WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La protection des savoirs traditionnels autochtones par la propriété intellectuelle dans l'espace OAPI


par Edson Wencelah TONI KOUMBA
Université de Montréal -  2023
  

précédent sommaire

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

CONCLUSION

Au crépuscule de nos analyses, plusieurs questions nous taraudent l'esprit . Premièrement, 61 ans après l'Accord de Libreville portant création de l'Office africain et malgache de la propriété industrielle, les pays d'Afrique centrale ont-ils désormais un mot à dire dans le grand concert des nations sur l'économie de l'immatériel dont la propriété intellectuelle est le « bras armé » juridique107 ? Dans le domaine de la protection des savoirs traditionnels autochtones, la réponse à cette question reste très mitigée . En effet, après nos analyses développées dans ce texte, il apparaît clairement que le droit de l'organisation africaine de la propriété intellectuelle qui résulte

105 . Loi no 8-2010 du 26 juillet 2010, portant protection du patrimoine national culturel et naturel .

106 . Marie-Pierre Besnard, La mise en valeur du patrimoine culturel par les nouvelles technologies, Caen, Prépublications de l'Université de Caen Basse-Normandie, 2008, à la p 4 .

107 . Vivant, supra note 25 à la p 3 .

568 Les Cahiers de propriété intellectuelle

de l'Accord de Bangui et de ses Annexes constitue pour tous les États membres un « Code de la propriété intellectuelle » . Mais qu'il s'agisse de la propriété industrielle ou de la propriété littéraire et artistique, ce système classique de protection s'avère soit incomplet, insuffisant ou inadéquat . Même si, en 2007, un Accord relatif à la protection des savoirs traditionnels additif à l'Accord de Bangui avait été adopté, le recours à ce système sui generis reste toujours insuffisant tant le domaine de protection des savoirs traditionnels est vaste et très dynamique .

En effet, si l'on convient que la notion de « savoir traditionnel », dans une conception lato sensu renvoie à la fois, aux connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques, aux expressions culturelles traditionnelles, oeuvres du folklore etc ., il faut donc envisager cette protection suivant une approche fragmentée et multiforme .

C'est en envisageant cette protection sous un angle environnemental que les États d'Afrique centrale se sont positionnés aux côtés des autres pays en développement lors des négociations de la CDB pour équilibrer l'écart « Nord-Sud » . Dans ce sens, ils ont bénéficié d'une CDB conçue suivant un modèle du Rio package deal . Cette convention sera considérée comme la première tentative de la communauté internationale à aborder la diversité biologique en tant qu'une seule et même entité d'un instrument juridique mon-diale108 . Elle abordait plusieurs thématiques en faveur des pays en développement notamment celle de l'APA, la souveraineté des États sur leurs ressources naturelles, les communautés autochtones et locales et les connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques . Ces débats controversés sur le troisième objectif de ladite convention ont ainsi abouti à la signature du protocole de Nagoya en 2010 sur l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées, ainsi que le partage juste et équitable des avantages auquel tous les pays de l'Afrique centrale membres de la COMIFAC sont parties . Dans ce protocole, l'accès aux connaissances traditionnelles des communautés autochtones et locales est soumis au consentement préalable donné en connaissance de cause sur la base des conventions convenues d'un commun accord .

Les pays d'Afrique centrale ont ainsi adopté des textes législatifs ou réglementaires, envisagé des stratégies et des politiques pour protéger leurs connaissances traditionnelles associées aux ressources génétiques .

108 . Greiber et al, supra note 3 à la p 3 .

La protection des savoirs traditionnels autochtones 569

Mais cette protection sera aussi envisagée sous un angle culturel à travers l'adoption de plusieurs textes internationaux sur la protection du patrimoine culturel immatériel et la diversité des expressions culturelles traditionnelles .

La seconde question est celle de savoir si, au lendemain de leurs indépendances, les objectifs fixés par les États africains et particulièrement ceux d'Afrique centrale à savoir « la libération du génie créateur des peuples africains [y compris de leurs communautés autochtones] »109 ; la prise « des dispositions pour mettre fin au pillage et [à la spoliation] de leur patrimoine culturel [y compris les savoirs traditionnels autochtones] dont ils sont victimes »110 ont été atteints . Dans le domaine des savoirs traditionnels, s'il y a eu certes une vraie prise de conscience sur la valeur, l'importance de cette richesse immatérielle et si depuis l'indépendance à ce jour, on a relevé dans ces pays, une véritable profusion des normes, tous azimuts, visant la protection de leurs savoirs traditionnels autochtones .

