I.2.2- L'ÉVOLUTION DES
POLITIQUES AGRICOLE VS LA RÉALITÉ DU DÉVELOPPEMENT
RURAL7(*)
Nous passerons très rapidement sur les premières
décennies qui conduiront au début de l'effondrement marqué
par l'ajustement structurel, imposé par les institutions
financières internationales de Brettons Wood à des Etats au bord
du dépôt de bilan.
A l'avènement de la République et de l'autonomie
interne, en 1958, le Sénégal se tourne brièvement vers des
options socialistes (c'est la période des coopératives et de
l'animation rurale), mais dès 1964, le virage vers des politiques
productivistes est pris. Nous le résumerons à travers
l'importance accordée aux transferts de technologies, à
l'encadrement des producteurs agricoles et l'administration des populations
rurales.
Il s'agit plus d'un modèle d'économie
administrée que d'une véritable libéralisation de
l'économie. C'est la période de gloire des Offices nationaux et
des Sociétés Régionales de Développement Agricole
(contrôlés par l'Etat), mais aussi des écoles de formation
agricole qui tournent à plein régime pour fournir les bataillons
nécessaires à l'encadrement des producteurs, sans se soucier de
leur devenir, puisque leur intégration au sein de la Fonction Publique
est automatique.
Tout ce dispositif finira par coûter trop cher aux
finances publiques et, les comptes de la nation se dégradant, conduira
en 1979 aux portes de l'ajustement structurel qui, de l'avis de nombreux
observateurs, n'est toujours pas terminé aujourd'hui.
Pour le secteur agricole, cet ajustement conduira à
l'élaboration du Programme d'Ajustement Structurel du
Secteur Agricole (PASA), qui consista essentiellement à
supprimer les Offices et sociétés de développement
étatiques, sans vraiment proposer d'alternatives : du jour au
lendemain, les paysans se retrouvent sans interlocuteurs ni techniciens, et
éprouvent les plus grandes difficultés à s'approvisionner
en intrants.
Le Programme d'Investissement pour le Secteur
Agricole en sera la suite logique mais tardive ; le mal est
fait, mais surtout sa traduction opérationnelle sur le terrain mettra
des années à se mettre en place (les premiers programmes et ou
projets viennent seulement de s'achever en 2005).
L'évaluation du Programme National de
Vulgarisation Agricole (1990 - 1995) n'est guère
réjouissante : elle pointe du doigt i)une approche
thématique ne tenant pas compte des préoccupations des
producteurs dans le cadre de leurs systèmes de production, ii) un faible
taux de couverture malgré un dispositif lourd et iii) la faible
implication des Organisations de Producteurs dans la définition des
programmes.
En 1995, la Lettre de Politique de
Développement Agricole se veut un cadre pour asseoir de
nouvelles orientations en vue de corriger les dysfonctionnements
constatés dans les précédentes politiques, de saisir les
opportunités offertes par le changement de parité du FCFA
(dévaluation de 100% en 1993) et d'impulser une dynamique de croissance
dans le secteur agricole.
Elle redéfinit les missions de services publics du
Ministère de l'Agriculture en distinguant celles qui sont
régulièrement dévolues à l'Etat, telles que la
définition des politiques et stratégies agricoles au niveau
national et leur traduction au niveau régional, la recherche agricole,
la vulgarisation et la formation de base, la police et le contrôle pour
l'application des lois et règlements ou encore la collecte et la
diffusion de l'information (statistiques) et enfin les actions
préventives et curatives face aux risques majeurs et aux
calamités naturelles.
Toutes les autres missions sont transférées aux
acteurs non étatiques du monde rural, telles que l'animation et la
structuration du monde rural, l'assistance technique et la diffusion des
technologies et la participation des plus démunis ( jeunes, femmes et
petits producteurs )
Le Document d'orientations stratégiques
(DOS)
Lors de la réunion du Groupe consultatif des bailleurs
de fonds sur le Sénégal d'avril 1998, le Gouvernement a
présenté le Document d'orientations stratégiques pour le
secteur (DOS) et s'est engagé à établir les conditions de
réalisation d'une croissance soutenue du secteur agricole sur la base
d'un renforcement de la capacité du secteur à améliorer sa
productivité et sa compétitivité. Ce document a pour
objectif essentiel de relancer le secteur agricole après l'ajustement
intervenu au niveau des différentes filières.
Les composantes majeures du DOS sont :
i) le renforcement des capacités des collectivités
locales et des organisations paysannes;
ii) le développement de l'investissement privé;
iii) la mise en place de services agricoles (recherche,
vulgarisation, formation, structures techniques d'encadrement) adaptés
au contexte de régionalisation et de partenariat avec les organismes
socioprofessionnels;
iv) la mise en place des infrastructures en milieu rural.
