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Du mouvement de révolution circulaire dans la pensée de Platon

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par Guillaume RIVET
UFR Poitiers - M1 sociologie et M1 philosophie 2008
  

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Chapitre Premier : La figure du cercle

lors de la première démiurgie

1. Théodicée et proportions

a. Une volonté bienveillante

Le mythe narré par l'astronome pythagoricien de Locres Timée présente une explication jugée vraisemblable de l'origine de l'univers. Le modèle théorique hypothétique part du principe que le démiurge créé à partir des Formes (ou Idées, éäåct) le monde en tentant de modeler la matière de manière à la rendre la plus parfaite possible. Le rôle du démiurge est donc central et introduit la distinction entre le producteur et son produit. Il est l'organisateur de l'informe et le producteur des images sensibles et est par nature bon5. Il tend a organisé le monde de la meilleure façon qui soit. De là s'affirme la bonté divine, rendant l'être bon et l'intelligence de l'être bonne. C'est pourquoi il semble permis de qualifier la fonction démiurgique de théodicée6. L'intelligence qui connaît se fait démiurgique parce que « celui qui a constitué le devenir, c'est-à-dire notre univers (...) était bon, or (...) il souhaita que toutes choses devinssent le plus semblables à lui ». Par conséquent, le démiurge ne peut constituer que les êtres immortels ; il ne peut façonner les êtres mortels, car « s'ils tenaient de moi leur naissance et leur participation à la vie, ces êtres seraient les égaux des dieux »7. La tâche de créer les mortels est donc révolue aux dieux issus des dieux. Nous pouvons par conséquent distinguer deux démiurgies, la première qui consiste à générer le divin, c'est-àdire ce qui est toujours, et une seconde vouée à produire le mortel, c'est-à-dire ce qui devient toujours. Platon renoue avec les ambitions des premiers métaphysiciens en proposant une explication totale de la réalité tout en prenant compte du sujet pensant, cher à Socrate. Ce qui ressort le plus dans ces dialogues est le souci de dépasser le monde de la multiplicité, de l'impermanence et de l'illusoire grâce à l'idée générale, une et immuable, appartenant au monde intelligible composé d'idées hiérarchisées. La plus haute perfection, la plus générale et

5 BRISSON Luc, Le même et l'autre dans la structure ontologique du Timée de Platon, Paris, Editions Klincksieck, 1974, p. 29.

6 PHILONENKO Alexis, Leçons platoniciennes, Paris, Les Belles Lettres, 1997, p. 522. En réalité le terme théodicée est anachronique, puisqu'il a été créé en 1710 par Gottfried Wilhelm von Leibniz dans son Essais de théodicée sur la bonté de Dieu, la liberté de l'homme et l'origine du mal. Cependant ce terme illustre la pensée de Platon qui postule que le mal vient de la résistance de la matière à intégrer entièrement le bien : « La puissance de Dieu est la mesure de son être. Ce n'est pas Dieu qui est impuissant à transformer pleinement à son image le Devenir ; c'est le Devenir qui ne peut recevoir l'Etre entièrement ». GOLDSCHMIDT Victor, La religion de Platon, Presses Universitaires de France, Collection mythes et religions, 1949, p. 57.

7 Op. cit.., p. 134 (Timée 41 c).

la plus raisonnable de toute est l'Idée du Bien (agathon, Üãaèüí), assimilable à l'Idée du Beau. Cette pensée est exposée dans le célèbre mythe de la caverne dans La République8 et se retrouve dans la morale, la justice, la politique et la cosmologie platonicienne.

Le Bien Suprême est donc clairement désigné comme étant le terme ultime et la cause finale de toute recherche du bien, puisqu'il est « ce que toute âme poursuit et qui constitue la fin de tout ce qu'elle entreprend, ce bien dont elle pressent l'existence sans pouvoir, dans sa perplexité, saisir pleinement ce qu'il peut être »9. Il confère aux autres formes beauté, harmonie, ordre, simplicité. Les philosophes sont naturellement « épris de cette science qui peut éclairer pour eux quelque chose de cet être qui existe éternellement et ne se dissipe pas sous l'effet de la génération ou de la corruption »10, car ils sont épris de vérité. Au sommet du système est donc placée la Forme du Bien. Celle-ci communique l'existence et l'essence, mais elle-même est encore au-delà de l'essence, comme le montre la comparaison avec le soleil: « Pour les objets de connaissance, ce n'est pas seulement leur cognoscibilité que manifestement ils reçoivent du bien, mais c'est leur être et aussi leur essence (ousia, ïýæßa) qu'ils tiennent de lui, même si le bien n'est pas l'essence, mais quelque chose qui est au-delà de l'essence, dans une surabondance de majesté et de puissance »11. Ainsi le modèle (paradéigma, ðaðÜäåéãìa) du Bien Suprême existe en soi, il se suffit à lui-même et n'est pas qu'un plan de création attendant un exécutant. Il faut remarquer que Platon accorde une grande importance à la forme du Bien, puisqu'il présente la bonté comme étant « le principe tout à fait premier du devenir, c'est-à-dire du monde »12 . La bonté est associée à la recherche de perfection et d'ordre. Plus précisément, « la bonté démiurgique est essentiellement la bonté, déjà dérivée, de l'Intelligence procédant du Bien, mais qui, rencontrant la Matière, prolonge la diffusion du Bien »13.

