Le droit international est-il en crisepar Gbedokoun Eusebe SOSSOU Université Amadou Hampaté Ba de Dakar - Master 2 en Droit public option Relation internationale et Management Public 2023 |
TITRE I : Une crise constatée du droit internationalChapitre I- une crise d'effectivité constatéeSection I - La défaillance de l'exercice de la souveraineté étatique Section II - Le déclin de l'interdiction du recours à la force Chapitre II - Une crise de légitimité constatée Section I - Le cas de l'Organisation des Nations Unie Section II - Le cas de la justice internationales TITRE II : Une crise à relativiser du droit internationalChapitre I- Des Efforts de résilience constatésSection I - En matière de protection des individus Section II - En matière de protection de l'environnement Chapitre II - Des perspectives de renaissance souhaitéesSection I - La réforme impérative du conseil de sécurité Section II - Le renforcement des mesures de paix Conclusion générale« Les États sont les acteurs principaux sur la scène internationale et leurs positions façonnent le destin du monde ».1 1 Ban Ki-moon est un diplomate et homme politique sud-coréen. Il fut le huitième secrétaire général des Nations unies et a occupé cette fonction du 01janvier 2007 au 31 décembre 2016. Il a prononcé cette phrase à l'occasion de la Journée internationale de la paix, le 21 septembre 2015. INTRODUCTION« Les transformations profondes survenues dans l'ordre des événements comme dans celui des idées obligent les internationalistes à repenser leur discipline dans son entier. Le formalisme juridique2 est vivement combattu, le droit international est invité à prendre contact avec la réalité »3. Cette assertion de Charles De Visscher vient relayer celle formulée, plus d'une décennie plus tôt, par Hersch Lauterpacht, en ces termes mémorables : « Le droit international est situé, pour ainsi dire, au point disparaissant "vanishing point" du droit »4. Selon l'adage latin, "ubi societas, ibi jus"5, toute société sécrète son propre droit. Un droit international existe dans la mesure même où une société internationale existe6. La société est faite d'échanges, d'alliances et de rivalités qui transcendent les frontières des systèmes étatiques. Les débats actuels sur les conséquences de la « mondialisation7 » ou sur les enjeux du « choc 2 Le formalisme juridique peut se définir comme « la technique selon laquelle la validité et l'efficacité des actes sont subordonnées à l'observation de certaines formes, à des formalités ». Lien : https:// www.ipeut.com/droit/loi- generale/375/la-notion-de-formalisme-juridi41167.php, consulté le 23 Aout 2023 à 10h25. C'est une notion qui est souvent abordée par certains doctrinaires du droit international notamment François- Xavier LICARI qui dans son article « Le formalisme juridique comme science du matériau juridique pur » paru en 2019 dans la Revue de la Recherche Juridique - Droit prospectif, rappelle la célèbre conception de H. Levy- Bruh du formalisme juridique «le régime dans lequel la forme prédomine sur le fond, en ce sens que l'observation des formalités préétablies suffit à entraîner des effets recherchés, sans qu'aucune considération soit portée à aucun autre élément, notamment à l'intention de l'auteur de l'acte envisagé ». LEVY-BRUHL (Henri), « Réflexions sur le formalisme social », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 15, Paris, PUF, 1953, p. 53. 3 DE VISSCHER (Charles), Théories et réalités en droit international public, Paris, Pedone, 1970, p. 101 4 KUNZ (Joseph), « La crise et les transformations du droit des sens », Recueil des Cours de l'Académie de droit international, Tome II, 1955, p. 42. 5 "Ubi societas, ubi jus" est une expression latine qui signifie «Là où il y a une société, il y a un droit». C'est un principe qui affirme que le droit est nécessaire pour réguler les relations entre les membres d'une société. Lien : https:// www.studocu.com/fr/document/universite-grenoble-alpes/introduction-au-droit/intro-droit-pdf/73487146, consulté le 23 Aout 2023 à 10h 29. 6 DECAUX (Emmanuel.) et DE FROUVILLE (Olivier), Droit international public, 12e édition Dalloz, Paris, 2020, p.54. 