CHAPITRE IV-LA PROMOTION CULTURELLE DES ARCHIVES
AUDIOVISUELLES AU BENIN : ETAT DE LA QUESTION
Les facteurs énumérés ci-dessus
s'expliquent en grande partie par le manque originel de volonté
politique et de vision sur la valorisation culturelle des archives. Une
attention rigoureuse à ces documents du passé dans le cadre de
leur intégration réelle aux aspects du déroulement de la
vie culturelle aurait commandé leur gestion scientifique et
ordonnée. Dans l'analyse qui va suivre, nous porterons la
réflexion sur l'indifférence qui a caractérisé les
actions politiques et les programmes culturels de masse à l'égard
des archives.
I-De la notion générale des archives
La notion d'archive est vaste et très étendue.
Elle ne saurait se limiter à celle d'archives audiovisuelles et
recouvrirait une très grande complexité.
1- Définition
La notion d'archives semble un concept banal et bien connu de
tous. Car dans notre existence quotidienne, on en fait usage dans les
discussions et les débats. Mais la compréhension réelle
que chacun en a n'est toujours pas la plus correcte et ne cadre souvent pas
avec les réalités que recouvre la notion. On confond facilement
les archives avec les cercles de vieilleries et les éléments
abandonnés. Dire qu'on travaille dans les archives s'assimile
aisément à un garage et ne confère aucun prestige.
D'où le nombre littéralement bas des personnes
s'intéressant au domaine des archives. Ray Edmonston, expert de l'UNESCO
sur le patrimoine documentaire fait remarquer que « le mot archives,
d'emploi courant est lui-même problématique en raison des
nombreuses associations dont il fait l'objet. Dans le langage populaire, il
draine une connotation générique de dépôt de
matériels vieux ou obsolètes. Sous l'image de la
poussière, des toiles d'araignée et de la
décrépitude, de matériel oublié, mis sous
clé et pratiquement inaccessible, le terme est souvent un handicap
vis-à-vis du public. Parler du matériel découvert ou
déterré aux archives, c'est oublier la précision,
l'accueil des visiteurs et le dynamisme d'archives bien tenues. »18
Lorsque l'on aborde la question des archives en ces termes, le
paradoxe est donc frappant quand juste
18 Ray Edmonston, Une philosophie de l'archivistique
audiovisuelle, UNESCO, Paris, Juin 1998, pp. 7-8
après l'on se rend compte de leur importance dans la
mémoire individuelle et collective. Nul n'ignore le rôle
prégnant des documents d'archives dans le déroulement des
activités administratives, scientifiques,culturelles etc. Les archives
sont les documents de mémoire et de recul temporel. Les documents nous
enseignent que la notion d'archives aurait pour point de départ
l'antiquité quand leshommes ont décidé de conserver des
traces de leurs activités par les arts pariétaux, les
peinturesrupestres, les premières écritures comme le
cunéiforme, les idéogrammes, les phonogrammes etc.
Jusqu'au 12ème siècle, la notion est
restée vague et très peu répandue. Les rares documents
à savoir : peaux d'animaux, rouleaux, papyrus, pierres étaient
peu organisés. A la faveur de l'évolution et de certains
événements, la notion d'archives se précise et
s'universalise. Chez les peuples qui ont connu la civilisation de l'Ecriture,
les archives occupaient une position centrale. Elles étaient des
éléments de preuves et de renseignements « sur lesquels
pouvaient se fonder tout droit et toute obligation de leur détenteur
». Chez les Romains au 12ème siècle, les archives
constituaient « un réservoir de preuves, de titres, un arsenal
d'armes juridiques servant à protéger droits et privilèges
des rois, princes et autres grands de ce monde »
Les archives prennent du sens partout où s'organisent
les activités humaines. Car, elles sont des éléments qui
fournissent des informations inestimables sur les actes pris.