Or, ce qui est le plus synonyme d'harmonie et d'ordre est la symétrie (summetros, Óòììåçðéct), celle-ci s'opposant au chaos, au désordre et au sans mesure (ametros, Üììåçðïñ). Le propre de la symétrie est par conséquent de rester semblable (ana logon, aíÜëïãïí), même lors du mouvement. Le démiurge choisit cette propriété et l'impose à l'Univers, car elle ressemble aux formes pures. Découvrir les symétries dans le monde sensible est par ailleurs

8 L EROUX Georges, Platon La République, Paris, GF Flammarion, 2004, pp. 359-384 (La République, VII, 514a-51 7b).

9 Ibid., p. 348 (La République, VI, 505 e).

10 Ibid., p. 316 (La République, VI, 485 b).

11 Ibid., p. 353-354 (La République, VI, 509 b).

12 Op. cit., p. 118 (Timée, 29 e).

13 GOLDSCH MI DT Victor, La Religion de Platon, Paris, Presses Universitaires de France, 1949, p. 56.

une manière de connaître les copies des Formes. En étudiant les rapports mathématiques, Platon comprend que ces dernières permettent de découvrir les indices de l'intelligible dans le sensible. Expliquons : Á et C n'ont aucune ressemblance. Cependant, il suffit qu'A/B = B/C (B étant une identité intermédiaire) pour qu'il existe un rapport entre A et C. L'âme du monde a une structure mathématique et régit le mouvement avec des rapports mathématiques. Elle est aussi l'identité intermédiaire entre l'être et le devenir.

Que désigne le terme démiurge (dêmiourgos, äÞìéïíðãïñ) ? Le mot provient du grec dêmios, qui signifie plébéien, populaire, et de ergon, signifiant l'oeuvre, le travail14. Mais Platon lui confère un sens philosophique. Il faut donc le comprendre ici comme désignant le « le fabriquant et le père de l'univers »15 . Il est le fabricant de par son travail artisanal, tout en étant dirigé par un modèle théorique. C'est pourquoi il n'est pas un créateur, mais l'organisateur d'une matière et de formes déjà présentes. Il est une entité distincte, dont la description se fait souvent avec des termes anthropomorphiques. Il éprouve des sentiments, souhaite, réfléchit, prévoit, raisonne et parle. Cependant, il n'est pas un individu, mais plutôt une fonction ; sa volonté s'appliquant au réel dans son ensemble, il devient celui qui ordonne le monde, à la manière d'un représentant juridique. Le travail artisanal est explicitement avancé par Platon, qui le compare à un modeleur de cire, à un ouvrier travaillant le bois ou à un assembleur d'éléments16. Le démiurge imprime une forme à la matière, sans être l'auteur de la forme. Les éléments de l'Univers sont le feu, l'air, l'eau et la terre17, comme le font savoir l'opinion traditionnelle et Empédocle à ce sujet. Il est fait mention de relations entre les quatre éléments, les formes géométriques connues à l'époque de Platon et les lettres18. En somme, pour que la genèse de l'univers se fasse, il faut une volonté exclusivement bienveillante -- le démiurge --, puis une mise en ordre du chaos originel afin de transformer celui-ci en un cosmos harmonieux -- travail artisanal du matériau brut --. Il faut ajouter à cela le calcul et la géométrie afin de rendre ce cosmos équilibré et beau (kalon) -- fonction

