formulation et amelioration de l'hypothèse
Gilbert chercher à trouver les conditions qui
entourent un usage pleinement approprié du pronom «nous». Dans
cette optique, elle commente ainsi les exemples précédents :
« Nous avons vu qu'il y avait matière à
considérer comme inapproprié un usage de «nous» dans
les questions de la forme «Et si nous faisions ceci
ensemble ?» lorsque les personnes concernées n'avaient pas
préalablement manifesté leur disposition à faire
ceci ensemble. C'est pourquoi nous devons maintenant examiner cette
hypothèse : que le plein usage approprié du pronom Nous
dans «Et si nous faisions A ?» requiert que chacune des personnes
concernées ait en effet exprimée aux autres sa volonté de
faire A avec eux. » Cette hypothèse trouve son
énonciation formelle en H1 :
H1 : Le pronom «nous» dans «Et si nous
faisions A ?» fait l'objet d'un usage pleinement approprié par
X vis-à-vis de X, Y et Z si et seulement si X, Y et Z ont respectivement
manifesté la volonté de partager une action.
Cette hypothèse manifeste l'idée selon laquelle
la simple manifestation de la volonté de participer conjointement
à des actions assure la légitimité de l'usage de
«nous». Autrement dit, un groupe social existerait en tant que tel
à partir du moment où les individus concernés auraient
manifesté leur volonté de réaliser certaines actions avec
les autres. Une objection vient immédiatement à l'encontre de
cette hypothèse : Imaginons que trois individus ont la
volonté de faire un voyage ensemble mais qu'ils ne l'expriment jamais.
Peut-on dire alors que ces trois personnes constituent un groupe ? Il
semble évident que non. Cette objection conduit à reformuler la
première hypothèse de la manière suivante :
H2 : Le pronom «nous» dans «Et si nous
faisions A ?» fait l'objet d'un usage pleinement approprié par
X vis-à-vis de X, Y et Z si et seulement si X, Y et Z ont respectivement
manifesté la volonté de partager une action et que chacun
est conscient de la volonté des autres de se joindre effectivement au
groupe.
H2 rencontre à son tour une objection : Imaginons
que Bernard sache, par l'intermédiaire de Célia, que Sylvia
aimerait se lier d'amitié avec lui. Si alors Bernard utilisait le pronom
«nous» en s'adressant à Sylvia, son usage devrait encore
être qualifié de tendancieux, car Célia a très bien
pu mentir à Bernard quant à l'intention de Sylvia. Cette
objection conduit à une nouvelle formulation de
l'hypothèse :
H3 : En disant « Et si nous faisions
A ? », X emploie le pronom «nous» dans son sens plein
en référant à lui-même, Y et Z si et seulement si X,
Y et Z possèdent respectivement la volonté de faire A avec les
autres dans les circonstances en question, et si chacun sait que le fait d'agir
ensemble n'a lieu d'être que parce que chacun a directement
exprimé sa volonté auprès des autres.
Gilbert ajoute ici la condition selon laquelle la
volonté doit être directement exprimée afin que la
condition d'authenticité soit satisfaite. En effet, si Bernard
dit «nous» à Sylvia en croyant qu'elle les perçoit
déjà comme un «nous» (car c'est ce que Célia lui
a raconté) alors que ce n'est pas le cas (Célia a menti), alors
l'usage de Bernard est approprié d'un point de vue
épistémique (Bernard est fidèle à sa
croyance) mais il est inapproprié d'un point de vue
sémantique (car la croyance de Bernard est fausse d'un point de
vue objectif). Or il est nécessaire que les conditions associées
à un usage pleinement correct de «nous» soient
réalisées non seulement au niveau de la croyance, mais aussi au
niveau de ce qui est vraiment. Autrement dit, il est nécessaire que les
croyances de Bernard et de Sylvia s'accordent afin qu'un groupe puisse
réellement exister. Ce que Bernard croit que Sylvia croit, Sylvia doit
vraiment le croire. Nous rallons retrouver l'idée qu'abrite cette
condition sémantique dans le concept de « savoir
commun. »
|