Pour un auteur français comme Jean Favier qui a
jeté la réflexion sur les archives, elles «sont
l'ensemble de documents reçus ou constitués par une personne
physique ou morale, ou par un organisme privé ou public,
résultant de son activité, organisés en conséquence
de celle-ci et conservés en vue d'une utilisation éventuelle
»19
Le décret 90-384 du 4 décembre 1990, portant
attributions, organisation et fonctionnement des Archives Nationales du
Bénin, en son article 2 définit les archives comme «
l'ensemble des documents, quels qu'en soient la nature, la date, la forme et le
support matériel, élaborés ou reçus par une
personne physique ou morale, ou par un organisme public ou privé, dans
le cadre de son activité, documents organisés en fonction de
celle-ci et conservés à des fins d'administration, culturelle et
scientifique »
Cette perception des archives s'observe sous leur prisme
d'élément matériel. Mais les archives peuvent être
aussi définies par rapport à leur aspect institutionnel. Elles
désignent alors un établissement ou un service d'un
établissement consacré à la collecte, la gestion, la
conservation, et à la consultation ou l'utilisation d'une collection de
documents.
Pour mieux cerner la notion d'archives sans confusion, il
convient de définir ce qu'elle n'est pas. En
19 Favier Jean, Les archives, PUF, Paris,
1975, p. 25
effet, « si une bibliothèque conserve la
mémoire du savoir de l'homme et un centre de documentation, les
documents utiles dans l'activité de l'homme, le centre d'archives lui,
conserve la mémoire de l'activité de l'homme
».20 Comme elle garde trace des actes individuels, sociaux
ou institutionnels, on en voit l'image d'une « conserve culturelle ou
d'une boîte culturelle »21.
On distingue de façon détaillée plusieurs
catégories d'archives : les archives écrites, les archives
visuelles, les archives sonores et les archives audiovisuelles. Mais, nous
évoquerons les deux grands ensembles qui, à notre avis, semblent
traduire les réalités des autres types d'archives.
2-Les archives écrites
Ce type d'archives regroupe tout document écrit
réalisé à la main, par dactylographie ou par l'imprimerie.
La civilisation de l'écriture qui a vu naître la notion d'archives
fait que ces dernières sont facilement assimilées à tout
document écrit à la main. Les données de la connaissance
à conserver étaient écrites sur des supports tels, les
peaux, la pierre, le parchemin, le papyrus, le papier etc pour inverser la
précarité de la parole, auparavant, seul mode de communication.
Les documents écrits sont demeurés alors les premières
formes d'archives. Ils occupent la grande partie du fonds archivistique des
personnes physiques ou morales. Car leur élaboration ne nécessite
pas autant de moyens que les autres formes d'archives.
Les archives écrites font l'objet aujourd'hui, à
la faveur de l'essor technologique, d'un traitement informatisé ou
électronique qui ne leur enlève pas leur valeur écrite.
Leur prise en charge numérique permet de régler entre autres des
problèmes d'espace et d'adaptation à la modernité.
3-Les archives audiovisuelles
Prosaïquement, il s'agit des archives non écrites
par opposition aux archives écrites. Il n'existe pas aujourd'hui de
définition succincte et généralement admise des archives
audiovisuelles. Les statuts de la FIAT (Fédération internationale
des Archives de télévision), de la FIAF (Fédération
internationale des
20 Davakan Brice Armand, Archives et pesanteurs
sociologiques en République du Bénin : Etude pour la promotion
culturelle des Archives, Mémoire de fin de formation, Abomey Calavi
(ENA), 1997, p. 9 21 Ceci montre tout simplement que les archives
ont pour but d'emmagasiner et de capter des informations importantes qu'elles
livrent ultérieurement dès qu'elles sont questionnées.
L'expression renvoie à l'image d'une boîte dont on cerne le
contenu une fois qu'on l'ouvre. La conserve ou la boîte dont il est
question ici n'est qu'une image choisie pour expliquer la force de conservation
et de mémorisation des documents d'archives. Ceux-ci portent en eux les
éléments qui se rapportent aux manifestations culturelles d'un
peuple. Ces éléments ont justement besoin d'être
interrogés et consultés afin de livrer les informations qu'ils
renferment.
