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Le Docteur Bendjelloul: l'opposition loyale à  la colonisation ? (1930-1962)


par Hélène Koning
Sciences Po Paris - Master 2024
  

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Conclusion

Etudier le parcours politique de Bendjelloul donne à voir ses moyens d'action variés, à travers plusieurs régimes politiques et de nombreuses institutions. Sa trajectoire offre un point de vue riche sur la vie politique algérienne dans le courant du XXe siècle. Sa popularité décline progressivement, et il ne connaît aucun succès politique significatif, ni durant sa carrière ni après celle-ci. La popularité de l'idée assimilationniste telle que la conçoit Bendjelloul décline également : l'émancipation des colonisés se fait par l'accès à la souveraineté nationale, par la création d'une nation algérienne indépendante sur le plan institutionnel et culturel, et non par l'intégration égalitaire des Algériens et de leur culture dans les institutions de la nation française. A chaque étape de son parcours, on voit Bendjelloul vivre selon ses convictions assimilationnistes, revendiquant son algérianité au sein des institutions françaises et du système colonial. Avec les évolutions de son contexte, il reformule, adapte, développe ou réduit à l'essentiel ses revendications en faveur de la concorde franco-musulmane, de l'intégration des Algériens musulmans dans la nation française. Après l'indépendance, il reste vivre en France, et nous ne disposons pas de sources en dévoilant les raisons. Est-ce le choix d'un francophile revendiqué, admirant la qualité de vie, les institutions, les valeurs de la métropole coloniale dans laquelle il s'est formé comme homme politique ? Ou est-ce le destin forcé d'un modéré menacé par le FLN et empêché de finir ses jours sur sa terre natale ?

Cette étude n'avait pas vocation à l'exhaustivité. Plusieurs aspects de la vie de Bendjelloul, comme les premières années de sa carrière ou ses engagements en dehors de l'action politique, n'ont pas été abordés. Les sources sélectionnées ont permis de montrer que si Bendjelloul n'est certainement pas nationaliste dans sa conception de l'Algérie et dans son rapport à la France, c'est bien vers la fin du système colonial que son action politique est dirigée. Pour lui, l'assimilation signifie l'élévation des Algériens colonisés au niveau de vie des Européens et l'octroi des mêmes droits civiques, abolissant les discriminations sur lesquelles se basent le système colonial. Il utilise pour cela les outils que la législation française et ses institutions mettent à sa disposition, n'hésitant pas pour autant à braver l'autorité : son assimilationnisme ne découle donc pas d'une volonté de plaire à l'autorité coloniale, et collaborer avec elle est pour cet homme politique un moyen pragmatique d'atteindre ses objectifs.

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1 Voir par exemple les accusations rapportées par le préfet d'Alger dans Préfecture de Constantine - Affaires Indigènes, « Dossier [Assemblée Générale FEM du 29 Avril 1934] », Constantine, 1934, 93 30 284, ANOM, Aix-en-Provence ; et les accusations d'opportunisme dans Préfecture d'Alger - Police des Renseignements Généraux, « Dossier Dr Bendjelloul », Alger, 1944-1945, 911K590/1, ANOM, Aix-en-Provence ; Le Chef de Service de la Sûreté Nationale chargé de la Surveillance du Territoire en Algérie et au Sahara, « Renseignements sur le Docteur

La France métropolitaine apparaît comme l'arbitre capable de réguler les méfaits de la société coloniale, et un des éléments les plus récurrents de l'action de Bendjelloul est le recours au plus haut niveau de l'Etat pour exprimer ses revendications. Ce trait caractéristique témoigne d'une foi en l'autorité du pouvoir central français qui serait le garant des valeurs républicaines d'égalité et de droits humains.

Les changements répétés de gouvernement et de régimes politiques ont fait perdurer l'espoir que les réformes promises seraient bientôt mises en oeuvre. Régulièrement, des évènements semblent indiquer une évolution des mentalités françaises : l'élection du Front populaire et le projet Blum Viollette, la nouvelle politique coloniale annoncée par De Gaulle au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, les opportunités pour Bendjelloul de devenir un élu parisien pour porter lui-même ses revendications au coeur de l'État colonial. Ces espoirs, systématiquement déçus, expliquent peut-être en partie la persévérance de Bendjelloul, sans expliquer pourquoi plusieurs de ses collègues auparavant assimilationnistes rejettent la politique d'intégration bien avant 1955. Une limite inhérente à ce projet est liée à l'individualité des résultats : les dynamiques constatées chez Bendjelloul sont-elles généralisables à sa cohorte politique ? Il est marquant de retrouver parmi les signataires de la motion des 61 des noms déjà présents dans les archives datant des années 1930, comme Smail Lakhdari ou le Docteur Tamzali. Un travail de thèse souhaitant approfondir la question du courant réformiste algérien tirerait profit d'une approche prosopographique de ces contemporains assimilationnistes de Bendjelloul, en plaçant ce courant dans le contexte maghrébin, voire plus largement dans le contexte des colonies françaises.

