4. Un
univers de croyances :
Certaines des croyances sur lesquelles s'appuie le culte sont
malheureusement fortement réductrices.
Voir l'information derrière l'apparence des choses et des
êtres, ce serait en voir la réalité, valoriser
l'information, ce serait en dégager la vérité.
Réalité et vérité se mêlent : nous sommes
bien dans l'univers de la croyance. L'information est à la fois ce que
l'on met en oeuvre concrètement quand on communique et le but ultime
à atteindre.
4.1 Un idéal de transparence :
Il constitue la vision cosmologique du nouveau culte, l'objet
même de la promesse. Cette notion de transparence est consubstantielle au
culte de la transparence, et renvoie à un idéal de
lumière, d'harmonie et d'extase, tout en donnant l'impression de passer
de l'autre côté du miroir.
Les métaphores solaires :
Pierre Lévy : "l'interconnexion et l'unification
croissante de l'humanité accompagnent l'ouverture de toutes les
dimensions".
Philippe Quéau : "des Babylone non confuses, des
jardins suspendus à nos lèvres à nos doigts, des
labyrinthes nichés en tout point d'eux-mêmes, en une immense
complexité cependant transparente, claire d'accès, cristalline,
sans cesser d'être dense, développée, se
révélant sans cesse".
D'une façon générale, la rhétorique
solaire du regard et de la transparence est présente dans toutes les
grandes religions. Les descriptions de la "Jérusalem céleste"
dans différents courants mystiques, juifs, chrétiens ou
musulmans, font largement appel à ces métaphores de la
lumière et de la transparence.
A propos des métaphores, il est utile ici de consulter
Lucien Sfez dans l'ouvrage Critique de la communication (page 38,
coll. Points Essais, éd. Le seuil).
La recherche de l'extase :
L'influence de certaines pratiques du New Age, notamment les
drogues hallucinogènes, n'est pas toujours étrangère
à cette croyance dans la transparence. Parlant de Steve Jobs (inventeur
du Macintosh) et de son équipe : "(...) Grâce au LSD, ils avaient
vu comment l'écorce des choses pouvait être ôtée
couche par couche, ils avaient atteint l'être d'une fleur dans son
essence même, ils s'étaient introduits dans un morceau de bois
(...) C'était comme si les portes de la perception leur étaient
soudain ouvertes, ils passaient au-delà de la frontière
interdite. Ils vivaient le test du LSD électronique".
Voir le réel c'est voir le modèle du réel
caché derrière la matérialité des choses.
Le temps passé devant la machine, comme contracté,
n'a plus grand chose à voir avec le temps ordinaire.
L'autre côté du miroir :
La pratique concrète du réseau passe par un univers
de règles qui renvoient toutes à la recherche de la transparence
du monde. Les procédures informatiques qu'il faut mettre en oeuvre
révèlent un monde où l'on met de l'ordre dans les choses.
Les nouveaux mystiques ont l'insigne privilège d'être ceux par qui
l'ordre arrive.
L'esprit logique, le sens de l'organisation, la recherche de la
transparence sont aussi un mode d'être dans le monde en même temps
qu'un moyen de la transformer. Le simple fait d'avoir accès à une
petite partie de l'architecture de l'univers ordonné, sous la forme de
l'ordinateur ou du réseau, peut permettre d'entrer en symbiose avec le
cosmos tout entier.
La naïveté apparente du voyage d'Alice "au pays des
merveilles" est une manière pour son auteur, Lewis Caroll d'initier les
enfants aux règles de l'univers logique. Le pays des merveilles est un
monde d'ordre et de désordre, et les questions impertinentes d'Alice
constituent une ligne de partage sûre entre ce qui relève d'un
côté de l'information et de la logique, et de l'autre du Mal,
incarné par le désordre.
La quête de l'harmonie :
L'utopie* de la cité de verre est souvent celle d'un monde
harmonieux, sans secret ni mensonge, sans opposition ni conflit. La notion de
transparence fait partie de la famille des thèmes utopistes. Elle permet
à la société de communication illimitée de parvenir
à réduire radicalement les motifs de conflit.
Concernant les utopies l'ouvrage de Lucien SFEZ, La santé
parfaite Critique d'une nouvelle utopie, est à cette endroit d'une
grande utilité notamment dans ses pages 29 et suivantes; il est
publié aux éditions du Seuil dans la collection l'Histoire
immédiate.
Une valeur d'exclusion :
Les ordinateurs puis les réseaux sont censés rendre
transparent tout ce qu'ils touchent. Même l'administration. Le
réseau est l'outil permettant de lutter contre l'opacité
"antivaleur clé" de l'univers des entreprises.
Discours du Premier ministre français en 1998 :
"l'entrée de notre pays dans la société de l'information"
correspond à "plus d'accès au savoir et à la culture, plus
d'emplois et de croissance, plus de service public et de transparence, plus de
démocratie et de liberté". La transparence est au même
niveau que des valeurs fondamentales. Ce qui est transparent est par nature
plus évolué, plus avancé.
A côté du pouvoir, les lois, et, d'une façon
générale, la Loi, sont de plus en plus présentées
comme un obstacle à la mise en place d'une société
mondiale de l'information. Dans le cyberespace nul besoin de lois, surtout pas
nationales ou internationales.
Un bon système informatique doit être ouvert
c'est-à-dire transparent. La nouvelle religiosité est
profondément antagoniste avec les contraintes et les
nécessités de ce que les professionnels appellent la
"sécurité informatique", qui n'est qu'une variante de la
sécurité des biens et des personnes.
Tout ce qui est de l'ordre du secret, du caché, du
privé, de l'intime, de la profondeur, du non-visible comme
négatif doit être exclus dans le combat contre l'opacité,
l'obscurité.
Les uns seront plus concernés par l'abolition de
l'insupportable frontière entre vie privée et vie publique, les
autres plus motivés par le souhait de faire sauter toutes les
barrières d'accès aux différentes parties du grand
réseau informatique, d'autres enfin, particulièrement
indignés du frein à la libre circulation des idées que
constituent la "censure" des lois nationales, l'institution du droit d'auteur,
ou, dans un autre domaine, la présence de nombreux médiateurs
(enseignants, commerçants, journalistes) qui s'"interposent" entre
producteurs et consommateurs.
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