7 « La mondialisation, au sens général du terme, constitue à la fois le processus et le résultat du processus selon lequel les phénomènes de divers ordres (économie, environnement, politique, etc.) tendent à revêtir une dimension proprement planétaire. ». « L'Encyclopadia Universalis », vol. 15 : Météorologie-Néolithique, Paris, 2002, p. 416. des civilisations8 » ne font que confirmer l'importance prise par la société internationale dans un monde fini où nul individu, comme nul État, ne peut vivre en autarcie, en s'affranchissant des règles communes9. L'équilibre politique du pouvoir mis en place par le droit international dans le cadre de l'ONU (droit institutionnel et matériel) se trouve remis en question suite aux grandes transformations de la société internationale. L'évolution récente de la politique mondiale suscite des interrogations quant à l'état du droit international. Cette question de savoir si le droit international est en crise est essentielle dans un monde marqué par des défis tels que les conflits10, le changement climatique, les inégalités et les tensions géopolitiques11. C'est dans cette optique que s'inscrit notre sujet qui s'intitule : le droit international est-il en en crise ? L'analyse de l'objet de notre réflexion, ainsi déterminée, requiert le préalable du rappel de données théoriques éclairantes pour une meilleure appropriation. La sémantique et l'étymologie étant très importantes dans le droit, il convient alors de faire, sortir quelques approches définitoires de certaines notions clés composant la thématique. Ce travail de définition est d'un enjeu capital quant à la compréhension du sujet. Comme le fait remarquer Gérard Cornu, définir « c'est extraire l'essence et le sens qu'attache le Droit à un terme »12. 8 "Le choc des civilisations" est une théorie de Samuel Huntington, professeur américain de science politique, exposée dans son livre "The Clash of Civilizations" en 1996. Sa thèse centrale repose sur la description d'un monde divisé en huit civilisations : occidentale, slave-orthodoxe, islamique, africaine, hindoue, confucéenne, japonaise et latino-américaine. Une civilisation est, selon Huntington, « le mode le plus élevé de regroupement et le niveau le plus haut d'identité culturelle dont les humains ont besoin pour se distinguer ». La notion de « choc » en découle : un conflit a plus de chance de devenir une crise majeure s'il met aux prises des États issus de civilisations différentes. Autrement dit, l'existence même de ces civilisations différentes annonce une conflictualité irréductible sur la scène internationale. 9 DECAUX (Emmanuel.) et DE FROUVILLE (Olivier), op.cit. 10 Hugo Grotius dans son ouvrage majeur, De jure belli ac pacis (Du droit de la guerre et de la paix), publié en 1625 définit le conflit comme « un état de guerre ouvert et armé entre des entités politiques, telles que des États souverains ». Il fait une distinction entre le jus ad bellum (le droit de recourir à la guerre) et le jus in bello (le droit applicable pendant la guerre) ». GROTIUS (Hugo), Le droit de la guerre et de la paix paru en 1625, traduit par PRADIER-FODERE (Paul), Paris, Guillaumin et Cie, 1867, 3 tomes, réédité par ALLAND (Denis) et GOYARD- FABRE (Simone), collection Léviathan, Paris, Presses universitaires de France,1999, pp.145. 11 Selon LACOSTE (Yves) professeur émérite de géopolitique à l'Université Paris-VIII, par géopolitique, il faut entendre « toute rivalité de pouvoirs sur ou pour du territoire. Toute rivalité de pouvoirs n'est pas nécessairement géopolitique. Pour qu'elle le soit, il faut que les protagonistes se disputent au premier chef l'influence ou la souveraineté d'un territoire ». Lien : https:// www.vie-publique.fr/parole-dexpert/277002-definir-la-geopolitique- par-yves-lacoste, consulté le 23 Aout 2023 à 11h 06. 12 CORNU (Gérard) (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, P.U.F., coll. Quadrige, 2018, 12e éd., p. 13. Une première donnée théorique conduit à une quête de sens, d'une part de l'expression "crise" et d'autre part du syntagme "le droit international". On voit s'offrir la possibilité d'une double extraction. Étymologiquement, l'expression crise est empruntée, par l'intermédiaire du latin médiéval crisis (manifestation grave d'une maladie) issu du grec "êñßóéò", krisis (jugement)13 qui a d'abord le sens d'action ou de faculté de choisir (d'où sont tirés les autres sens d'élection, de décision judiciaire et de dénouement) et celui d'accident d'ordre médical, brusque et inattendu14. En français, c'est essentiellement ce dernier sens qui est conservé, ainsi que ses emplois figurés, pour désigner un évènement soudain qui vient, comme l'altération brusque de la santé, troubler et bouleverser une