2. Art(s), Communication et
Médias à base de réseaux :
2.1. Musées et galeries
sur le Net :
Préparer un voyage est devenu un plaisir avec l'Internet
et la communication électronique : villes, musées, régions
s'ingénient à publier l'équivalent d'excellents guides,
tout en offrant de merveilleux échantillons de leurs trésors.
Musées et galeries d'art rappellent subtilement que la vue d'une
reproduction excite toujours le désir d'admirer l'original.
Et si le voyage se révèle impossible, on pourra
malgré tout se délecter d'une générosité
calculée et rêver. Bienvenue au cybermusée, où de
nombreuses "galeries virtuelles", personnelles ou professionnelles, proposent
reproductions de tableaux, sculptures, photographies, poèmes et
même romans. Les grands musées comme Le Louvre et le
Musée d'Orsay disposent de sites où l'on peut
découvrir des expositions virtuelles, et de jeunes talents peuvent se
faire connaître à de moindres frais via les réseaux
constitués. Même si la question de l'attribution des droits
d'auteur et de leur recouvrement reste toujours délicate, l'art se
"démocratise", le public se diversifie. Le danger cependant persiste de
confondre la reproduction de l'oeuvre avec l'oeuvre elle-même.
D'autre part musées et galeries peuvent également
communiquer entre eux; le réseau suscite des échanges entre
expertises, contribue largement à l'organisation de manifestations
expositions virtuelles ou réelles ou bien colloques et séminaires
etc. ou plus simplement contribue à les enrichir.
Autre type d'application intéressant : celle du type de la
transposition de la célèbre Grotte de Lascaux. La grotte est
interdite au public depuis 1963 afin de préserver les oeuvres rupestres.
Se pose ici avec acuité la question du rapport du virtuel avec
l'original. "N'y aurait-il pas comme une agression à capter Lascaux dans
l'univers des technologies du virtuel ?" s'interroge J-L Weissberg,
maître de conférence en sciences de l'information et de la
communication (Paris VIII). Cette sensibilité teintée d'angoisse
vis-à-vis d'un raccourci technologique vertigineux entre un art
magdalénien vieux de 15 000 ans et un savoir-faire high-tech
tourné vers le futur ne doit pas occulter la véritable question,
qui est celle de l'original et de sa représentation. Lascaux virtuel ne
sera jamais Lascaux. Il permet, en minimisant le danger de destruction des
oeuvres de se faire une idée des merveilleuses peintures réelles
du Lascaux réel.
2.2. Art et Oeuvres virtuelles
:
A peine révélée par un article
enflammé paru aux Etats-unis dans le magazine Rolling Stone la
réalité virtuelle fut annexée par un courant de
pensée apparenté aux mouvements contestataires des années
soixante, profondément influencé par un pseudo- spiritualisme
new age et fasciné par l'alternative techno à la
pharmacopée traditionnelle des paradis artificiels...
"010101 : l'art à l'ère technologique", est une
exposition du musée d'art moderne de San Francisco (MoMa) qui s'est
déroulée jusqu'au 8 juillet 2001. Elle a permis à 35
artistes d'exposer leurs toutes dernières oeuvres au grand public, qui a
pu découvrir comment l'art moderne s'adapte au monde numérique,
et au-delà du constat de la place prépondérante qu'y tient
la machine, jouer quelque peu en se démontrant à lui-même
"le potentiel de l'ordinateur à créer de la beauté".
Exemple le "Scumack". Cette machine mise au point par Roxy Paine
fait des sculptures automatiques... à la chaîne. Un petit
ordinateur gère de façon aléatoire le flux d'un liquide
rouge qui se solidifie en couches comme de la lave au contact de l'air. Toutes
les huit heures la machine fait une pause, le temps qu'un tapis roulant emporte
la "sculpture". "C'est une machine faite à la main et conçue pour
une production de masse d'une sculpture unique et originale", précise la
notice explicative qui ajoute : "C'est cette contradiction qui s'avère
intéressante."
L'oeuvre de Brian Eno lui-même fondateur du groupe Roxy
Music, participe d'une logique analogue. Le musicien a découpé
l'une de ses compositions en neuf parties, chacune d'elles étant
enregistrées sur un lecteur de disque compact différent qui se
déclenche au hasard et à tour de rôle, élaborant en
permanence une composition "aléatoire" et originale. Selon l'auteur,
"l'auditeur a l'impression d'une musique perpétuellement nouvelle".
