4.5 L'apologie de l'esprit, ou le refus de la parole
incarnée :
L'être humain est redéfini pour être
reconstruit comme un être informationnel, ce qui dénote une
influence forte des premiers cybernéticiens. La représentation
valorise :
- la comparabilité entre l'humain et la machine;
- l'interactivité;
- le privilège donné à l'esprit au
détriment du corps et de l'intériorité.
La comparabilité entre l'homme et la machine :
La possibilité d'un pont entre l'homme naturel et la
machine est un ancien projet, inauguré avec le mythe de Galatée
et de Pygmalion, continuant sous les traits du Golem et des nombreux automates,
robots, intelligences artificielles et autres cyborgs.
L'homme n'est pas au centre de l'univers et d'autres sortes
d'humanités sont possibles. Les ordinateurs, par exemple, peuvent aussi
prétendre à la complexité, à la conscience et
à l'esprit.
"L'humanité va devoir statuer sur l'opportunité ou
non de produire des machines massivement intelligentes, qui nous serons
immensément supérieures".
Le test de Turing, mis au point au tout début des
années cinquante, est un dispositif qui inaugure déjà
l'idée d'intelligence en réseau voire d'intelligence par le
réseau. Turing était persuadé que rapidement l'ordinateur
ne serait pas distinguable d'un être humain à ce jeu.
L'idéal de vie que représente la machine montre que la
pensée du réseau, de l'homme fait pour le réseau est bien
antérieure à sa réalisation concrète. L'être
idéal qui va permettre l'interconnexion
généralisée, c'est l'androgyne informationnel.
Le privilège donné à l'esprit et le
refus du corps :
Le corps est une cible privilégiée de la
cyberculture : "Une religiosité de la machine s'impose sur le fond d'un
dénigrement de l'homme et d'un mépris de la condition corporelle
qui lui est inhérente".
"La navigation sur le Net ou la réalité virtuelle
donnent aux internautes le sentiment d'être rivés à un
corps encombrant et inutile, qu'il faut nourrir, soigner, entretenir... "
Dans Neuromancien, de William Gibson, par exemple, les
héros déchus sont condamnés à
réintégrer leur corps et à quitter le lieu où les
esprits sont en réseau et en interconnexion permanente.
En différence avec l'automate classique individualiste et
anthropomorphe, le réseau intelligent incarne une figure plus en rapport
avec le collectivisme du nouveau culte.
"On est d'autant plus intelligent que les formes captées
sont universelles, impersonnelles".
Il peut bien y avoir, en apparence, un extérieur visible
et un intérieur caché, mais dès lors que tout est
connaissable, l'intérieur passe toujours potentiellement à
l'extérieur.
L'interactivité, ou le refus de la parole
incarnée :
Le mécanisme technique qui se loge derrière la
notion abstraite d'interactivité est une notion bien connue des
spécialistes de l'information : le feed-back, la rétroaction. La
parole humaine, l'activité humaine en général sera ainsi
redéfinie comme une "réaction à une réaction"
(Gregory Bateson, cybernéticien).
L'interactivité permet la "continuité
communicationnelle" et situe chaque acte non plus en référence
à une alternance de regard intérieur et de confrontation sociale,
mais comme pris dans un entremêlement permanent où le collectif ne
laisse plus aucun interstice à l'individu. La noosphère, machine
à penser immense où la personnalité ne vivrait pas
isolée, mais formerait un super- organisme...
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