La Lettre de Politique de Développement
Institutionnel du secteur agricole ( 1999)
Elle vient confirmer les orientations fixées par la
LPDA, en affirmant que la politique de l'Etat privilégiera trois
axes :
- n renforcer la capacité des organisations paysannes pour qu'elles
soient en mesure de jouer un rôle effectif dans la concertation avec les
autres acteurs du monde rural en vue de la prise en charge des activités
de développement.
- n promouvoir un secteur privé agricole renforcé,
- n renforcer les capacités des services étatiques
recentrés sur leurs missions de services publics, et améliorer
leur efficacité en les rendant comptables de résultats devant les
utilisateurs. »
Elle reconnaît que les Organisations de
Producteurs sont devenues des interlocuteurs crédibles et que le
processus de décentralisation habilite progressivement les
collectivités locales dans la prise en charge de la gestion de leurs
ressources et leur développement économique et social.
Il n'est pas exagéré d'affirmer que cette LPDI
constitue l'annexe principale de l'accord de crédit signé avec la
Banque Mondiale pour le financement du Programme des Services Agricoles et
d'Appui aux Organisations de Producteurs (PSAOP, dont la seconde phase devrait
démarrer dans les prochaines semaines).
Elle constitue aujourd'hui le « socle
politique » sur lequel s'appuient tous les acteurs en ce sens qu'elle
reconnaît le rôle dominant de l'agriculture paysanne multi
fonctionnelle à travers des exploitations familiales polyvalentes. Elle
aborde et officialise également, et c'est une première, la
modernisation irréversible des systèmes de production, et la
nécessité de rendre durables les systèmes de production en
tenant compte de la préservation des ressources naturelles.
Cette même année 1999, la Lettre de
Politique de Développement Rural
Décentralisé s'est focalisée sur des
objectifs stratégiques, plaçant les populations rurales au centre
du processus de développement rural au niveau local. Ces populations
doivent être les promotrices et maîtresses d'ouvrage, par le biais
de leurs institutions décentralisées (Conseil rural) et de leurs
structures associatives, dans le cadre d'un partenariat effectif avec
l'administration du territoire et les services déconcentrés de
l'État.
L'objet de la LPDRD est de permettre aux populations
d'accéder efficacement aux services sociaux essentiels et aux
infrastructures de base avec comme conséquences des indicateurs de
développement humain améliorés et le désenclavement
total de toutes les Communautés rurales (CR) du pays. Elle met l'accent
aussi sur une gestion durable des ressources naturelles qui sont à la
base des activités de production à travers une meilleure
maîtrise des systèmes de production.
Le principe retenu dans la LPDRD de co-gestion et de partage
des coûts de réalisation et de maintenance des infrastructures
socio-économiques entre l'État et les collectivités
décentralisées a connu un début de mise en oeuvre avec le
Programme national des infrastructures rurales (PNIR), et le Programme de
soutien aux initiatives de développement local (PSIDEL). Cette mise en
oeuvre se poursuit avec la toute récente fusion du PNIR et de l'Agence
du Fonds de Développement Social, au sein d'un programme très
ambitieux de plus de 100 milliards de FCFA (Programme National de
Développement Local).
L'objectif premier de la LPDRD est de consolider le partage du
processus de gestion du secteur agricole avec l'ensemble des partenaires de
l'État sur la base d'un système de concertation, de participation
dans les prises de décisions dans la conception, l'élaboration et
la mise en oeuvre des politiques de développement agricole.
La Stratégie Nationale de Formation Agricole et
Rurale (SNFAR)
A la même époque, une réflexion
engagée en 1998 va aboutir à la validation en juin 1999, lors
d'un atelier national réunissant 120 acteurs de la formation agricole et
rurale, d'un document de référence intitulé :
« Former les acteurs d'une nouvelle économie agricole et
rurale - Orientations et stratégies de formation à l'horizon
2015 ».
Cet exercice a été suivi et encouragé par
les différents ministères concernés jusqu'à la
concrétisation de ce document, qui sert aujourd'hui de
référence. Son contenu est organisé autour d'une triple
analyse historique, diagnostique, et prospective, qui propose le choix de la
modernisation de l'agriculture paysanne face à la tentation d'une
agriculture sans paysan. Ce choix permet d'esquisser un ensemble
cohérent de politiques inclusives en faveur d'un développement
agricole et rural durable.
