I.3- LES DÉFIS
À RELEVER POUR LES QUINZE PROCHAINES ANNÉES : DES ENJEUX
MAJEURS POUR LA FORMATION
Le Bureau de la Formation Professionnelle Agricole a
demandé en octobre 2004 à Pierre Debouvry, consultant
indépendant, de réaliser une
étude
destinée à mettre en lumière les enjeux auxquels le
Sénégal sera confronté au cours des vingt prochaines
années12(*). Il s'agissait pour nous de disposer d'arguments
forts pour convaincre les Pouvoirs Publics d'investir massivement dans le sous
secteur de la formation, pour relever ces défis posés.
La compréhension de cette étude peut se limiter
à la lecture d'une quinzaine de graphiques, proposés en annexe,
qui se suffisent à eux-mêmes. Ils sont basés sur les
données officielles disponibles. Ces enjeux sont quintuples, et peuvent
se décliner comme suit :
Transition démographique
Education Pour Tous
Productivité du secteur agricole et
préservation de la fertilité
Insertion socioprofessionnelle des cohortes de jeunes
Emigration, exode rural et entretien de l'espace
rural.
Dans ce paragraphe, nous nous appuierons essentiellement sur
ces travaux pour montrer l'ampleur des défis à relever, et pour
lesquels la formation agricole et rurale pourrait être un levier puissant
pour faire évoluer plus favorablement la situation d'ensemble, en
développement les capacités des ressources humaines du secteur
rural, et en permettant à une partie des jeunes ruraux d'être
mieux armés pour s'insérer à la ville.
Résumées très brièvement, les
projections faites à partir des tendances démographiques du
Sénégal révèlent un Sénégal autour de
17 millions d'habitants en 2025 (contre 11 aujourd'hui, et 3 millions en 1960).
Cette prévision est plausible, même si la fécondité
diminue, ne serait-ce qu'en raison du nombre croissant de femmes en âge
de procréer. Elle se traduit par une urbanisation galopante et
l'inversion du ratio urbains/ruraux ; nous allons passer de 1 urbain pour
7.75 ruraux en 1930, à 1 urbain pour 0.8 ruraux en 2025.
Cela pose le problème de la productivité du
travail dans le secteur agricole, et signifie en principe que chaque rural
devrait produire dix fois plus de denrées pour alimenter les villes.
Malgré l'exode rural, la population rurale va encore
continuer d'augmenter, certes plus lentement que la population urbaine, mais la
densité rurale est déjà telle que cela va encore
accroître considérablement la pression sur le foncier : de 40
habitants au km² en 1960, il est prévu d'atteindre 110
habitants/km² en 2020.
Cette pression risque de se traduire, en l'état actuel
des choses, par une dégradation continue de la fertilité des sols
et des parcours, et plus largement une dégradation de l'ensemble des
ressources naturelles qui risque de s'accélérer (halieutiques,
forêts, salinisation des sols, appauvrissement de la biodiversité
et disparition des jachères).
Face à ce constat démographique,
l'évolution de la sécurité alimentaire paraît
problématique ; en effet, les productions agricoles,
vivrières ou d'export, progressent peu depuis 40 ans tandis que les
importations céréalières
« explosent » ; elles ont déjà
décuplé entre 1960 et 2003, jusqu'à friser le million de
tonnes. On notera d'ailleurs qu'au delà de l'augmentation de la
population, ce décuplement est largement dû aux transformations
des habitudes alimentaires puisque on est passé de 30 kg de
céréales importées par habitant ( 1960), à plus de
90 kg/tête en 2003.
La répartition des emplois et auto emplois au plan
national indique par ailleurs que le secteur formel (public et privé) ne
« pèse » que 8 % du total des actifs, tandis que le
secteur rural massivement situé dans l'« informel »
représente 64 % de l'ensemble.
C'est donc pour l'essentiel dans ce secteur
d'activités, qu'on le veuille ou non, que trouveront à
s'insérer chaque année l'essentiel des 360 000 jeunes de la
tranche 15 - 24 ans (effectifs correspondant au 1/10ème de la tranche
15-24 ans).
La combinaison des tendances démographiques, et de la
volonté d'atteindre rapidement l'Education Pour Tous, vont
entraîner un doublement des cohortes à scolariser entre 1990 et
2030, et un triplement des jeunes à insérer sur le marché
du travail pour la même période. Les jeunes qui arrivent en
terminale ne représentent que 7 % des cohortes scolarisées ;
ils constituent donc de fait une élite ; malgré tout,
certains établissements de formation agricole au niveau technicien
espèrent toujours recycler leurs programmes classiques pour permettre
à cette élite de s'installer sur des exploitations agricoles.
Sur cette base, les exclus du système sont les suivants
: accès en Cours d'Initiation : 262 319 (hors redoublement),
accès en CM2 : 126 266 ; accès en 6ème : 64 483
jeunes.
De fait, La très grande majorité des futurs
chefs d'exploitation aura au mieux un niveau voisin du Certificat de Fin
d'Etudes Primaires, et c'est à eux que doit s'adresser prioritairement
le dispositif global de formation, ce qui n'a jamais été fait
auparavant. La majorité de ceux-ci s'insèrent par un processus de
dévolution de l'exploitation paternelle largement enraciné
socialement, à la différence des expériences malheureuses
d'installation de jeunes diplômés bacheliers, transplantés
avec un pécule de départ dans un milieu qu'ils ne connaissent pas
ou dont leur trajectoire scolaire les a coupé.
Au Sénégal, les processus de dévolution
entre les générations, sur la base d'un total de 450 000
exploitations familiales, concernent donc environ 15 000 jeunes (parfois
âgés de 40 ans). Une action systématique dans leur
direction ne pourra donc se concevoir sous les formes existantes actuellement
(formation à plein temps, longue et diplômante), dans la mesure
où le total des établissements concernés se
caractérise par des flux annuels de l'ordre de la centaine seulement.
Pour restaurer les missions premières assignées
au secteur agricole, la formation de masse pour engendrer un impact
significatif sur la productivité d'ensemble s'apparente à ne
obligation impérieuse ; cette condition n'est toutefois pas
suffisante, car l'amélioration de l'environnement de la production et
des services sociaux en milieu rural conditionnera en grande partie la
capacité d'absorption des jeunes à insérer dans la vie
active, en milieu rural.
C'est bien ce dernier point que mettent en avant les candidats
à l'émigration, qui ne veulent ni du type de travail ni des
conditions de vie qu'ils ont fui en quittant leurs villages.
C'est bien la stabilité politique et la cohésion
sociale qui sont en jeu pour les prochaines années.
* 12
http://www.senswiss-far.org/part/bfpa/ter/debouvry1_far.pdf
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