les contraintes sémantiques
Avant de parvenir à sa propre formulation des
conditions qui entourent l'usage correct de «nous», Gilbert fait
l'inventaire des contraintes sémantiques que comporte ce pronom. Elles
sont au nombre de quatre :
1) La contrainte de l'auto inclusion : Celui qui dit
«nous» est toujours inclus dans le référent
«nous».
2) La contrainte de la multiplicité :
«nous» désigne toujours plus d'une personne.
3) La contrainte de l'âme animée : Il est
incorrect de dire «nous» en référant à un homme
plus un objet (par exemple, si je disais «nous» en parlant de mon
fauteuil et moi)
4) La contrainte de désignation du
référent : Celui qui dit «nous» doit est capable
de préciser qui il désigne en usant de ce pronom.
Un cinquième point est noté, qui ne concerne pas
à proprement parler une contrainte mais plutôt une
propriété. Il s'agit de la distinction entre le nous inclusif et
le nous exclusif. Certaines langues utilisent deux mots différents selon
que l'emploi du mot «nous» inclut ou exclut la personne à
laquelle s'adresse le locuteur.
les usages incorrects
Aux contraintes sémantiques les plus évidentes
viennent s'ajouter d'autres limites, qui relèvent plus du cas
particulier que des cas généraux. Gilbert envisage ainsi trois
cas qui dénotent un usage incorrect de «nous».
a) Le cas du restaurant : Un groupe de personnes
se retrouve pour dîner après une journée de
conférence. Ces personnes, mis à part les contacts qu'elles ont
pu avoir au cours de la journée, ne se connaissent pas. Deux individus
en particulier, Bernard et Sylvia, n'ont pas encore échangé un
seul mot. Toutefois, le hasard a fait qu'ils se trouvent assis l'un à
côté de l'autre. A la fin du repas, Bernard demande à
Sylvia : «Et si nous prenions ensemble une
pâtisserie ?» Sylvia trouve l'usage du mot «nous» par
Bernard tout à fait incorrect et essaye de le lui faire sentir en
répondant : «Oui, je peux effectivement partager une
pâtisserie avec toi.»
b) Shoot the pianist : Deux étudiantes en
doctorat d'histoire, Maureen et Mary - qui viennent de se rencontrer -
s'accordent lors d'un meeting ayant lieu au département pour prendre en
charge la partie de la bibliothèque consacrée aux revues.
Imaginons alors deux usages du pronom «nous» : Dans un premier
temps, Maureen dit à Mary : «Quand pourrions-nous nous
rencontrer afin de discuter de la situation des revues ?» - Cet usage
paraît tout à fait approprié. Mais dans un second temps,
Maureen dit à Mary : «Et si nous allions voir Shoot the
Pianist ce soir au cinéma ?» - L'usage de
«nous» est alors inapproprié, car si les deux
étudiantes ont conjointement accepté de former un groupe
destiné à prendre en charge les revues à la
bibliothèque, leur engagement ne s'étend pas jusqu'à avoir
des loisirs ensemble. Bien sûr, Mary peut accepter la demande de Maureen,
mais elle peut tout aussi bien la lui reprocher.
c) Shall we dance ? : Lors d'un bal, un homme
s'avance vers une femme qu'il ne connaît pas et lui dit : «Et
si nous allions danser ?». L'usage du pronom «nous» est,
ici encore, incorrect.
Ces trois usages sont incorrects. Au mieux, précise
Gilbert, peut-on les qualifier d'initiateurs. Car, au lieu de
dénoter un groupe déjà existant, ils visent à
créer un groupe nouveau. Pour reprendre le premier exemple,
« si Sylvia accepte ce «nous», son acceptation le rend
approprié, mais seulement après que l'usage de Bernard ait
été inapproprié. »
|