INTRODUCTION
La construction progressive d'un dispositif
cohérent et articulé de formation agricole : une
impérieuse et incontournable nécessité
De très majoritairement rurale, la
société sénégalaise est passée en quelques
décennies à une urbanisation exacerbée, largement
alimentée par l'exode rural et l'attrait de l'activité
économique foisonnante de la capitale, Dakar.
Depuis 2004 en effet, la population urbaine représente
désormais 51 % de la population totale, et cette proportion va encore
croître, nous y reviendrons.
Cependant, à la différence de pays comme la
France, qui a aussi connu ce basculement rural-urbain, le Sénégal
ne peut compter sur un secteur secondaire développé et en
expansion pour absorber les flux de main d'oeuvre issus de l'exode rural.
L'activité économique, qui se situe massivement
dans « l'informel » (à plus de 90%), n'offre aucune
garantie aux plus exposés, c'est à dire à ceux qui n'ont
que leur seule force de travail pour faire vivre leur famille ; les
diplômés, y compris du Supérieur, ne sont guère
logés à meilleure enseigne étant donné
l'étroitesse du marché de l'emploi relatif au secteur formel (le
seul qui permette de valoriser un niveau de formation certifié).
Il est difficile dans ces conditions de se construire un
avenir, et pire même : de l'imaginer.
On en mesure mieux aujourd'hui la conséquence la plus
visible et la plus médiatisée ; il s'agit du
phénomène des « pirogues-people », né
immédiatement après les évènements tragiques qui se
sont produits dans les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, en 2005, et
dont l'ampleur n'a fait que révéler crûment une
émigration moins visible mais croissante jusqu'à cette date.
Ce phénomène, qui révèle
l'état de désespérance des jeunes, prêts à
affronter la mort pour une hypothétique clandestinité dans des
pays qu'ils ne connaissent le plus souvent que par la télévision,
semble vouloir être combattu par les plus hautes autorités de
l'Etat depuis mi 2006.
Celles-ci misent beaucoup sur un plan de retour vers
l'agriculture, destiné aux clandestins rapatriés au
Sénégal, mais aussi à tous ceux qui sont tentés par
l'émigration.
Toutefois, au vu des conditions de vie peu enviables du
paysannat, les jeunes ont largement fait savoir que leurs ambitions
étaient toutes autres.
La question est donc : comment faire pour
améliorer l'attractivité des métiers de l'agriculture,
tant sur le plan de la réduction de la pénibilité des
travaux, que sur celui d'une rémunération plus décente du
travail ?
Un rapide survol du développement rural, au cours des
cent dernières années, nous renseigne sur les leviers qui ont
été actionnés pour faire décoller le secteur
agricole ; ils ont pour noms culture attelée, encadrement et
vulgarisation de nouvelles technologies, aménagements hydro agricoles,
semences améliorées, intégration verticale de
filières destinées à l'exportation, telle l'arachide.
Pour l'essentiel, la formation n'a concerné que les
seuls agents d'encadrement et les cadres techniques de l'Etat, ce qui a pu
apparaître logique dans une agriculture administrée, la seule qui
intéressait véritablement les décideurs.
Les quelques tentatives d'expérimentation de formation
à l'intention des agriculteurs ont toutes tourné court, du fait
de financements non pérennes, et du désintérêt
manifeste des principaux bénéficiaires visés.
Ceux ci se sont très vite rendus compte que les
formations proposées (et les formateurs avec) méconnaissaient
largement les contraintes de leur propre réalité au quotidien, et
ne s'attachaient qu'à transférer des techniques importées
d'ailleurs, qu'eux-mêmes n'avaient pas les possibilités
financières de mettre en pratique. Sans en connaître le nom, ces
paysans touchaient déjà du doigt ce qui s'apparente à une
injection paradoxale.
Nous sommes tentés de résumer tout ceci en
soulignant que le développement rural, sous sa forme la plus
institutionnelle, s'est focalisé sur l'augmentation de la production, en
oubliant de s'intéresser à l'amélioration de la
productivité de l'agriculture, et plus encore à la
productivité des exploitations agricoles, dans une optique de
durabilité et d'amélioration des systèmes de
production.
