'appréhender le travail requis.
abordage, homme à la mer, etc... Ce rôle doit
être parfaitement connu et les actions inhérentes
maîtrisées afin d'assurer la sécurité du bord.
Commissaire
9 Personnels d'exécution
3 Lieutenants
Second Capitaine
Maître d'équipage
5 Matelots
Commandant
Maître Machine
3 Mécaniciens
Chef Mécanicien
Second Mécanicien
2 Lieutenants
Maître électricien
Représentation de la carte organisationnelle d'un navire
marchand de type ferry battant pavillon National (30 personnes)
Sur un navire de commerce de type porte-conteneurs, tel les
MAERSK Garonne et Gironde, la fonction de commissaire et attenants n'existe
pas. De même le poste de Maître d'équipage autrement
appelé Bosco a été supprimé, celui de Maître
machine laissé au main d'un mécanicien philippin dont la
compétence est malheureusement trop souvent douteuse. La liste
d'effectif prévu pour un navire de cette taille (300m) et
approuvée par les autorités maritimes Française est de 13
personnes. Je reconnais que ce fut une grande chance pour nous de naviguer avec
21 personne à bord, même si ce nombre reste ridiculement faible au
regard de la taille du navire et du rythme de travail.
1 Lieutenant
Second Capitaine
4 Matelots
Commandant
Chef Mécanicien
Second Mécanicien
3 Mécaniciens
1 Lieutenant
7 Se dit de tout espace de navigation où l'encombrement du
navire est, en lui-même, une gène quant à sa
capacité de manoeuvre compte tenu de l'environnement immédiat.
Représentation de la carte organisationnelle d'un navire
marchand de type porte containeur battant pavillon RIF, soit un total de 13
personnes.
B. Ship manager, à l'interface entre marin et entreprise
armatoriale
Dans un souci de déchargement et de manutention plus
sûrs, plus rapides, moins chers et avec une sécurité
accrue, la deuxième partie du 20e siècle voit l'arrivée
des premiers conteneurs. Rapidement, ce mode de transport l'emporte sur le
cargo classique. Pour une traversée maritime de 6 jours, là
où il faut 42 jours à un navire classique pour acheminer une
même marchandise (chargement, transport, déchargement compris), il
en faut 9 à 10 jours à un porte-conteneurs.
Le conteneur offre une grande facilité et une
simplification de chargement et de déchargement permettant ainsi aux
navires de rester le moins longtemps possible aux ports.
Il offre une protection accrue de la marchandise.
Il offre une uniformisation du service proposé.
Il permet d'allouer une partie du navire au chargeur.
Un navire de 4000 TEU (Twenty equivalent units) ou EVP
(équivalent vingt pieds) reste entre 12 et 24H dans un port. Pendant ce
laps de temps, 1/3 et plus de la capacité du navire en conteneurs sera
chargé et déchargé.
Au XIXe siècle, le Commandant cherchait le port
idéal pour faire du commerce. Il avait toute latitude vis à vis
de son armateur pour embarquer et négocier la marchandise lors de son
chargement, de son achat et de sa vente.
Aujourd'hui, lorsque le navire arrive au port, les agents
commerciaux ont déjà collecté la marchandise qui
embarquera. L'agent consignataire signera les connaissements. Un plan de
chargement du navire sera donné au Commandant. Il pourra l'accepter, le
refuser ou y apporter les modifications qui permettront à son navire de
repartir en toute sécurité. Il est donc indispensable qu'un
shipplanner prenne le relais du bord et prépare le plan de chargement en
tenant compte des caractéristiques techniques du navire.
/. Prédispositions structurelles du navire
Un navire peut, de par sa structure, offrir certaines
possibilités intéressantes en matière de planning. Ceci
permet surtout, quand la ligne et les flux commerciaux sont
maîtrisés, de compartimenter le navire de façon à
mettre, pour les ports fréquentés, des options sur les espaces
à cargaisons. Ce compartimentage effectué peut, voire doit,
évoluer au cours du voyage en fonction des statistiques et autres
données pertinentes dont le shipplanner dispose.
Il ne faut pas oublier non plus que les dispositions du code
IMDG8 imposent souvent le chargement de certains dangereux à
l'écart des emménagements, ce qui dans ce contexte est
facilité par ce compartimentage où ils peuvent être
chargés tout à l'avant du navire. Cependant, cette
prédisposition structurale peut être, dans bien des cas, un
handicap de plus à gérer pour le shipplanner.
Les navires autonomes (équipés en apparaux de
manutention : grues) et fréquentant des ports non équipés
en infrastructures de manutention imposent que le shipplanner mette des options
sur les cales adjacentes aux équipements du bord pour ces dessertes afin
d'assurer la faisabilité pratique des opérations commerciales
dans ces derniers.
