5.7 La culture de la
virtualité réelle prend de plus en plus d'importance :
Elle commence avec l'intégration de la communication
électronique, la fin du public de masse et l'essor des réseaux
interactifs.
La tension entre communication alphabétique
réputée noble et communication sensorielle non
réfléchie nourrit l'hostilité des intellectuels envers la
télévision laquelle domine la critique sociale des mass
médias.
De nos jours se fait l'intégration des différents
modes de communication au sein même d'un réseau interactif.
Pour la première fois, un supertexte et un
métalangage intègrent dans un même système les modes
écrit, oral et audiovisuel de la communication humaine.
Une nouvelle culture s'impose, la culture de la virtualité
réelle.
5.7.1 On passe de la galaxie
Gutenberg à la galaxie MacLuhan par l'essor de la culture des mass
médias :
Dans les deux cas, le public était considéré
comme largement homogène ou susceptible d'être rendu
homogène. La notion de culture de masse émanant de la
société de masse, a été l'expression directe du
système de médias résultant de la mainmise des
gouvernements et des oligopoles privés sur la nouvelle technologie des
communications électroniques.
"La médiocre définition de la
télévision oblige le spectateur à combler les interstices
de l'image, et donc à s'engager avec davantage d'émotion que ce
qu'il voit." (MacLuhan)
Une présence aussi forte qu'omniprésente de sons et
d'images aux messages subliminaux devrait avoir des effets considérables
sur le comportement social. Cependant, les recherches les plus récentes
indiquent le contraire :
"les conclusions répétées de cinquante
années aboutissent à mettre en perspective le cycle historique de
panique morale que suscitent les nouveaux médias".
Le déferlement de messages publicitaires par le biais des
médias semble également avoir une influence limitée.
Umberto Eco propose une perspective éclairante pour interpréter
les effets des médias : "ils existent (...) selon leurs codes culturels
particuliers."
La conséquence de cette analyse est que ce dont nous
sommes certains est surtout transmis par l'éducation. Or si les gens
disposent d'une quelconque autonomie pour déterminer leur comportement,
les messages envoyés par le biais des médias doivent interagir
avec leurs récepteurs ; par conséquent, la notion de mass
média renvoie à un système technologique bien
spécifique et non à une forme de culture, la culture de masse. La
télévision structure le langage de la communication sociale, par
exemple dans le cas des hommes politiques, de la communication politique et du
soutien populaire qu'elle peut leur apporter. Les nouveaux médias
permettent un échange plus direct et plus intense entre les acteurs (ex
: courrier électronique, homme politique, électeur). Leur limite
première semble être le temps que chacun peut y passer, mais les
facultés de stockage et de tri de l'information deviennent
prépondérante voire conditionnent au passage la formalisation
d'une opinion.
En outre si, comme nous le décrit Jean-Marie Cotteret,
jusqu'à présent pour se faire élire, il faut avoir
accès aux médias, être les plus visibles, les plus
apparents, il faut désormais également montrer que l'on domine la
technologie c'est-à-dire les nouveaux médias, et grâce
à elle se rendre encore plus apparent et surtout disponible, au moins en
apparence et cela oblige à quelques résultats pour être
réellement crédibles. L'impact social de la
télévision opère sur un mode binaire : être ou ne
pas être. Dès qu'un message passe à la
télévision, il peut être modifié, transformé,
voire subverti, mais dans une société organisée autour des
communications de masse, les messages extérieurs aux médias ne
sont échangés que dans les réseaux interpersonnels,
disparaissant ainsi de l'univers collectif.
Le prix à payer pour qu'un message passe à la
télévision n'est pas simple affaire d'argent ou de pouvoir : il
faut aussi accepter par avance qu'il soit délivré à
travers un texte multisémantique à la syntaxe fort
relâchée. C'est ainsi que l'information et le spectacle,
l'éducation et la propagande, la détente et l'hypnose
s'interpénètrent dans le langage télévisuel. Comme
le récepteur regarde la télévision dans un contexte
familier qu'il maîtrise, tous les messages se fondent dans le cadre
rassurant du foyer ou du quasi-foyer (tels les bars où se retrouvent les
amateurs de sports, l'un des rares prolongements de la famille qui subsistent
encore ...). Cette normalisation des messages qui fait que telles images
atroces d'une guerre peuvent à la limite être consommées
comme n'importe quelle scène d'un film d'action, a un effet fondamental
: le nivellement de tout contenu. Dans la mesure où ils forment le tissu
symbolique de notre vie, les médias tendent en effet à agir sur
notre conscience et notre comportement à la manière dont
l'expérience réelle agit sur les rêves, en fournissant sa
matière première à notre cerveau. C'est comme si l'univers
des rêves visuels ( l'information - spectacle offert par la
télévision) restituait à notre conscience le pouvoir
choisir, recombiner et interpréter les images et les sons que nous
produisons au travers de nos pratiques collectives ou par nos
préférences personnelles. Les médias sont l'expression de
notre culture et notre culture fonctionne d'abord avec les matériaux
proposés par les médias.
Autre phénomène important, les nouveaux
médias et la diversification du public de masse.