C'est ainsi que cette agriculture « de
cueillette », au sens ou il s'agit prioritairement de cueillir
à moindre coût la fertilité des ressources naturelles, a
laissé de côté le développement humain (au sens de
capital humain). Une expression couramment répandue permet de
déceler cet état de fait : si ailleurs on parle de paysans,
de cultivateurs ou d'éleveurs, d'agriculteurs, ici le vocable le plus
utilisé est sans conteste celui de producteurs : un producteur doit
...produire, c'est sa principale raison d'être !
Ce faisant, on oublie un peu vite qu'un producteur ne peut se
contenter de produire : il doit anticiper sur ses futures
spéculations, en fonction du marché, des aléas
climatiques, il doit évidemment vendre sa production, combiner au mieux
les facteurs de production à sa disposition pour, si possible, vivre du
fruit de son travail. Il doit enfin, si les conditions requises sont
réunies, essayer de développer son exploitation, pour en vivre de
mieux en mieux et satisfaire durablement les besoins de la famille.
Bien sûr, appliquée de façon solitaire, la
solution Formation ne peut seule laisser espérer des gains significatifs
de productivité, et à travers eux, une attractivité
nouvelle des métiers de l'agriculture.
En revanche, nous savons désormais que le
déploiement d'un dispositif de mesures de relance du secteur, qui ferait
l'impasse sur ce levier privilégié pour obtenir des changements,
est par avance condamné et donc doublement coûteux.
La prise de conscience tardive, au plan international, du
caractère indispensable et prioritaire d'une Education Pour Tous, va
dans ce sens ; c'est désormais fort heureusement une des toutes
premières priorités, mais elle ne saurait à notre sens se
suffire à elle-même.
Comment ces Etats, très jeunes et économiquement
fragiles, pourront-ils gérer demain les résultats du processus
EPT ?
Ce sont des cohortes de plusieurs centaines de milliers de
jeunes instruits et diplômés qui exigeront impatiemment des
emplois qualifiés et rémunérés en
conséquence, qui n'existent pas aujourd'hui à cette
échelle.
Pour le Sénégal, comme pour ses voisins, il est
difficile d'imaginer comment la structure actuelle de l'emploi salarié
formel pourrait évoluer pour être à même d'y faire
face dans les quinze années à venir.
Sans rejeter à priori les marges de progrès
afférentes à cette frange de l'économie nationale, il
semble pour le moins réaliste et urgent se s'attacher à mettre en
place des conditions plus favorables aux initiatives individuelles,
créatrices d'auto emplois notamment en milieu rural, qui concentre en
2005 plus des deux tiers de l'ensemble emplois et auto-emplois.
Ainsi, en partant de la finalité recherchée,
à savoir des acteurs économiques qui ont envie d'investir et de
s'investir dans une activité en milieu rural, nous proposons de
« remonter la chaîne des logiques à
l'oeuvre », de la façon suivante :
- n Le volume de cette insertion professionnelle « de
masse » dépendra exclusivement de l'attractivité
économique de ces métiers ;
- n Cette attractivité repose pour l'essentiel sur la
rentabilité et la productivité de ces activités ;
- n Les revenus escomptés, dans un contexte de raréfaction des
ressources naturelles disponibles (parcours, terres arables,
pluviométrie, etc.), dépendront des performances, lesquelles
peuvent être mises en parallèle des capacités des agents
économiques ;
- n Ces capacités ne pourront se développer et se renforcer
qu'à partir d'un socle minimal d'éducation de base,
complété par une formation professionnelle plurielle, permettant
de valoriser les résultats de la recherche, l'appui conseil
apporté ainsi que l'information disponible.
A la suite de ces constats, nous nous attacherons à
étudier comment la formation devrait être imaginée pour en
espérer des résultats tangibles : quelles sont les
modalités de définition et de mise en oeuvre les mieux à
mêmes d'en garantir l'efficacité ?
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