4.2 L'idéal d'ouverture, ou le refus de la distinction
entre vie privée et vie publique :
Un certain nombre d'internautes particulièrement militants
et croyants paient de leur personne pour montrer les avantages de cet
idéal, par exemple en montrant au monde entier via le Réseau leur
modeste vie privée. Ici le web s'associe souvent à des
chaînes de télévision.
Une dimension morale :
N'avoir rien à cacher c'est ne pas commettre de
péché. Le seul fait qu'un acte, un geste, une parole soit visible
suffit à le dédouaner moralement, le reste est
répréhensible. La nouvelle religiosité déplace les
valeurs.
L'individu se retrouve muni du don- talent d'ubiquité
qu'il peut se permettre d'exercer en permanence. La transparence est un
postulat, un élément de foi.
Le refus de la distinction entre être privé et
être public correspond à la croyance dans les vertus d'une vie
sociale entièrement collective où personne n'a rien à
cacher. Les personnes y sont moins des individus dotés d'une
intériorité propre que des "êtres informationnels"
collectifs.
4.3 La libre circulation et le refus de la Loi :
L'idéal d'un monde transparent s'incarne dans le village
global, sans frontière, sans Loi, sans contrainte.
La Loi est à la fois l'instance qui régule les
conflits et qui guide les comportements. Elle est en même temps droit et
morale.
Sentiment partagé dans les milieux informationnels : la
Loi et la justice sont arbitraires, livrées au discutable des
procédures judiciaires et à la rhétorique de la parole,
là où une bonne discussion du problème en terme
d'information permettrait d'apporter des solutions non arbitraires et
incontestables. La règle remplace la Loi et l'autorégulation la
norme, et l'idéal de résolution du problème reste
l'algorithme.
Le cyberespace devrait par nature échapper aux contraintes
des lois nationales ou même internationales, ce qui suppose
d'éliminer la violence.
La loi s'applique-t-elle à Internet ?
Les lois nationales sont jugées inadaptées à
l'espace supranational que constitue Internet.
Isabelle Falque-Pierrotin, maître des requêtes au
Conseil d'Etat, en France, remarque que "deux conceptions semblent s'opposer :
les tenants de l'interventionnisme des Etats et de la réglementation
classique, et les apôtres de l'autorégulation". Cette
dernière position, dominante, s'appuie sur la "sacralisation aux
Etats-Unis de la liberté d'expression" par rapport au "système
latin qui fait appel aux exigences de l'ordre public".
Il s'agit d'une prise de position forte, dictée par la
croyance en un idéal de libre circulation systématique de
l'information.
C'est ainsi que l'on peut avoir accès librement dans
certains pays à des sites qui ailleurs sont prohibés et
censurés (exemple des sites exprimant des thèses
négationnistes). Ce qui prime ici c'est une haine quasi religieuse de la
censure.
Le refus de la censure :
Grâce à la fin de la censure et des monopoles
culturels, tout ce que la conscience peut explorer est rendu visible à
tous. La loi du copyright est complètement dépassée, et il
est tout simplement impossible de restreindre la liberté
d'émettre (de l'information), pas plus que les Romains n'ont pu
arrêter la progression du christianisme, même si quelques courageux
diffuseurs d'information risquent de se faire dévorer par les lions de
Washington dans le processus.
La copie pirate et la diffusion la plus large possible de
musiques ou de textes par ailleurs protégés par un droit d'auteur
sont donc considérés comme une nécessité absolue et
un véritable devoir moral par tous ceux qui défendent les vertus
d'une ouverture très large des réseaux.
Moins que jamais c'est le contenu qui compte au profit de la
capacité de la forme à se déployer.
Le recadrage des comportements de beaucoup d'internautes qui se
mettent dans l'illégalité de fait en copiant ou en diffusant des
livres ou des logiciels, évite de les voir comme des délinquants
volontaires et profiteurs alors qu'ils se voient eux-mêmes dans une
situation hautement morale.
La culture de la libre circulation est telle que les vendeurs des
rayons informatiques de certaines grandes surfaces peuvent donner l'adresse de
sites où télécharger gratuitement certains logiciels qui
sont par ailleurs disponibles dans leurs rayons.
Le piratage : un culte secret :
Il s'agit ici de l'activité de ceux qui se cachent pour
rendre le monde, le réseau plus transparent.
Chez ces fans, deux traits dominants :
- un goût prononcé et précoce, souvent
dés l'enfance, pour les choses et surtout les objets matériels,
goût traduit par une volonté de démonter ces objets, de les
rendre transparents au regard afin d'en comprendre le fonctionnement ;
- les futurs ingénieurs ont généralement une
personnalité socialement invertie, une tendance à ne pas chercher
outre mesure le contact avec autrui.
Les virus, eux sont des programmes ou des prototypes comme les
autres, mais qui circulent le plus facilement possibles tout en étant
précisément faits pour circuler c'est-à-dire se
répandre. Du point de vue de la croyance c'est le meilleur logiciel qui
soit.
Les fondamentalistes d'Internet ne sont pas hostiles à la
Loi, ils estiment qu'elle n'a pas cours chez eux, lui déniant toute
pertinence afin de permettre le lien social et toute forme d'expression est
bienvenue. A l'extrême, la liberté d'expression doit être
absolue, pour tout ce qui est numérisable, y compris la musique.
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