Les gens ont également la possibilité d'enregistrer
les événements de leur propre vie, depuis les grandes vacances
jusqu'aux fêtes familiales, produisant leurs images personnelles
par-delà l'album de photos traditionnel. Quelles que soient ses limites
cette autoproduction est une expérience qui contredit le flux
unilatéral d'images pour valoriser l'expérience vécue et
l'écran.
Par exemple, CNN s'est imposée comme le principal
producteur d'informations dans le monde entier, au point qu'en temps de crise,
dans n'importe quel pays du monde, journalistes et hommes politiques regardent
cette chaîne 24 heures sur 24. Ce qui signifie ici une structuration de
l'information presque en forme de monopole divergent. Notons cependant
l'émergence d'une chaîne arabe (Al-Jazira) à l'occasion des
attentats du onze septembre et de la lutte contre le terrorisme.
Les nouveaux médias mettent en jeu un public
segmenté et différencié qui, bien que massif par le
nombre, n'est plus un public de masse caractérisé par la
simultanéité et l'uniformité du message reçu. Les
nouveaux médias ne sont plus des mass média, ces appareils
spécialisés dans la diffusion d'un nombre limité de
messages à un public de masse homogène. La multiplicité
des messages et des sources rend le public lui-même plus sélectif.
Le public ciblé tend à choisir ses messages, accroissant ainsi sa
segmentation et la relation personnelle entre l'émetteur et le
récepteur.
En raison de la diversité des médias et de la
possibilité de cibler le public, on peut dire que dans le nouveau
système ce sont les caractéristiques du message qui
façonnent les caractéristiques du média (MacLuhan). Le
message du média modèle les différents médias pour
des messages différents. Cependant, la diversification des messages et
des expressions médiatiques n'implique pas que les grandes entreprises
et les gouvernements renoncent à contrôler la
télévision ou les nouveaux médias.
Le fait que tout le monde ne regarde pas la même chose en
même temps et que le système des médias représente
une différence fondamentale avec l'ancien système de mass
médias standardisés. La pratique généralisée
du "surf" signifie que le public crée ses propres mosaïques
visuelles. Si, de fait, les médias sont aujourd'hui globalement
interconnectés, nous ne vivons pas dans un village planétaire
mais plutôt dans des pavillons construits sur plans, produits à
l'échelle mondiale et distribués localement, quitte à
sacrifier la solidité qui permettrait de plus résister au temps,
il nous faut tout le confort et les services.
En France, communications informatisées, contrôle
institutionnel, réseaux sociaux et communautés virtuels, le
Minitel et Internet annoncent les "autoroutes de l'information".
Côté Internet : la topologie aléatoire des réseaux
locaux de fanatiques d'ordinateurs eux-mêmes en aléatoire.
Côté Minitel : l'ordonnancement de l'annuaire
téléphonique. Ici une tarification anarchique de services
incontrôlables, là un système de kiosque qui permet une
tarification homogène et une répartition des revenus dans la
transparence. D'une part le déracinement et le fantasme des connexions
généralisées par-dessus les frontières et les
cultures, de l'autre la version électronique de l'enracinement
communautaire.
La constellation Internet décrit comme l'épine
dorsale de la communication informatisée globale.
L'universalité du langage numérique et la pure
logique de mise en réseau du système de communications ont ainsi
créé les conditions technologiques d'une communication
horizontale globale.
La mise en réseau s'est généralisée
lorsque les réseaux locaux et régionaux se sont
interconnectés et ont commencé à essaimer partout
où il y avait des lignes téléphoniques et des ordinateurs
équipés de modems, matériels devenus fort peu
coûteux et particulièrement bien vus par les consommateurs.
Le concept du BBS "Bulletin Board Systems" est à l'origine
de la formation dans les pratiques de communautés virtuelles dont la
culture s'est ainsi très tôt rattaché à l'esprit
pionnier.
Il existe aujourd'hui des milliers et des milliers de
microréseaux de ce genre qui couvrent toute la palette de la
communication humaine depuis la politique et la religion jusqu'au sexe en
passant par la recherche.
Le cybermonde du commerce ressemblera ainsi davantage à
l'expérience historique des rues marchandes propres à une culture
urbaine vivante qu'aux centres commerciaux étalés dans les
banlieues anonymes.Depuis la constitution et la diffusion d'Internet et des
réseaux de communication toutes sortes de vitrines se sont
créées dont certaines n'ont depuis longtemps plus raison
d'exister mais qui peuplent encore le réseau par milliers. Malgré
un effort constant, dans ces myriades de réseaux et d'interconnexions,
il est très difficile d'assurer le secret. Et il est probable que depuis
l'usage des cartes de crédit jusqu'à la correction des
déviances psychologiques, il reste un très long chemin à
parcourir avant d'atteindre un degré de régulation et de
sécurité satisfaisant. La culture des usagers de la
première génération à l'esprit communautaire et
libertaire a façonné le Net en deux directions opposées.
De la tentation d'en réduire l'accès à une minorité
de passionnés de l'ordinateur, vivant littéralement au sein du
cybermonde, demeure la méfiance à l'égard des
préoccupations commerciales et la crainte que l'extension
illimitée du réseau ait pour contrepartie son envahissement par
la misère humaine.
Malgré tous les efforts, la culture des réseaux
dominée par la communication aboutit à une société
d'individualisation bien au-delà de la geste des premières tribus
informatiques.
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