Seulement, pour reprendre les mots du professeur Maurice Kamto qui, parlant de l'ineffectivité des normes des pays africains, affirmait que « le sommeil [ou l'ineffectivité] n'est pas une particularité des normes juridiques de l'environnement, c'est une caractéristique du droit africain dans son ensemble : c'est tout le droit [y compris celui qui régit la protection des savoirs traditionnels autochtones] qui paraît en hibernation »111 . Cette ineffectivité a eu pour conséquence l'inefficacité, on relève à ce jour toujours des brevets qui résultent de l'appropriation illicite des savoirs traditionnels autochtones, le phénomène criminel de la biopiraterie reste quasiment impuni dans ces pays . Aussi, la spoliation des savoirs traditionnels autochtones en Afrique reste une réalité . Certains auteurs ont estimé que « la relation entre le droit des brevets et les savoirs traditionnels est marquée par les dénonciations des cas de biopiraterie, qualifiés de pillages des savoirs traditionnels [ . . .] . [Et], l'objet du droit des brevets n'est pas, à l'origine de protéger les savoirs traditionnels . S'il se révèle protecteur, ce n'est donc que de manière incomplète, car, tel n'est pas son objet principal »112 .

109 . Article 2b) de la Charte culturelle de l'Afrique .

110 . Article 28 de la Charte culturelle de l'Afrique .

111 . Maurice Kamto, Droit de l'environnement en Afrique, Universités francophones, Vanves, EDICEF, 1996, à la p 18 .

112 . Choralyne Dumesnil, « Les savoirs traditionnels médicinaux pillés par le droit des brevets ? » (2012) XXVI:3 Revue internationale de droit économique 321, à la p 336 .

570 Les Cahiers de propriété intellectuelle

Ainsi, on peut dire sans ambages que les objectifs de protection des savoirs traditionnels autochtones dans les États d'Afrique centrale membres de l'OAPI, en l'état actuel, ne sont pas totalement atteints .

Dans ces pays, bien qu'ayant adopté les Accords de Bangui et ses Annexes, cet arsenal juridique de propriété intellectuelle organise cette protection, certes, de façon incomplète et partielle . Cette fragmentation du régime de protection les a conduits à l'adoption d'autres mesures .

Mais, tout au moins, les efforts sont consentis dans la mise en place des cadres juridiques tant au niveau régional, sous-régional que national en ce sens . C'est ainsi que depuis le début du XXIe siècle, ces États membres de l'OMPI participent au Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC) . Ce cadre mondial de discussion sur ces questions vise entre autres à aboutir à la mise en place d'un cadre juridique (un ou plusieurs instruments) international spécifiquement adapté à la protection des savoirs traditionnels pour définir des mesures de protection plus cohérentes, équilibrées et éviter ainsi les lacunes et la fragmentation . Lors de sa 64e série de réunions des assemblées des États membres de l'OMPI, du 6 au 14 juillet 2023, il a été décidé qu'« une conférence sera convoquée au plus tard en 2024 pour conclure un instrument juridique international sur la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques et aux savoirs traditionnels associés aux ressources génétiques »113 .

Aujourd'hui, on comprend que les savoirs traditionnels, dans sa conception large, constituent pour les États d'Afrique centrale membres de l'OAPI un enjeu économique de ce début du XXIe siècle . Ils apparaissent comme un aspect important dans une économie du savoir, pouvant efficacement contribuer au plan macro et micro économique . Pour ces États, un long parcours a déjà été accompli en la matière, mais le domaine de la propriété intellectuelle est dynamique et évolutif, le droit de l'OAPI n'en fait pas exception, il suit son processus d'intégration des aspects de prise en compte de la protection des savoirs traditionnels en général et ceux émanant des communautés autochtones des pays d'Afrique centrale en particulier .

113 . Rapport sur le Comité intergouvernemental de la propriété intellectuelle relative aux ressources génétiques, aux savoirs traditionnels et au folklore (IGC), WO/ GA/56/10, 56e sess (19 juin 2023) à la p 5 .

La protection des savoirs traditionnels autochtones 571

Sur les questions des savoirs traditionnels autochtones, les États d'Afrique centrale avancent au rythme du reste des pays du monde, il leur faut cependant arrimer ces savoirs traditionnels autochtones à la recherche et développement et aux innovations technologiques pour tirer tous les bénéfices et avantages . Il faut aussi accentuer le niveau de protection des droits de populations autochtones pour permettre à ces communautés de bénéficier des avantages découlant de l'exploitation de ces connaissances . On peut donc affirmer que dans la protection des savoirs traditionnels autochtones beaucoup reste à faire certes, mais le meilleur pour les États d'Afrique centrale dans ce domaine reste à venir .

précédent sommaire






La Quadrature du Net

Ligue des droits de l'homme