2. L'opération de planning
Le planning consiste principalement à organiser les
opérations de chargement/déchargement de navires porte-conteneurs
pour divers ports d'escales en s'appuyant à chaque fois sur
l'état du navire au départ du port précédent, tout
en anticipant les opérations sur plusieurs ports à venir, voire
sur le restant du voyage. Dans ce va et vient d'informations, il convient de
recevoir, confronter et transmettre des données : le planner va devoir
dégrossir la situation, faire le tri entre cargaison sèche,
frigos, dangereux et/ou hors-gabarit, tout en effectuant une remise à
jour au fur et à mesure que la situation évolue en se
précisant. Le shipplanner endosse d'énormes
responsabilités quant à la sécurité des marins, du
navire et de la cargaison, bien que cette responsabilité se voit
confrontée à celle du Commandant et du second Capitaine, seuls
à même d'accepter ou de refuser le plan de chargement. C'est dans
cette interface que la formation et la compétence des uns et des autres
tendent à être le noeud de problèmes potentiels. De plus,
le shipplanner doit respecter les règles de gestion et de
ségrégation des marchandises dangereuses, tout en gardant
à l'esprit le bon état de navigabilité du navire par la
prise en compte des contraintes et des limites d'exploitation de ce dernier.
Car il n'est en aucun cas admis d'apporter des complications
supplémentaires au quotidien des équipages qui en lui-même
est déjà très riche en évènements.
· Les outils de travail -- Un support informatique
Le métier de shipplanner fait principalement appel
à un esprit intuitif, aidé néanmoins par une logique
certaine. Force est de constater que les solutions de chargement d'un navire
sont diverses, et ne s'appuient pas sur une réelle logique si ce
n'est dans les applications de base
8 Code IMDG : International Maritime Dangerous Goods.
Ce code établit la liste des produits considérés comme
dangereux et indique leurs caractéristiques de saissage, de
ségrégation et les mesures à prendre en cas de
fuite/mouille/etc
(ne pas mélanger les destinations, ne pas casser le
bateau, etc....), mais plus sur l'intuition du planner quant aux chargements
à venir, part d'expérience et de chance. L'apport d'un ordinateur
équipé de programmes spécifiquement
développés est devenu essentiel du fait de l'augmentation sans
cesse croissante de la capacité commerciale des navires. Il est
néanmoins nécessaire de souligner que celui-ci ne saurait
être la panacée. Les planners ne sont pas les informaticiens
programmeurs, pas plus que les Commandants et second Capitaine n'ont
participé à leur élaboration. On peut s'interroger sur la
pertinence de certains logiciels ne tenant pas compte de données
pourtant essentielles. Un tel passera outre les questions de stabilités,
un autre ne respectera pas le code IMDG, etc., devenant, dès lors, un
outil grossier se reposant entièrement sur la capacité du planner
comme du second Capitaine à faire leur travail correctement. Où
commence la gêne, où finit l'aide ? Plusieurs logiciels sont
utilisés sur le terrain avec beaucoup de points communs, mais
également de particularités et de degrés de
convivialité qui font leur différence. A titre d'exemples de
logiciels utilisés aujourd'hui, on peut citer EASEACON, BELCO ou le PLAN
MASTER chacun sujet à caution dans leurs caractéristiques et
défaillances particulières.
3. Les outils de travail
Le Code ~.M.D.G. et la gestion des dangereux
Il incombe au shipplanner de tenir dûment compte des
dispositions du code I.M.D.G. dans ce domaine et garantir ainsi la
sécurité des personnes et des biens. Le code I.M.D.G. fait
régulièrement l'objet de remises à jour car, même si
les différentes classes de dangereux sont connues et
répertoriées, il ne faudrait pas oublier que l'industrie chimique
évolue, ce qui entraîne des produits nouveaux. Ces derniers vont
dans les classes existantes, mais avec de nouveaux numéros ONU donc des
règles spéciales qui les accompagnent : conditionnement
(emballage), règles d'arrimage, marquage, conditions du transport,
règles de sécurité. De plus, le code I.M.D.G. donne, pour
les dangereux, des fiches guide, en cas d'accidents, dans la gestion des
dommages corporels, le comportement à adopter face à un certain
nombre de risques connus tout comme les fuites de gaz, la pollution. Le code
I.M.D.G., une des bibles du shipplanner, reste également à bord
à la disposition de l'équipage en général, mais en
particulier du Second Capitaine pour asseoir toute la vigilance requise et les
règles de sécurité nécessaires au bon
déroulement de l'expédition maritime.
