Conclusion générale
Au terme de ce travail qui a été consacré
principalement à la thématique de la reconnaissance chez Axel
Honneth, notre objectif a été d'évaluer le passage de la
carence ou du déni de reconnaissance à la reconnaissance mutuelle
et authentique au sein des presbyteriums. Nous sommes partis de la critique
anti-aristotélicienne formulée par Hegel à l'endroit de
Hobbes et de Machiavel pour qui les luttes sociales sont
interprétées à des motifs de conservation, de survie,
d'existence, « d'auto-préservation individuelle » et de
recherche d'intérêts matériels. Mais, Axel Honneth,
à la suite de Hegel, vient en effet changer cette manière de
penser à partir du thème hégélien de «
l'idée première » et donne aux conflits moraux une
signification ou une interprétation « à teneur normative
». Ce faisant, nous nous sommes intéressés à Axel
Honneth et à sa théorie de la lutte pour la reconnaissance
mutuelle. C'est ce qui a constitué la clé de voûte de notre
recherche sur la reconnaissance et les conflits
CHARLES DIEUDONNÉ T 81
au sein des presbyteriums au à partir de la
pensée d'Axel Honneth et plus précisément de son
chef-d'oeuvre : La Lutte pour la reconnaissance.
Notre hypothèse de recherche a consisté à
savoir pourquoi l'absence de l'harmonie, de la collusion, de la reconnaissance
entre les membres d'un même et seul presbyterium surtout là
où la reconnaissance devrait mieux se vivre qu'ailleurs. Pour
répondre à cette préoccupation, nous avons articulé
notre travail en trois chapitres.
D'abord, dans le premier chapitre, d'une part, nous avons
tenté de clarifier la notion même de reconnaissance. Avec Axel
Honneth, nous avons retenu cette définition qui nous semble être
le résumé de ce travail: La reconnaissance est la limitation
du désir égocentrique de chacun au profit de l'Autre. Pour
nous, la reconnaissance est un mouvement réciproque qui se noue entre le
reconnaissant et le reconnu, où chaque partenaire d'interaction cherche
à se « décentrer » sur lui-même au profit de
l'autre. C'est dans la relation de reconnaissance que les êtres humains
apprennent à se voir et à se confirmer mutuellement comme des
sujets autonomes et individualisés. Toutefois, « se
reconnaître réciproquement ne signifie pas seulement aller
à la rencontre de quelqu'un avec une attitude déterminée,
confirmatrice, mais cela signifie aussi et d'abord se comporter par rapport
à l'autre de la manière déterminée qui est
exigée par la forme correspondante de reconnaissance
»291. D'Axel Honneth, il en découle qu'une
manière déterminée « de traiter réciproquement
»292ne signifie pas de poser des actes indépendants.
Cela veut dire qu'il existe une pluralité « d'actions qui sont,
chacune, caractérisées par leur commune propriété
consistant à pouvoir articuler une forme déterminée de la
reconnaissance réciproque »293. D'autre part, nous avons
mis en exergue les formes d'interaction sociale ou de relations de
reconnaissance réciproques qui se rapportent aux différents types
de rapports positifs que les sujets peuvent entretenir avec eux-mêmes.
D'après Axel Honneth, il existe trois formes de relations de
reconnaissance : La reconnaissance amoureuse dont le noyau structurel est
l'amour qui donne la voie d'accès à la confiance en soi. La
reconnaissance juridique ouvre la voie au respect de soi et permet au sujet de
se considérer comme une personne égale en droits à tous
les autres membres de la communauté. La reconnaissance culturelle ou
celle de la « communauté des valeurs » portent sur
l'appréciation positive des capacités pratiques des
291 Honneth, A., Les pathologies de la liberté. Une
réactualisation de la philosophie du droit de Hegel, trad.
française par Franck Fischbach, op.cit., p. 89.
292 Ibid.
293 Ibid., p. 89-90.
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sujets ainsi que sur leurs qualités propres. La
solidarité est à la base de cette forme de reconnaissance et
consolide l'estime de soi entre les sujets qui partagent les mêmes
fins.