archives de film) et de l'IASA (Association internationale des
archives audiovisuelles et sonores) exposent de nombreuses
caractéristiques et attentes, mais ne donnent pas de définition
précise. Les statuts de la SEAPAVAA (Association des institutions
d'archives audiovisuelles de l'Asie du Sud Est Pacifique) définissent
tant le terme d'audiovisuel que d'archives par rapport aux compétences
de ses propres membres. L'article 1,b desdits statuts indique que l'audiovisuel
s'applique aux images en mouvement et/ou aux sons enregistrés sur film,
bande magnétique, disque ou tout autre support. L'article 1,c
définit les archives comme un établissement ou un service d'un
établissement consacré à la collecte, à la gestion,
à la conservation et à la consultation ou l'utilisation d'une
collection de documents audiovisuels et de matériels liés
à ceux-ci. Il y a de nombreuses définitions et hypothèses
concernant ce terme auquel on fait recouvrir en
combinaisons variées :
a) les images en mouvement, tant sur film
qu'électroniques b) la projection sonorisée de diapositives c)
les images en mouvement et /ou les sons enregistrés sous
différentes formes d) la radio et la télévision e) les
photographies et graphiques fixes f) les jeux vidéos g) les CD-ROM
multimédias h) tout ce qui est projeté sur écran i) tout
ce qui est précède
Dans Questions juridiques relatives aux archives
audiovisuelles, Kofler Birgit, Expert de l'UNESCO définit les
documents audiovisuels comme « les enregistrements visuels (avec ou
sans bande son), indépendamment de leur support physique et du
procédé d'enregistrement utilisé, tels que les films, les
projections fixes, les microfilms, les diapositives, les bandes
magnétiques, les téléenregistrements, les
vidéogrammes (bande vidéo, vidéodisques), les disques
laser à lecture optique destinés à être reçus
par le public, soit par la télévision, soit par le biais d'une
projection sur un écran ou par tout autre moyen ; destinés
à être mis à la disposition du public. Les enregistrements
sonores indépendamment de leur support physique et du
procédé d'enregistrement utilisé, tels que les bandes
magnétiques, les disques, les bandes sons d'enregistrements
audiovisuels, les disques laser à lecture optique destinés
à être reçus par le public par la radiodiffusion ou par
tout autre moyen ; destinés à être mis à la
disposition du public. »
Les documents n'ont leur valeur archivistique que s'il y a un
recul temporel. Mieux, les critères culturels, historiques, artistiques
etc doivent être réunis.
Les documents audiovisuels quelle qu'en soit la nature sont des
documents culturels car ayant des actions sur le public et véhiculant
des messages sociaux de taille.
4- Les qualités des archives audiovisuelles :
éléments de démonstration
La valeur et le rôle des archives dans les
différents pans de la vie sociale ne sont plus à
démontrer. Elles sont partout présentes et donnent toujours la
preuve de leur utilité sociale.
4-1 Les archives audiovisuelles comme nouvel
élément du patrimoine culturel national à
conserver
Quand on évoque les musées, les anciens palais et
temples royaux, les biens laissés par un personnage
célèbre de l'histoire, les sites archéologiques et les
spécimens architecturaux, leur portée culturelle ne fait l'objet
d'aucun doute et est facilement admise. Mais quand il s'agit des archives en
général et des documents audiovisuels en particulier, on observe
quelques réactions de réserves. Or il est clair qu'à
l'instar de la science, l'art et la religion qui laissent toujours des supports
matériels témoins de leur évolution, les archives ont le
mérite de faire des témoignages verbaux et même en images.
A ce propos d'ailleurs, Max QUERRIER faisait remarquer dans Esprit que
« les archives devront un jour, tout comme les collections des
musées, faire l'objet d'une lecture populaire qui sera par
elle-même créative, créatrice d'un nouveau rapport entre la
population et ses propres traces, créative quant au mode de
pensée qui imprégnera l'interprétation des traces
laissées par les générations
précédentes» La culture, assure indéniablement
la double fonction matérielle et morale. Les archives en
général s'y retrouvent.
Parlant des archives audiovisuelles, le Président de
l'INA, Emmanuel Hoog affirmait qu'« après le papier, la
pierre, les archives audiovisuelles s'imposent comme un élément
du patrimoine culturel ». Ce n'est pas qu'une phrase, car son contenu
illustre bien la réalité des archives à travers leur
fonction culturelle. Les archives audiovisuelles portent la mémoire
profonde d'un peuple, rendent compte de son histoire, de son évolution.