A partir des constats mis en évidence, le document pose
la problématique en ces termes :
« La Formation Agricole et Rurale doit avoir pour
priorité la modernisation de l'agriculture familiale, l'émergence
d'une véritable économie rurale et leur intégration dans
une économie nationale et internationale ouverte. Elle doit appuyer
aussi le développement d'une agriculture intensive à base de
capitaux. »
Quatre grandes orientations et les stratégies
d'intervention ont été définies à partir
de ces nouvelles missions et priorités :
- n * Généraliser en milieu rural l'éducation de base
et assurer à tous les ruraux l'accès à
l'alphabétisation
- n * Répondre aux besoins de formation professionnelle des ruraux
dans tous les domaines.
- n * Renforcer, adapter et mieux articuler les formations secondaires et
supérieures entre elles et avec celles destinées aux ruraux.
- n * Réguler l'ensemble des institutions publiques et privées
de formation agricole et rurale.
Nous terminerons logiquement ce tour d'horizon des politiques
agricoles par la Loi d'Orientation Agro-Sylvo-Pastorale
(LOASP) dont l'esprit a été guidé par les
documents de politique qui l'ont précédé.
La loi d'orientation, aux ambitions très (trop ?)
vastes, a le principal mérite d'inclure dans la législation du
Sénégal des notions fondamentales telles que la
nécessité d'accompagner le développement de l'exploitation
familiale, la nécessaire reconnaissance des métiers de
l'agriculture, ainsi que le statut des Organisations Professionnelles,
désormais habilitées de par la Loi à prendre part à
la définition, à la mise en oeuvre et au contrôle des
politiques agricoles.
Dans un soucis d'exhaustivité, nous signalerons
également les lois de décentralisation de 19968(*), transférant aux
collectivités locales neuf domaines de compétence ; la Loi
n° 96-07, dans son Titre second, liste ainsi les responsabilités de
la Région, de la Commune, et de la Communauté Rurale pour chacun
des quatre volets suivants : l'éducation, l'alphabétisation,
la promotion des langues nationales et la formation professionnelle.
Si les orientations reflétées par
l'évolution des politiques agricoles vont dans le même sens, ce
qui est plutôt encourageant, il n'en reste pas moins que le
décalage est profond avec la réalité quotidienne
vécue par les « producteurs » et les autres
ruraux.
Les intentions sont louables et l'Etat, sous la pression des
autres acteurs (notamment les Organisations Professionnelles et les Partenaires
au développement), a admis qu'il ne peut plus être le seul
maître à bord.
Au quotidien, subsistent cependant des velléités
de toute puissance héritées d'un long passé
d'administration de l'agriculture, mais subsistent surtout des lacunes dans la
gestion des filières (quasi absence d'interprofessions), ou même
dans la réorganisation des circuits d'approvisionnement en intrants et
de collectes des produits.
Là ou l'Etat a dû se désengager, qui
concerne des aspects éminemment stratégiques tels que les
semences, la mise à disposition d'engrais au bon moment, le secteur
privé peine à s'implanter : il semble plus exact d'affirmer
qu'il n'en manifeste pas l'envie, du fait de conditions assez peu favorables
(atomisation de la demande, besoins formulés au dernier moment en raison
de trésoreries fragiles, concurrence de produits subventionnés
par l'Etat épisodiquement, par exemple dans le cadre de programmes
spéciaux de relance d'une culture).
Enfin, dans les domaines de la formation et du conseil
agricole, l'expression de la demande est encore largement conditionnée
par l'offre de services, souvent plus proche de l'organisme financeur que le
demandeur lui-même.
Même dans les cas où les producteurs, via leurs
organisations représentatives, sont réellement les commanditaires
des actions de renforcement de capacités qu'ils sollicitent,
l'expérience montre que l'absence de dispositif devant accompagner une
réelle construction de la demande de services n'a pas permis de faire en
sorte que les actions déroulées s'écartent des sentiers
battus9(*) :
- n aux femmes les thèmes récurrents de fabrication de savon
ou de teinture et tricot ;
- n aux hommes, l'embouche bovine et le maraîchage, quelque soit la
région considérée.
* 7 source : Jacques
Faye. « Evolution et impact des politiques agricoles de 1960
à 2005 » - Forum sur l'arachide au CNCR - 7 et 8
décembre 2005 à Dakar
* 8 Loi n° 96-06 du 22
mars 1996, portant Code des Collectivités locales, et Loi 96-07 du
22/03/1996, portant transfert de compétences aux régions, aux
communes et aux communautés rurales.
* 9 Source : Rapport
d'achèvement de la première phase du programme PSAOP
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