La machine aurait-elle réussi à s'affranchir de
l'artiste pour produire des oeuvres par elle-même ?
A deux pas des laboratoires futuristes de la Silicon Valley, tout
paraît possible, même si les artistes techno refusent
l'épithète d'"art cyborg", car derrière le robot, bien
sûr, l'humain continue à tirer des câbles...
En art, l'humain a accepté de prendre le risque la
communication Frankenstein, et il compte bien en tirer les
bénéfices.
La technologie offre une infinie liberté, bien plus que le
crayon ou le pinceau déjà infiniment exploités, et
l'association avec la machine est pour l'artiste un moyen de repousser ses
limites. Les oeuvres se déclinent à ce jour en une très
grande variété d'expériences s'appuyant sur installations
de vidéos, sculptures sonores, plongées dans le monde virtuel. Il
n'existe pas une école ou un mouvement unique, car la technologie
numérique ouvre un champ de possibilité très vaste que les
artistes explorent avec des regards différents. Chacune de ces
expérimentations est destinée à provoquer des
émotions chez le visiteur dont l'intérêt valide alors le
potentiel artistique de l'ouvrage. Notre futur passera-t-il par
l'éducation des émotions ?
Karin Sander a réalisé des figurines reproduisant
à un dixième de leur taille des personnages réels : les
sujets ont été numérisés par des caméras
puis les données transmises à une machine industrielle qui a
composé une réplique plastique de l'image. Le résultat est
saisissant de réalisme, bien que l'artiste n'ait pas participé
à la photographie de ses personnages ni à la phase industrielle
de création. "Ce qui compte, explique-t-elle, c'est d'utiliser les
technologies existantes pour faire passer son message." La main de l'artiste a
disparu de la production, l'enjeu de la création est davantage dans la
volonté d'être le reflet de notre société.
Joachim Hendrichs s'intéresse quant à lui au regard
porté sur l'information de masse, et sa machine numérise les
mouvements microscopiques de la rétine pendant la lecture des textes.
Les données sont ensuite converties et imprimées sur papier
produisant un résultat qui ressemble à un encéphalogramme
devenu fou. La retranscription des mouvements de la rétine du
créateur ayant lu cinquante-deux pages du supplément loisirs de
la Silicon Valley est vendue cinq dollars à la sortie du
musée.
L'une des attaques les plus farouches de la société
de consommation vient du photographe Andréas Gursky qui s'est
intéressé au rayon d'un supermarché avec ses centaines de
produits aux couleurs criardes puis a trafiqué les lumières et
les perspectives. Le résultat est obscène. Odieuse
société de consommation. Bénéfique
société de l'information...
A San Francisco, le numérique ouvre surtout la voie
à la création d'oeuvres virtuelles qui bouleversent la
façon dont on consomme l'art. Les organisateurs de l'exposition ont
demandé à cinq artistes de créer des oeuvres 100 %
Réseau uniquement accessibles sur le site 001.sfmoma.org. Cela
permet d'établir une relation plus intime entre un spectateur et une
oeuvre. Le lien est établi par l'écran d'ordinateur qui permet
une personnalisation de l'information envoyée. Les créations se
font encore essentiellement à base d'images, de sons, de vidéos
et même d'animations en langage informatique Java.
Erik Adigard, un français diplômé des
Beaux-Arts de Montpellier, expose une oeuvre "Timelocator" qui illustre les
évolutions d'une page Web et de tous ses travers dans le temps. Un peu
plus loin, une simple page Internet sert à brouiller les notions
d'outils et d'espace : à la place des lettres apparaissent des couleurs
et des points qui composent des tableaux chamarrés.
Dans tous les cas l'artiste se contente de fournir des
paramètres et c'est au "spectanaute" de créer l'oeuvre finale
qui, elle, par définition, sera éphémère. En se
numérisant et en se formatant aux règles de l'Internet et des
réseaux, en se pliant à leurs contraintes, l'art se donne la
chance d'évoluer à la vitesse de ces mêmes réseaux,
ce dont il faudra encore probablement au moins quelques années pour
mesurer toutes les conséquences...avant que peut-être enfin
s'établisse ici un réel dialogue entre l'art et la technique.
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