situation jusqu'alors paisible. On parlera ainsi, à juste titre, de la crise financière de 192915. Pour sa part, le mot droit est issu du latin directum, neutre pris substantivement et de l'adjectif directus : ce qui est en ligne droite, direct, sans détour, droit16. International ,quant à lui renvoie à l'adjectif formé à l'aide du préfixe inter (entre) qui vient du latin et de l'adjectif national qui provient du mot latin nascere17. Le mot a été inventé en 1780 par Jeremy Bentham pour l'expression "international jurisprudence"18. Sémantiquement, comme tout droit, le droit international est avant tout « un fait de langage »19, un ensemble de signes et de symboles, composé de concepts précis 20 (droit21 et international22). 13 Lien : https://fr.wiktionary.org/wiki/crise, consulté le 23 Aout 2023 à 16h 16. 14 Lien : https:// www.academie-francaise.fr/crise, consulté le 23 Aout à 16h21. 15 La crise de 1929 est la plus grave crise économique du XXe siècle, qui a commencé par un effondrement des cours boursiers à Wall Street, le 24 octobre 1929, le « jeudi noir ». Lien : https:// www.larousse.fr/encyclopedie/divers/la_crise_de_1929/187370, consulté le 23 Aout à 16h23. Elle a entraîné une récession mondiale, une forte augmentation du chômage et de la misère, et des bouleversements sociaux et politiques dans de nombreux pays. Lien : https:// www.universalis.fr/encyclopedie/crise-de- 1929/,consulté le 23 Aout à 16h25. 16 CORNU (Gérard) (dir.), op.cit., p. 817. 17 Lien : https:// www.lalanguefrancaise.com/dictionnaire/definition/international, consulté le 23 Aout à 16h28 18 Lien : https:// www.etymonline.com/word/international, consulté le 23 Aout à 16h32 19 CAHIN (G.), « Apport du concept de mythification aux méthodes d'analyse du droit international », in Mélanges offerts à C. Chaumont, Pedone, 1984, p. 89 20 DUPUY (P.-M.), « L'unité de l'ordre juridique international. Cours général de droit international public », RCADI, vol. 297, 2002, p. 200. 21 « La règle de droit est l'ensemble des règles obligatoires qui régissent la vie en société et dont l'inobservation entraîne la mise en place de sanctions organisées ». RANJEVA (Raymond) et CADOUX (Charles), Droit international public, Edicef, Paris, 1993, p. 15. 22 « Qui concerne les relations entre nations (au sens d'État) ; s'applique tantôt à la source du Droit (celui-ci émanant non d'un seul État, mais de plusieurs, ou de la communauté internationale), tantôt à son objet (la règle On entend généralement par droit international l'ensemble des normes et institutions destinées à régir la société internationale23. Cette étroite connexité entre droit international et société internationale n'est pas sans rappeler le célèbre adage ubi societas, ibi jus. Généralement, il se définit comme le droit applicable à la société internationale. Cette formule qui, à quelques différences près dans les termes, se retrouve aujourd'hui sous la plume de tous les auteurs, est la plus simple bien qu'elle ne soit pas pure constatation d'une évidence. Elle implique l'existence d'une société internationale distincte de la société nationale ou société interne, ou encore étatique24. Elle délimite, en même temps, les champs d'application respectifs du droit international et du droit interne. La dénomination « droit international » est aujourd'hui celle qui est la plus couramment employée pour désigner le droit de la société internationale25. Elle est la traduction de l'expression « International Law » dont la paternité revient à Bentham26. Dupuy et Kerbrat reprenant l'approche hegelienne27, qui présente le droit international comme « une technique de formalisation des volontés souveraines, permettant d'établir une large mesure de stabilité et de prévisibilité aux relations établies entre les États, directement ou dans le cadre des organisations internationales », le conçoit comme « l'ensemble des normes et des institutions destinées à régir la société internationale »28. Cette conception normative du droit international repose sur l'idée selon laquelle le droit international est un ensemble de règles, d'accords et de traités qui sont contraignants entre les pays dans la mesure où ces derniers se émanant d'un seul État mais visant des situations qui en intéressent plusieurs) ». CORNU (Gérard) (dir.), op.cit., p. 1215. 23 KADA (Nicolas) et MARTIAL (Mathieu) (dir.), Dictionnaire d'administration publique, coll. Droit et action publique , Grenoble, PUG, 2014, pp. 171 à 172. 