Cet idéal de libération de l'Algérie par l'assimilation, idéal d'être aussi libre que les Français de France, n'est pas seulement un idéal individuel pour Bendjelloul. La personnalisation de sa politique dans les années 1930 puis son implication dans des affaires de trafic ou de collaboration et ses fréquentes affirmations de loyalisme ont fait dire à certains que c'était son intérêt personnel ou l'intérêt de sa classe sociale qui motivait l'action de Bendjelloul1. En étudiant ses revendications, on voit que ce sont ses électeurs que Bendjelloul

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place au coeur de son action. L'élu relaie les plaintes concrètes des populations aux autorités françaises : en attribuant à celles-ci la responsabilité des conditions de vie et les droits des Algériens musulmans, il affirme les droits de ses mandants auprès de leur gouvernement, à égalité avec les Français. Pour cela, il reformule les plaintes selon ses convictions assimilationnistes, mais il adapte également son expression politique à ses interlocuteurs, pour les convaincre que promouvoir la cause des Algériens musulmans est dans leur intérêt. Comme la plupart des réformistes des années 1930, il reprend certaines antiennes de l'idée de mission civilisatrice. Puis, durant la Seconde Guerre Mondiale, il souligne l'importance stratégique pour la France de donner tort à la propagande allemande en créant un sentiment de loyauté envers la métropole chez les Musulmans : pour que ceux-ci acceptent de se battre pour une France libérée et souveraine, il faut leur donner des raisons d'imaginer leur propre liberté dans ce cadre français à restaurer. Dans le contexte de réflexion sur les nouvelles institutions de la IVe République et de l'Union Française enfin, il fait partie des hommes politiques algériens qui placent l'Algérie au coeur des débats sur le fédéralisme, la constitution, la citoyenneté, le suffrage universel. Ces trois exemples montrent que le dénominateur commun de son action est le progrès du niveau de vie et des droits des Algériens : ses emprunts aux programmes de la mission civilisatrice, de la victoire alliée ou du fédéralisme reflètent en réalité les intérêts de ses interlocuteurs français, dont il reprend le langage politique pour faire progresser ses revendications.

Pour Bendjelloul, l'assimilation des Algériens dans la nation française est d'abord une question de droits politiques et de niveau de vie. Les questions culturelles sont marginales dans son discours. Il souhaite que les Algériens bénéficient comme lui d'une éducation, mais plus pour les opportunités économiques et politiques que cela leur apporterait ; et lorsqu'il évoque l'Islam c'est pour insister sur l'enrichissement moral qu'est la religion pour les Français musulmans. Bendjelloul appelle de ses voeux l'entente franco-musulmane et le développement de l'Algérie, pas la dissolution de la culture algérienne musulmane dans la culture française. Cette idée est résumée dans le mantra des Elus dans les années 1930 : la citoyenneté avec maintien du statut personnel.

Bendjelloul Mohamed, ancien député [activités assez suspectes] », Alger, n.d. (vers 1958), 911K590, ANOM, Aix-en-Provence.

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Bendjelloul se positionne en médiateur entre les autorités coloniales et les populations colonisées, dont il se présente comme l'interprète. Il voit leurs intérêts du côté de la citoyenneté française en raison de ses convictions personnelles, mais à partir du débarquement allié et particulièrement au sein du Groupe des 61 son action révèle que son idéal d'une Algérie française est malgré tout subordonné à l'intérêt des Algériens. Dès les années 1930, il considère comme son devoir d'avertir les colonisateurs que des réformes sont nécessaires s'ils veulent maintenir leur autorité sur les populations. A partir du milieu des années 1940, ces appels deviennent plus pressants et plus ambitieux, et Bendjelloul demande plusieurs fois au cours de ses différents mandats de doter l'Algérie d'une constitution propre, offrant l'autodétermination à tous les habitants de l'Algérie, quel que soit leur statut personnel. Dans les premiers mois de la guerre d'indépendance, il continue de se déclarer personnellement partisan de l'intégration. Mais lorsqu'il devient indéniable qu'un entêtement dans cette voie ne ferait qu'aggraver la répression envers les populations, Bendjelloul renonce publiquement à son idéal d'assimilation. Il s'efforce alors de rassembler les figures politiques algériennes autour de l'autodétermination, qu'il voit comme le bien de l'Algérie de la même manière qu'il justifiait jusqu'ici sa collaboration avec les Français par le bien de l'Algérie.