Ensuite, dans le second chapitre, notre intérêt a
porté essentiellement sur les expériences négatives qui
portent atteinte à l'intégrité physique, sociale et
à la dignité de la personne humaine. C'est ce qu'Axel Honneth
appelle « mépris » ou « offense ». Le mépris
est la négation ou le manque de reconnaissance. Il désigne aussi
le refus de décentrement de soi vers l'autre. A partir des
modalités de reconnaissance avec ses aspects de la relation pratique
à soi-même, Axel Honneth dégage trois figures du
mépris ou du déni de reconnaissance : La première figure
du mépris est liée à la violence physique, la seconde au
déni du droit et la troisième figure à la
mésestime. S'appuyant sur la relation pratique à soi, nous avons
déduit à partir de la typologie des figures de mépris
identifiée par Honneth les causes qui sont à l'origine des
conflits ou du déni de reconnaissance au sein des presbyteriums. Nous
avons entre autres la dissolution de la confiance en soi, la perte du respect
de soi et la mésestime ou la perte de l'estime de soi. A ces trois
dénis de reconnaissance, nous en avons ajouté un autre que
Guillaume Le Blanc appellent les dénis de propriétés
sociales qui concernent les capabilités de base et les capacités
éthiques d'une vie qui « se voit se mutiler ».
C'est-à-dire une vie dont on ne reconnaît pas la valeur, le droit
et la dignité. Il s'agit là d'une vie disqualifiée ou
« rendue invisible ». Une personne qui fait l'expérience d'une
telle vie a socialement le sentiment d'être inutile dans la
société. Dans les presbyteriums, ceux qui font de telles
expériences ont aussi le sentiment de perdre leur dignité et leur
intégrité, d'être invisibles, inutiles et voire
placés aux calendes grecques.
S'il est vrai que le seul désir du déni de
reconnaissance est le désir de reconnaissance, toute personne soucieuse
de son autoréalisation pour une vie bonne et réussie est
contrainte de s'engager à la lutte intersubjective ou pour la
reconnaissance. C'est la raison pour laquelle, dans le présent travail,
notre objectif n'était pas d'explorer dans la globalité la
pensée d'Axel Honneth, mais à partir de sa théorie de
lutte pour la reconnaissance mutuelle de tenter de trouver les causes de
l'absence ou de la carence de la reconnaissance au sein des presbyteriums ainsi
que les solutions pour faire face à ce déni. A la lumière
de cette théorie, nous avons dégagé les différentes
formes de reconnaissance qui vont toujours de pairs avec des situations
d'offense, d'humiliation et même d'injustice. C'est ce qui nous a
amené à la phase ultime de notre recherche qui consiste en la
proposition de quelques pistes pour la résolution des conflits au sein
des presbyteriums et la valorisation de ses membres.
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Enfin, quant au dernier chapitre, il a été
question pour nous de proposer de manière explicite et concrète
l'apport de la théorie de lutte pour la reconnaissance mutuelle dans
l'intégration sociale des personnes et plus précisément
celle des membres des presbyteriums pour passer d'une société de
mépris à une société de justice où des
relations de reconnaissance seront plus harmonieuses et basées sur des
valeurs éthiques telles que l'amour, le droit et la solidarité
qui sont selon Honneth « les conditions formelles des rapports
d'interaction dans lesquels les êtres humains peuvent être
assurés de leur « dignité » et de leur
intégrité »294
L'amour est le noyau structurel élémentaire qui
donne accès à la confiance en soi. C'est en son sein que les
membres de la collectivité apprennent « à considérer
l'autre comme un individu irremplaçable ».
Le droit est la seconde sphère où la personne
humaine est reconnue sur le plan universel comme égale en droits par
rapport à tous les autres membres de la communauté. Le respect de
soi est au droit, ce que la confiance en soi est à l'amour.
La solidarité est la dernière sphère de
la relation de reconnaissance où est développée l'estime
de soi. C'est le résumé entre la confiance en soi et le respect
de soi.