-- La gestion des vides
Application des principes de logistiques, le container, par
son encombrement et par son coût, ne saurait être détruit
après chaque utilisation. Un repositionnement s'avère
nécessaire afin d'assurer un flux continu de marchandises des pays
exportateurs sans que ceux-ci ne souffrent d'une pénurie de
boîtes. Le repositionnement du container représente un coût
supplémentaire à la charge des compagnies de transports puisque
à leur charge pleine et entière. Les flux commerciaux
internationaux ne permettant malheureusement pas une systématisation de
transit à plein, charge est donnée au shipplanner de tenir compte
de ce paramètre afin d'éviter tout coût
supplémentaire, id est, les restows9. Le service logistique
joue un rôle très important en ce qui concerne la gestion et la
distribution des vides. Cette planification relevant de ce service donne lieu
à la réalisation de bookings spécifiques dont le
shipplanner tient compte dans ses travaux.
4. L'organisation et la mise en oeuvre de l'escale
Deux aspects sont à prendre en compte
- escale physique : mise à quai d'un navire et ce (lui
en découle. Ce volet incombe à l'agent d'escale qui se chargera
de commander le pilote, le poste à quai, de même que des
opérations de ravitaillements, tant en combustible qu'en vivres, sans
oublier l'organisation de relèves d'équipages ou de soins
médicaux. Ces différentes opérations relèvent de
l'interaction entre le bord et les services spécialisés de
l'armateur/affréteur. L'agent est alors l'interface entre ces 2
intervenants et les entreprises extérieures nécessaires à
l'intervention.
- escale commerciale : ici, le maître des
cérémonies est le shipplanner, en collaboration avec les
stevedores et le bord. Cette organisation suppose la connaissance, bien en
avance, des lots prévus au déchargement comme au chargement, la
durée prévisionnelle de l'escale, un accord sur le nombre
d'apparaux de manutention et donc d'équipes.
Aussi toutes les parties impliquées doivent, bien
entendu, disposer de tous les éléments nécessaires
à l'exécution des dits travaux : EDI File (plan de
déchargement/chargement), shiftings, situation des dangereux, des
reefers et des 00G, le tout préparé bien avant l'arrivée
du navire. Les échanges shipplanner/stevedore/bord trouvent leur
aboutissement dans le succès d'une escale commerciale : le stevedore
communiquant, à la clôture, les derniers éléments en
matière de bookings pour un port, le shipplanner réalisant ses
plans et documents,
9 Container déplacé lors d'une escale
pour raison opérationelle (stabilité, IMDG, etc.) ou commerciale
(changement de destination).
le bord étant consulté pour acceptation ou refus
des plans réalisés par le Shipplanner et le terminal. Là
encore, on devine la nécessité d'une réelle
compétence du Second Capitaine en la matière. Il est regrettable
que de plus en plus de Seconds Capitaines soient amenés à faire
une confiance aveugle dans leurs logiciels de chargement, en particulier en ce
qui concerne la gestion des dangereux, ceux-ci déclarant des conflits
n'ayant pas lieu d'être, ou éventuellement ne dévoilant pas
certains conflits susceptibles de mettre le navire en danger et que le
shipplanner n'aurait pas vu. La responsabilité du Second étant
d'accepter ou refuser un chargement, la totalité des opérations
commerciales peuvent être stoppées de son fait jusqu'à ce
qu'il y ait une situation de chargement qui le satisfasse.
5. La réalisation du plan de chargement
A partir du booking réalisé par l'agent
commercial, le shipplanner (en général 48h avant l'escale) va
effectuer un nettoyage du fichier (identification détaillée des
Containers dangereux, identification des Hors Gabarits, nettoyage des codes
opérateurs, portuaires).
Une fois ce fichier prêt à l'emploi, le
shipplanner l'intègrera manuellement dans son logiciel de planning sur
le navire concerné : rentrant les boîtes une à une dans le
plan de chargement et tenant compte des caractéristiques du navire, du
nombre de prises électriques pour containers Reefers, de la
ségrégation des IMDG, des Hors Gabarits, de la stabilité
et visibilité OMI/Panama du navire etc....
Une fois le plan réalisé à la
satisfaction du shipplanner, celui-ci est envoyé au terminal d'escale
avec les instructions nécessaires à la bonne réalisation
du dit plan. Il est également envoyé au navire pour
contrôle avant l'escale.
Sur les pages suivantes, les plans de chargement du CMA CGM
Dardanelles au départ de Fos sur Mer puis La Spézia (escale
suivante) en Italie.