24 NGYUEN (Quoc Dinh) et alii, Droit international public, 8e éd. Lextenso, Paris, L.G.D.J, 2009, p.43 25 Ibid. 26 Jeremy BENTHAM est un théoricien britannique majeur de la philosophie du droit, radicaliste dont les idées ont grandement influencé le développement du conséquentialisme, il est surtout reconnu comme étant le père de l'utilitarisme avec John Stuart Mill. Il est le premier à évoquer l'expression « International Law » dans son livre « An introduction to the Principles of Moral and Législation » paru en 1780. 27 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, un philosophe allemand et l'un des figures les plus influentes de l'idéalisme allemand et de la philosophie du XIXe siècle . Sa conception du droit international s'articule autour de l'idée traditionnelle selon laquelle le droit international traditionnel est souvent considéré comme une fiction inutile. Les hommes d'État ne suivent les stipulations juridiques que lorsqu'il est dans leur intérêt de le faire. Le droit international ne joue aucun rôle indépendant en politique mondiale car il peut toujours être réduit aux considérations plus fondamentales de la politique de puissance. Les intérêts nationaux ne se plient tout simplement pas aux exigences juridiques. 28 DUPUY (Pierre-Marie) et KERBRAT (Yann), Droit international public, 14e éd. Dalloz, Paris, p. 49. réunissent pour établir des règles contraignantes qu'ils estiment bénéfiques pour les citoyens, aboutissant à un système de droit indépendant existant en dehors du cadre juridique d'un État particulier. Une grande partie de la doctrine internationale partage cette conception à l'instar de Jeremy Bentham « un ensemble de règles régissant les relations entre les États »29 . Cependant, cette définition n'inclut pas deux éléments importants qui montrent à quel point le droit international a évolué aujourd'hui : les individus et les organisations internationales. « Celui qui voudra s'en tenir au présent, à l'actuel, ne comprendra pas l'actuel »30. Cette remarque de Michelet est pleinement justifiée à l'égard du droit international qui, plus que toute autre branche du droit, est inséparable de son histoire parce qu'il est un droit essentiellement évolutif. Dans cette optique, il est important de rappeler que jusqu'au XIXe siècle, le droit international présentait deux caractéristiques. D'une part, organiquement, il était un droit purement interétatique, c'est-à-dire qu'il ne régissait que les activités des États, considérés comme les seuls sujets de droit. Cette conception stato-centrée du droit international s'expliquait par la sacralisation de la souveraineté étatique reconnue par les traités de Westphalie de 164831. D'autre part, matériellement, son champ d'application se limitait, pour l'essentiel, à certaines thématiques, telles que le droit diplomatique, le droit de la paix et de la guerre ou encore le droit de la navigation maritime. Le droit international contemporain a subi des évolutions significatives. Dans sa dimension organique, il s'est diversifié. Le monopole étatique a disparu avec l'institutionnalisation de la société internationale et l'apparition d'organisations internationales dotées de la personnalité juridique. Par ailleurs, le droit international, sans en faire de véritables sujets de droit, prend en considération notamment les individus, les organisations non gouvernementales, la société civile. La crise, selon CORNU Gérard, c'est une situation troublée (souvent conflictuelle) qui à raison de sa gravité, justifie des mesures 29 "A collection of rules governing relations between states». Lien : https:// www.ourlegalworld.com/definition-of- international-law, consulté le 24 Aout à 11h10 30 MICHELET (Jules), le Peuple, Calmann-Lévy, Paris, 1846, p.x. 31 Ces traités mirent fin à la guerre de Trente Ans qui ensanglanta l'Allemagne. À l'origine, celle-ci était autant religieuse que politique. À partir de 1635, cette guerre s'orienta vers une lutte d'influence entre la Maison de France et celle d'Espagne à laquelle devaient participer d'autres nations. La guerre se termina par la conclusion de deux traités, les 14-24 octobre 1648, celui d'Osnabrück et celui de Münster qui constituaient les traités dits de Westphalie. Le Traité d'Osnabrück fut conclu entre la reine de Suède et ses alliés dont la France, d'une part, et, d'autre part, l'empereur et les princes d'Allemagne. Les parties au Traité de Münster étaient aussi au nombre de deux : d'une part, la France et ses alliés dont la reine de Suède et, d'autre part, l'empereur et les princes d'Allemagne. Ainsi, ces deux traités revêtirent la forme bilatérale car à l'époque, la technique des traités collectifs était encore inconnue. NGYUEN (Quoc Dinh), op.cit., p. 61. d'exceptions32, que ce soit en sociologie, en économie ou en relations internationales33, révèle la difficulté à en cerner de façon générique les causes, caractéristiques et conséquences pour l'environnement dans lequel elle prend place. En termes généraux, la crise est une situation d'anomie34 provoquée par le changement. La notion de « crise » s'oppose en principe à celle de « normalité ». Une situation est qualifiée de crise si elle présente des caractéristiques considérées comme anormales sur une période donnée et si, sur cette période, les outils de régulation existants s'avèrent inadéquats. Ainsi une situation présentant des signes d'anomalie ne devient crise que si les organisations compétentes faillissent à restaurer la normalité. La crise connaît donc une dynamique qui est en partie fonction de sa gestion et des processus de décision qui se mettent en place pour y faire face35. À l'origine, le terme de crise est lié à l'univers médical. Cela signifie un changement brutal de l'état de santé d'un patient. La notion de crise est aujourd'hui présente dans de nombreux domaines. On connaît notamment les crises sanitaires, juridiques, cybernétiques, environnementales, sociétales, médiatiques, etc. Généralement elle désigne une période, un phénomène critique où il est nécessaire de faire un choix pour faire face à un changement majeur. Une crise est alors une situation intenable, inattendue et qui est une menace pour un système. Elle peut intervenir dans n'importe quel cadre. Elle peut se dérouler dans un temps court, mais également dans un temps long36. Selon le dictionnaire le Robert, elle peut être perçue comme « phase grave dans une évolution (évènements, idées) »37. Toute étude, pour que sa pertinence soit mieux saisie, commande que son champ soit délimité avec précision, ce qui permettra de mieux comprendre ses contours. La présente étude 32 CORNU (Gérard) (dir.), op.cit., p. 637. 33 « Ensemble des rapports de fait ou de droit qui se créent ou sont établis entre les États ». Lien : https:// www.thesaurus.gouv.qc.ca/tag/terme.do?id=10857, consulté le 24 Aout 2023 à 11h13 34 « Désorganisation sociale résultant de l'absence de normes communes dans une société ». C'est une notion élaborée par Durkheim en 1893 dans sa thèse intitulé la Division du travail social (1893), plus précisément dans le livre III consacré aux formes anormales de la division du travail, que l'on trouve une première version du concept d'anomie. 35 TARDY (Thierry), Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix, De Boeck Supérieur, Paris, 2009, https:// www.cairn.info/gestion-de-crise-maintien-et-consolidation--9782804116392.htm, consulté le 24 Aout 2023 à 11h17 36 Lien : https:// www.anfh.fr/thematiques/gestion-de-crise/definition-de-la-crise, consulté le 24 Aout 2023 à 11h25. 37 Lien : https://dictionnaire.lerobert.com/definition/crise, consulté le 24 Aout 2023 à 11h27 ne fera pas une exception. Cette délimitation porte tant sur le champ matériel que sur le champ temporel. Sur le premier élément de cette délimitation, le point central de notre étude s'inscrira dans la dynamique actuelle du droit international qui subordonne à des multitudes de réflexions dans la mesure où il est censé encadré la conduite des États (sujets principaux du droit international) et les sujets dérivés dans le but de sauvegarder la paix et la sécurité internationale mais fait preuve d'une obsolescence notoire. Ainsi on analysera les indicateurs (l'émergence de plusieurs acteurs dont l'évolution considérable empiète sur l'ordre international préétabli, non-respect des normes internationales , les conflits internationaux dont l'issue paralyse le système juridictionnel international, l'inefficacité de certaines institutions nationales et la question de représentativité des États à l'ONU38 qui est jugé par bon nombre de doctrinaires en déphasage avec la réalité internationale). Ce qui rappelle le paradoxe de Borell39 qui disait « plus de fauve moins de barrière ». Sur le plan temporel, notre étude tire son assise de la période marquant la création de la Société Des Nations40 (SDN) jusqu'à nos jours. Ainsi, en bon droit, il serait question