7.4 Le fantasme de la mort de
l'homme :
La nouvelle religiosité est, stricto sensu, une
hérésie de l'humanisme. Son succès intervient sur un fond
de crise, crise des valeurs et du lien social, problèmes
récurrents posés par la permanence d'une violence
destructrice.
Le nouveau culte se présente le plus souvent comme une
alternative de civilisation, face à des vieilles valeurs humanistes qui
auraient fait faillite, et les difficultés réelles d'une
société mondiale en pleine mutation servent ainsi de toile de
fond au succès des nouvelles croyances.
Un succès sur fond de crise des valeurs :
L'homme n'est plus la pièce maîtresse de cette
nouvelle religiosité sans centre et sans Dieu, la conscience
individuelle est susceptible d'être "collectivisée" et
transférée aux machines, la noosphère du cyberespace se
substitue à l'organisation sociale politique des sociétés
telles que nous les connaissons.
Philippe Breton affirme que ce sont trois valeurs essentielles du
monde moderne qui sont visées :
- l'héritage monothéiste juif de la loi, importante
pour régler les rapports humains ;
- l'importance conférée depuis la révolution
démocratique athénienne à la parole, placée au
centre de la société des hommes ;
- la représentation de l'homme comme individu libre
intérieurement.
Ces trois valeurs ont fait convergence : l'individu est
destinataire de la loi et c'est lui seul qui se tient responsable devant elle.
Elle le dépasse et en même temps c'est lui qui la fabrique, par le
jeu de la parole collective et de l'assemblée des individus libres.
L'individu n'existe qu'à travers sa parole, doublement issue de sa
mémoire intérieure et de la rencontre avec la parole de
l'autre.
Cette société de la loi, de la parole et de
l'individu a été construite en rupture avec l'ancienne
société "holiste", et nourrit l'"humanisme". Tout le XX
ème siècle aurait été une longue
hésitation dans la croyance aux vertus de l'humanisme.
Le nouveau culte semble se nourrir d'une opposition à ce
triptyque fondateur de notre modernité. Son succès paraît
directement proportionnel à la crise de confiance.
Les effets concrets de l'attaque contre l'humanisme :
Les effets d'un discours anti-humaniste se font sentir au
présent et deux représentations fondamentales sont en train de
vaciller : celle de l'être- ensemble comme relevant de la vie en
société et celle de l'être humain comme doté d'une
singularité indépassable.
La socialité au sens de la mutualité,
disparaît au profit de l'interactivité. Dans le nouveau mode de
société proposé, l'autre doit être là quand
je le veux, sous une forme que je contrôle et dans la partie de mon
territoire que je lui assigne. L'expérience est remplacée par la
virtualité. Les relations sont très réactionnelles,
rapides, peu engageantes.
"L'utilisation d'Internet diminue le cercle de relations sociales
proches et lointaines, augmente la solitude, diminue légèrement
la quantité de support social et augmente les sentiments
dépressifs." Des solitaires d'un genre nouveau apparaissent partout, qui
n'entretiennent plus qu'un rapport informationnel et instrumentalisé au
monde qui les entoure.
Le changement technique parait alors être devenu le seul
moteur de l'évolution.
La psychologue américaine Sherry Turkle montre en outre
que depuis quelques années, on assiste à un affaiblissement de la
métaphore de l'intériorité pour penser l'individu et
à son remplacement par la métaphore du programme.
Le souhait de détacher la conscience du corps et en
même temps de la fondre ou de la transférer dans une transcendance
collective fragilise la délicate construction de l'individu moderne.
Le nouveau culte est-il immoral ? :
Si l'on prend le parti de l'homme, il faut craindre que la
réponse à cette question soit entièrement positive, et le
débat ne devrait pas laisser indifférents tous ceux qui sont
attachés aux valeurs humanistes.
Car une des questions importantes que soulève en
définitive le "nouveau monde", est celle de la mort de l'homme. En
poussant les recherches dans la direction d'un transfert de la conscience de
l'homme vers des robots plus intelligents ou des réseaux dotés de
vie, on prend peut-être le risque de faire disparaître son
espèce en tant que telle, parce qu'elle serait devenue inadaptée
au regard de l'évolution.
Le Progrès, une fois encore, aurait bien pour nous tous un
caractère aigre-doux...
1.4.2.4 De la science fiction à la science
cognitive* :
Reprenons ici un passage d'après L. Sfez, dans Critique de
la communication afin d'en souligner le contenu : "Encore de nos jours bien des
scientifiques comme bien des humains plus ordinaires comptent sur plutôt
qu'espèrent en une progression irréversible de
l'élémentaire au complexe, comme si elle allait de pair avec
notre évolution. L'ordinateur "intelligent" nous fait rêver sur
notre identité. Les métaphores de l'intelligence, de
l'activité neuronale, de la société ou de la
démocratie jouent un rôle très puissant de mobilisation
technologique. Allant au-delà, la machine est faite comme nous et nous
sommes nous-mêmes faits de mécanismes machiniques. Nous
rêvons déjà d'êtres bioniques, surpuissants à
la fois humains et machines, machines et humains indifféremment.
Nous construisons Dieu à partir des qualités
humaines et nous lui attribuons un pouvoir sur nous. Paradoxe de Feuerbach ou
rappel du Golem, les risques sont grands que l'humain soit bientôt
dépassé pour le pire et moins probablement pour le meilleur par
ces créatures qu'il contribue à engendrer."
En attendant l'avenir est aux agents* intelligents dans et par
les réseaux. Ils peuvent être comparés par exemple aux
cellules sanguines qui circulent dans les vaisseaux, mais la métaphore
n'est pas assez puissante pour rendre compte de leurs
caractéristiques.
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