Départ Fos sur Mer
Départ La Spézia (escale suivante)
Déchargement: 37 containers
Chargement: 147 containers, dont 12 reefers, 1 Hors Gabarit plus
1 yacht, 17 dangereux et 24 restows liés à des impératifs
opérationnels
Ci-dessous au départ de La Spézia: en rouge les
containers de produits dangereux, en bleu foncé les containers reefers,
en Cyan, les 40' High Cubes (Pour optimiser le chargement, on essaye d'en
charger deux en cales quand c'est possible), en vert fluo les containers Hors
Gabarits.
C'est le rôle du Shipplanner d'assurer la meilleure
optimisation du chargement de son navire en évitant autant que faire ce
peu les surcoûts. Eu état du prix du fuel (450USD la tonne en
moyenne, à raison d'une consommation journalière de 90 tonnes par
navire) et considérant la valeur du taux d'affrètement par TEU
(1000USD) on comprendra l'importance de préserver la capacité de
chargement du navire intacte au fil des escales, tout en tenant compte des
impératifs de sécurité de navigation et de
réduction des temps d'escales.
La fonction de Ship manager recouvre à la fois le
domaine opérationnel de part la connaissance qu'il exige du domaine
particulier de la marine marchande et des ses impératifs ainsi que de la
sphère plus commerciale, car gardant à l'esprit les
impératifs de rentabilité et de profitabilité des navires
dont il est responsable. A l'interface entre le navire et l'entreprise, entre
les marins et les commerciaux, contrôleurs de gestion, le rôle du
ship manager est de permettre une fluidité maximale dans leurs
interactions tout en optimisant à la fois les escales et le chargement
du navire.
6. L'intégration au sein d'une unité de business
A l'interface entre le Commandant et l'affréteur, le
Shipplanner s'intègre dans l'unité de Business et assure
l'intégration du navire en son sein.
Le Shipplanner fait avant tout, sauf cas de sous-traitance,
partie de l'organisation structurale de l'entreprise maritime. De ce fait, il
va de soi qu'il existe des interactions et échanges entre divers
services de l'entreprise, le navire et lui.
Le service commercial
De ce service, le planner reçoit divers bookings avec,
au préalable, des requêtes concernant les conteneurs particuliers
pour lesquels il doit donner son avis. Ces divers bookings sont, à un
instant donné, l'état des réservations
éventuellement mises à jour. Ainsi on parlera de bookings
préliminaire, et final (à la fermeture), en passant par plusieurs
prévisionnels, les suivants étant à chaque fois les
précédents revus et corrigés des changements comme baisse
ou augmentation de fret, changement de destination, annulation de
réservations.
Le service logistique
Savoir que durant l'escale du navire « ALPHA » au
Havre il sera chargé 1200 EVP est un premier stade d'information. A
partir de là, le shipplanner devra tenir compte de la stabilité
du navire et des différentes destinations de ce chargement. Il faut
assurer, bien entendu, une bonne répartition et gestion des poids afin
de ne pas se retrouver au final avec une stabilité précaire, les
conteneurs lourds, moyens ou légers voire vides n'étant pas
gérés de la même manière. Cette considération
est gérée en relation avec le service logistique qui reprend une
partie du travail accompli par le service commercial pour ce qui concerne les
vides et établit un booking relatif à leur distribution, ce qui
est une tâche essentielle.
Le service reefer
En général, un porte-conteneurs est conçu
pour recevoir environ 10% de sa capacité EVP en conteneurs frigos. Ceci
pour préciser qu'il y a une limite à respecter, car si le
conteneur peut être embarqué, encore faut-il lui réserver
une prise frigo pour que le contrat de transport soit respecté!
Cependant, cette notion de 10% de la capacité en conteneurs frigos est
très vite dépassée avec les gros porteurs. Un navire comme
le Marfret Provence, qui reste modeste avec ses 2100 E.V.P., est doté de
300 prises frigos dont 25% en cale. De plus, pour un navire de 4000 E.V.P.,
dans le sens Australie vers les Etats-Unis, on atteint souvent les 1200
à 1300 conteneurs frigos. A noter que durant un voyage, un conteneur
frigo peut faire l'objet de diverses vérifications et expertises, de
façon réglementaire ou à la demande du client, les
problèmes de rupture de la chaîne du froid donnant souvent lieu
à contentieux. Le conteneur
frigo n'est pas toujours propriété de la compagnie
maritime, mais bien souvent pris en location à un coût journalier
d'environ 10 USD puis sous-loué aux clients.
Le tandem Shipplanner/service reefer travaille donc à la
coordination des actions en ce qui concerne les conteneurs frigos.