Elles exposent la somme des actions des hommes à un moment donné
de leur histoire.
Les archives audiovisuelles en retenant par l'image, le son, la
photographie et autres méthodes audiovisuelles les traces des
activités du passé lointain ou récent des hommes
entretiennent de ce fait des relations sociales avec les hommes. L'homme
développe des relations particulières avec ces documents qui lui
font voir ce qu'il a été, ce qu'il est et lui fournit des
indications sur son éventuel devenir. Si le patrimoine culturel est
défini comme tout ce qui est légué par les hommes
à leur postérité comme héritage, les archives
audiovisuelles entrent parfaitement dans cet espace de définition.
Les archives audiovisuelles ont une fonction
intergénérationnelle. Ce d'autant plus qu'en les consultant les
générations sont dotés d'outils d'analyse et de
repère pour leurs entreprises personnelles. Dans un pays comme la
France, l'expérience de l'INA révèle à merveille la
teneur de la valeur patrimoniale des archives. Elles portent avec foi la
pensée de l'histoire de la radio et de la télévision de
France en permettant au peuple de redécouvrir les discours politiques de
Charles de Gaules, les documents des débuts de la radio et de la
télévision en France. Le rôle irréversible de
témoin actif de l'histoire et d'élément de mémoire
collective, sociale joué de tout temps par les archives en
général et celles audiovisuelles en particulier sont autant de
mobiles de conviction ou de prétexte de mise en routes d'idées
claires et positives autour d'une politique d'intérêt pour leur
épanouissement à l'instar des autres formes du patrimoine
culturel.
4-2 Les archives audiovisuelles comme source d'analyse
scientifique
En fournissant des éléments de comparaison et en
ramenant dans les pages d'histoire leurs contenus, les archives audiovisuelles,
se posent comme des éléments de connaissances sérieuses.
Il n'est peut être pas superflu dans cette étude de rappeler leur
partition et leur niveau de contribution aux entreprises scientifiques qui
mesurent la justesse de leur rôle.
Sources favorables à l'avancement des démarches,
les archives audiovisuelles représentent dans un pays comme la France,
pour quantités de chercheurs un lieu de référence
incontournable. Les contenus permettent en effet d'étayer, de clarifier,
de confirmer ou d'infirmer les hypothèses de travail et contribuent
à l'évolution des réflexions scientifiques sur la base de
l'existant.
4-3 Le rôle pédagogique des
archives
L'enjeu pédagogique des archives n'est plus à
démontrer. De par leur nature et les opportunités didactiques
qu'elles offrent, les archives représentent des outils
pédagogiques d'importance. Leurs actions sur la psychologie des groupes
d'apprenants et leur force de conviction leur confèrent une pertinence
inestimable.
A partir des archives, quantités d'enseignements peuvent
être développés pour interagir avec les scolaires.
L'expérience mise en route par l'INA représente un vrai cas
d'école. Grâce au service de développement éducatif
et culturel de l'INA, les archives sont portées au niveau des scolaires
et commandent des analyses de contenus. Du discours politique au contexte
formel de l'image, les archives ont la propriété d'accompagner la
réflexion pour forger chez l'enfant un raisonnement et un apprentissage
personnels.
Les archives grâce au constat de leur
prépondérance en matière d'information et d'encadrement
offre l'occasion de concevoir et de développer des offres de programmes
spécifiques, permettant de mettre à la disposition du secteur
éducatif des émissions de télévision et de radio
à titre de support ou d'illustration au service d'une discipline ou
comme objet de l'enseignement dans le cadre de l'éducation aux
médias. La politique pédagogique développée autour
des archives peuvent permettre de mettre à la disposition des
établissements scolaires des vidéocassettes et des bandes sonores
sur des thématiques traitées à la télévision
et à la radio (histoire, littérature, théâtre,
jeunesse, sciences, société) sous des formes variées
(documentaires, fictions, adaptations, portraits, entretiens).
L'importance des archives audiovisuelles telle que
déclinée commande de la part de la société leur
bonne conservation. Seule une gestion dans de bonnes conditions et selon les
normes permettront aux archives d'être présente dans leur fonction
et de recouvrir le même intérêt social.
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