Au terme de cette étude de la carrière du Docteur Bendjelloul, on ne peut que constater l'échec des politiciens réformistes à régler le conflit colonial : sur toute la période étudiée la France refuse de collaborer avec les réformistes, et l'Algérie devient indépendante après huit années de lutte nationaliste armée, violemment réprimée par un Etat français en faillite. Discréditées par les nationalistes et écartées des négociations par la France, les élites réformistes et parmi eux Bendjelloul ne jouent pas le rôle-clé qu'ils ont cherché à avoir dans la résolution du conflit colonial en Algérie. Cette situation contraste avec la résolution d'autres conflits coloniaux ailleurs dans l'Empire français : en Côte-d'Ivoire par exemple ou au Sénégal, ce sont les modérés Félix Houphouët-Boigny et Léopold Sédar Senghor qui sont favorisés dans les négociations avec la France et qui forment l'élite politique à l'indépendance de leurs pays respectifs1. Comment expliquer les résultats si différents des réformistes de part et d'autre du Sahara ? Si le statut particulier de l'Algérie et du lobby colonial a certainement joué un rôle

1 Frederick Cooper, Français et Africains? être citoyen au temps de la décolonisation, tr. Christian Jeanmougin, Paris, Payot, 2014.

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crucial dans cette politique coloniale différenciée, une étude comparative des idées et des parcours de réformistes de différents espaces coloniaux permettrait néanmoins d'enrichir la compréhension de la complexité des expériences coloniales dans l'Empire français. Plusieurs moments de cette étude ouvrent à une mise en perspective impériale ou transimpériale : Bendjelloul est comparé à Gandhi, il fonde en 1947 une association de soutien aux Egyptiens frappés par une épidémie de choléra, il est député au moment où l'Assemblée vote l'ordre du jour gouvernemental sur l'Indochine et débat sur l'indépendance de la Tunisie et du Maroc. L'étude des liens entre différents territoires colonisés et entre différents empires est une question de plus en plus souvent étudiée1 et qui permet de proposer une histoire des colonies décentrée de la métropole. Le milieu des assimilationnistes algériens offre un angle d'approche original à la question des relations transimpériale.

1 Voir par exemple M'hamed Oualdi, A Slave Between Empires: A Transimperial History of North Africa, New York, NY, Columbia University Press, 2020 ; Michael Goebel, Anti-Imperial Metropolis: Interwar Paris and the Seeds of Third World Nationalism, Cambridge, Cambridge University Press, 2015 ; Maureen Murphy, « Paris, capitale anticoloniale ? », Hommes & migrations. Revue française de référence sur les dynamiques migratoires, 1338, 2022, p. 19-25.

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Table des figures

Figure 1 Couverture de La Vérité sur le Malaise Algérien de Kessous. Bone, 1935 266

Figure 2 Portrait du Docteur Bendjelloul dans le journal El Midane du 27 juin 1937 388

Figure 3 La Une de l'Entente du 2 Novembre 1939 avant et après censure 622

Figure 4 Reproduction de télégramme du 10 août 1942 de Bendjelloul au Maréchal Pétain 688

Index des noms propres

Abbas (Ferhat), 9-11, 30, 35, 46, 51-52,

55-64, 66, 73-75, 81-83, 90, 92, 105,

107, 109

- Amis du Manifeste, 81, 83

- UDMA, 101, 105

Benbhamed (Mostefa), 97

Cadi (Abd-el-Kader), 99

De Gaulle (Général Charles), 56, 72, 75-

76, 83, 89-90, 121

Fédération des Élus Musulmans (FEM), 8-

9, 18, 25, 33-39, 42-50, 53, 55-60, 63-

66, 74, 79, 82-83, 90, 101, 121

Front de Libération Nationale (FLN), 13,

39, 103, 106, 108-110, 112-114, 120

Gandhi, 14, 67-70

Hadj (Messali), 10, 83, 109

-Parti du Peuple Algérien (PPA), 83

Jeunes Algériens, 28, 41, 60

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- Emir Khaled, 25, 39

Kessous (Mohammed-El-Aziz), 26-27, 43,

82, 125

Kessous (Docteur Youcef), 97, 101

Lakhdari (Docteur Smaïl), 82, 91, 121

Oulémas, 48, 83

Ourabah (Abdelmajid), 93, 95

Parti Communiste, 50, 101

Paul Cuttoli, 77

Projet Viollette, 34, 46-47, 49, 51-52, 75

Rabah Zenati, 46-47

Saadane (Docteur Chérif), 30, 42, 57, 66,

73

Sid Cara (Chérif), 93, 95

Tamzali (Docteur Abdennour), 77-80, 121

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