IV-3 Les causes liées à la persistance de
la pratique.
Malgré les actions des personnes et structures pour
éradiquer le rejet et l'élimination des enfants nés en
contradiction avec les normes sociales, la crainte des enfants sorciers
persiste à Bori et reste vivace dans les mentalités. Elle se
manifeste aussi dans la vie quotidienne des populations.
La recherche sur le terrain et l'analyse des actions des ONG
qui luttent contre la pratique nous ont permis d'identifier les principales
causes liées à la persistance de la croyance.
Pour nombre de personnes, c'est l'analphabétisme qui
est la principale cause de la persistance de la pratique avec ses corollaires
de croyance aveugle en la tradition et d'attachement obstiné à la
coutume.
Les principales causes révélées par
l'étude sur le terrain sont les suivantes :
- fort taux d'analphabétisme ;
- croyance en des forces surnaturelles ;
- non urbanisation de la localité ;
- pratique fortement ancrée dans les
mentalités ;
- méconnaissance d'autres réalités par
les populations ;
- ignorance ;
- incapacité d'expliquer des phénomènes
extraordinaires ;
- pression sociale sur les jeunes couples ;
- indiscrétion des couples ;
- Les populations n'ont pas la preuve de
l'invulnérabilité des enfants sorciers.
A ces causes s'ajoutent les faiblesses décelées
dans les actions des structures :
- les ONG ne sont pas décentralisées ;
- les cibles ne sont pas clairement définies ;
- les actions sont globalisantes ;
- aucune action directe n'est faite vers les jeunes notamment
les élèves ;
- les enseignants ne sont pas impliqués dans la
lutte ;
- les canaux traditionnels de communication ne sont pas
exploités dans la lutte contre la pratique ;
- l'inexistence de partenariat avec les autres structures qui
interviennent à Bori ;
- les actions de sensibilisation sont sporadiques ;
- l'insuffisance des moyens financiers, matériels et
humains ;
- les messages ne sont pas concrets ;
- l'inexistence de matériels éducatifs pour la
sensibilisation ;
- la non utilisation des supports matériels au cours
des séances de sensibilisation.
IV- 4- Fondement de la pratique
L'homme est sûr de l'avènement d'un fait dans sa
vie : sa mort. Cette évidence est ce qui lui fait le plus peur et
son attente crée une profonde anxiété. Paradoxalement
à l'évidence de la mort, la chose à laquelle l'être
humain tient le plus est sa vie. Pour la préserver, il est capable de
tout. S'il lui était possible de la prolonger, sans aucune
hésitation il le ferait. Aussi, est-il capable, pour préserver sa
vie, d'arracher celle de son semblable si la vie de ce dernier menace la
sienne. Les juristes parlent de légitime défense.
C'est pareil en milieu baatonu. L'infanticide rituel est
perçu comme de la légitime défense. C'est en termes
clairs, une élimination préventive. En effet, la plupart des
personnes interrogées, mêmes celles qui luttent contre la
pratique, affirment que c'est dans le souci de préserver des vies
innocentes que les enfants sorciers sont éliminés ou
rejetés. Les tenants de cette pratique croient être en face d'un
dilemme : soit c'est l'enfant dit sorcier qui passe, soit c'est eux. Le
choix est donc très facile à faire. Cette réflexion du
vieux Doko Boumba Kora, l'une des premières personnes à
commencer la lutte à N'DALI est plus qu'édifiante :
« Quand l'on vous assure que le bébé
qui est né avec les caractéristiques d'un enfant sorcier porte
toujours malheur, est-ce que vous avez le choix ? Dans la famille, vous
êtes 20 par exemple. Quand le bébé sorcier naît, on
vous assure que, si vous le laissez en vie sans rien faire, il est capable de
tuer 10 membres de la famille. Si ce `'mangeur d'homme'' tue 10 des
vôtres et vous mettez encore un autre enfant sorcier au monde et qu'il
mange le reste, qu'est-ce qui restera de votre famille ? Est-ce que vous
allez attendre d'avoir la preuve que cet enfant est sorcier avant d'agir ?
Et s'il commençait par vous ? »
Pour la quiétude du clan, il ne faut pas se poser de
questions. Puisque rien ne rassure les membres de la communauté du
caractère inoffensif du bébé, ils se rassurent en
procédant soit à son élimination physique, soit à
son rejet, en l'abandonnant loin du clan. Ainsi tout le monde retrouve la paix
de l'âme. Par ailleurs, les hommes ont plusieurs femmes et plusieurs
enfants. Un de plus ou un de moins, cela ne semble pas avoir vraiment
d'importance. L'essentiel c'est que le clan vive en paix.
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