C'est dans ces trois sphères qu'un être humain
peut être reconnu et se voir confirmé dans sa singularité,
son universalité et sa particularité. Cependant, il
apparaît clairement que la reconnaissance de soi par autrui n'est pas le
seul et unique moyen de reconnaissance des sujets humains. La reconnaissance
interobjective est une possibilité de reconnaissance à envisager
que nous pouvons qualifier de reconnaissance par des choses, à l'instar
de la reconnaissance par le travail. Toutefois, nous sommes conscients de
n'avoir pas abordé tous les aspects de la question de reconnaissance au
sein des presbyteriums. Nous avons essayé à notre niveau d'ouvrir
la piste sur des éventuelles recherches, entre autres sur : La
reconnaissance et les cultures, la reconnaissance et la question de la retraite
des prêtres, la reconnaissance et la mémoire historique...
La question de la reconnaissance a fort bien retenu notre
attention. Elle nous a permis de comprendre que les luttes sociales en
l'occurrence des conflits au sein des presbyteriums ne peuvent pas seulement
être interprétés à des motifs d'existence, de
survie, de pouvoir, d'avoir, de recherche d'intérêts
matériels et « d'auto-préservation individuelle » mais
à des « mobiles
294 Honneth, A., « Reconnaissance et reproduction
sociale », in Jean-Paul Payet et Alain Battegay (sous dir.), La
reconnaissance à l'épreuve. Explorations
socio-anthropologiques, op.cit., p. 45-58.
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moraux ». Au regard de ce qui précède, il
en résulte que le déni de reconnaissance qui se traduit par le
refus ou le rejet ou par une autre forme d'injustice sont à la source
des conflits au sein des presbyteriums.
Cependant, quoi qu'on dise, bien que les membres des
presbyteriums soient tendus vers la quête pour la reconnaissance dans
l'optique de leur autoréalisation individuelle, ils ont aussi besoin des
moyens matériels et financiers pour s'accomplir pleinement dans un
contexte surtout du manque et parfois d'injustice dans la répartition
des biens. C'est pourquoi, à la fin de ce travail, nous reprenons le
point de vue de Nancy Fraser qui stipule que : « Pas de reconnaissance
sans redistribution ». Celui-ci nous semble pertinent surtout dans le
contexte des églises d'Afrique où le problème
matériel des membres des presbyteriums se pose encore
sérieusement. Face à cette objection qui exclut la dimension de
la redistribution matérielle dans l'ancrage de la reconnaissance,
Honneth pense que « c'est Nancy Fraser qui a le plus fortement
formulé ce reproche qui n'a pas manqué de frapper les esprits :
elle soutient qu'une morale sociale de la reconnaissance ne peut prendre en
compte que ce qu'on nomme aujourd'hui la « politique de l'identité
», mais que dans ce cadre, les formes traditionnelles de la politique de
redistribution ne peuvent être prises en compte »295.
Toutefois, Honneth continue sa réflexion en ces termes
: « Je suis convaincu que ce reproche repose sur un grave malentendu que
rend d'ailleurs tout à fait compréhensible une certaine tendance
répandue dans les publications politico-philosophiques [...]. Je crois
qu'il y a là un malentendu ruineux provoqué en premier lieux par
Charles Taylor dans son livre sur La politique de la reconnaissance
»296. De ces objections de Nancy Fraser et Charles Taylor,
Honneth arrive à la conclusion selon laquelle :
Dans la conception de l'éthicité
démocratique que j'ai proposée, les revendications touchant
à la redistribution matérielle découlent de deux sources
différentes. D'un côté, elles dérivent des
implications normatives de l'égalité des droits, laquelle promet
aux membres d'une communauté démocratique une
égalité de traitement basée sur le droit : il est clair en
effet que la garantie des droits sociaux, ainsi que la redistribution qui en
découle, ont pour fonction normative de donner à chaque citoyen
et citoyenne la chance effective de participer au processus démocratique
de la construction publique d'une communauté de droit. D'un autre
côté, les exigences
295 Ibid.
296 Ibid.
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relatives à la redistribution découlent
également de l'idée normative selon laquelle chaque membre d'une
société démocratique doit avoir la chance d'être
estimé socialement ses contributions
individuelles297.
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