dans le cas de ce sujet de s'interroger sur une crise du droit international. Telle est l'articulation qui justifie l'enjeu de notre étude. Mais avant de répondre à cette interrogation, il est important de préciser que ce travail d'étude comporte un double intérêt : il 38 L'Organisation des Nations Unies (ONU) est une organisation internationale regroupant 193 États membres depuis le 14 juillet 2011. Elle a été instituée (sous le président américain Franklin Delano Roosevelt le 24 octobre 1945 par la ratification de la Charte des Nations Unies signée le 26 juin 1945 par les représentants de 51 États. Elle remplace alors la Société des Nations. La Charte des Nations Unies définit six organes principaux : l'Assemblée générale, le Conseil de sécurité, le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle, la Cour internationale de justice et le Secrétariat. Le système des Nations unies inclut plus largement des programmes, fonds, institutions spécialisées et apparentées. Les six langues officielles de l'ONU sont l'anglais, l'arabe, l'espagnol, le français, le mandarin et le russe. 39. Josep Borrell, le maître d'oeuvre de la politique étrangère de l'Union européenne (UE) « Plus le monde compte de pays puissants, catégories poids lourds et poids moyens, moins il est régi par la règle de droit ». Lien : https:// www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/lordre-international-ne-1945-obsolete-propositions-lamender- remplacer-ne, consulté le 24 Aout 2023 à 11h35 40 La Société des Nations (SDN) était une organisation internationale introduite par le traité de Versailles en 1919, et dissoute en 1946. Ce même traité est élaboré au cours de la conférence de paix de Paris, pendant laquelle est signé le Covenant ou le Pacte qui établit la SDN, afin de préserver la paix en Europe après la fin de la Première Guerre mondiale. Basée à Genève, dans le palais Wilson puis le palais des Nations, elle est remplacée en 1945 par l'Organisation des Nations Unies, qui reprend un certain nombre de ses agences. Le principal promoteur de la SDN est le président des États-Unis Woodrow Wilson. s'agit d'un intérêt théorique et d'un intérêt pratique. D'un point de vue théorique, cette étude s'inscrit dans le même sens que d'autres qui ont posé le problème de crise du droit international. Les opinions divergent dans la mesure où certains juristes estiment que le droit international est inefficace, voire contre-productif, face aux crises actuelles. Ils dénoncent le manque de légitimité, de cohérence et de respect du droit international, ainsi que son instrumentalisation par les puissances dominantes ou les intérêts particuliers. Ils remettent en cause les fondements étatiques du droit international, et proposent des alternatives plus radicales ou innovantes, comme le recours à la société civile, au droit comparé ou au pluralisme juridique. Dans cette optique, Anne-Marie Slaughter41 a publié un article sur la dégradation généralisée du respect au droit international42, dans lequel elle a analysé les causes et les conséquences de cette situation, et appelé à une refondation du droit international sur la base des valeurs communes de l'humanité. Elle identifie trois causes principales de cette crise : la montée du nationalisme, la fragmentation du droit international et la faiblesse des mécanismes de sanction. Elle appelle à une refondation du droit international sur la base des valeurs communes de l'humanité, en renforçant le rôle des acteurs non étatiques, comme les organisations non gouvernementales, les entreprises ou les citoyens. Elle se fera rejoindre dans sa vision par Philippe Sands43 « Le droit international est confronté à des défis sans précédent, qui menacent son autorité et son effectivité. Il doit s'adapter aux nouvelles réalités du monde, qui sont marquées par la diversité des acteurs, des intérêts et des normes. Il doit aussi renforcer la protection des valeurs universelles, qui sont le fondement de la dignité humaine et de la paix mondiale. » et Julia Grignon44 qui a dénoncé les violations du droit international humanitaire commises par la 41 Anne-Marie Slaughter, professeur émérite de politique et d'affaires internationales à l'Université de Princeton, où elle a été doyenne de l'École des affaires publiques et internationales de 2002 à 2009 42 « La dégradation généralisée du respect au droit international ». Lien : https:// www.cairn.info/revue- internationale-et-strategique-2005-4-page-43.htm, consulté le 25 Aout 2023 à 08h04 43 Philippe Joseph Sands, est un écrivain et avocat franco-britannique et professeur de droit et directeur du Centre des cours et tribunaux internationaux à l'University College de Londres . Spécialiste du droit international , il intervient comme conseil et avocat devant de nombreuses cours et tribunaux internationaux, notamment la Cour internationale de Justice , le Tribunal international du droit de la mer , la Cour européenne de Justice , la Cour européenne des Droits de l'Homme. Les droits humains et la Cour pénale internationale. 