Le service des dangereux
Parler de marchandises dangereuses revient à
évoquer un danger potentiel, quand on sait qu'il y a, en la
matière, des incompatibilités à gérer, ce qui
entraîne naturellement des ségrégations. Afin
d'éviter d'exposer, tant les vies humaines que le navire et la cargaison
à des risques importants, la collaboration Shipplanner/service
dangereux/Second Capitaine doit être étroite et rigoureuse. Du
booking le service dangereux extrait et soumet au shipplanner une liste de
marchandises (conteneurs) classées I.M.D.G. et approuvée par ses
soins. Il est, entre autre, clairement mentionné les numéros
respectifs des conteneurs assignés pour le chargement et le transport,
et ce pour tous les ports du voyage. Cette liste présente un double
intérêt : d'une part, un conteneur de dangereux ne sera pas
chargé s'il ne figure pas sur la liste approuvée des conteneurs
prévus par le service dangereux ; d'autre part, cette double
entrée booking/liste approuvée des dangereux permettra au
shipplanner de vérifier la concordance des informations à sa
disposition et de déceler les éventuelles erreurs qui peuvent s'y
glisser. Le shipplanner, tout comme le service dangereux, se sert du code
I.M.D.G. pour la réalisation de ses travaux. Si la gestion de la
position et de la ségrégation à bord incombe au
shipplanner, il revient au service dangereux de gérer les
spécifications techniques liées aux différents types de
dangereux représentés, le type de conteneur indiqué pour
le chargement et le transport. La liste de dangereux approuvée par le
service en charge permet également une traçabilité de la
cargaison, car on associe ainsi à un conteneur identifié, un
statut de dangereux avec une position précise et
réglementée à bord, ce dernier étant suivi
conformément aux spécifications du code I.M.D.G. Sans la dite
liste, il serait possible pour le shipplanner de laisser un conteneur de
dangereux échapper à son attention et être chargé
à bord au détriment des règles de sécurité
auxquelles il n'aura pas été soumis, et devenant ainsi un danger
potentiel quant à la sécurité à bord. Les grands
armements ont tous leur service des dangereux : exemple du BMD (le Bureau des
Marchandises Dangereuses) au Havre pour le compte de la CMA CGM. Cependant,
certains armements plus modestes font appel à des sociétés
de sous-traitance dans ce domaine.
Le service des Hors Gabarits (00G)
Pour le chargement des Hors-Gabarits ou OOG, une requête
préalable doit être adressée au shipplanner pour accord.
Le cas du OOG le plus défavorable est celui à la fois hors
longueur,
Le Havre
Tilbur~
Hamburg
Fos La Spezia
Rotterdam
Malta
La Spezia
Jeddah
Damietta
Djibouti
Damietta
Pointe des Galets
Suez Can al
Port Louis
Chennai
Colombo
Port Kelang
Jakarta
Melbourne
Melbourne
Adelaide
risbane
Sidne~
Lyttleton
Auckland
largeur et hauteur, un vrai casse-tête qui
entraîne des pertes énormes sur le plan commercial. Si on prend
l'exemple d'un 20' OOG de ce type à charger à plat-pont, pour une
pontée limitée à 4 hauteurs de conteneurs, il
occasionnerait une perte de 32 EVP. Si on ne peut charger sur cet OOG, ce
serait 35 E.V.P. de perdus Il est extrêmement important que le service
responsable adresse au planner une requête avant le booking puis une
liste approuvée du service commercial des conteneurs de ce type à
charger, compte tenu notamment des implications tant techniques que
financières. Jusque là, il n'est question que d'un OOG, alors
qu'on peut en avoir plusieurs à charger et pour différentes
destinations, ce qui multiplie les pertes en EVP.
Ligne Tour du Monde : Service NEMO
Diagramme organisationnel d'une ligne
Service technique
Port de départ Agent / terminal
Service Dangereux
Bunker
Cargo Flow
Partenaires
Logistique
Clientèle
Service Commercial
Service Juridique
Management de la flotte / Chartering
Port d'arrivée Agent / terminal
Ainsi que le laisse deviner ce diagramme, il devient apparent
que la latitude laissée au navire quand à l'exercice de ses
prérogatives est fortement entamée. La ligne décide pour
lui de la gestion commerciale des escales, prenant les décisions
d'horaires, d'omission, d'ajout ou de changement d'escale ou de rotation, des
approvisionnements en carburant et/ou alimentation. De la même
manière, le service technique, assure de son côté la
gestion du navire ne laissant que peu d'initiatives au chef mécanicien
et au commandant quand aux conditions de maintenances ou de réparations.
Les navigants sont réduits à un rôle de conducteur de
navire.
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