14 GOBRY Ivan, Le vocabulaire grec de la philosophie, Paris, Ellipses, Collection Vocabulaire de..., 2000, p. 33.

15 Op. cit., p. 116 (Timée 28 c).

16 Ibid., p. 190 : « Voilà ce qu'avait en vue celui qui, à la façon d'un modeleur de cire, fabriqua notre corps » (Timée 74 c) ; p. 123 (Timée 36 e) : « Ce dernier passa à l'assemblage de tout ce qu'il y a de matériel à l'intérieur de cette âme » ; voir aussi Timée 74 c, 28 c, 33 b, 30 b, 33 d, 76 e. CHAMBRY Emile, Platon ProtagorasEuthydème-Gorgias-Ménexène-Ménon-Cratyle, Paris, GF Flammarion, 1967, p. 401 (Cratyle 389 c). Op. cit., pp. 482-483 (La République, X, 596 c).

17 Op. cit., p. 261 (Gorgias 507 e). BRISSON Luc, Platon Phèdre, Paris, Flammarion, 2004, pp. 117-118 (Phèdre 245 e- 246 c). Op. cit., p. 118 (Le Politique 269 d). MAROUANI Ahmed, Dieu, la nature et l'homme dans les derniers dialogues de Platon, Thèse pour le Doctorat de philosophie sous la direction de MATTEI Jean- François, Université de Nice Sophia-Antipolis, faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, 2001, p. 218.

18 Op. cit., p.146 (Timée 48 b), p. 156-157 (Timée 54 d- 55 b) et p. 247.

intellectuelle et esthétique du démiurge --, et il faut enfin introduire une intelligence qui anime la matière -- l'âme du monde19 --. Ce sont ces étapes que nous allons évoquer dans ce chapitre.

Avant la démiurgie, l'univers existait, le réceptacle (khôra ou chôra, ýëç) était là, les Idées planaient dans un lieu supra céleste, mais un chaos total régnait. Khôra est par conséquent en deçà de l'origine, elle est une errance, privée de logique et de discours qui pourrait la raconter, elle est sans signification ni valeur. De plus, elle n'engendre rien de sensible ou d'intelligible, elle n'est qu'un lieu de réception. Elle est pourtant douée d'un mouvement qui lui est propre, qui est source de résistance à la volonté démiurgique et qui la rend rebelle à la perfection des Idées20. Elle contraint le démiurge, de sorte qu'il organise tout ce qu'il y a de visible de manière à ce qu'il n'y ait rien d'imparfait, mais seulement « dans la mesure du possible », précise Platon régulièrement21. Ceci signifie que le démiurge n'a pas un pouvoir absolu, puisqu'il est limité par le milieu spatial, par le modèle des formes intelligibles et par la nécessité. Il résulte de la résistance de Khôra au savoir une part d'indétermination qui se retrouve dans ce qui devient toujours, c'est-à-dire dans le monde sensible. Cette limitation s'exprime dans le sensible, associé au devenir, lequel s'oppose au savoir total qui est toujours.

Le démiurge commence donc par fondre les alliages avant de constituer l'âme cosmique : « Entre l'être indivisible et qui reste toujours le même et l'Etre divisible qui devient dans les corps, il forma par un mélange des deux premiers une troisième sorte d'Etre ; et de nouveau en ce qui concerne le Même et l'Autre, il forma un composé tenant le milieu entre ce qu'il y a en eux d'indivisé et ce qu'il de divisible dans les corps ; et, prenant ces trois ingrédients, il forma de la même façon par un mélange, où ils entrainent tous, une seule réalité, en unissant harmonieusement par force la nature de l'Autre, rebelle au mélange, au Même, et en les mêlant à l'Etre, formant une unité à partir de ces trois choses22 ». L'âme est composée par les mêmes éléments que les autres réalités, c'est-à-dire par l'Etre, le Même (tauton, ç~ýçüí) et l'Autre (thatéron, èÜçåðïí). Le premier mélange se fait entre l'être divisible et l'être indivisible, entre le Même divisible et le Même indivisible, entre l'Autre divisible et l'Autre indivisible. Le second mélange se fait à partir du résultat du premier mélange, autrement dit

19 Voir Chapitre I, 3, a, p. 23.

20 DERRIDA Jacques, Khôra, Paris, Editions Galilée, 1993.

21 Exemples lisibles de cette restriction dans Timée en 32 b, 37 d, 38 c, 42 e, 53 b, 65 c, 71 d, 89 d.

22 Ibid., p. 124 (Timée 35 a).

entre l'Etre intermédiaire, le Même intermédiaire et l'Autre intermédiaire. Le résultat de ces mélanges est l'âme du monde23.

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