44 Julia Grignon, professeure agrégée à la Faculté de droit de l'Université Laval et chercheuse en droit des conflits armés à l'Institut de recherche stratégique de l'École militaire (IRSEM), qui a répondu à trois questions sur le droit international face à la guerre en Ukraine dans une interview publiée par l'Institut Montaigne en 20222.Lien : https:// www.institutmontaigne.org/expressions/le-droit-international-face-la-guerre-en-ukraine, consulté le 25 Aout 2023 à 08h10 Russie et ses alliés, et souligné les limites du système juridique international pour sanctionner les responsables et protéger les victimes. Elle a également évoqué les pistes possibles pour renforcer le respect du droit international dans les conflits armés. Á l'opposé, il y a des juristes qui pensent que le droit international n'est pas en crise et que ce droit est un outil indispensable et efficace pour réguler les relations internationales et faire face aux défis actuels du monde. Ils affirment que le droit international repose sur des principes et des institutions qui sont adaptés aux besoins et aux aspirations des États et des autres acteurs, et qui garantissent la sécurité, la justice et la coopération. Ils reconnaissent également les progrès et les innovations du droit international, qui témoignent de sa capacité d'évolution et d'adaptation. Ils défendent donc le respect et le renforcement du droit international, en s'appuyant sur le dialogue, la négociation et le règlement pacifique des différends. Á cet effet, dans son discours sur la thématique "Comment le droit international fonctionne en temps de crise"45, Jean-Marc Sauvé46 a présenté une vision pragmatique et réaliste du droit international, fondée sur l'analyse des faits et des situations concrètes. Il a souligné le rôle essentiel du droit international pour assurer la stabilité et la prévisibilité des relations internationales, pour protéger les droits fondamentaux et les intérêts communs de l'humanité, et pour favoriser le dialogue et la coopération entre les États et les organisations internationales. Il y a aussi certains auteurs qui ont gardé une posture mixte à l'instar d'Emmanuelle Jouannet47 « le droit international est à la fois en crise et en progrès. Il est en crise parce qu'il est souvent ignoré, violé ou contourné par les puissants. Il est en progrès parce qu'il est sans cesse enrichi, développé et renforcé par les efforts des juristes, des diplomates, des organisations 45 Discours de clôture par Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État lors de la 12ème conférence annuelle de la Société européenne de droit international (SEDI), qui s'est tenue à Riga en Lettonie du 8 au 10 septembre 2016. Lien : https://conseil-etat.fr/site/publications-colloques/discours-et-interventions/comment-le-droit- international-fonctionne-en-temps-de-crise, consulté le 25 Aout 2023 à 08h16 46 Diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et titulaire d'une maîtrise de sciences économiques, Jean-Marc Sauvé est ancien élève de l'École nationale d'administration. Il a rejoint le Conseil d'État en 1977. Il a présidé cette institution de 2006 à 2018, ainsi que parallèlement, le conseil d'administration de l'ENA et la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Il est l'auteur de deux célèbres articles publiés respectivement en 2012 (Le juge administratif face au défi de l'efficacité. Retour sur les pertinents propos d'un Huron au Palais- Royal et sur la « critique managériale », RFDA, 2012, n°4) et 2016 (« De l'abolition de la peine de mort au droit à la vie, ou le visage serein de Minerve » vu du Conseil d'État, in Mélanges en l'honneur de Robert Badinter, L'exigence de justice, Dalloz, juillet 2016, p. 669-690) 47 Emmanuelle Jouannet, une juriste française et professeure de droit international. Auteur de l'ouvrage Qu'est-ce que la société internationale juste ? publié en 2011. internationales et de la société civile »48, de Hersch Lauterpacht49 « Le droit international n'est ni en crise ni en mutation, il est en permanence en construction. Il est le produit de l'interaction entre les normes juridiques, les faits politiques, les valeurs morales et les intérêts stratégiques. Il est le reflet de la diversité et de la complexité du monde »50. D'un point de vue pratique, cette étude nous permet de réfléchir aux fondements, aux fonctions et aux limites du droit dans un contexte de changements et de tensions sur la scène internationale. Comme le soulignent certains auteurs², le droit international n'est pas un phénomène isolé ou abstrait, mais il est le reflet des rapports de force, des intérêts et des valeurs des acteurs qui le créent et qui le mettent en oeuvre. Ainsi, la crise du droit international révèle les contradictions, les défis et les opportunités qui caractérisent la société internationale51 contemporaine. Il offre une occasion unique de réfléchir sur comment le droit international peut assurer la régulation des conflits et la protection des droits humains dans un monde marqué par la domination d'une seule puissance, par l'émergence de nouveaux acteurs non étatiques, par la multiplication des menaces à la paix et à la sécurité, ou encore par la diversité culturelle et normative. Il permet aussi de s'interroger sur les modalités, les critères de l'effectivité, de la légitimité du droit international, ainsi que sur les moyens de renforcer sa crédibilité, son autorité face aux violations, aux remises en cause dont il fait l'objet, explorer les pistes, les solutions possibles pour adapter et réformer le droit international face à la crise. Pour ensemencer les graines d'une féconde réflexion, notre présente étude sera articulée autour d'une part d'une crise constatée du droit international (TITRE I) et d'autre part une crise à relativiser du droit international (TITRE II). 48 JOUANNET (Emmanuelle), Qu'est-ce qu'une société internationale juste ? éd. Pedone, Paris, Presses Universitaires de France, 2001, p. 7 49 Hersch Lauterpacht, un juriste britannique d'origine polonaise et juge à la Cour internationale de justice (1955- 1960). Il est auteur du livre The Function of Law in the International Community publié en 1933. 50 LAUTERPACHT (Hersch), The Function of Law in the International Community, Oxford, Clarendon Press, 1933, p. 3 51 Une société internationale se définit comme l'ensemble des rapports ou relations sociales possibles entre les différents êtres sociaux - notamment les États - qui la composent, ainsi que comme l'ensemble des attitudes sociales possibles et aussi comme l'ensemble des formes sociales qui rendent possibles la socialité. Lien : https:// www.erudit.org/en/journals/ei/2007-v38-n1-ei1703/015704ar.pdf, consulté le 26 Aout 2023 à 12h32 TITRE I : UNE CRISE CONSTATÉE DU DROIT INTERNATIONAL Le droit international est le fruit de luttes d'intérêts dont il vise à réguler les rapports. Le XXe siècle a été marqué par une accélération de la production normative devant réguler la société internationale. Ainsi, le droit international a connu un phénomène d'expansion incontestable. Cette évolution normative étant le reflet de facteurs macro-économiques et sociopolitiques qui ont permis l'émergence au-devant de la scène internationale de certains acteurs considérés comme les peuples sans voix de la communauté internationale de revenir au- devant de la scène. Cette mutation du droit international appelle au préalable une plus grande interdépendance entre les acteurs sur la scène internationale. De nombreux écrits se sont penchés sur un phénomène de crise en dirigeant leur analyse sur la concurrence exercée par les État entre eux et l'inobservation de certaines règles qui sous-tendent le droit international. Outre la mauvaise conduite des États, l'ONU qui est l'appareil institutionnel par excellence dont le but le principal est d'assurer la paix et la sécurité internationales est objet aujourd'hui de vives controverses. Plus rien n'est sûr en effet, et les principes les mieux établis sont désormais mis en cause, tandis que les situations depuis fort longtemps acquises ne sont plus véritablement protégées. La théorie d'une crise constatée du droit international postule l'idée d'une crise d'effectivité (chapitre I) et une crise de légitimité (chapitre II). |
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